Landi c. Italie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 261
Avril 2022

Landi c. Italie – 10929/19

Arrêt 7.4.2022 [Section I]

Article 2
Obligations positives

Absence de mesures préventives des autorités face à des violences domestiques récurrentes ayant abouti à la tentative de meurtre de la requérante par son compagnon et au meurtre de leur fils : violation

Article 14
Discrimination

Absence de défaillance systémique révélatrice d’une passivité généralisée envers les victimes de violence domestique ; pas d’attitude discriminatoire envers la requérante : irrecevable

En fait – Entre 2015 et 2018, la requérante et ses enfants ont subi des violences domestiques de la part de son compagnon, N.P., pour lesquelles les autorités nationales ont été averties. En 2018, N.P. a tué leur fils âgé d’un an et a tenté de tuer la requérante.

La requérante a obtenu des dommages-intérêts en tant que partie civile dans la procédure pénale contre N.P.

Elle se plaint devant la Cour, en particulier, du manque de protection et d’assistance de la part de l’État défendeur.

En droit – Article 2 :

L’article 2 de la Convention s’applique au cas de la requérante, victime de violence domestique répétée et d’une tentative de meurtre, et en raison du décès de son fils.

Le cadre juridique italien était propre à assurer une protection contre des actes de violence pouvant être commis par des particuliers dans une affaire donnée. La panoplie des mesures juridiques et opérationnelles disponibles offrait aux autorités concernées un éventail suffisant de possibilités adéquates et proportionnées au regard du niveau de risque (mortel) en l’espèce.

1. Si les autorités ont réagi immédiatement aux allégations de violence domestique

Entre 2015 et 2018, les carabiniers ont procédé à une évaluation du risque autonome, proactive et exhaustive lors des agressions par N.P. de la requérante et de leurs enfants, indépendamment des plaintes de la requérante. Ils ont tenu dûment compte du contexte particulier des affaires de violence domestique, en sollicitant, à la lumière de l’existence présumée d’un risque réel et immédiat pour la vie de la requérante et de ses enfants, des mesures conservatoires ainsi que des mesures privatives de liberté. Cependant, les procureurs qui avaient pour mission d’apprécier ces propositions n’ont pas fait preuve de la diligence particulière requise dans leur réaction immédiate aux allégations de violence domestique formulées par la requérante. En 2015, le procureur aurait pu maintenir les poursuites malgré le retrait de la plainte de la requérante, ou au moins effectuer une enquête approfondie durant les quatre mois précédents son classement sans suite. En 2017, aucune enquête n’a été menée par le procureur et aucune mesure n’a été prise. Et en 2018, si une enquête a été ouverte par le procureur pour le délit de mauvais traitements et si une expertise a été demandée sur l’état psychologique de N.P., la requérante n’a jamais été entendue et aucune mesure de protection n’a été prise.

2. La qualité de l’appréciation des risques

Alors qu’ils avaient été informés par les carabiniers des antécédents de violence de N.P., les procureurs n’ont pas montré, lors du traitement des plaintes de la requérante, qu’ils avaient pris conscience du caractère et de la dynamique spécifiques de la violence domestique, même si tous les indices étaient présents, à savoir en particulier le schéma d’escalade des violences subies par la requérante et ses enfants, les menaces proférées, les agressions répétées ainsi que la maladie mentale de N.P. Même le psychiatre qui suivait N.P. a sous-estimé la situation, considérant l’agression subie par la requérante en 2018 comme un « différend » entre époux. Les autorités n’ont pas mis en place des mesures de protection, alors qu’elles avaient été sollicitées par les carabiniers. Les risques de violence récurrente n’ont pas été correctement évalués ou pris en compte.

À l’exception des propositions faites par les carabiniers aux procureurs, les autorités ont manqué à leur devoir d’effectuer une évaluation immédiate et proactive du risque de récidive de la violence commise à l’encontre de la requérante et des enfants et de prendre des mesures opérationnelles et préventives visant à atténuer ce risque, à protéger la requérante et les enfants ainsi qu’à censurer la conduite de N.P. Les procureurs, en particulier, sont restés passifs face au risque sérieux de mauvais traitements infligés à la requérante et, par leur inaction, ont permis à N.P. de continuer à la menacer, la harceler et à l’agresser sans entraves et en toute impunité.

3. Les autorités savaient-elles ou auraient-elles dû savoir qu’il existait un risque réel et immédiat pour la vie du fils de la requérante ?

À la lumière des éléments exposés ci-dessus, les autorités nationales savaient ou auraient dû savoir qu’il existait un risque réel et immédiat pour la vie de la requérante et de ses enfants du fait des violences commises par N.P. et elles avaient l’obligation d’évaluer le risque de réitération de celles-ci et de prendre des mesures adéquates et suffisantes pour la protection de la requérante et de ses enfants. Cependant, elles n’ont pas respecté cette obligation, n’ayant réagi ni « immédiatement », comme cela est requis dans les cas de violence domestique, ni à tout autre moment.

4. Les autorités ont-elles pris des mesures préventives adéquates dans les circonstances de l’espèce ?

Sur la base des informations qui étaient connues des autorités à l’époque des faits et qui indiquaient qu’il existait un risque réel et immédiat que de nouvelles violences fussent commises contre la requérante et ses enfants, face aux allégations d’escalade des violences domestiques que formulaient la requérante, et compte tenu des problèmes de santé mentale de N.P., les autorités n’ont pas fait preuve de la diligence requise. Elles n’ont pas procédé à une évaluation du risque de létalité qui aurait spécifiquement ciblé le contexte des violences domestiques, et en particulier la situation de la requérante et de ses enfants, et qui aurait justifié des mesures préventives concrètes afin de les protéger d’un tel risque. Au mépris flagrant de la panoplie des diverses mesures de protection qui étaient directement à leur disposition, les autorités, qui auraient pu appliquer des mesures de protection, en prévenant les services sociaux et les psychologues, et en plaçant la requérante et ses enfants dans un centre antiviolence, n’ont pas fait preuve d’une diligence particulière pour prévenir les violences commises à l’encontre de l’intéressée et de ses enfants, ce qui a abouti à la tentative de meurtre de la requérante et au meurtre de son fils. Les mesures susmentionnées – comme l’a également reconnu le GREVIO en vérifiant la conformité du cadre juridique national avec l’article 55.1 de la Convention d’Istanbul – pouvaient et devaient être adoptées par les autorités, conformément à la législation italienne, indépendamment du dépôt de plaintes et indépendamment du fait qu’elles soient retirées ou du changement de la perception du risque de la part de la victime.

Dans ces circonstances, les autorités ne sauraient passer pour avoir fait preuve de la diligence requise. Dès lors, elles ont manqué à leur obligation positive découlant de l’article 2 de protéger la vie de la requérante ainsi que celle de son fils.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 14 combiné avec l’article 2 :

Les principes pertinents, énoncés pour la première fois dans l’arrêt Opuz c. Turquie, ont été étoffés dans l’arrêt Volodina c. Russie.

La requérante a été victime de violences de la part de N.P. à plusieurs reprises et les autorités ont eu connaissance de ces faits. Toutefois les procureurs n’ont mené aucune enquête ni pendant les quatre mois ayant suivi le dépôt de la première plainte de la requérante ni après la commission de l’agression de 2018 et aucune mesure de protection n’a été prise nonobstant la sollicitation des carabiniers. Il s’agit d’une passivité imputable aux procureurs chargés de mener l’enquête.

Depuis 2017 et l’adoption de l’arrêt Talpis c. Italie, l’État a pris des mesures pour mettre en œuvre la Convention d’Istanbul, témoignant ainsi de sa volonté politique réelle de prévenir et de combattre la violence à l’égard des femmes.

La requérante n’a pas réussi à établir un commencement de preuve d’une passivité généralisée de la justice à fournir une protection efficace aux femmes victimes de violence domestique ou le caractère discriminatoire des mesures ou pratiques adoptées par les autorités à son égard. Elle n’a fourni aucunes données statistiques ou observations d’organisations non gouvernementales.

La requérante n’a pas allégué non plus que les policiers avaient cherché à la dissuader de faire poursuivre N.P. ou de témoigner contre lui, ou qu’ils avaient essayé de quelque manière que ce soit d’entraver ses plaintes qui visaient à demander une protection contre les violences alléguées. Au contraire, ils ont signalé à plusieurs reprises aux procureurs la situation de l’intéressée même lorsqu’elle avait retiré sa dernière plainte et ont sollicité l’adoption de mesures de protection.

Les procureurs ont certes manqué à leur obligation de prendre des mesures préventives qui auraient pu avoir une chance réelle de modifier l’issue tragique ou du moins d’atténuer le préjudice. Toutefois, au vu notamment de l’attitude proactive des carabiniers, l’inaction des autorités d’enquête en l’espèce ne peut être considérée comme une défaillance systémique.

Ainsi, il n’y a pas d’éléments tendant à prouver que les procureurs en l’espèce aient agi de manière ou dans une intention discriminatoire à l’égard de la requérante. Il ne peut y avoir violation de l’article 14 qu’en cas de défaillances généralisées découlant d’un manquement clair et systémique des autorités nationales à apprécier la gravité, l’ampleur et l’effet discriminatoire sur les femmes du problème de la violence domestique.

Les défaillances dénoncées dans la présente affaire ayant pour origine une grave passivité de la part des autorités et bien que répréhensibles et contraires à l’article 2 ne sauraient être considérées en soi comme révélatrices d’une attitude discriminatoire de la part des autorités.

Conclusion : irrecevable (manifestement mal fondé).

Article 41 : 32 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi Opuz c. Turquie, 33401/02, 9 juin 2009, Résumé juridique ; A. c. Croatie, 55164/08, 14 octobre 2010, Résumé juridique ; Eremia c. République de Moldova, 3564/11, 28 mai 2013, Résumé juridique ; Talpis c. Italie, 41237/14, 2 mars 2017, Résumé juridique ; Bălşan c. Roumanie, 49645/09, 23 mai 2017, Résumé juridique ;Volodina c. Russie, 41261/17, 9 juillet 2019, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le avril 7, 2022 par loisdumonde

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