PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE EFSTRATIOU ET AUTRES c. GRÈCE
(Requête no 53221/14)
ARRÊT
Art 6 § 1 (civil) • Accès à un tribunal • Absence de formalisme excessif par lequel la Cour de cassation s’est prononcée sur la manière dont les requérants devaient légalement invoquer devant la cour d’appel un élément de preuve présenté devant le tribunal de première instance et considéré par eux comme déterminant pour l’issue du litige • But légitime de la loi d’assurer le bon fonctionnement des tribunaux et garantir aux parties la prise en compte des éléments de preuve invoqués en appel et épargner à la cour d’appel une charge de travail inutile afin d’accélérer le déroulement de la procédure • Application par la Cour de cassation de règles de procédure claires, accessibles et facilement compréhensibles pour les requérants, assistés par un avocat rompu aux procédures judiciaires
STRASBOURG
19 novembre 2020
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Efstratiou et autres c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Ksenija Turković, présidente,
Krzysztof Wojtyczek,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 53221/14) dirigée contre la République hellénique et dont cinq ressortissants de cet État dont les noms figurent en annexe (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 18 juillet 2014,
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement grec,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 octobre 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente requête concerne le formalisme excessif allégué par lequel la cour d’appel et la Cour de cassation se sont prononcées sur la manière dont les requérants devaient légalement invoquer devant la cour d’appel un élément de preuve présenté devant le tribunal de première instance et considéré par eux comme déterminant pour l’issue du litige.
EN FAIT
2. Les requérants sont représentés par Me V. Christianos, avocat et professeur d’université.
3. Le Gouvernement est représenté par la déléguée de son agent, Mme G. Papadaki, assesseure au Conseil juridique de l’État.
A. La genèse de l’affaire
4. La première requérante, Kyriaki Efstratiou, est l’épouse de Neofytos Efstratiou, le troisième requérant. Les trois autres requérantes sont les enfants de la première requérante.
5. Les requérants précisent que la société Easton Investment Trust avait été créée le 2 avril 1987 et que le 3 avril 1987, elle avait été transférée exclusivement à Kalliopi M., épouse de feu son mari Sotirios M., celle-ci étant l’unique actionnaire et propriétaire. À l’époque de sa création, la société n’avait pas de compte bancaire en son nom et les trois enfants de Kalliopi M. (Michail M., Georgios M. et la première requérante, Kyriaki Efstratiou, née M.) n’étaient pas actionnaires de la société et n’avaient aucun rôle dans l’administration de la société. À la suite du décès de Sotirios M., Kalliopi M. et ses enfants procédèrent à un partage des liquidités du défunt. Kalliopi M. garda la somme de 600 000 livres sterling, somme qui était déposée sur un compte commun avec son mari, et les trois enfants reçurent des liquidités provenant d’autres comptes du défunt (500 000 dollars américains).
6. Sotirios M. fut décédé le 4 juillet 1987, avant l’ouverture du compte à la banque N.S. Le 23 octobre 1987, Kalliopi M. nomma ses trois enfants membres du conseil d’administration de la société Easton Investment Trust, mais ceux-ci n’acquirent aucun droit de propriété sur la société ou sur son capital. Le 7 novembre 1989, tous les quatre décidèrent d’ouvrir un compte à la banque précitée qui serait géré soit seulement par Kalliopi M., soit conjointement par ses trois enfants. Selon les requérants, aucune limite ne fut établie quant au retrait par Kalliopi M. de sommes déposées sur le compte.
B. La procédure devant le tribunal de première instance d’Athènes
7. Alléguant qu’elles étaient les seules héritières du défunt Michail M., Pelagia M. et Daphni-Maria M., la première étant l’épouse et la deuxième la fille de Michail, saisirent le 24 octobre 2010 le tribunal de première instance d’Athènes. Elles exposaient que Sotirios M., père de Michail, avait déposé une somme d’argent à la banque N.S. et qu’afin de la gérer en commun avec son épouse, Kalliopi M., et ses enfants, il avait créé en 1987 une société libérienne, la Easton Investment Trust, qui était la titulaire du compte bancaire. Kalliopi M. était la seule actionnaire de la société et les trois enfants étaient membres du conseil d’administration.
8. Les demanderesses, parties adverses des requérants, soutenaient que la société n’avait pas respecté les conditions requises par le droit grec pour sa création, que son siège réel était en Grèce, qu’elle n’avait développé aucune activité et qu’elle était en réalité une société civile sans personnalité juridique, de sorte que chaque sociétaire contribuait aux profits et aux pertes à concurrence de ¼. Elles précisaient qu’au décès de Kalliopi M., le 16 janvier 2003, la société avait été dissoute et la somme qui restait sur le compte (268 038 livres sterling) avait été partagée entre les trois enfants. Elles précisaient aussi qu’après le décès de Kalliopi M., les enfants s’étaient rendus compte que celle-ci avait effectué des retraits supérieurs au pourcentage du ¼ auquel elle avait droit et qu’elle avait fait des donations aux requérants. Elles affirmaient que ces derniers savaient que les donations avaient lieu en dépassement des biens sociaux qui lui correspondaient. Elles demandaient alors que les requérants soient condamnés à leur rembourser avec intérêts les sommes qu’ils avaient reçues de Kalliopi M.
9. Pour réfuter les allégations des demanderesses, les requérants déposèrent au tribunal une déclaration sous serment d’une témoin (comme annexe 1), établie le 27 janvier 2009 devant la notaire D.F.
Dans la déclaration précitée, la témoin confirmait qu’à la suite du décès de Sotirios M., un partage de facto de sa propriété avait eu lieu entre son épouse, Kalliopi M., et les trois enfants. Dans le cadre de ce partage, de grandes sommes d’argent en monnaie étrangère avaient été partagées entre Kalliopi M. et les trois enfants. Kalliopi M. avait conservé la somme de 600 000 livres sterling qui restaient sur le compte commun qu’elle avait avec son ex-mari. Aucun des enfants n’avait contesté ce partage de facto pendant les seize ans qui avaient précédé le décès de Kalliopi M. En revanche, ils avaient tous accepté que cette somme appartenait exclusivement à leur mère.
10. Les requérants déposèrent aussi d’autres annexes (5 à 15) par lesquels ils tentaient d’établir que Kalliopi M. était seule habilitée à gérer le compte bancaire et à être conseillée par la banque sur la meilleure façon de le gérer, à disposer des sommes déposées comme elle le souhaitait et à recevoir les relevés de compte.
11. Lors de l’audience du 24 octobre 2006, une témoin pour les requérants, Ef.Ma., fit la déposition suivante qui précisait entre autres :
« Lorsque Sotirios M. décéda, Kalliopi M. donna à chacun de ses enfants 500 000 dollars américains. Elle garda pour elle le restant sur le compte, soit 600 000 livres sterling. Elle décida de créer une société pour que ses enfants puissent retirer de l’argent lorsqu’elle serait malade. Elle a gardé ce qu’elle voulait pour subvenir à ses besoins. (…) L’argent était à elle et elle disait que son mari l’avait protégée et qu’elle n’était pas une charge pour ses enfants (…) »
12. Par un jugement no 2216/2009 du 29 mai 2009, le tribunal de première instance rejeta l’action des demanderesses, parties adverses des requérants et considéra que les requérants n’avaient aucune obligation de verser une quelconque somme aux parties adverses.
13. Le tribunal considéra que la société libérienne avait été créée pour des raisons fiscales, afin de dissimuler une donation de Sotirios M. à son épouse, Kalliopi M., et qu’une partie du patrimoine de celui-ci avait été transmise à Kalliopi M. sans charges fiscales. Le tribunal considéra aussi que la totalité de la somme sur le compte appartenait à Kalliopi M., qui le gérait seule jusqu’à son décès et l’utilisait pour couvrir ses propres dépenses et faire des donations à ses enfants et petits-enfants. Plus précisément, le tribunal s’exprima ainsi :
« Comme il ressort des dépositions sous serment des témoins des parties qui ont été dûment examinés par le tribunal (…), de la déclaration sous serment no 34643/27.1.2009 du témoin des défendeurs devant notaire (…) et de tous les autres documents, sans exception, que les parties ont soumis et invoquent, les faits suivants ont été prouvés : (…)
De ce qui précède, et en combinaison avec les dépositions des témoins, il a été prouvé, de l’avis du tribunal, que l’argent trouvé sur le compte bancaire appartenait dans sa totalité et exclusivement à Kalliopi M. qui le gérait seule jusqu’à son décès le 16.1.2003 (…). »
En outre, le tribunal constata que Michail M., Georgios M. et Kyriaki Efstratiou avaient été désignés comme co-titulaires du compte pour le cas où leur mère serait dans l’impossibilité de le gérer et pour que l’argent du compte leur soit transféré au décès de leur mère.
C. La procédure devant la cour d’appel d’Athènes
14. Les parties adverses des requérants interjetèrent appel contre ce jugement. Elles soutenaient que la société libérienne n’était pas fictive et qu’elle avait comme sociétaires, à part égale, Kalliopi M., Michail M., Georgios M. et Kyriaki Efstratiou. Elles soutenaient aussi que l’allégation des requérants selon laquelle l’argent était partie de la part successorale de Kalliopi M. était non-fondée car le seul droit qu’avait cette dernière était d’utiliser les sommes sur le compte pour ses propres besoins et non pour faire des donations à des tiers, voire aux co-titulaires du compte.
15. De leur côté, dans leurs observations du 12 avril 2011, les requérants soutenaient que l’argent sur le compte appartenait à Kalliopi M. en tant que part successorale de la succession de Sotirios M., et que celle-ci pouvait en disposer sans être limitée quant au montant des retraits. À la fin de leurs observations, le point 6 de celles-ci se lisait ainsi :
« Invocation des observations en première instance et documents y relatifs
Afin de réfuter l’appel vague, mal fondé et mensonger, nous déposons et invoquons comme annexe A une copie certifiée conforme de nos observations en première instance, du 29 janvier 2009, avec l’ensemble des annexes sous les numéros 1 à 15 ainsi que de nos observations complémentaires – réplique, du 2 février 2009. Les observations en première instance et les observations complémentaires – réplique, se lisent mot à mot comme suit : (…) »
16. Aucun élément de preuve nouveau ne fut déposé devant la cour d’appel.
17. Par un arrêt no 438/2012 du 27 janvier 2012, la cour d’appel d’Athènes accueillit l’appel. Elle considéra que les parties adverses des requérants étaient en droit de revendiquer les sommes que ces derniers avaient reçues comme donation de Kalliopi M. et qu’ils n’auraient pas perçues si cette dernière n’avait pas retiré du compte de la société plus d’argent qui ne lui revenait.
18. En outre, en invoquant l’article 240 du code de procédure civile, la cour d’appel précisa qu’elle n’avait pris en compte pour rendre sa décision que les documents suivants : le jugement du tribunal de première instance, le procès-verbal de celui-ci, les observations déposées en première instance, une demande des mesures provisoires des demanderesses, l’acte d’appel et les observations complémentaires et les pouvoirs. Elle précisa qu’elle n’avait pas tenu compte des autres documents (dont la déclaration sous serment établie devant notaire et les relevés du compte qui étaient envoyés à Kalliopi M.) qui n’avaient pas été invoqués de manière claire et précise, comme l’exigeait l’article 240 précité.
Plus particulièrement, la cour d’appel s’exprima ainsi :
« (…) la déclaration sous serment qui a été déposée par les requérants et que ceux-ci n’invoquent pas dans leurs observations écrites devant cette cour, ne sera pas prise en considération.
Comme il ressort des dépositions sous serment devant le tribunal de première instance, qui sont incluses dans le compte-rendu (…), des déclarations sous serment des témoins [G.A.] et [I.G.] pour [les demandeurs/parties adverses des requérants] (…) et de tous les documents que les parties soumettent et invoquent légalement, les faits suivants ont été prouvés (…).
Par conséquent, le tribunal de première instance, qui statua différemment, en considérant qu’il n’existait pas de société, de quelque type que ce soit, et que le nom de la société dissimulait une donation de Sotirios M. à son épouse, à laquelle l’argent appartenait exclusivement, et avec lequel elle couvrait ses frais et faisait des donations à ses enfants et petits-enfants, a erré, d’une part, en ce qui concerne l’interprétation de l’application de la loi, et, d’autre part, en ce qui concerne l’appréciation des preuves qui lui étaient soumises (…). »
D. La procédure devant la Cour de cassation
19. Les requérants se pourvurent en cassation contre cet arrêt. Ils alléguaient que la non prise en considération des faits déterminants par la cour d’appel, qui pouvaient avoir une incidence décisive sur l’issue de la procédure et qui résultaient des éléments de preuve que la cour d’appel avait écarté, violait le principe de proportionnalité inhérent au droit à un procès équitable. Ces éléments de preuve étaient la déclaration sous serment faite devant la notaire D.F., le récépissé de notification de cette déclaration par huissier de justice, des documents relatifs à certains dépôts à terme et certains relevés du compte litigieux établis entre 1997 et 2002 et adressés à Kalliopi M.
20. Plus particulièrement, les requérants soutenaient que les documents précités établissaient les faits suivants :
1) qu’en 1987, Sotirios M. avait créé, selon le droit libérien, une compagnie maritime, la Easton Investment Trust, dont le vrai siège social était au Pirée ;
2) que Kalliopi M. était l’unique actionnaire de la société ;
3) que les trois enfants de celle-ci étaient de simples administrateurs de la société ;
4) que des sommes en livres sterling étaient déposés au nom de la société sur un compte ouvert à la banque N.S. ;
5) que la société n’avait développé aucune activité commerciale ou maritime, n’avait acquis ou exploité aucun navire, mais gérait seulement les capitaux déposés à la banque précitée ;
6) que seule Kalliopi M. gérait les capitaux et que les trois administrateurs de la société auraient le droit d’administrer la société seulement en cas d’empêchement de Kalliopi M.;
7) que la totalité des capitaux provenaient d’une donation faite par Sotirios M. à Kalliopi M., par le biais de la création d’une société pour des raisons fiscales, et que celle-ci gérait seule jusqu’à la fin de sa vie, en subvenant à ses besoins et en faisant des donations à ses enfants et petits‑enfants.
21. Par un arrêt no 201/2014 du 28 janvier 2014, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle considéra que l’invocation des documents qui étaient mentionnés dans leur mémoire de première instance et étaient intégrés dans celui d’appel n’était pas légale car il n’y avait pas de renvoi à un passage spécifique du mémoire de première instance faisant une référence claire et précise à ces documents. Elle considéra aussi que la société libérienne ne constituait pas une société commerciale selon le droit grec mais une société civile établie entre Kalliopi M. et ses enfants et que le patrimoine de la société appartenait à part égale à tous les sociétaires. Enfin, la Cour de cassation conclut que le moyen tiré d’une appréciation erronée des moyens de preuve par la cour d’appel (en particulier, que les gérants de la société avaient droit de gérer celle-ci en cas d’empêchement de Kalliopi M. et que celle-ci était l’unique propriétaire des sommes déposées en raison de la donation de son mari) était irrecevable car cette allégation d’appréciation erronée était fondée sur des faits qui n’avaient pas été établis par la cour d’appel.
22. En exécution des arrêts de la cour d’appel et de la Cour de cassation, et en application d’un accord privé conclu entre eux, les requérants durent verser aux parties adverses la somme de 334 330,95[1] euros qui se répartissait ainsi entre les cinq requérants : Kyriaki Efstratiou 73 789,77 euros ; Kalliopi Samiotou 82 763,17 euros ; Anna Samiotou 82 763,17 euros ; Amalia Efstratiou 82 763,17 euros ; Neofytos Efstratiou 12 251,67 euros. Ces montants étaient calculés sur la base a) des sommes allouées par la cour d’appel, b) des intérêts calculés jusqu’au 4 novembre 2014, c) des frais engagés par les parties adverses devant le tribunal de première instance et la cour d’appel, d) des frais de la grosse de l’arrêt de la cour d’appel et e) des honoraires d’avocat des parties adverses pour la rédaction d’une demande visant l’exécution forcée de l’arrêt de la Cour de cassation.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
23. Les articles pertinents du code de procédure civile sont ainsi libellés :
Article 237
« 1. (…) En même temps que leurs observations, les parties doivent déposer a) copie des observations certifiée conforme par l’avocat de la partie et b) sous peine d’irrecevabilité, tous les moyens de preuve et les documents de procédure qu’ils invoquent dans leurs observations. »
Article 240
« Afin de réitérer des allégations présentées lors d’une audience antérieure devant la même juridiction ou devant une juridiction supérieure, il suffit de les soumettre à nouveau sous la forme d’un bref résumé et en faisant référence aux pages des observations présentées lors de l’audience antérieure qui les contiennent. Il est nécessaire de déposer une copie certifiée conforme des observations présentées lors de l’audience antérieure. »
24. Le décret législatif no 958/1971 qui a introduit l’article 240 dans le code de procédure civile précisait que le but de celui-ci était d’éviter une pression excessive sur les juges qui seraient obligés de localiser les allégations des parties contenues dans leurs observations déposées dans la procédure s’étant déroulée devant les instances antérieures.
25. Le Gouvernement affirme qu’en interprétant cet article, la Cour de cassation a précisé que celui-ci concerne non seulement la manière de réitérer des « allégations », mais s’applique aussi lorsque l’on invoque de moyens de preuve. Par conséquent, l’invocation en appel d’un document n’est pas valable lorsque dans les mémoires d’appel il y a seulement une référence générale à tous les documents que la partie avait produits en première instance (arrêts de la Cour de cassation no 9/2000, no 23/2008, no 324/2009 et no 239/2017). L’invocation devant la cour d’appel des documents destinés à servir d’éléments de preuve n’est pas valable si le mémoire déposé en première instance (qui fait référence à ces documents) est seulement annexé en tant que photocopie au mémoire d’appel (arrêts de la formation plénière de la Cour de cassation no 9/2000 et no 3/2008). Le texte des observations de première instance doit être intégré dans un texte unique qui sera déposé sous la dénomination mémoires d’appel et qui sera signé par l’avocat de l’intéressé (arrêts de la Cour de cassation no 946/2015, no 1509/2014, no 982/2013, no 476/2001 et no 865/2009). Dans ce cas, est valable l’invocation devant la cour d’appel des documents qui sont mentionnés de manière spécifique, claire et précise dans le texte unique des mémoires d’appel. Il faudrait donc qu’il s’agisse d’une invocation directe et spéciale des documents et non d’une invocation indirecte qui renverrait simplement aux observations en première instance en tant qu’acte indépendant et distinct (arrêt de la Cour de cassation no 794/2017).
26. De leur côté, les requérants précisent que certains arrêts de la Cour de cassation ont affirmé que l’article 240 règle exclusivement la manière d’invoquer des « allégations » et ne s’applique pas en matière d’invocation des éléments de preuve (arrêts no 264/1989 et no 182/2000). Même dans l’arrêt no 9/2000, cité ci-dessus par le Gouvernement, il y avait une minorité des six juges qui avaient soutenu que l’article 240 ne réglait pas la manière d’invoquer à nouveau des documents légalement soumis avec des observations écrites déposées lors des audiences antérieures et qu’il ne pouvait pas être appliqué par analogie.
27. L’article 904 § 1 du code civil prévoit :
« Quiconque s’est enrichi sans motif légitime au moyen ou aux dépens du patrimoine d’autrui est tenu à la restitution du profit. Cette obligation vaut notamment en cas de paiement de l’indu, ou de prestation pour une cause qui ne s’est pas réalisée ou a cessé d’exister, ou qui est illicite ou immorale (…). »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
28. Les requérants se plaignent d’une violation de leur droit à un procès équitable en raison du formalisme excessif dont aurait fait preuve la cour d’appel en appliquant l’article 240 du code de procédure civil et en ne prenant pas en considération des documents de preuve qu’ils avaient soumis. Ils ajoutent que les juridictions civiles ont introduit une limitation de leur droit à un procès équitable qui n’était pas claire, accessible et prévisible, que cette limitation ne poursuivait pas un but légitime et qu’elle n’était pas proportionnelle à ce dernier. Ils allèguent une violation de l’article 6 § 1, qui dans sa partie pertinente se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…), par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…). »
A. Sur la recevabilité
29. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief pour défaut de qualité de victime. Il soutient que les requérants visent à faire examiner par la Cour la conformité in abstracto de la condition posée par l’article 240 du code de procédure civile avec la Convention. Il souligne, d’une part, que les allégations des requérants qui résultaient des documents non pris en compte avaient été exposées à l’audience devant le tribunal de première instance par leur propre témoin, dont la déposition avait une valeur probante égale avec celle de la déclaration sous serment qui n’avait pas été prise en compte et, d’autre part, que le procès-verbal contenant la déposition de la témoin Ef.Ma. faisait partie du dossier devant la cour d’appel.
30. La Cour considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’exception du Gouvernement est si étroitement liée à la substance du grief des requérants qu’il y a lieu de la joindre au fond.
31. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Les requérants
32. Les requérants soutiennent que l’arrêt de la cour d’appel, qui a été confirmé par la Cour de cassation, a ignoré un élément de preuve au motif qu’ils ne l’avaient pas présenté conformément à l’article 240 du code de procédure civile que la cour d’appel a appliqué par analogie dans leur cas. Toutefois, il existe quatorze arrêts de la Cour de cassation dans lesquels celle-ci a considéré que la méthode suivie par les requérants pour invoquer leurs éléments de preuve devant la cour d’appel était tant légale que recevable. Les arrêts de la Cour de cassation mentionnés par le Gouvernement ne sont pas pertinents car dans les procédures concernées par ces arrêts les parties avaient seulement déclaré dans leurs observations à la cour d’appel qu’elles se fondaient sur les documents déposés devant le tribunal de première instance sans se référer à ces éléments de preuve de manière spécifique, claire et précise.
33. Les requérants soulignent que dans leur mémoire devant la cour d’appel, ils se sont référés de manière spécifique, claire et précise au texte de la déclaration sous serment devant notaire, dont certaines parties étaient d’ailleurs incluses dans le mémoire précité. En outre, en dépit du fait que tant ceux-ci que les parties adverses ont suivi exactement la même méthode pour présenter devant la cour d’appel les preuves produites devant le tribunal de première instance, la cour d’appel a considéré leurs observations comme irrecevables alors qu’elle a accueillies celles des parties adverses.
34. Les requérants allèguent aussi que l’élément de preuve que la cour d’appel n’a pas pris en considération était d’une importance cruciale pour l’issue de l’affaire et ne faisait pas double emploi avec la déposition à l’audience devant le tribunal de première instance de la témoin Ef.Ma. (paragraphe 11 ci-dessus), qui, elle, a été prise en considération par la cour d’appel.
b) Le Gouvernement
35. Le Gouvernement affirme que la procédure devant les juridictions internes, prise dans son ensemble, n’a pas porté atteinte au droit d’accès des requérants à un tribunal.
36. Il soutient, d’une part, que les restrictions imposées par l’article 240 du code de procédure civile poursuivaient un but légitime : assurer la sécurité juridique et la bonne administration de la justice, sans que le respect de ces restrictions requière un effort particulier de la part du justiciable.
37. D’autre part, sur le plan de la proportionnalité, le Gouvernement soutient que les documents que la cour d’appel n’a pas pris en considération (paragraphe 18 ci-dessus), n’étaient pas déterminants pour prouver les allégations des requérants. À cet égard, il argue que l’allégation concernant la nature et la légalité de la société était juridique et en tant que telle, elle ne pouvait pas être prouvée par les documents en question. Les faits allégués sous les numéros 1 à 5 (paragraphe 20 ci-dessus) étaient des allégations présentées par les demanderesses, et celles sous les numéros 6 et 7 (paragraphe 20 ci-dessus) étaient des appréciations du tribunal de première instance. Plus particulièrement, en ce qui concerne l’allégation sous le numéro 7, le Gouvernement précise que les requérants avaient soutenu, dans leurs observations devant les juridictions du fond, que les sommes sur le compte bancaire provenaient de la succession de Sotirios M. et non d’une donation, allégation présentée pour la première fois devant la Cour de cassation.
38. En outre, le Gouvernement souligne que les allégations selon lesquelles Kalliopi M. était seule habilitée à gérer le compte, que ses enfants ne pouvaient le faire qu’en cas d’empêchement de celle-ci, qu’elle pouvait disposer de ces sommes pour subvenir à ses propres besoins mais aussi pour faire des donations, étaient étayées par la déposition à l’audience de la témoin pour les requérants, Ef.Ma., cette déclaration ayant été prise en compte par la cour d’appel.
39. Enfin, le Gouvernement affirme que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le texte du mémoire de première instance ne doit pas seulement être annexé au mémoire d’appel, mais il doit former partie intégrante du texte de celui-ci. C’est seulement dans ce cas qu’est valable lors de la procédure d’appel l’invocation des documents et du mémoire déposé en première instance. Or, en l’espèce, l’invocation de la déclaration sous serment et des relevés du compte n’était ni spécifique, ni claire, ni directe devant la cour d’appel, mais seulement indirecte, car elle ne pouvait ressortir que du texte du mémoire déposé en première instance.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
40. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, CEDH 2011). Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, § 78, 5 avril 2018). En effet, le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de sécurité juridique et de bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché par la juridiction compétente.
41. La Cour rappelle en outre que la compatibilité des limitations prévues par le droit interne avec le droit d’accès à un tribunal reconnu par l’article 6 § 1 de la Convention dépend des particularités de la procédure en cause et il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la Cour suprême, les conditions de recevabilité d’un pourvoi en cassation pouvant être plus rigoureuses que pour un appel (Khalfaoui c. France, no 34791/97, CEDH 1999-IX).
42. La Cour rappelle enfin que la réglementation relative aux formalités pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent pouvoir s’attendre à ce que les règles soient appliquées (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 33, CEDH 2000-I).
43. Cela étant, la Cour a conclu à plusieurs reprises que l’application par les juridictions internes de formalités à respecter pour former un recours est susceptible de violer le droit d’accès à un tribunal. Il en est ainsi quand l’interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé (Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 69, CEDH 2002-IX, Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 55, CEDH 2002‑IX, et Nikolaos Kopsidis c. Grèce, no 2920/08, § 22, 19 mars 2010).
b) Application des principes en l’espèce
44. En premier lieu, la Cour s’accorde avec le Gouvernement pour reconnaître que l’article 240 du code de procédure civile poursuit un but légitime : assurer le bon fonctionnement des tribunaux et garantir aux parties à la procédure que les éléments de preuve qu’ils invoquent en appel seront pris en compte et épargner à la cour d’appel une charge de travail inutile afin d’accélérer le déroulement de la procédure. Ce but est donc en phase avec le but indiqué dans le rapport explicatif du décret introduisant l’article 240, à savoir éviter une pression excessive sur les juges qui seraient obligés de localiser les allégations des parties contenues dans leurs observations déposées dans la procédure s’étant déroulée dans les instances antérieures (paragraphe 24 ci-dessus).
45. En deuxième lieu, il incombe à la Cour de vérifier si un rapport raisonnable de proportionnalité a été respecté en l’espèce, compte tenu du fait que la cour d’appel et la Cour de cassation ont décidé, sur le fondement de l’article 240, de ne pas tenir compte de certaines preuves que les requérants avaient soumis à la cour d’appel.
46. À cet égard, la Cour devra examiner tout d’abord si l’avocat des requérants a invoqué de manière claire et spécifique la déclaration sous serment établie devant la notaire D.F. que les requérants considéraient comme étant l’élément de preuve déterminant pour l’issue du litige.
47. La Cour note que selon la jurisprudence de la Cour de cassation pour que l’intégration des mémoires présentés en première instance dans ceux d’appel soit recevable, il ne suffit pas d’annexer les premiers aux deuxièmes. Il faudrait que les deux séries des mémoires se présentent sous forme d’un texte unique ayant comme demande l’accueil ou le rejet de l’appel. Pour que l’invocation des documents devant la cour d’appel soit légale, elle doit se faire de manière spécifique, claire et précise dans le texte unique précité du mémoire d’appel et non de manière indirecte par simple renvoi aux mémoires de première instance (paragraphe 25 ci-dessus).
48. Or, en l’espèce, il ressort des mémoires d’appel des requérants, du 12 avril 2011, que leurs mémoires de première instance n’étaient pas incorporés dans le texte des observations en appel de la manière exigée par la jurisprudence de la Cour de cassation, soit comme un texte unique intitulé « observations devant la cour d’appel » et déposé comme tel. De plus, l’invocation de la déclaration sous serment et des relevés de compte n’était ni spécifique, ni claire, ni précise, condition posée aussi par cette même jurisprudence. La Cour relève à cet égard que dans le texte même des mémoires d’appel aucune référence expresse et spécifique n’est faite à la déclaration sous serment et aux relevés de compte litigieux. En revanche au point 6 du mémoire, à la fin du texte de celui-ci, se trouve annexée une copie certifiée conforme du mémoire soumis en première instance par les requérants, en date du 29 janvier 2009, faisant référence de manière abstraite à l’ensemble des annexes sous les numéros 1 à 15 ainsi que de leurs observations complémentaires – réplique, du 2 février 2009. À aucun moment, la déclaration sous serment ou les relevés de compte ne sont mentionnés de manière spécifique ou individualisée comme l’exige la jurisprudence de la Cour de cassation.
49. Or, en considérant que l’invocation des documents mentionnés dans le mémoire de première instance des requérants n’était pas légale car il n’y avait pas de renvoi à un passage spécifique de ce mémoire, la Cour de cassation n’a pas fait preuve d’un formalisme excessif. Elle n’a fait qu’appliquer des règles de procédure claires, accessibles et facilement compréhensibles pour les requérants qui étaient, du reste, assistés par un avocat rompu aux procédures judiciaires (voir aussi dans ce sens, Trevisanato c. Italie, no 32610/07, § 45, 15 septembre 2016).
50. La Cour estime utile de rappeler à ce stade que le droit à un procès équitable ne peut passer pour effectif que si les demandes et les observations des parties sont vraiment « entendues », c’est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l’article 6 implique à la charge du « tribunal » l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 59, série A no 288, Tourisme d’affaires c. France, no 17814/10, § 25, 16 février 2012, et Hôpital local Saint-Pierre d’Oléron et autres c. France, no 18096/12 et 23 autres requêtes, § 83, 8 novembre 2018).
51. La Cour relève alors que la déposition à l’audience de la témoin Ef.Ma. pour les requérants reflétait le contenu de la déclaration sous serment : cette déclaration, indiquait sur le point litigieux que lorsque Sotirios M. était décédé, Kalliopi M. avait donné à chacun de ses enfants 500 000 dollars américains, avait gardé pour elle le restant sur le compte, soit 600 000 livres sterling, avait décidé de créer une société pour que ses enfants puissent retirer de l’argent lorsqu’elle serait malade et avait gardé ce qu’elle voulait pour subvenir à ses propres besoins. Or, la déposition de Ef.Ma. résumait en des termes assez explicites le contenu de la déclaration sous serment.
52. Par conséquent, le contenu de la déposition susmentionnée qui était prise en considération par la cour d’appel affaiblit sérieusement la thèse des requérants selon laquelle la déclaration sous serment faite par un autre témoin pour les requérants, était cruciale pour l’issue du litige. À cet égard, la Cour note que l’argument essentiel des requérants devant la cour d’appel et qui consistait à exposer que Kalliopi M. était seule habilitée à gérer le compte et à disposer comme bon lui semblait et que ses enfants ne pouvaient le faire qu’en cas d’empêchement de celle-ci ressortait clairement de la déposition de Ef.Ma.
53. Dans ces conditions, la Cour estime que les requérants n’ont pas subi une entrave disproportionnée à leur droit à un tribunal. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du défaut de qualité de victime mais estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
54. Les requérants se plaignent qu’en rejetant leur recours, les juridictions civiles ont porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
55. En premier lieu, le Gouvernement soutient que ce grief est irrecevable car incompatible ratione materiae avec les dispositions de l’article 1 : la propriété des sommes déposées sur le compte et la validité des donations de ces sommes n’étaient pas établies et faisaient l’objet de la procédure nationale. Par conséquent, les requérants n’avaient qu’une « demande reconventionnelle » (counterclaim) qui ne saurait être considérée ni comme un bien, ni come une espérance légitime, ni comme une valeur patrimoniale, au sens de la jurisprudence de la Cour, car elle reposait sur l’interprétation qu’eux-mêmes faisaient du but de la société et des faits de la cause. Le Gouvernement se prévaut, à l’appui de sa thèse, de l’arrêt Kopecký c. Slovaquie ([GC] no 44912/98, CEDH 2004-IX).
56. En deuxième lieu, le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes car ils n’ont jamais prétendu devant les juridictions internes qu’ils avaient, sur le fondement de l’article 1 du Protocole no 1, une espérance légitime de préserver leur enrichissement résultant du compte bancaire litigieux.
57. La Cour n’estime pas devoir se prononcer sur ces exceptions car elle conclut de toute façon à l’irrecevabilité de ce grief pour le motif suivant.
58. La Cour note qu’en sus des deux exceptions précitées, le Gouvernement renvoie à ses observations sous l’angle de l’article 6 § 1 et, que de leur côté, les requérants se réfèrent à leurs observations sur la violation alléguée de l’article 6 § 1. Ils soulignent que la déclaration sous serment devant notaire était déterminante pour l’issue du litige et que le contenu de celle-ci n’était pas identique, ni textuellement ni en substance, à celui de la déposition à l’audience de la témoin Ef.Ma.
59. La Cour rappelle que même dans le cadre de relations horizontales, lorsque l’ingérence dans le droit au respect des biens du requérant est le fait d’une autre personne physique il peut y avoir des considérations d’intérêt public susceptibles d’imposer certaines obligations à l’État (Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 96, CEDH 2002-VII, et Zolotas c. Grèce (no 2), no 66610/09, § 39, 29 janvier 2013). Toute atteinte au droit au respect des biens commise par un particulier fait naître pour l’État l’obligation positive de garantir dans son ordre juridique interne que le droit de propriété sera suffisamment protégé par la loi et que des recours adéquats permettront à la victime de pareille atteinte de faire valoir ses droits, notamment, le cas échéant, en demandant réparation du préjudice subi (Kotov c. Russie [GC], no 54522/00, § 113, CEDH 2012). Nonobstant le silence de l’article 1 du Protocole no 1 en matière d’exigences procédurales, une procédure judiciaire afférente au droit au respect des biens doit aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition (Panteliou-Darne et Blantzouka c. Grèce, nos 25143/08 et 25156/08, § 36, 2 mai 2013).
60. Or, en l’espèce, s’il est vrai que les sommes que les requérants ont dû verser aux parties adverses sont sorties de leur patrimoine, cela a été le résultat d’un litige entre particuliers n’engageant la responsabilité de l’État que de manière indirecte, soit par l’obligation positive de mettre en place des procédures de nature à protéger les droits de chacun au respect de ses biens. La Cour rappelle, à cet égard, son constat selon lequel il n’y a pas eu, en l’occurrence, violation du droit à un procès équitable (paragraphe 53 ci‑dessus). Par conséquent, cette obligation positive n’a pas été enfreinte.
61. Partant, la Cour estime que le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception tirée du défaut de qualité de victime tirée de l’article 6 § 1 de la Convention et la rejette ;
2. Déclare le grief concernant l’article 6 § 1 de la Convention recevable et le restant de la requête irrecevable ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Renata Degener Ksenija Turković
Greffière adjointe Présidente
ANNEXE
Liste des requérants
No. | Prénom NOM | Date de naissance | Lieu de résidence |
1. | Kyriaki EFSTRATIOU | 07/12/1944 | Alimos |
2. | Amalia EFSTRATIOU | 25/03/1982 | Athènes |
3. | Neofytos EFSTRATIOU | 09/09/1948 | Athènes |
4. | Anna SAMIOTOU | 21/05/1967 | Athènes |
5. | Kalliopi SAMIOTOU | 28/09/1968 | Athènes |
[1] 187 334,74 EUR pour le capital, 130 603,41 EUR pour les intérêts et 16 392,80 EUR pour frais.
Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde
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