Sabani c. Belgique (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 260
Mars 2022

Sabani c. Belgique – 53069/15

Arrêt 8.3.2022 [Section III]

Article 8
Article 8-1
Respect du domicile

Pénétration de la police dans le domicile, sans base légale ni consentement d’un étranger lui ayant ouvert la porte, dans le cadre du suivi d’une mesure d’éloignement : violation

En fait – La requérante, de nationalité serbe, fut arrêtée à son domicile par la police et placée en rétention, suite à une mesure d’éloignement du territoire dont elle avait fait l’objet et qu’elle n’avait pas respectée.

En droit belge, l’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement bénéficie d’un délai pour quitter le territoire. En pratique, à l’expiration du délai, la police locale est dépêchée à l’adresse déclarée de l’étranger pour vérifier si celui-ci a donné suite à la décision d’éloignement. Dans la négative, elle est habilitée à procéder à son interpellation et son arrestation.

La requérante se plaint de ce que la police a pénétré dans son domicile sans son consentement pour la contrôler et l’arrêter en violation de son droit à l’inviolabilité du domicile. Le Gouvernement soutient que l’interpellation et l’arrestation ont eu lieu en dehors du domicile de la requérante.

En droit – Article 8 :

i. Existence d’une ingérence

Il n’existe que l’interprétation à donner aux rapports établis par la police permettant d’établir les circonstances exactes de l’interpellation et l’arrestation de la requérante à son domicile.

La police s’est présentée au domicile de la requérante en vue de la contrôler. Celle-ci a rendu compte de manière constante et cohérente de sa version des circonstances de son arrestation, soutenant devant les juridictions internes et devant la police que ses agents étaient entrés dans son domicile.

En revanche, les rapports établis par la police n’indiquent pas que le contrôle et l’arrestation de la requérante se sont effectués en dehors de son domicile, comme le soutient le Gouvernement. En outre, il semble peu cohérent d’affirmer, d’un côté, que la requérante serait sortie d’elle-même de son domicile pour se soumettre au contrôle des agents de police et, de l’autre, qu’elle se montrait peu coopérante avec eux.

Il n’a pas été établi que la requérante eût renoncé à son droit à la protection du domicile. La seule mention figurant dans le procès-verbal rédigé postérieurement au rapport administratif du même jour, selon laquelle elle aurait ouvert la porte lorsque la police s’est présentée à elle, ne pourrait suffire à déduire une autorisation de pénétrer dans le domicile. Et, à supposer qu’elle eût donné une telle autorisation, aucune indication n’est donnée quant au caractère libre et éclairé de sa démarche. Au contraire, au regard du procès-verbal, la police s’est rendue directement à son appartement, et n’a donc pas annoncé sa venue, ni a fortiori le motif de sa visite, avant de se présenter à la porte de son domicile. Quant au contrôle judiciaire ex post facto, pratiqué par les juridictions internes, il n’a pas permis d’éclaircir les circonstances ayant entouré le consentement qui aurait été donné par la requérante.

Ainsi la requérante a présenté un commencement de preuve de la pénétration de son domicile par les services de police, lequel n’a pas été réfuté de manière convaincante par le Gouvernement. Il y a donc eu une ingérence dans le droit au respect du domicile de la requérante.

ii. Légalité de l’ingérence

Le Gouvernement ne fournit aucune base légale susceptible de justifier l’ingérence. Il met cependant en exergue le contrôle ex post facto qui fut pratiqué par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel.

En droit belge, l’inviolabilité du domicile est spécialement consacrée à l’article 15 de la Constitution qui énonce expressément qu’aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi.

En l’espèce, dans son ordonnance, la chambre du conseil du tribunal de première instance s’est appuyée sur l’illégalité du séjour de la requérante pour justifier la privation de liberté et rejeter le moyen pris de la violation de l’article 8 du fait de l’illégalité de l’ingérence domiciliaire.

La chambre des mises en accusation en appel s’est limitée à constater que l’arrestation de la requérante à son domicile avait été conforme à l’article 8 dès lors qu’elle s’inscrivait dans le cadre des missions des service de police prévues par l’article 21 de la loi sur la fonction de police. Or, cette disposition ne peut constituer une base légale car elle ne confère aucune habilitation aux agents de police de pénétrer dans le domicile d’un étranger. La Cour de cassation a d’ailleurs, postérieurement aux faits de l’espèce, jugé qu’il ne pouvait être considéré comme autorisant les services de police à opérer une telle visite domiciliaire.

L’ingérence litigieuse était donc dépourvue d’une base légale et n’était dès lors pas « prévue par la loi ».

Conclusion : violation (unanimité).

La Cour a aussi conclu à l’unanimité à la violation de l’article 8 car la nécessité de l’usage de menottes sur la requérante lors de son arrestation à son domicile en présence de sa fille n’a pas été établie par le Gouvernement.

Article 41 : 5 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi Bože c. Lettonie, 40927/05, 18 mai 2017)

Dernière mise à jour le mars 8, 2022 par loisdumonde

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