AFFAIRE SOUTZOS c. GRÈCE (Cour européenne des droits de l’homme) 31628/14

La requête concerne l’équité et la durée d’une procédure devant les juridictions civiles, ainsi que la motivation des arrêts rendus.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE SOUTZOS c. GRÈCE
(Requête no 31628/14)
ARRÊT
STRASBOURG
28 avril 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Soutzos c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

Erik Wennerström, président,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 31628/14) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Rolandos-Aggelos Soutzos (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 16 avril 2014,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mars 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne l’équité et la durée d’une procédure devant les juridictions civiles, ainsi que la motivation des arrêts rendus.

EN FAIT

2. Le requérant, M. Rolandos-Aggelos Soutzos, est un ressortissant grec né en 1973. Il a été représenté devant la Cour par Me N. Koulouris, avocat au barreau d’Athènes.

3. Le Gouvernement a été représenté par les déléguées de son agent, Mme A. Dimitrakopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme I. Kotsoni, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État.

4. Le 22 juin 1996, alors qu’il circulait sur son vélomoteur, le requérant fut victime d’un accident de la route. Depuis lors, il est paraplégique.

I. La procédure devant les juridictions pénales

5. Une procédure pénale fut engagée contre le requérant et contre les conducteurs de deux voitures impliquées dans l’accident, A.R. et P.S., pour dommage corporel résultant d’une négligence et pour infraction au code de la route. Le requérant se constitua partie civile dans la procédure contre A.R. et P.S. et demanda à être indemnisé pour le dommage moral qu’il disait avoir subi.

6. Le 26 février 1999, par le jugement no 25919/99, le tribunal correctionnel d’Athènes, siégeant en formation de juge unique, relaxa le requérant des accusations portées contre lui et condamna A.R. et P.S. pour dommage corporel résultant d’une négligence. Il commua la peine d’emprisonnement prononcée contre A.R. en une sanction pécuniaire et infligea à P.S. une peine d’emprisonnement de sept mois avec sursis. Il fit également droit à la demande d’indemnisation du requérant.

7. A.R. et P.S. interjetèrent appel contre ce jugement.

8. Le 23 novembre 1999, par l’arrêt no 81475/99, le tribunal correctionnel d’Athènes, siégeant en formation de trois juges et statuant en appel, relaxa A.R. des accusations portées contre lui, condamna P.S. pour dommage corporel résultant d’une négligence et prononça contre lui une peine d’emprisonnement de quatre mois avec sursis, et fit droit à la demande d’indemnisation du requérant pour dommage moral. Le tribunal considéra que P.S. n’avait pas adapté sa vitesse et n’avait pas respecté la distance de sécurité.

II. La procédure devant les juridictions civiles

9. Le 7 mai 1998, le requérant saisit le tribunal de première instance d’Athènes, composé d’un juge unique, d’une action en dommages-intérêts dirigée contre deux sociétés d’assurances, le propriétaire de l’une des deux voitures impliquées dans l’accident, ainsi que les conducteurs de ces deux véhicules, A.R. et P.S.

10. À une date non précisée en 1999, par une décision avant dire droit (no 4569/1999), le tribunal de première instance d’Athènes suspendit l’examen de l’affaire en attendant la réalisation d’une expertise médicale.

11. Le 20 décembre 1999, le requérant demanda la fixation d’une nouvelle date d’audience.

12. Le 28 février 2001, par le jugement no 1025/2001, le tribunal de première instance d’Athènes fit partiellement droit à l’action du requérant, estimant que ce dernier était le principal responsable de l’accident (à hauteur de 60 %) et que par ailleurs A.R. et P.S. étaient conjointement responsables.

13. Le 27 février 2001 et le 19 mars 2001 respectivement, le requérant et l’un de ses adversaires interjetèrent appel.

14. Le 3 avril 2002, certains des adversaires du requérant formèrent un appel incident (αντέφεση).

15. Le 4 décembre 2002, par l’arrêt no 9510/2002, la cour d’appel d’Athènes annula le jugement du tribunal de première instance et, statuant sur le fond, rejeta l’action du requérant, considérant que celui-ci était le seul responsable de l’accident en cause. Elle estima en effet qu’il n’avait pas fait preuve de l’attention requise alors qu’il circulait sur son vélomoteur.

16. Le 10 avril 2003, le requérant se pourvut en cassation.

17. Le 20 février 2004, par l’arrêt no 190/2004, la Cour de cassation annula l’arrêt no 9510/2002 de la cour d’appel d’Athènes et renvoya l’affaire devant celle-ci. Elle considéra que la cour d’appel s’était appuyée sur des motifs contradictoires et insuffisants pour établir la responsabilité du requérant et, plus largement, les circonstances de l’accident.

18. Le 24 février 2004, le requérant demanda la fixation d’une date d’audience devant la cour d’appel d’Athènes.

19. Le 26 janvier 2005, par l’arrêt no 522/2005, la cour d’appel d’Athènes fit partiellement droit à l’action du requérant, considérant que ce dernier était le principal responsable de l’accident litigieux, à hauteur de 60 %, et que A.R. et P.S. étaient conjointement responsables à hauteur de 40 %. Il condamna A.R. et P.S. à verser au requérant une somme de 222 220,77 euros (EUR).

20. Les 22 février et 2 mars 2005, les adversaires du requérant, parmi lesquels A.R. et P.S., se pourvurent en cassation.

21. Le 5 avril 2005, le requérant se pourvut également en cassation.

22. Le 3 novembre 2006, à la suite d’une audience qui s’était tenue le 22 septembre 2006, la Cour de cassation, par sa décision no 1739/2006, déclara cette audience non valable au motif que les parties n’avaient pas été invitées à comparaître.

23. Le 31 octobre 2008, date d’une nouvelle audience, la Cour de cassation déclara à nouveau l’audience non valable au motif que les parties n’avaient pas été invitées à comparaître (décision no 1973/2008).

24. Le 17 février 2011, par l’arrêt no 247/2011, la Cour de cassation annula l’arrêt no 522/2005 de la cour d’appel d’Athènes pour défaut de motivation et renvoya l’affaire devant cette juridiction. Elle jugea que la cour d’appel s’était appuyée sur des motifs contradictoires et insuffisants pour établir la responsabilité du requérant et celle de A.R. et de P.S.

25. Le 25 février 2011, le requérant demanda la fixation d’une date d’audience devant la cour d’appel.

26. Le 5 avril 2012, par l’arrêt no 1845/2012, la cour d’appel d’Athènes rejeta l’action du requérant, considérant qu’il était le seul responsable de l’accident en cause. Elle estima que cet accident et la paraplégie du requérant avaient été provoqués par la manière de circuler de ce dernier, selon elle caractérisée par l’absence du niveau d’attention requis d’un point de vue objectif et théorique, et constitutive d’une négligence. Elle considéra également que A.R. et P.S. n’étaient aucunement responsables de l’accident. Pour étayer sa position, elle releva ce qui suit :

« Il convient de noter que le conducteur du taxi (A.R.) a été relaxé du chef d’infliction d’un dommage corporel par négligence, en vertu de l’arrêt no 81475/1999 du tribunal correctionnel d’Athènes qui siégeait en formation de trois juges. En conséquence, l’action formée par l’appelant, Rolandos-Aggelos Soutzos, était irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en l’absence de reconnaissance de culpabilité – condition principale de l’obligation d’indemnisation (article 914 du code civil) – des personnes visées par l’action (των εναγομένων με την αγωγή) (…) ».

27. Le 8 février 2013, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt no 1845/2012 de la cour d’appel d’Athènes. Il souleva plusieurs moyens de cassation qui correspondaient aux différents considérants de cette décision. Après avoir reproduit l’essentiel de la motivation de l’arrêt de la cour d’appel comprenant la partie relative à l’arrêt no 81475/99 du tribunal correctionnel et le prononcé de la relaxe de A.R., il alléguait que la cour d’appel avait interprété de façon erronée les dispositions de la loi et du code de la route et qu’elle avait exposé des motifs contradictoires et insuffisants.

28. Le 1er juillet 2013, par l’arrêt no 1444/2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant et confirma l’arrêt no 1845/2012 de la cour d’appel d’Athènes. Après avoir reproduit textuellement l’essentiel des considérants de l’arrêt attaqué, elle conclut comme suit :

« En se prononçant ainsi, la cour d’appel a retenu dans son arrêt des motifs clairs, suffisants et non contradictoires, qui permettent de contrôler en cassation si les dispositions du droit interne appliquées en l’espèce l’ont été de façon correcte ou non. Son arrêt n’est pas dépourvu de base légale et elle n’a pas enfreint les dispositions susmentionnées du droit interne, qu’elle a correctement interprétées et appliquées ».

29. Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 25 octobre 2013.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

30. Les dispositions juridiques et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrites dans l’arrêt Glykantzi c. Grèce (no 40150/09, 30 octobre 2012).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION quant AU DROIT DU REQUÉRANT à un procès équitable

31. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à un procès équitable, en raison de la motivation selon lui contradictoire et insuffisante des arrêts des juridictions internes, notamment de ceux rendus par la cour d’appel d’Athènes (no 1845/2012) et par la Cour de cassation (no 1444/2013). Il invoque l’article 6 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) ».

A. Arguments des parties

32. Le requérant soutient que les juridictions civiles ont fait preuve d’« attitudes » contradictoires dans la motivation des arrêts en cause. Il ajoute que ces « attitudes » ont fait naître une grave incertitude juridique.

33. Le requérant souligne que, par l’arrêt no 81475/99, le tribunal correctionnel d’Athènes, siégeant en formation de trois juges et statuant en appel, a condamné l’une des personnes mises en cause pour dommage corporel résultant d’une négligence. À ses yeux, cette décision interne définitive a été contredite par les conclusions du dernier arrêt de la cour d’appel d’Athènes, qui a considéré qu’il était l’unique responsable de l’accident en cause. Selon le requérant, la cour d’appel d’Athènes aurait dû au moins présenter des motifs convaincants et des explications concernant cette différence, ce que, d’après lui, elle n’a pas fait. Le requérant déclare également que cette situation doit être vue à la lumière de ce qui était pour lui en jeu : il souligne qu’il est paralysé et contraint depuis l’âge de vingt‑deux ans – et depuis vingt-deux ans – d’utiliser un fauteuil roulant et qu’il souffre de divers problèmes de santé. Dès lors, à son avis, les juridictions internes auraient dû procéder à l’examen de son affaire avec une attention particulière.

34. Le Gouvernement soutient que, dans son arrêt no 1845/2012, la cour d’appel d’Athènes a pris en compte pour aboutir à sa conclusion finale tous les faits cruciaux tels qu’ils ressortaient de l’ensemble des éléments de preuve fournis par les parties. Il déclare que la cour d’appel a amplement motivé cet arrêt, ce que selon lui la Cour de cassation a par la suite admis dans son arrêt no 1444/2013. Le Gouvernement estime en outre que les juridictions civiles ont pris en compte l’arrêt no 81475/99 du tribunal correctionnel d’Athènes. Selon il, la Cour pourrait constater une violation de l’article 6 de la Convention uniquement dans le cas où la motivation de la cour d’appel ou de la Cour de cassation aurait été manifestement contradictoire et incohérente, ce qui selon lui n’est pas le cas en l’espèce. Le Gouvernement plaide enfin que le fait qu’un tribunal statue différemment d’un autre est une caractéristique inhérente à la procédure judiciaire.

B. Appréciation de la Cour

35. La Cour rappelle tout d’abord qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Dès lors, sauf dans les cas d’un arbitraire évident, elle n’est pas compétente pour mettre en cause l’interprétation de la législation interne par ces juridictions. De même, sur ce point, il ne lui appartient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes, par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle. La Cour souligne ensuite avoir déjà reconnu que l’éventualité de divergences de jurisprudence est naturellement inhérente à tout système judiciaire reposant sur un ensemble de juridictions du fond ayant autorité sur leur ressort territorial. De telles divergences peuvent également apparaître au sein d’une même juridiction. Cela en soi ne saurait être jugé contraire à la Convention (Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 49-51, 20 octobre 2011).

36. La Cour a par ailleurs été appelée à se prononcer sur les divergences de jurisprudence pouvant survenir au sein d’une même cour d’appel (Tudor Tudor c. Roumanie, no 21911/03, 24 mars 2009) ou entre tribunaux d’instance (Ştefănică et autres c. Roumanie, no 38155/02, 2 novembre 2010) lorsque ces juridictions statuent en dernier ressort. Outre le caractère « profond et persistant » des divergences en cause, ce sont, là encore, l’incertitude juridique découlant de l’inconstance dans la pratique de ces juridictions et l’absence de mécanismes permettant de résoudre les divergences de jurisprudence qui ont été considérées comme étant de nature à porter atteinte au droit à un procès équitable (Tudor Tudor, précité, §§ 30‑32, et Ştefănică et autres, précité, §§ 37-38).

37. La Cour rappelle en outre qu’il ne lui appartient pas d’apprécier elle‑même les éléments ayant conduit une juridiction à adopter telle décision plutôt que telle autre car, ce faisant, elle s’érigerait en juge de quatrième instance (voir, parmi d’autres, Kemmache c. France (no 3), 24 novembre 1994, § 44, série A no 296‑C, Contal c. France (déc.), no 67603/01, 3 septembre 2000, Donadzé c. Géorgie, no 74644/01, §§ 30‑31, 7 mars 2006, et Vassiliadis c. Grèce, no 32086/06, § 29, 2 avril 2009). Elle observe que, en l’espèce, rien dans le dossier ne permet de déceler un quelconque élément d’iniquité dans le déroulement des procédures, qui ont respecté le principe du contradictoire et au cours desquelles le requérant a pu présenter ses arguments pour la défense de ses intérêts.

38. La Cour note en particulier que le requérant a été débouté de l’action qu’il avait introduite devant les juridictions civiles. Si, par les arrêts nos 1025/2001 du tribunal de première instance d’Athènes et 522/2005 de la cour d’appel d’Athènes, il a été considéré que A.R. et P.S. étaient également responsables de l’accident, les juridictions internes ont finalement jugé que le requérant était le seul responsable. Qui plus est, il ressort du dossier que la cour d’appel d’Athènes, en rejetant l’action du requérant, a pris en compte l’arrêt no 81475/99 du tribunal correctionnel d’Athènes (paragraphe 26 ci‑dessus). La Cour ne distingue aucun élément qui soit de nature à lui permettre de considérer ces décisions comme insuffisantes, arbitraires ou manifestement déraisonnables.

39. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION quant à la durée de la procédure

40. Le requérant critique la durée de la procédure menée devant les juridictions civiles, qui a débuté le 7 mai 1998 et s’est achevée le 25 octobre 2013. Il invoque l’article 6 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) ».

A. Sur la recevabilité

41. Constatant que ce grief n’est ni manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

42. Le requérant plaide que la procédure menée devant les juridictions internes a duré quinze ans et deux mois et que le fait que la Cour de cassation ait par deux fois ajourné l’audience dans l’affaire ne doit pas lui être attribué. Il ajoute que, à supposer même que son représentant ait commis une erreur d’ordre procédural, la Cour de cassation aurait dû fixer une nouvelle date d’audience dans un délai plus court, et non pas deux ans plus tard. Il considère enfin que c’est l’État qui est à l’origine du prononcé de nombreux arrêts, donc de la durée excessive de la procédure.

43. Le Gouvernement soutient que l’affaire a été jugée dans un délai raisonnable. En premier lieu, il estime que le délai écoulé entre le 22 septembre 2006 (date à laquelle avait été fixé l’examen des recours en annulation contre l’arrêt no 522/2005 de la cour d’appel d’Athènes devant la Cour de cassation) et le 17 septembre 2010 (date à laquelle les recours en cause ont été examinés par la Cour de cassation) ne peut pas être attribué à l’État. Il plaide en particulier que, le 22 septembre 2006, la Cour de cassation, par sa décision no 1739/2006, a déclaré non valable l’audience dans l’affaire, au motif que les parties n’avaient pas été légalement invitées à comparaître. Il ajoute que, le 31 octobre 2008, date d’une nouvelle audience, la Cour de cassation a à nouveau déclaré l’audience non valable, pour la même raison.

44. Le Gouvernement ajoute que le reste de la période en question ne peut pas être considéré comme excessif, compte tenu selon lui de la complexité de l’affaire et du fait que celle-ci a été examinée trois fois en première et deuxième instance et trois fois par la Cour de cassation. Le Gouvernement considère enfin qu’en l’espèce l’effectivité et la crédibilité de la procédure n’ont pas été remises en cause.

2. Appréciation de la Cour

45. La Cour note que la période à considérer a débuté le 7 mai 1998, date à laquelle le requérant a introduit son action devant les juridictions civiles, et qu’elle s’est terminée le 25 octobre 2013, date à laquelle l’arrêt no 1444/2013 de la Cour de cassation a été mis au net et certifié conforme. La procédure a donc duré quinze ans et deux mois environ, pour trois instances.

46. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Glykantzi, précité, § 47).

47. Elle rappelle aussi avoir maintes fois traité des affaires qui soulevaient comme la présente espèce la question de la durée excessive de procédures civiles en Grèce et avoir constaté une violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir l’arrêt pilote Glykantzi, précité).

48. En l’occurrence, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ni argument propre à justifier la durée de la procédure en l’espèce. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la procédure litigieuse a connu une durée excessive et incompatible avec l’exigence de « délai raisonnable » posée par l’article 6 § 1.

49. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

51. Pour préjudice matériel, le requérant demande une somme de 222 220,77 euros (EUR), qui correspondrait au montant que les défendeurs avaient été condamnés à lui verser par le « deuxième arrêt » de la cour d’appel d’Athènes. Il déclare s’en remettre à la sagesse de la Cour quant au montant qui devrait lui être alloué pour dommage moral, sollicitant à ce titre une « somme appropriée ». Il ne demande pas de somme au titre des frais et dépens.

52. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et injustifiée et que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

53. La Cour ne constate pas de lien de causalité entre la violation de la Convention constatée et le dommage matériel allégué et, en conséquence, elle rejette la demande à ce titre. Elle octroie au requérant 6 500 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevable le grief formulé sous l’angle de l’article 6 de la Convention quant à la durée de la procédure, et déclare irrecevable le surplus de la requête ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention quant à la durée de la procédure ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 avril 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt                           Erik Wennerström
Greffière adjointe                          Président

Dernière mise à jour le avril 28, 2022 par loisdumonde

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