AFFAIRE SEBELEVA ET AUTRES c. RUSSIE (Cour européenne des droits de l’homme) 42416/18

La présente affaire concerne la saisie des actions détenues par les requérants au sein d’une société et le droit au respect des biens protégé par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.


TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SEBELEVA ET AUTRES c. RUSSIE
(Requête no 42416/18)
ARRÊT

Art 1 P1 • Règlementer l’usage des biens • Saisie des actions d’une société détenues par les requérants avec un blocage total, pendant quatre ans et huit mois, de tous les droits étant rattachés à celles-ci • Raisons plausibles des autorités de croire que les actions avaient été utilisées par un tiers pour commettre les délits lui étant reprochés • Restrictions moins radicales non envisagées • Renouvellement de la saisie quasi automatique • Justifications insuffisantes de la nécessité de la saisie litigieuse et de sa prolongation • Proportionnalité

STRASBOURG
1er mars 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sebeleva et autres c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Georgios A. Serghides,
María Elósegui,
Anja Seibert-Fohr,
Andreas Zünd,
Frédéric Krenc,
Mikhail Lobov, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

la requête (no 42416/18) dirigée contre la Fédération de Russie et dont quatre ressortissants de cet État (« les requérants », voir la liste en annexe) ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 31 août 2018,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement ») le grief concernant le droit au respect des biens et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations initiales et complémentaires des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 janvier 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne la saisie des actions détenues par les requérants au sein d’une société et le droit au respect des biens protégé par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

EN FAIT

2. Le nom des requérants et les renseignements pertinents les concernant figurent en annexe. Les intéressés ont été représentés par Me G. Boicheniuk Cartier, avocate.

3. Le Gouvernement a été représenté initialement par M. M. Galperine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Vinogradov, son successeur dans cette fonction.

I. L’ACQUISITION DES ACTIONS PAR LES REQUÉRANTS ET L’ENQUÊTE PÉNALE

4. La première requérante est la fille de S. Celui-ci était, jusqu’en octobre 2014, actionnaire d’Omsktransstroï (« OTS »), une société anonyme dont il avait également occupé les fonctions de directeur général entre août 2002 et mars 2014 et de président du conseil d’administration à différentes périodes.

5. Les trois autres requérants sont des membres de la famille de l’épouse de S. (voir l’annexe).

6. À des dates différentes, les requérants achetèrent des actions d’OTS (voir l’annexe). Les trois premiers requérants devinrent ainsi actionnaires majoritaires d’OTS. Les quatre requérants possèdent ensemble 54,5 % des actions, tandis que l’État en détient 25,5 %. Chaque action a une valeur nominale d’un rouble (RUB).

7. Le 26 octobre 2016, une enquête pénale fut ouverte pour des faits d’escroquerie et de détournement de fonds aggravés ayant visé OTS. S. fut mis en examen. Les autorités de poursuite reprochaient à S. d’avoir conclu, en qualité de directeur général puis de dirigeant de fait d’OTS, des contrats de cession de biens préjudiciables à la société.

8. Interrogée par l’enquêteur les 14 et 29 novembre 2016, l’épouse de S. déclara que « des actionnaires », dont elle ne précisa pas l’identité, lui avaient donné procuration pour qu’elle les représente dans les rapports avec OTS, et qu’elle avait voté aux assemblées générales des actionnaires en exerçant les droits de vote attachés à leurs actions en suivant les ordres de son époux (будучи представителем акционеров по доверенности, голосовала от их имени по указанию [С.]). Elle indiqua aussi que leur fille (la première requérante) vivait depuis longtemps à l’étranger. Un autre membre de la famille déclara à l’enquêteur que la deuxième requérante vivait elle aussi à l’étranger. Le quatrième requérant refusa de répondre aux questions de l’enquêteur.

9. En février et mars 2017, deux assemblées générales extraordinaires des actionnaires d’OTS eurent lieu. À l’issue de ces assemblées, les actionnaires (à l’exception de l’État) validèrent la quasi-totalité des contrats de cession dont la conclusion avait valu à S. d’être mis en examen pour escroquerie et détournement de fonds (paragraphe 7 ci-dessus). Ils signèrent au nom d’OTS une pétition par laquelle ils demandaient au parquet et au comité d’instruction de mettre fin aux poursuites pénales dirigées contre S. L’État, en tant qu’actionnaire, contesta en justice les résolutions adoptées lors de ces assemblées générales. Jugeant ces résolutions illégales et abusives (злоупотребление правом), les juridictions commerciales ordonnèrent leur annulation.

II. LES SAISIES DES ACTIONS DES REQUÉRANTS ET LEURS RENOUVELLEMENTS SUCCESSIFS AVANT LE PROCÈS PÉNAL DE S.

10. À une date non précisée dans le dossier, l’enquêteur demanda au tribunal du district Kouïbychevski d’Omsk (tribunal de district) d’autoriser la saisie des actions des requérants. S’appuyant sur les dépositions de l’épouse de S. et d’un autre membre de la famille (paragraphe 8 ci-dessus), il arguait que les requérants n’avaient jamais participé à la gestion d’OTS et que S. était, en réalité, le véritable propriétaire des actions.

11. Par une ordonnance du 25 mai 2017, le tribunal de district autorisa la saisie des actions. Il estima qu’il y avait des raisons plausibles de croire que les actions n’appartenaient que de façon formelle aux requérants, qui étaient des « personnes liées » (аффилированные лица) à S., et que l’acquisition par ceux-ci des actions avait eu pour but de dissimuler le fait que S. en était le véritable propriétaire (для сокрытия их истинной принадлежности). Il considéra aussi que S. pouvait, par le biais de ces actions, continuer à gérer les biens d’OTS, prendre des décisions aux assemblées générales des actionnaires, modifier la composition du conseil d’administration et ainsi continuer à détourner les fonds d’OTS et à lui causer préjudice. Il interdit l’exercice des droits attachés aux actions pendant la durée de leur saisie.

12. Le 17 juillet 2017, la cour régionale d’Omsk confirma en appel l’ordonnance de saisie et précisa que le but de cette mesure était d’assurer la réparation du préjudice matériel causé par les délits commis ainsi que le paiement d’une éventuelle amende pénale. Les pourvois en cassation que les requérants introduisirent furent rejetés.

13. Par la suite, la mesure de saisie des actions fut renouvelée (продление) cinq fois pour les mêmes motifs (paragraphes 11-12 ci‑dessus), et les recours des requérants contre les décisions de renouvellement furent rejetés. Dans certaines de leurs décisions, les juridictions conclurent que : i) les requérants tentaient en réalité de contester l’ordonnance de saisie du 25 mai 2017, laquelle avait déjà été confirmée en appel et en cassation, et ne pouvait plus être remise en question ; ii) d’une part, les requérants n’avaient pas réfuté la thèse selon laquelle ils étaient des « personnes liées » à S., et, d’autre part, il revenait aux autorités de poursuite puis au tribunal statuant sur la responsabilité pénale de S., d’établir les faits et d’apprécier les preuves, les juridictions chargées de statuer sur la mesure de saisie et son renouvellement n’étant pas compétentes en la matière ; iii) la saisie était également nécessaire pour prévenir une dissimulation ou une cession des actions.

14. Par une décision du 6 août 2018, l’enquêteur qualifia les actions litigieuses de preuves matérielles au sens de l’article 81 du code de procédure pénale (« CPP » ; paragraphe 31 ci-dessous). Il estimait que les requérants avaient acquis les actions en question « sur ordre » de S., qui, en donnant des instructions à son épouse et aux requérants, pouvait continuer à gérer les affaires d’OTS, prendre des décisions aux assemblées générales des actionnaires et influer sur la composition du conseil d’administration. Il conclut que les actions représentaient un moyen utilisé par S. pour commettre des délits et qu’elles renfermaient des informations de nature à permettre l’établissement des faits de l’affaire.

15. Après cette date, le tribunal de district, s’appuyant sur les mêmes motifs que ceux qui avaient été retenus précédemment, ordonna tantôt le renouvellement de la mesure de saisie tantôt une nouvelle saisie des actions. La cour régionale d’Omsk rejeta les appels dont les requérants l’avaient saisie. Dans certaines de leurs décisions, ces juridictions ajoutèrent que S. avait pu commettre les délits qui lui étaient reprochés parce qu’il possédait les actions litigieuses, que la saisie était nécessaire « compte tenu des circonstances dans lesquelles les délits avaient été commis », et que les actions étaient un moyen de gestion de la société victime.

III. LE PROCÈS PÉNAL ET LA FUITE DE S.

16. Lors du procès pénal de S., le troisième requérant fit une déposition à propos de l’acquisition par lui des actions et de l’exercice des droits y afférents. Il affirma que ni lui ni son père (le quatrième requérant) n’avaient reçu d’ordres de S.

17. Par un jugement du 26 février 2020, le tribunal du district Kouïbychevski déclara S. coupable de quatre faits d’escroquerie aggravée et de dix-huit faits de détournement de fonds aggravé, commis entre 2009 et 2015. Il indiqua que S., agissant en qualité de directeur général puis, à compter de mars 2014, en qualité de dirigeant de fait, avait vendu à des tiers, y compris à des sociétés écrans, plusieurs biens d’OTS. Il précisa que, dans certains cas, le prix de cession des biens en question avait été largement inférieur à celui du marché et que, dans d’autres, S. s’était approprié le produit de la vente. Il établit qu’après mars 2014, S. avait induit le nouveau directeur général d’OTS en erreur et abusé de sa confiance, en conséquence de quoi ce dernier avait signé sans les comprendre les contrats de cession préjudiciables à la société.

18. Le tribunal condamna S. à cinq ans et demi d’emprisonnement et accueillit l’action civile d’OTS à hauteur de 73 949 034 roubles, soit 1 049 500 euros environ.

19. Par ailleurs, le tribunal jugea établi que les actions litigieuses appartenaient en réalité à S., qui les avait transmises aux requérants afin d’en rester le véritable propriétaire, et qu’elles avaient servi à la commission des délits dont S. avait été reconnu coupable. Pour ces motifs, et en application de l’article 104.1 § 1 g) du code pénal (paragraphe 27 ci‑dessus), il ordonna la confiscation des actions.

20. Le 29 juin 2020, la cour régionale d’Omsk, statuant en appel, infirma partiellement le jugement de condamnation. Elle exclut du jugement l’injonction de confiscation et ordonna le maintien de la saisie des actions jusqu’à la clôture de la procédure d’exécution du jugement de condamnation dans sa partie relative à l’action civile.

21. Le 21 décembre 2020, la 8e cour de cassation annula l’arrêt du 29 juin 2020 (paragraphe 20 ci-dessus) et renvoya l’affaire pour réexamen en appel, sans se prononcer sur le sort des actions litigieuses.

22. Le 3 mars 2021, la cour régionale d’Omsk, après s’être livrée à un réexamen, infirma le jugement de condamnation et renvoya l’affaire en première instance. Dans la même décision, elle ordonna le renouvellement de la saisie des actions en estimant que les motifs de la mesure n’avaient pas changé, et elle ajouta que la mesure en question était destinée à préserver les preuves et à protéger les droits de la victime.

23. Le 6 avril 2021, dans le cadre de la procédure de réexamen, le tribunal de district ordonna la suspension de l’examen de l’affaire au motif que S. avait pris la fuite. Il décerna un mandat de recherche visant l’intéressé. Il ordonna le renouvellement de la saisie des actions jusqu’au 6 octobre 2021. Le 7 juin 2021, la cour régionale d’Omsk rejeta les appels que les requérants avaient introduits pour contester le renouvellement de la saisie. Le 30 septembre 2021, le tribunal de district ordonna le renouvellement de la saisie jusqu’au 6 avril 2022 dès lors que les motifs demeuraient inchangés. Il invoqua également la complexité de l’affaire pénale et la fuite de S.

24. Les saisies et leurs renouvellements furent, à chaque fois, ordonnés pour des périodes allant de trois à six mois, en application de l’article 115 §§ 1 et 3 du CPP (paragraphe 32 ci‑dessous). Dans les recours qu’ils formèrent contre ces mesures, les requérants nièrent systématiquement avoir agi sur ordre de S. et être liés à lui. Ils contestèrent l’existence même de la possibilité d’ordonner légalement une saisie en pareille situation.

25. Après le prononcé de l’ordonnance de saisie, les requérants tentèrent à plusieurs reprises d’exercer les droits attachés à leurs actions litigieuses (droit de convoquer des assemblées générales et d’y participer, droit de contester les actes et décisions d’un nouveau directeur, droit d’obtenir des informations relatives à la société), mais des refus leur furent constamment opposés en raison de la saisie pratiquée.

26. Avant l’affaire pénale et parallèlement à celle-ci, plusieurs conflits et litiges opposèrent la société OTS, ses actionnaires, ses nouveaux directeurs et ses cocontractants.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

27. L’article 104.1 § 1 g) du code pénal autorise la confiscation des moyens appartenant à un individu mis en examen et ayant permis la commission par lui d’un délit (средств совершения преступления). En vertu de l’article 116 du CPP, des valeurs mobilières peuvent être saisies dans le but d’assurer : i) leur confiscation éventuelle, au sens de l’article 104.1 du code pénal ii) une réparation du préjudice causé par le délit pénal ; iii) le paiement d’une amende pénale.

28. L’article 82 de la loi fédérale relative à la procédure d’exécution règlemente les modalités de la saisie de valeurs mobilières, dématérialisées notamment.

29. Selon le code pénal, les délits d’escroquerie aggravée et de détournement de fonds aggravé sont passibles d’une peine privative de liberté assortie, le cas échéant, d’une amende.

30. Le code pénal et le CPP ne renferment pas de définition des notions de « propriétaire de fait », « véritable propriétaire », « propriétaire formel », « propriétaire factice » et « personnes liées ».

31. Selon l’article 81 du CPP, la preuve matérielle est tout objet qui, entre autres, a servi comme instrument du délit ou qui garde les traces du délit, ou tout objet ou document qui peut servir à élucider le délit ou à établir les circonstances d’une affaire pénale.

32. L’article 115 § 1 du CPP concerne les saisies de biens appartenant à la personne mise en examen et les saisies de biens appartenant au défendeur civil, tandis que l’article 115 § 3 concerne les saisies de biens appartenant à des personnes tierces à la procédure pénale. Conformément à l’article 115 §§ 1 et 3 du CPP, en autorisant une saisie, le tribunal doit indiquer les restrictions au droit de propriété découlant de cette mesure. Ces restrictions peuvent concerner la possession, l’usage et/ou la disposition du bien. Dans un arrêt du 21 octobre 2014, la Cour constitutionnelle a considéré que, pour justifier le maintien d’une saisie, les autorités de poursuite devaient déployer des « efforts supplémentaires » (дополнительные усилия), et que les tribunaux étaient, pour leur part, appelés à apprécier la proportionnalité de cette mesure et envisager, lorsque cela est possible, la restitution aux propriétaires du bien saisi.

33. Les autres dispositions internes pertinentes relatives aux saisies, aux confiscations et aux preuves matérielles sont exposées dans les arrêts OOO SK Stroykompleks et autres c. Russie (nos 7896/15 et 48168/17, §§ 49-58, 17 décembre 2019) et OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo c. Russie (no 5738/18, §§ 29-46, 7 avril 2020).

34. Les dispositions pertinentes relatives à la nullité des conventions sont exposées dans l’arrêt OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie (no 14902/04, §§ 389-392, 20 septembre 2011).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

35. Les requérants se plaignent de ce que leurs actions font l’objet d’une saisie depuis 2017. Ils y voient une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

36. Le Gouvernement considère que la requête est irrecevable. Il estime, d’une part, que les requérants n’ont subi aucun préjudice important au sens de l’article 35 § 3 b). Il considère, d’autre part, qu’ils ont abusé du droit de recours individuel au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Il soutient à l’appui de ces exceptions d’irrecevabilité que les requérants n’ont jamais participé à la gestion d’OTS ni perçu de dividendes et, plus généralement, qu’ils n’ont pas exercé les droits attachés aux actions litigieuses mais ont toujours agi sur ordre de S., qui est le véritable propriétaire des actions.

b) Les requérants

37. Les requérants arguent qu’ils sont propriétaires des actions, que leur acquisition n’a jamais été annulée ni même contestée, et qu’eux-mêmes et la société ont subi un préjudice important du fait de la saisie des actions. Ils soutiennent qu’ils n’ont jamais agi sur ordre de S., et ils attribuent l’absence de dividendes à une mauvaise situation économique d’OTS. Ils démentent avoir dissimulé à la Cour des informations importantes concernant la requête et ils allèguent que, faute d’accès aux documents relatifs à leurs actions et à la société, ils ne sont pas en mesure d’établir davantage la manière dont ils exerçaient leurs droits d’actionnaires.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence de « biens » et sur l’exception tenant au caractère prétendument abusif de la requête

38. La Cour rappelle qu’un requérant ne peut alléguer une violation de l’article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu’il conteste se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. Eu égard au caractère subsidiaire de son rôle, la Cour n’a normalement pas pour tâche de se prononcer sur la qualité de propriétaire des biens d’un requérant car l’examen de cette question, impliquant une interprétation des dispositions internes, incombe aux autorités nationales (OOO KD-Konsalting c. Russie, no 54184/11, § 44, 29 mai 2018). La Cour est liée par les constats de fait opérés par des instances internes, sauf si les circonstances d’une affaire donnée l’obligent à s’en écarter et à se livrer à sa propre analyse (Abu Zubaydah c. Lituanie, no 46454/11, § 480, 31 mai 2018).

39. La nature d’une action de société est, par nature, complexe : elle a une valeur économique, elle certifie que son possesseur a une part dans une société et elle confère certains droits permettant d’exercer une influence sur la société (Olczak c. Pologne (déc.), no 30417/96, § 60, 7 novembre 2002, avec les références citées). Dans la jurisprudence de la Cour, les actions sont généralement considérées comme des « biens » des actionnaires au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (Shesti Mai Engineering OOD et autres c. Bulgarie, no 17854/04, § 77, 20 septembre 2011).

40. En l’espèce, les requérants ont acheté les actions litigieuses à S., à d’autres membres de la famille de celui-ci ainsi qu’à des tiers (voir l’annexe) entre septembre 2014 et novembre 2016, soit pendant et après la période au cours de laquelle les délits imputés à S. furent commis. Les autorités de poursuite et les juridictions pénales ont estimé que S. était le « véritable propriétaire » de ces actions. Or, la Cour ne peut que constater que la qualité des propriétaires des requérants n’a jamais été remise en cause par un jugement passé en force de chose jugée (voir, en particulier, les paragraphes 30 et 34 ci-dessus). Ainsi, compte tenu du caractère juridiquement valide des acquisitions réalisées par les requérants et de la valeur économique des actions litigieuses, la Cour considère que celles-ci constituaient des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

41. Quant aux déclarations que l’épouse de S. avait faites au cours de sa déposition et qui consistaient à dire qu’elle avait, d’une part, reçu procuration d’actionnaires non identifiés et, d’autre part, exécuté des ordres de son époux (paragraphe 8 ci-dessus), la Cour estime qu’elles ne prouvent pas que la possession des actions par les requérants eût été fictive. De l’avis de la Cour, quand bien même les requérants ou certains d’eux auraient exercé leurs droits de vote de manière favorable à S., cela ne rendrait pas leur possession fictive, ni leur requête abusive au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.

b) Sur l’exception tenant à l’absence d’un « préjudice important »

42. La Cour constate qu’à la date de l’ingérence, le quatrième requérant, M. Pavel Vladimirovich Shalunov, détenait deux actions : une action dite « ordinaire » et une dite « privilégiée » (voir l’annexe), représentant respectivement 0,005 % et 0,015 % du capital social de la société et ayant chacune une valeur nominale d’un rouble. Dans ces circonstances, la Cour considère que le préjudice éventuellement subi par le quatrième requérant ne peut être considéré comme suffisamment « important » au sens de l’article 35 § 3 b) de la Convention.

43. Les saisies pénales faisant l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour (voir, par exemple, dernièrement, OOO SK Stroykompleks et autres c. Russie, nos 7896/15 et 48168/17, 17 décembre 2019, et les multiples références qui y sont citées), la Cour considère que le respect des droits de l’homme n’exige pas un examen au fond du grief de ce requérant.

44. En ce qui concerne les trois premiers requérants, lesquels détiennent chacun plusieurs milliers d’actions, l’exception du Gouvernement (paragraphe 36 ci-dessus) revient à nier aux intéressés la qualité de propriétaires des actions. Or cette exception a déjà été rejetée (paragraphe 41 ci-dessus).

c) Conclusion sur la recevabilité

45. Constatant que la requête, pour autant qu’elle est introduite par les trois premiers requérants et concerne leurs griefs en tant qu’actionnaires d’OTS, n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

46. Les requérants estiment que la saisie n’est pas légale et que les fondements juridiques invoqués par les autorités pour justifier la mesure changeaient sans cesse et étaient contradictoires.

47. En particulier, les requérants arguent que les « preuves matérielles » visées dans l’article 81 du CPP (paragraphe 31 ci-dessus) ne peuvent pas être destinées à indemniser les victimes du délit en cause. Ils allèguent par ailleurs qu’en toute hypothèse, des actions dématérialisées ne sont pas des « objets » au sens du CPP et ne peuvent pas être saisies physiquement, et qu’elles ne peuvent donc pas, en principe, être considérées comme des « preuves ». Ils soutiennent par ailleurs que l’interdiction qui leur a été faite d’exercer le droit de convoquer des assemblées générales et d’y voter, laquelle découle selon eux de la saisie des actions litigieuses, n’était pas prévue par la loi et était imprévisible. Enfin, ils affirment qu’entre le 21 décembre 2020 et le 3 mars 2021, la saisie n’était autorisée par aucune ordonnance judiciaire (paragraphes 21 et 22 ci-dessus), mais qu’ils se sont néanmoins trouvés dans l’impossibilité de reprendre possession de leurs actions pendant cette période.

48. En outre, les requérants arguent, d’une part, que les autorités de poursuite ont seulement supposé que S. avait commis les délits qui lui étaient reprochés par le biais des actions litigieuses et, d’autre part, qu’ils étaient de bonne foi et n’avaient rien à voir avec les délits imputés à S. Ils ajoutent qu’en toute hypothèse, ils ne peuvent être considérés comme étant des « personnes liées », cette notion relevant, selon eux, du droit des sociétés et de la concurrence et n’existant pas en droit pénal. Enfin, ils estiment que la mesure de saisie est devenue, du fait de sa durée et eu égard à la suspension de la procédure pour un laps de temps indéterminé, une expropriation de fait de leurs biens.

49. Ils estiment par conséquent que la mesure était illégale et disproportionnée.

b) Le Gouvernement

50. Selon le Gouvernement, la saisie des actions était fondée sur l’article 115 § 1 du CPP et poursuivait une triple finalité : i) assurer l’exécution du futur jugement de condamnation dans sa partie concernant la réparation du préjudice matériel causé à la victime, ii) dans l’hypothèse où les juridictions internes auraient infligé une amende à titre de sanction pénale pour escroquerie et détournement de fonds aggravés, en garantir le paiement, et iii) empêcher S. de continuer à détourner les fonds de la société. Il soutient en outre que la mesure était également fondée sur l’article 115 § 3 du CPP, étant donné que les actions sont formellement détenues par les requérants, tiers à la procédure pénale. Il reprend les thèses des autorités de poursuite et les conclusions des juridictions pénales relatives aux motifs de la saisie.

51. Le Gouvernement argue par ailleurs que l’interdiction qui a été faite aux requérants d’exercer les droits de vote attachés aux actions se justifiait par les besoins de l’enquête pénale. À cet égard, il soutient que la nécessité de la mesure de saisie des actions a été confirmée par les jugements portant annulation des résolutions qui avaient été adoptées lors d’assemblées générales extraordinaires (paragraphe 9 ci-dessus) et dont il avait été établi qu’elles avaient pour but de soustraire S. à sa responsabilité pénale relativement aux délits qu’il avait commis.

52. Le Gouvernement considère enfin que, compte tenu de la complexité de l’affaire pénale, la durée totale de la saisie n’a pas été excessive, et que la mesure était donc proportionnée.

2. Appréciation de la Cour

53. Les principes pertinents concernant les saisies sont rappelés dans l’arrêt OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo c. Russie (no 5738/18, § 60, 7 avril 2020). Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que, contrairement à ce que les requérants soutiennent, la mesure litigieuse de saisie relevait de la règlementation de l’usage des biens et n’était pas constitutive d’une privation de propriété au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

a) Sur la légalité et le but légitime de l’ingérence

54. La Cour observe que les juridictions internes ont fondé la saisie et ses renouvellements tant sur l’article 115 § 1 du CPP (au motif qu’il s’agissait de biens appartenant à la personne mise en examen et que la mesure était destinée à assurer l’indemnisation du préjudice causé par les délits et le paiement d’une éventuelle amende pénale) que sur l’article 115 § 3 du CPP (au motif que les actions appartenaient officiellement à des personnes tierces à la procédure mais qu’il s’agissait, en fait, d’un instrument qui avait été utilisé par S. pour la commission de délits). Elle relève qu’est venu s’y ajouter un troisième fondement juridique, l’article 81 du CPP, lorsque l’enquêteur a qualifié les actions de « preuves matérielles » renfermant des informations de nature à contribuer à l’établissement des faits de l’affaire (paragraphe 14 ci‑dessus).

55. S’agissant de l’article 115 § 1 du CPP, la Cour observe que les requérants n’ont pas été mis en examen ni appelés à la procédure en qualité de défendeurs civils. Cette disposition ne peut dès lors être considérée comme constituant la base légale de l’ingérence litigieuse au regard de l’article 1 du Protocole no 1.

56. En ce qui concerne les articles 81 et 115 § 3 du CPP, la Cour considère qu’ils pouvaient constituer une base légale de la mesure dès lors que les autorités avaient des raisons plausibles de croire que les actions avaient été utilisées par S. pour commettre les délits qui lui étaient reprochés (voir, concernant une situation similaire, OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo, précité, § 66).

57. Par conséquent, la Cour estime que l’ingérence reposait sur une base légale au sens de l’article 1 du Protocole no 1 – les articles 81 et 115 § 3 du CPP – et qu’elle poursuivait un but légitime d’intérêt général, à savoir la prévention de la commission de délits.

58. Cependant, la Cour s’accorde à dire, avec les requérants, que pendant deux mois et treize jours, la saisie n’a été autorisée par aucune décision judiciaire. En effet, l’arrêt d’appel en vertu duquel la saisie avait été prolongée, a été annulé en cassation le 21 décembre 2020 et ce n’est que le 3 mars 2021 qu’elle a été renouvelée (paragraphes 21 et 22 ci-dessus). Cependant, la Cour observe que, nonobstant ces décisions, la saisie a été maintenue dans les faits. Partant, la saisie était illégale et donc incompatible avec les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 durant ce laps de temps.

59. Néanmoins, la saisie ayant été reconduite après le 3 mars 2021, la Cour se prononcera sur la proportionnalité de l’ingérence dans sa globalité.

b) Sur la proportionnalité de l’ingérence

60. Les facteurs à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité d’une mesure de saisie ont été rappelés dernièrement dans l’arrêt OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo (précité, § 69).

61. Si la durée totale de la saisie des actions – quatre ans et huit mois, du 27 mai 2017 au 25 janvier 2022 – ne rend pas, en soi, l’ingérence disproportionnée (ibidem, § 71, et les références citées), la Cour attache une grande importance à la motivation des décisions relatives à cette mesure compte tenu, d’une part, de cette longue durée et, d’autre part, de la nature et du degré des restrictions qui en découlent.

62. À cet égard, elle observe d’emblée que la saisie des actions des requérants a privé ceux-ci de tous les droits qui y étaient attachés (voir, pour un exemple contraire, Invest Kapa A.S. c. République tchèque (déc.) [comité], no 19782/13, § 42, 5 juillet 2018), y compris du droit d’obtenir des informations relatives à la société (paragraphe 25 ci-dessus), sans que les juridictions internes compétentes n’aient envisagé de restrictions moins radicales au droit de propriété des requérants (paragraphe 32 ci-dessus).

63. La Cour relève également que les juridictions internes ont renouvelé la saisie de façon quasi automatique, en invoquant systématiquement les mêmes motifs, dont la nécessité, d’une part, de protéger les droits de la victime et d’empêcher S. de continuer à gérer les biens d’OTS, et, d’autre part, de garantir le paiement d’une éventuelle amende pénale.

64. Force est de constater que les juridictions internes n’ont aucunement apprécié la proportionnalité du maintien prolongé de la saisie ni envisagé d’alternatives à celle-ci, nonobstant les indications de la Cour constitutionnelle (paragraphes 32-33 ci-dessus, voir aussi OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo, précité, §§ 23, 35 et 73).

65. Par ailleurs, la Cour note que les tribunaux n’ont pas expliqué en quoi les actions pouvaient constituer un « instrument du délit », pas plus qu’ils n’ont expliqué en quoi ces actions dématérialisées pouvaient contenir des informations de nature à contribuer à l’établissement des faits de la cause. En outre, il n’a jamais été expliqué quel lien pourrait exister entre les votes exprimés lors des assemblées générales tenues entre 2009 et 2015 et les ventes de biens appartenant à OTS. Un tel lien n’a jamais été établi par les autorités internes.

66. Enfin, la Cour observe que les juridictions russes ne se sont livrées, à aucun moment, à une appréciation des arguments que les requérants avaient soulevés pour contester les allégations selon lesquelles ils avaient agi sur ordre de S. Au contraire, elles se sont déclarées incompétentes à cet égard, tout en reprochant aux intéressés de ne pas avoir réfuté la thèse des autorités de poursuite (paragraphe 13 ci-dessus). À cet égard, s’il est incontesté que les requérants ont des liens de parenté ou d’alliance avec S., force est de constater qu’aucun de ceux-ci n’a été inculpé de la commission d’un quelconque délit en lien avec les faits reprochés à S. (voir aussi Uzan et autres c. Turquie, nos 19620/05 et 3 autres, § 215, 5 mars 2019). Le fait qu’en février et mars 2017, les actionnaires, réunis en assemblée générale extraordinaire, ont adopté des résolutions qui furent par la suite qualifiées d’illégales et d’abusives (paragraphe 9 ci-dessus), n’a à aucun moment été invoqué pour justifier la saisie des actions ou le renouvellement de cette mesure.

67. En définitive, les juridictions internes n’ont pas justifié à suffisance la nécessité de la saisie litigieuse et de sa prolongation (voir OOO Avrora Maloetazhnoe Stroitelstvo, précité, §§ 73-74, et aussi, mutatis mutandis, Eilders et autres c. Russie [comité], no 475/08, § 23, 3 octobre 2017). Eu égard à ces éléments, la Cour estime que l’ingérence n’était pas proportionnée, ce qui rend superflu l’examen des autres arguments soulevés par les parties.

68. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Thèses des parties

70. Les requérants demandent en premier lieu la levée de la saisie. En outre, ils allèguent que la saisie a offert aux nouveaux dirigeants d’OTS la possibilité de céder à vil prix des biens de la société et d’aggraver la situation économique de cette dernière (paragraphe 26 ci‑dessus) et qu’ils ont donc subi un préjudice matériel équivalent à une part de la valeur des biens cédés correspondant à leur pourcentage de participation dans la société. Ils estiment ce montant à 87 439 779 roubles (RUB). Ils demandent en outre la somme de 9 677 382 RUB, qui correspond au montant de la dépréciation que les actions ont, selon eux, connue depuis et à cause de la saisie. Enfin, ils demandent 5 000 euros (EUR) chacun au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi. Alternativement, ils réclament 1 500 000 EUR pour tous les chefs de préjudice.

71. Le Gouvernement estime que les demandes que les requérants formulent au titre du dommage matériel sont spéculatives et non étayées, et que les demandes qu’ils présentent au titre du dommage moral sont excessives. Il ajoute qu’en toute hypothèse, les droits des requérants n’ont pas été violés et qu’aucune somme ne doit donc leur être allouée.

2. Appréciation de la Cour

72. La Cour rappelle que compte tenu de la variété des moyens disponibles pour parvenir à la restitutio in integrum et de la nature des questions en jeu, c’est à l’État défendeur, sous le contrôle du Comité des Ministres, qu’il revient de choisir les moyens à mettre en œuvre afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer les conséquences (Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan [GC], no 15172/13, § 155, 29 mai 2019). En l’espèce, elle estime que rien dans le dossier n’indique que la levée de la saisie s’impose comme la seule mesure de redressement que l’État devrait prendre (voir, a contrario, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 202 et point 14 du dispositif, CEDH 2004‑II). Rien n’indique par ailleurs que le droit interne interdise aux requérants de saisir les instances internes pour faire valoir leurs droits à la lumière du présent arrêt. La Cour rejette ainsi la demande qui lui est faite d’ordonner la levée de la saisie (voir aussi, mutatis mutandis, Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, §§ 96 et 99, CEDH 2013 (extraits)).

73. Quant aux demandes d’indemnisation du dommage matériel, la Cour constate que la société n’est pas en état de liquidation, que la valeur de ses actions peut évoluer dans le temps, en fonction de différents facteurs, et que les actions litigieuses restent la propriété des requérants. Pour ces raisons, elle ne distingue pas un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette par conséquent ces demandes.

74. Considérant que les requérants ont subi un certain préjudice moral du fait de la violation constatée, la Cour, statuant en équité, alloue à chacun des trois premiers requérants 2 000 EUR, soit 6 000 EUR au total.

B. Frais et dépens

1. Thèses des parties

75. Les requérants réclament les sommes suivantes pour les honoraires de Me Boicheniuk Cartier : 500 EUR au titre de la requête d’appel visant à contester l’une des ordonnances de renouvellement de la saisie ; 5 000 EUR au titre des frais de représentation et d’assistance engagés devant la Cour, correspondant à un total de 55 heures de travail au taux horaire de 100 EUR.

76. Sans contester les conventions d’honoraires fournies par les requérants à l’appui de leurs demandes, le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes comme étant partiellement sans rapport avec la présente requête et partiellement non nécessaires.

2. Appréciation de la Cour

77. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu de tous les éléments en sa possession, la Cour juge raisonnable d’allouer aux trois premiers requérants un montant total de 4 000 EUR au titre de la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

78. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable pour autant qu’elle est introduite par les trois premiers requérants (Mmes Irina Sebeleva et Tatyana Grosu, et M Aleksey Shalunov), et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit, par cinq voix contre deux,

a) que l’État défendeur doit verser à chacun des trois premiers requérants, dans un délai de trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par chacun des requérants à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser aux trois premiers requérants, dans un délai de trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er mars 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan Blaško                    Georges Ravarani
Greffier                                 Président

__________

ANNEXE

No Prénom NOM Année de naissance Lieu de résidence (selon le formulaire de la requête) Lien de parenté ou d’alliance avec S. Achat des actions : date, vendeur Nombre d’actions sur un total de 19 835 actions ordinaires et 6 612 actions privilégiées
1. Irina Viktorovna SEBELEVA 1981 Omsk Fille de S. 14 octobre 2014, achat à S. 5 092 actions ordinaires et 173 actions privilégiées
2. Tatyana Ivanovna GROSU 1951 Lvovka (région de Samara) Cousine de l’épouse de S. 2 septembre 2014, achat à la belle-mère de S. 3 535 actions ordinaires et 1 754 actions privilégiées
3. Aleksey Pavlovich SHALUNOV 1987 Samara Neveu de l’épouse de S. 19 novembre 2016, achat au 4e requérant 3 319 actions ordinaires et 556 actions privilégiées
4. Pavel Vladimirovich SHALUNOV 1962 Samara Beau-frère de l’épouse de S., et père du troisième requérant Juin 2006 et décembre 2008, achats à S. et à des tiers.

20 octobre 2016, achat à une société qui, selon les autorités de poursuite, était contrôlée par S.

1 action ordinaire et 1 action privilégiée

Dernière mise à jour le mars 1, 2022 par loisdumonde

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