AFFAIRE KOZAN c. TURQUIE (Cour européenne des droits de l’homme) 16695/19

La présente affaire concerne une sanction disciplinaire infligée au requérant, magistrat de profession, pour avoir partagé, dans un groupe fermé de Facebook destiné aux professionnels du pouvoir judiciaire, un article de presse critiquant certaines décisions du Haut Conseil des juges et des procureurs et mettant en doute l’indépendance de cette institution vis-à-vis du pouvoir politique. Le requérant invoque sa liberté de communiquer et de recevoir des informations (article 10 de la Convention) et son droit à un recours effectif (article 13 de la Convention).


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE KOZAN c. TURQUIE
(Requête no 16695/19)
ARRÊT

Art 10 • Liberté de communiquer et recevoir des informations • Sanction disciplinaire infligée à un magistrat pour avoir partagé, dans son groupe Facebook réservé à ses confrères, un article de presse critiquant le Haut Conseil des juges et des procureurs et mettant en doute son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique • Sanction ne répondant à aucun besoin social impérieux
Art 13 (+ Art 10) • Absence de recours effectifs

STRASBOURG
1er mars 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kozan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Carlo Ranzoni,
Branko Lubarda,
Pauliine Koskelo,
Gilberto Felici,
Jovan Ilievski,
Saadet Yüksel, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section

Vu :

la requête (no 16695/19) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. İbrahim Kozan (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 15 mars 2019,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement ») les griefs concernant la liberté de communiquer des informations ou des idées, au sens de l’article 10 § 1 de la Convention, et le droit à un recours interne effectif, au sens de l’article 13 de la Convention.

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 janvier 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne une sanction disciplinaire infligée au requérant, magistrat de profession, pour avoir partagé, dans un groupe fermé de Facebook destiné aux professionnels du pouvoir judiciaire, un article de presse critiquant certaines décisions du Haut Conseil des juges et des procureurs et mettant en doute l’indépendance de cette institution vis-à-vis du pouvoir politique. Le requérant invoque sa liberté de communiquer et de recevoir des informations (article 10 de la Convention) et son droit à un recours effectif (article 13 de la Convention).

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1978 et réside à Sivas. Il est représenté par Me İ. Makas, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, Chef du service des droits de l’homme au ministre de la Justice de Turquie.

4. En juin 2006, le requérant se porta candidat au poste de magistrat et fut titularisé comme membre de la cour d’assises de Midyat. Après avoir été nommé juge au tribunal correctionnel de Van de 2011 à 2015, il fut muté en juillet 2015 à la province de Sivas en tant que juge membre de la cour d’assises.

A. La procédure disciplinaire dirigée contre le requérant

5. Entre-temps, le 28 mai 2015, le requérant avait partagé sur la page d’un groupe Facebook dénommé Hukuk Medeniyeti (Civilisation fondée sur le droit) un article intitulé « Réhabilitation du casier judiciaire pour celui qui a clos l’enquête du 17 décembre, licenciement pour celui qui a mené l’enquête » (17 Aralık’ı kapatana sicil affı, operasyonu yapana ihraç), qui avait été rédigé par un certain A.Y. et publié le 27 mai 20l5 sur le site internet www.grihat.com.tr. Cet article indiquait que, le 27 mai 2015, le Haut Conseil des juges et des procureurs (« Hakimler ve Savcılar Yüksek Kurulu », ci-après « le HCJP » ou « le CJP ») avait clos certaines poursuites disciplinaires engagées contre des magistrats, qu’il avait rejeté, à la majorité, les recours de quatre procureurs et d’un juge qui avaient tous mené des enquêtes de corruption relatives aux incidents survenus au cours de la période du 17 au 25 décembre 2013 et avaient été par la suite suspendus de leurs fonctions de magistrat pour comportement contraire à l’honneur de la profession, qu’il avait en revanche accueilli le recours d’un procureur, E.A., lequel avait auparavant rendu un non-lieu en faveur des suspects de l’enquête relative à la période du 17 au 25 décembre 2013, et qu’il avait annulé les sanctions disciplinaires infligées à ce dernier pour comportement inapproprié (prise en charge de ses frais d’hôtel par une entreprise privée). L’article ajoutait que les sanctions disciplinaires infligées à un autre magistrat, I.S., qui avait ordonné l’arrestation des policiers responsables des opérations des « 17‑25 décembre 2013 » et qui avait posté plusieurs messages de compliments au Premier ministre d’alors (Recep Tayyip Erdoğan), avaient été généreusement graciées par le HCJP.

6. L’article en question avait donné lieu à un certain nombre de commentaires de la part des membres du groupe Facebook. L’auteur de l’un de ces commentaires, M.A., y déclarait entre autres « regretter l’époque où les responsables des municipalités ou d’autres fonctionnaires redoutaient (tir tir titremek : trembler de peur, avoir la frousse) des rafales d’enquêtes judiciaires » pour leurs actes illégaux.

7. Le 28 mai 2015, E.B., le procureur général adjoint du département de Van (où le requérant exerçait ses fonctions à l’époque des faits), signala au HCJP que le requérant aurait diffamé son collègue E.A. en partageant sur les réseaux sociaux (Facebook) un article dans lequel ce dernier était présenté comme un procureur ayant mis fin à une enquête judiciaire pour corruption et était lui-même accusé de corruption. Qualifiant le HCJP d’institution nationale respectable, E.B. affirma que la diffamation contenue dans l’article partagé ciblait aussi clairement cette institution elle-même.

8. Le 11 décembre 2015, la présidence du HCJP autorisa l’ouverture d’une enquête préliminaire sur l’incident litigieux. Cette autorisation habilita un inspecteur du HCJP à mener une enquête préliminaire dirigée contre le requérant, conformément à l’article 82 de la loi no 2802.

9. À l’issue de l’enquête préliminaire, l’inspecteur conclut que les éléments recueillis au sujet du requérant commandaient l’ouverture d’une enquête. Le 18 février 2016, la troisième chambre du HCJP soumit au président de cette instance une proposition visant à accorder à l’inspecteur l’autorisation d’ouvrir une enquête disciplinaire à l’encontre du requérant en vertu de l’article 82 de la loi no 2802. Sur la base de l’autorisation du 24 février 2016 accordée par la présidence du HCJP, des inspecteurs enquêtèrent sur le requérant.

10. Le 9 mars 2016, le requérant présenta sa défense écrite auprès du HCJP dans le cadre de cette enquête disciplinaire. En outre, le 28 mars 2016 et le 20 avril 2016, E.B., le procureur général adjoint de la province de Van qui avait dénoncé le requérant, fit ses déclarations.

11. Le 28 avril 2016, le bureau de la cybercriminalité de la police d’Istanbul indiqua, à la demande de l’inspecteur du HCJP, que le groupe Facebook appelé Hukuk Medeniyeti était un groupe « fermé », les messages partagés dans ce groupe n’étant visibles que par les utilisateurs qui en étaient membres. Par ailleurs, le bureau ajouta que le groupe en question était un groupe « secret » de Facebook, c’est-à-dire qu’il n’apparaissait pas non plus dans les moteurs de recherches des sites internet.

12. Le Gouvernement indique qu’au 28 mai 2015, date à laquelle le requérant avait partagé la publication litigieuse, le groupe Facebook Hukuk Medeniyeti comptait 8 859 membres. En outre, il explique que ce groupe n’est pas réservé aux juges et procureurs, mais qu’il est aussi ouvert aux universitaires, aux étudiants des facultés de droit, aux avocats et à tous les autres diplômés des facultés de droit.

13. Le 13 mai 2016, l’inspecteur du HCJP rendit un rapport dans lequel il recommandait l’infliction d’une sanction disciplinaire au requérant au motif que le 28 mai 2015, celui-ci avait partagé sur la page du groupe Facebook Hukuk Medeniyeti l’article rédigé par A.Y. le 27 mai 2015. Il estimait que l’article en question critiquait sévèrement les autorités publiques dans l’exercice de leurs fonctions administratives ou judiciaires, qu’il était susceptible de nuire à l’indépendance et à l’impartialité du pouvoir judiciaire et à la confiance en celui-ci, et qu’il était aussi de nature à susciter la défiance de l’opinion publique sur ce point.

14. L’inspecteur déclarait en outre qu’en partageant cet article, le requérant avait donné à entendre qu’il était d’accord avec son contenu et qu’il avait tenté de le divulguer à un large public. Il faisait observer que deux groupes de juges étaient comparés dans l’article partagé par le requérant : le premier groupe comprenait des magistrats qui avaient été poursuivis pour avoir terni la réputation du pouvoir judiciaire et la confiance du public à son égard par un comportement manifestement contraire aux lois et aux valeurs éthiques, le second groupe regroupait des magistrats qui avaient bénéficié de décisions favorables grâce à la nouvelle législation. Il signalait que l’article litigieux désapprouvait fermement les décisions prises à l’encontre du premier groupe et celles prises en faveur du second groupe. Il concluait que le requérant, qui était partie à une affaire pendante et controversée, avait violé les règles éthiques de la profession.

15. Le 14 septembre 2017, la deuxième chambre du Conseil des juges et procureurs (« le CJP », nouvelle appellation donnée au HCJP à partir du 21 janvier 2017) examina le dossier d’enquête et décida, sur le fondement de l’article 65 § 2 a) de la loi no 2802, d’infliger un blâme au requérant pour avoir partagé l’article incriminé. Le CJP décida qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner le requérant à raison du commentaire qu’un tiers avait formulé au sujet de l’article partagé par l’intéressé. Il considéra que ce dernier, lui-même membre de la magistrature, avait reconnu avoir partagé l’article litigieux sur les médias sociaux. Il estima que le contenu de cet article était incompatible avec le devoir de loyauté du requérant envers l’État et ses obligations judiciaires, et disproportionné au regard des buts légitimes dans une société démocratique. Il ajouta qu’en critiquant sévèrement l’institution publique dont l’intéressé lui-même était membre et certains agents publics dans l’exercice de leurs fonctions administratives ou judiciaires, l’article avait fait naître un préjugé à l’égard d’une partie de la société et porté atteinte à la foi et à la confiance placées dans l’institution judiciaire en mettant en doute l’impartialité attachée à ses fonctions. Il précisa que même si l’intéressé n’avait pas souscrit au contenu de l’article litigieux, il avait manifesté l’intention de le diffuser à un public plus large et de faire passer un message à ceux qui y avaient adhéré. Pour ces raisons, il jugea que le requérant avait fait preuve d’un comportement attentatoire à la dignité et à la confiance exigées par sa fonction officielle, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du service. Il décida, à l’unanimité, d’infliger un blâme au requérant sur le fondement de l’article 65 § 2 a) de la loi sur les juges et procureurs (loi no 2802).

16. Le requérant introduisit une demande de réexamen de cette décision en vertu de l’article 33 de la loi no 6087 sur le CJP. Le 19 décembre 2017, la deuxième chambre du CJP, siégeant dans une composition analogue à celle qui avait siégé lors du premier examen de l’affaire du requérant, rejeta la demande de celui-ci après avoir réexaminé le dossier, estimant que l’infliction du blâme litigieux était conforme à la loi.

17. Le requérant contesta cette décision devant l’Assemblée générale du CJP, conformément à l’article 33 de la loi no 6087. Le 3 octobre 2018, l’Assemblée générale du CJP, où siégeaient notamment les membres de la deuxième chambre, rejeta définitivement le recours du requérant. Le blâme infligé au requérant devint définitif à compter de cette date.

B. L’évolution de la carrière du requérant dans la magistrature

18. Alors qu’il exerçait la fonction de juge à Sivas, le requérant fut révoqué de la fonction publique, à l’instar de 2 846 autres magistrats, par une décision no 2016/426 prise par l’assemblée générale du HCJP le 24 août 2016. Cette décision était motivée par l’inaptitude des personnes concernées à continuer à exercer la profession de magistrat, au sens de l’article 3 § 1 du décret-loi no 667. Dans ladite décision, le HCJP indiquait que le requérant, ainsi que les autres magistrats, avaient été exclus de la profession car ils avaient été en relation et en contact avec une organisation désignée par les autorités turques sous l’appellation « FETÖ/PDY » (« Organisation terroriste Fetullahiste / Structure d’État parallèle »). Le 29 novembre 2016, cette décision devint définitive. Le requérant introduisit un recours en annulation devant le Conseil d’État contre cette décision par laquelle il avait été révoqué de la fonction publique. L’affaire est toujours pendante.

19. Par un acte d’accusation daté du 27 septembre 2017, le parquet d’Ankara intenta devant la cour d’assises d’Ankara une action pénale contre le requérant du chef d’appartenance à l’organisation FETÖ/PDY.

20. Par un arrêt du 6 avril 2018, la cour d’assises déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à une peine de sept ans et six mois d’emprisonnement pour appartenance à une organisation terroriste armée.

21. Le requérant a fait appel de sa condamnation sur des points de fait et de droit. La procédure pénale en cause est toujours pendante.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

22. L’article 62 de la loi no 2802 sur les juges et les procureurs est libellé comme suit :

« L’une des sanctions disciplinaires suivantes est infligée aux juges et aux procureurs par le Conseil supérieur des juges et des procureurs en fonction des circonstances et de la gravité de la situation, après qu’il a été établi que leur comportement est incompatible avec les exigences de leur profession et de leur poste.

a) avertissement,

b) retenue sur salaire,

c) blâme,

d) suspension de l’avancement d’échelon,

e) suspension de l’avancement de grade,

f) changement du lieu d’affectation,

g) révocation. »

23. Les passages pertinents de l’article 65 de la loi no 2802, intitulé « La sanction du blâme », se lisent comme suit :

« Blâme : notification écrite indiquant qu’un certain comportement est jugé fautif.

La sanction du blâme est imposée dans les circonstances suivantes :

a) Comportement susceptible de porter atteinte à la réputation et à la confiance exigées par des fonctions officielles, dans l’exercice ou en dehors de l’exercice de ces fonctions (…) »

24. Les passages pertinents de l’article 33 de la loi no 2802, intitulé « Réexamen et recours », se lisent comme suit :

« Dans les dix jours suivant la réception de la notification d’une décision concernant une sanction disciplinaire infligée à un juge ou à un procureur, le ministre de la Justice ou la personne concernée peut demander le réexamen de la décision. Dans ce cas, le Conseil prend une décision après avoir procédé à l’examen nécessaire.

Les personnes concernées peuvent exercer un recours contre les décisions réexaminées par le Conseil dans un délai de dix jours à compter de la date de notification.

Les recours sont examinés et jugés par la Commission d’examen des recours.

Les décisions statuant sur les recours sont définitives. Aucun autre recours contre ces décisions ne peut être exercé auprès d’une autre autorité judiciaire. »

25. L’article 82 de la loi no 2802, intitulé « Enquête », se lit comme suit :

« Les investigations et les enquêtes visant des juges ou des procureurs à raison d’infractions découlant de leurs fonctions ou commis dans l’exercice de leurs fonctions, ou d’attitudes et de comportements non conformes à leurs titres et fonctions sont soumises à l’autorisation du ministère de la Justice. Le ministre de la Justice peut faire procéder aux investigations et aux enquêtes par des inspecteurs de justice ou par un juge ou un procureur plus ancien que celui visé par les investigations ou l’enquête.

Les juges et les procureurs chargés de l’enquête ont les pouvoirs des inspecteurs de justice visés à l’article 101. »

26. Les passages pertinents de l’article 3 de la loi no 6087, intitulé « Création et indépendance du Conseil », prévoient ce qui suit :

« l) (tel que modifié le 2 juillet 2018 par l’article 208 du décret-loi no 703) Le Conseil des juges et des procureurs est composé de treize membres.

2) Le Conseil comprend deux chambres.

3) Le président du Conseil est le ministre de la Justice.

(…)

5) (tel que modifié le 2 juillet 2018 par l’article 208 du décret-loi no 703) Le Conseil est composé du ministre de la Justice, du vice-ministre de la Justice désigné, de quatre membres choisis par le président de la République et de sept membres élus par la Grande Assemblée nationale de Turquie.

(…) »

27. Les passages pertinents de l’article 8 de la loi no 6087, intitulé « Composition des chambres, élection des présidents de chambre et leurs attributions », est libellé comme suit :

« a) La première chambre est composée du vice-ministre de la Justice désigné, d’un membre de la Cour de cassation, de deux membres désignés parmi les juges et procureurs des tribunaux ordinaires (civils/criminels), d’un membre désigné parmi les juges et procureurs des tribunaux administratifs et d’un membre désigné parmi les membres des facultés de droit ou les avocats ;

b) la deuxième chambre est composée de deux membres de la Cour de cassation, d’un membre de la Cour suprême administrative, d’un membre désigné parmi les juges et procureurs des tribunaux ordinaires (civils/pénaux) et de deux membres désignés parmi les membres des facultés de droit ou les avocats ;

soit six membres chacune.

(…) »

28. Les passages pertinents de l’article 29 de la loi no 6087, intitulé « Quorum pour les réunions et les décisions de l’assemblée générale », est libellé comme suit :

« (…)

3) L’assemblée générale se réunit et prend ses décisions à la majorité absolue du nombre total de ses membres. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

29. Le requérant allègue que le blâme qui lui a été infligé porte atteinte à sa liberté d’expression. Il invoque l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Sur la recevabilité

30. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

31. Le requérant soutient que la sanction disciplinaire litigieuse constitue à l’évidence une ingérence dans sa liberté d’expression. Il avance qu’à l’époque des faits, le bien-fondé de l’enquête pénale rapportée par la journaliste autrice de l’article litigieux ne l’intéressait pas, et qu’il voulait simplement informer ses collègues (juges et procureurs) membres du groupe Facebook susmentionné des procédures disciplinaires engagées par le HCJP et de leurs résultats à l’égard de certains juges et procureurs qui étaient intervenus dans l’enquête dite des incidents des 17-25 décembre 2013. Il expose que même si l’autrice de l’article avait formulé des commentaires personnels sur des procédures en cours, l’article en question contenait une grande quantité d’informations sur les enquêtes et décisions disciplinaires prises par le HCJP à l’encontre de certains juges et procureurs. Il fait observer qu’il n’avait formulé aucun commentaire ou point de vue personnel sur une procédure en cours. Il assure n’avoir émis aucune observation sur les mesures prises par le HCJP à l’encontre des juges et procureurs qui avaient mené ladite procédure judiciaire. Il reproche au CJP d’avoir affirmé que l’article diffusé était politiquement orienté et qu’il l’avait partagé à des fins politiques. Il soutient qu’aucune preuve ne démontre une quelconque intention « politique » de sa part dans cette affaire.

32. Le requérant avance que l’ingérence en cause n’était pas prévue par la loi, l’article 65 de la loi no 2802 prévoyant la sanction du blâme étant trop vague et trop large. Il fait observer que ce problème avait été déjà signalé par la Commission de Venise dans son avis du 28 mars 2011, qui avait signalé le risque que le pouvoir disciplinaire utilise cet article pour sanctionner un juge dont les décisions judiciaires ne sont pas appréciées, sans faire explicitement référence à un tel motif. Selon le requérant, le véritable motif de la sanction disciplinaire qui lui a été infligée est qu’il n’avait pas voté, lors des élections des membres du HCJP, pour les candidats de la « Plateforme de l’union de la magistrature », directement soutenue par le ministère de la Justice.

33. Le requérant soutient que la sanction qui lui a été infligée pour avoir informé ses collègues membres du groupe fermé de Facebook des décisions rendues par le HCJP (une institution chargée de la supervision et de l’inspection des juges et des procureurs) au sujet d’une procédure judiciaire en cours ne poursuit aucun des buts légitimes autorisés par l’article 10 § 2.

34. Le requérant avance aussi qu’une telle mesure n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Il allègue qu’il n’a fait aucun commentaire sur le contenu de l’article litigieux, mais qu’il a simplement partagé cet article parce qu’il couvrait les procédures disciplinaires menées par le HCJP à l’encontre de certains juges et procureurs chargés d’enquêter sur une infraction présumée. Selon lui, il y a un intérêt public évident et important à débattre d’une affaire pénale engagée contre certains hauts fonctionnaires de l’État, des politiciens (ministres et administrateurs) et leurs proches dans des pays démocratiques. De même, les magistrats devraient avoir le droit d’échanger des informations sur les mesures prises par le HCJP, même lorsque ces informations peuvent donner à penser qu’il y a eu un manquement à l’indépendance et à l’impartialité du pouvoir judiciaire.

b) Le Gouvernement

35. Le Gouvernement est d’avis qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans la liberté d’expression du requérant au sens de l’article 10 de la Convention. À cet égard, il avance que les restrictions imposées aux membres de la magistrature en raison de leur statut sont plus lourdes que celles qui pèsent sur d’autres individus, y compris sur les autres fonctionnaires, car les magistrats doivent non seulement être justes et impartiaux, mais aussi être perçus par l’opinion publique comme étant impartiaux et capables d’accueillir toute idée ou opinion sans préjugés. Il soutient que l’article posté par le requérant contenait des allégations hypothétiques concernant une procédure judiciaire en cours, selon lesquelles les juges et les procureurs consciencieux étaient révoqués tandis que leurs collègues coupables d’infractions étaient protégés. Il fait observer que le groupe Facebook appelé Hukuk Medeniyeti comptait 8 859 membres au moment où le requérant a partagé l’article litigieux, et qu’il était ouvert non seulement aux juges et aux procureurs, mais aussi aux titulaires d’un diplôme de droit qui exerçaient d’autres professions.

36. Quant à la légalité de l’ingérence, le Gouvernement indique que la sanction disciplinaire infligée au requérant était fondée sur l’article 65 § 2 a) de la loi no 2802 sur les juges et les procureurs. Il estime qu’en sa qualité de juge possédant une expérience de près de dix ans à l’époque des faits, le requérant était « raisonnablement » en mesure de savoir que le partage sur une plateforme de médias sociaux d’un article attaquant ouvertement des individus et des institutions entraînerait des sanctions disciplinaires.

37. Pour le Gouvernement, l’ingérence litigieuse poursuivait un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention puisqu’elle visait à protéger l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire, ainsi que la réputation de celui-ci.

38. Quant à la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, le Gouvernement estime que les juges doivent faire preuve de prudence dans leurs communications électroniques, qu’il s’agisse de textes ou de courriels, et lorsqu’ils participent à des sites de réseaux sociaux en ligne ou publient des documents sur internet. Selon lui, les principes qui régissent le comportement des juges dans leurs relations sociales personnelles, épistolaires ou téléphoniques, doivent s’appliquer à l’identique à leurs communications électroniques, y compris à l’utilisation d’Internet et des sites de réseautage social. À cet égard, compte tenu de la délicatesse des fonctions publiques qu’ils assument, les membres de la magistrature ne devraient pas permettre que leurs publications sur les médias sociaux puissent conduire à faire douter de leur impartialité. En outre, dans tous les cas où le pouvoir judiciaire et son autorité pourraient être remis en question, les membres de la magistrature devraient exercer leur liberté d’expression avec prudence.

39. Le Gouvernement fait observer qu’à l’époque des faits, le requérant était juge au tribunal correctionnel de Van. Il soutient que l’article partagé par le requérant était politiquement orienté, qu’il comparait les mesures prises par le HCJP à l’égard de deux groupes de juges et procureurs, qu’il critiquait sévèrement certains juges et procureurs et qu’il en présentait d’autres comme des victimes de sanctions infligées pour des motifs politiques. Il ajoute que l’article désignait un groupe de juges et procureurs et le HCJP à la vindicte publique en les associant à la clôture d’une enquête qui avait suscité la controverse à l’époque et était connue du public sous le nom d’« enquête des 17‑25 décembre ».

40. Si le Gouvernement admet que la jurisprudence de la Cour protège la liberté d’expression des membres de la magistrature dans leurs déclarations sur des questions d’intérêt général relatives au pouvoir judiciaire, même si la question débattue a des effets et des implications politiques, il estime qu’en partageant l’article litigieux, le requérant a outrepassé sa responsabilité professionnelle et a attaqué des individus et des institutions. Il considère que le contenu de l’article partagé par le requérant ne concernait pas des questions relevant d’un débat d’intérêt général. Selon lui, le fait que le requérant soit allé au-delà de la simple lecture de cet article et l’ait partagé sur sa page Facebook a donné de lui-même une image partisane sur un sujet d’actualité et controversé.

41. Selon le Gouvernement, bien que le requérant ait partagé son message au sein d’un groupe « fermé », le fait que le nombre de membres de ce groupe se comptait en milliers a entraîné les mêmes conséquences que s’il l’avait partagé sur une plate-forme publique de médias sociaux accessible à tous. Le message du requérant aurait donc fait peser sur la réputation et la dignité du pouvoir judiciaire un danger clair et imminent. Par conséquent, le requérant n’aurait pas fait preuve de la plus grande diligence attendue de lui en sa qualité de membre de la magistrature. Pour toutes ces raisons, la sanction disciplinaire imposée au requérant aurait répondu à un besoin social impérieux.

42. Le Gouvernement est aussi d’avis que, compte tenu de la nature de la fonction du requérant, la sanction du blâme qui lui a été infligée était proportionnée à l’acte qu’il avait commis. En effet, il fait observer que la sanction du blâme est effacée du dossier personnel passé un délai de quatre ans, qu’elle n’affecte pas les droits financiers de l’intéressé ni la fixation de son lieu d’affectation et qu’elle n’a pas d’impact négatif sur l’évolution de sa carrière professionnelle, notamment en termes de promotion ou de titularisation dans une fonction.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

i. La liberté de recevoir et de communiquer des informations et les magistrats

43. La Cour rappelle que les principes généraux applicables à la liberté d’expression des juges, tels qu’énoncés dans ses arrêts Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, §§ 162-167, 23 juin 2016), et Eminağaoğlu c. Turquie (no 76521/12, §§ 120-124 et 125, 9 mars 2021), s’appliquent aussi dans la présente affaire.

44. Elle estime notamment que, dans une société démocratique, les questions relatives à la séparation des pouvoirs et à la nécessité de préserver l’indépendance de la justice peuvent concerner des sujets très importants qui relèvent de l’intérêt général (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 128, CEDH 2015). Les débats sur les questions d’intérêt général bénéficient généralement d’un niveau élevé de protection au titre de l’article 10 allant de pair avec une marge d’appréciation des autorités particulièrement restreinte (Morice, précité, §§ 125 et 153, July et SARL Libération c. France, no 20893/03, § 67, CEDH 2008 (extraits)). Même si une question suscitant un débat sur le pouvoir judiciaire a des implications politiques, ce simple fait n’est pas en lui-même suffisant pour empêcher un juge de prononcer une déclaration sur le sujet (Wille c. Liechtenstein [GC], no 28396/95, § 67, CEDH 1999‑VII).

45. Il est vrai que la mission particulière du pouvoir judiciaire dans la société impose aux magistrats un devoir de réserve. Cependant, ce dernier poursuit une finalité particulière : la parole du magistrat, contrairement à celle de l’avocat, est reçue comme l’expression d’une appréciation objective qui engage non seulement celui qui s’exprime mais aussi, à travers lui, toute l’institution de la Justice (Morice, précité, §§ 128 et 168).

46. Aussi peut-il s’avérer nécessaire de protéger la justice contre des attaques destructrices dénuées de fondement sérieux, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats visés de réagir (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 34, série A no 313, Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 86, 26 février 2009, et Di Giovanni c. Italie, no 51160/06, § 71, 9 juillet 2013). En particulier, on est en droit d’attendre des fonctionnaires de l’ordre judiciaire qu’ils usent de leur liberté d’expression avec retenue chaque fois que l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire sont susceptibles d’être mises en cause (Wille, précité, § 64) et, aussi, lorsqu’ils expriment des critiques à l’encontre de collègues fonctionnaires, en particulier d’autres juges (Eminağaoğlu, précité, § 136).

47. Il reste qu’en dehors de l’hypothèse d’attaques gravement préjudiciables dénuées de fondement sérieux, compte tenu de leur appartenance aux institutions fondamentales de l’État, les magistrats peuvent faire, en tant que tels, l’objet de critiques personnelles dans des limites admissibles, et non pas uniquement de façon théorique et générale. À ce titre, les limites de la critique admissibles à leur égard, lorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions officielles, sont plus larges qu’à l’égard de simples particuliers (Morice, précité, § 131, et July et SARL Libération, précité, § 74).

ii. La liberté de recevoir et de communiquer des informations et internet

48. En ce qui concerne l’importance des sites Internet dans l’exercice de la liberté d’expression, la Cour rappelle que, « [g]râce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites Internet contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information » (Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03, § 27, CEDH 2009). La possibilité pour les individus de s’exprimer sur Internet constitue un outil sans précédent d’exercice de la liberté d’expression (Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, § 110, CEDH 2015).

49. La Cour souligne aussi que l’article 10 de la Convention a vocation à s’appliquer à la communication au moyen de l’Internet quel que soit le type de message qu’il s’agit de véhiculer. Plus particulièrement, elle a considéré comme relevant de l’exercice du droit à la liberté d’expression, entre autres, l’utilisation de Google Sites, un module de Google permettant de faciliter la création et le partage d’un site web au sein d’un groupe (Ahmet Yıldırım c. Turquie, no 3111/10, § 49, CEDH 2012).

50. Tout en reconnaissant les avantages d’Internet, la Cour admet que ceux-ci s’accompagnent d’un certain nombre de risques dans la mesure où des propos clairement illicites, notamment des propos diffamatoires, haineux ou appelant à la violence, peuvent être diffusés comme jamais auparavant dans le monde entier, en quelques secondes, et parfois demeurer en ligne pendant fort longtemps (Delfi AS, précité, § 110).

51. Cela dit, la Cour peut aussi tenir compte d’autres éléments atténuant les effets des messages d’internautes sur les intérêts légitimes protégés par l’article 10 § 2 de la Convention. L’envoi d’un message dans un environnement réservé aux professionnels de tel ou tel domaine peut figurer parmi ces éléments si la diffusion de ce message est trop limitée pour causer un dommage important, contrairement à un message qui serait accessible à l’ensemble des internautes (voir, mutatis mutandis, Payam Tamiz c. Royaume-Uni (déc.), no 3877/14, § 80, 19 septembre 2017, Savva Terentyev c. Russie, no 10692/09, § 79, 28 août 2018, Melike c. Turquie, no 35786/19, § 50, 15 juin 2021, et Çakmak c. Turquie (déc.), no 45016/18, § 50, 7 septembre 2021).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

i. Sur l’existence d’une ingérence

52. La Cour observe que l’infraction disciplinaire dont le requérant a été reconnu coupable concernait un message par lequel celui-ci avait partagé un article de presse dans son groupe de Facebook. La mesure incriminée portait donc essentiellement sur la liberté du requérant de communiquer et de recevoir des informations, composante de la liberté d’expression. Elle note par ailleurs que l’objection du Gouvernement quant à l’existence d’une ingérence est entièrement fondée sur des motifs qu’il reprend et développe dans son argumentation sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, et qu’elle ne saurait remettre en cause le fait que la sanction disciplinaire infligée au requérant constituait une ingérence dans l’exercice de la liberté protégée par l’article 10 de la Convention.

La Cour va dès lors examiner si cette ingérence était justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, tout en tenant compte de l’ensemble des raisons avancées par les parties.

ii. Sur la légalité de l’ingérence

53. La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi », au sens de l’article 10 § 2 de la Convention, non seulement veulent que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais aussi ont trait à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui, de surcroît, doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit. Nul ne conteste en l’espèce que l’ingérence en cause – la sanction disciplinaire ayant résulté de l’enquête disciplinaire – avait une base légale, à savoir l’article 65 § 2 a) de la loi no 2802, et que cette disposition était accessible au requérant.

54. Reste la question de savoir si la norme juridique en question remplissait également l’exigence de prévisibilité. La Cour rappelle que le niveau de précision requis de la législation interne – laquelle ne saurait parer à toute éventualité – dépend dans une large mesure du texte considéré, du domaine qu’il couvre et de la qualité de ses destinataires. Par ailleurs, une disposition légale ne se heurte pas à l’exigence qu’implique la notion « prévue par la loi » du simple fait qu’elle se prête à plus d’une interprétation. Enfin, il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne (Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, § 48, série A no 323).

55. La Cour note que dans un avis du 28 mars 2011, la Commission de Venise a qualifié la disposition concernée de vague et trop vaste et signalé le risque que le pouvoir disciplinaire en découlant soit utilisé pour sanctionner un juge dont les décisions judiciaires ne sont pas appréciées, sans qu’il ne soit fait explicitement référence à un tel motif. Elle note aussi la thèse du requérant selon laquelle le vrai motif de la sanction disciplinaire qui lui a été infligée était qu’il n’avait pas voté pour les candidats de la « Plateforme de l’union de la magistrature », directement soutenue par le ministère de la Justice.

56. Il ressort cependant des observations du requérant que la question essentielle en l’espèce est de savoir si son partage sur un groupe Facebook d’un article de presse s’interrogeant sur l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif a été la raison sous-jacente de la sanction disciplinaire qui lui a été infligée. Pour la Cour, cette question est étroitement liée à celle de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique dans les circonstances de l’espèce et à la lumière du but légitime poursuivi.

57. La Cour estime donc disposée à partir de l’hypothèse que l’article 65 § 2 a) de la loi no 2802 pouvait constituer une base légale prévisible pour l’ingérence dénoncée et elle poursuivra l’examen de l’affaire en recherchant si l’ingérence poursuivait un but légitime.

iii. Sur l’existence d’un but légitime

58. La Cour observe que, dans la présente affaire, le Gouvernement justifie essentiellement l’enquête et la sanction qu’elle a entraînée par le devoir de réserve et de retenue des magistrats. Elle relève qu’un certain nombre d’États contractants soumettent les membres de la fonction publique ou les magistrats à une obligation de retenue. En l’espèce, cette obligation faite aux magistrats repose sur la volonté de préserver leur indépendance tout comme l’autorité de leurs décisions. Pour la Cour, on peut donc considérer que l’ingérence qui en a résulté poursuivait au moins un des buts reconnus comme légitimes par la Convention, en l’occurrence la garantie de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire.

iv. Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique

59. La Cour rappelle que l’infraction disciplinaire dont le requérant a été reconnu coupable concernait un message par lequel il avait partagé un article de presse dans son groupe Facebook. Selon le CJP, ledit article, qui critiquait sévèrement l’institution publique et les agents publics concernés dans l’exercice de leurs fonctions administratives ou judiciaires, portait atteinte à la foi et à la confiance du public dans l’institution judiciaire en mettant en doute l’impartialité requise par sa fonction. Toujours selon le CJP, le requérant, en partageant cet article dans son groupe Facebook, avait fait preuve d’un comportement attentatoire à la dignité et à la confiance exigées par sa fonction officielle (voir ci-dessus, paragraphe 15).

60. La Cour note en premier lieu que lorsqu’il a partagé l’article litigieux, le requérant occupait le poste de magistrat spécialisé en matière pénale : il a été juge au tribunal correctionnel de Van avant d’être muté dans une cour d’assises. Or ces juridictions sont compétentes, selon la gravité des accusations, pour connaître des affaires portant sur des soupçons de corruption. On est donc en droit d’attendre du requérant qu’il use de sa liberté d’expression avec retenue, l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire étant susceptible d’être mises en cause. La Cour n’en estime pas moins que toute atteinte à la liberté d’expression d’un magistrat dans la situation du requérant appelle de sa part un examen attentif (voir, mutatis mutandis, Wille, précité, § 64).

61. La Cour observe aussi qu’en raison de ses pouvoirs en matière de sanction disciplinaire, de transfert, de promotion et même de révocation de la magistrature, le CJP exerce une influence très forte sur la carrière des magistrats. La protection de l’indépendance du CJP vis-à-vis des autres pouvoirs non judiciaires de l’État est non seulement l’un des principes fondamentaux du régime démocratique au sens de la Convention, mais elle constitue aussi, pour tous les magistrats, dont le requérant, un élément relevant directement de leur carrière professionnelle et un sujet à débattre et à clarifier afin que ceux-ci puissent poursuivre leurs activités judiciaires en toute indépendance et impartialité.

62. La Cour note à cet égard qu’il ressort de la teneur de l’article de presse que le requérant a partagé dans son groupe Facebook que cet article s’inscrivait dans un débat qui présentait un intérêt particulier pour les membres de la profession de magistrat, puisqu’il portait sur l’impartialité et l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’exécutif s’agissant des évènements relatifs au déclenchement des poursuites fondées sur des soupçons de corruption intervenues du 17 au 25 décembre 2013 et aux réactions du gouvernement contre ces poursuites. En effet, l’article en question exprimait des jugements de valeur selon lesquels certaines décisions du HCJP pouvaient s’apparenter à une faveur faite au pouvoir politique en ce que les magistrats qui avaient pris part aux poursuites des 17‑25 décembre 2013 en inculpant des suspects appartenant aux milieux proches du gouvernement avaient été sanctionnés, tandis que les magistrats qui avaient relaxé lesdits suspects avaient été récompensés en étant eux-mêmes relaxés des poursuites disciplinaires dirigées contre eux pour les fautes disciplinaires qui leur étaient reprochées.

63. Quant à la question de savoir si la « base factuelle » sur laquelle reposaient ces jugements de valeur était suffisante, la Cour considère que cette condition est remplie en l’espèce. En effet, aucun des organes disciplinaires ayant poursuivi le requérant pour le partage de l’article litigieux n’a déclaré que les faits cités dans l’article en question – à savoir les décisions disciplinaires prises à l’encontre de certains magistrats et en faveur d’autres magistrats – ne s’étaient pas produits. Les différentes instances du CJP se sont bornées à contester le jugement de valeur selon lequel les décisions disciplinaires incriminées pouvaient avoir été influencées par les décisions prises par les magistrats concernés au sujet des soupçons pesant sur certains milieux gouvernementaux.

64. La Cour considère donc que, replacés dans leur contexte, les jugements de valeur exprimés dans l’article partagé par le requérant s’inscrivaient dans un débat sur l’indépendance du HCJP vis-à-vis de l’exécutif, et en corallaire, sur la protection de l’indépendance et l’impartialité des magistrats. Elle estime sur ce point que le fait, pour un magistrat, de partager et de soumettre aux commentaires de ses collègues tous les points de vue exprimés dans la presse quant à l’indépendance de la justice fait forcément partie de la liberté de celui-ci de fournir ou de recevoir des informations dans un domaine crucial pour sa vie professionnelle.

65. Quant à la thèse du Gouvernement selon laquelle l’article posté par le requérant portait sur des allégations hypothétiques de nature politique, la Cour rappelle que les sujets relatifs à l’indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir politique relèvent d’une façon ou d’une autre de la politique globale concernant la structure et le fonctionnement de l’État. Le fait de qualifier de « spéculations politiques » les informations et les points de vue exprimés en la matière ne saurait suffire à lui seul pour restreindre la liberté de l’intéressé d’échanger des informations avec ses collègues magistrats dans un domaine touchant à l’essence de sa profession.

66. S’agissant de l’étendue de la diffusion du message incriminé, la Cour relève que le Gouvernement soutient que le partage de l’article litigieux par le requérant risquait de nuire à la respectabilité du pouvoir judiciaire aux yeux du public, car le groupe Facebook concerné comptait des milliers de membres, y compris des universitaires et des étudiants en droit. Toutefois, elle observe que tous les membres de ce groupe Facebook étaient des professionnels du droit, que les messages qui y étaient partagés n’étaient visibles qu’aux utilisateurs qui en étaient membres (groupe Facebook fermé) et que ce groupe n’était pas accessible à l’ensemble des internautes puisqu’il n’apparaissait pas dans les moteurs de recherche de sites Internet (groupe Facebook secret). Elle constate aussi que les commentaires formulés au sujet du message du requérant par lequel celui-ci avait partagé l’article incriminé provenaient de magistrats membres du groupe en question. D’ailleurs, la personne qui avait dénoncé le requérant au HCJP était elle-même un magistrat membre de ce groupe. De plus, il ressort de l’examen du dossier qu’aucune personne n’appartenant pas à la magistrature ne s’était manifestée. Il s’ensuit que le requérant a partagé l’article litigieux non pas avec l’opinion publique en général, mais dans un groupe de discussion réservé aux professionnels de la magistrature et fermé au grand public (mutatis mutandis, Guz c. Pologne, no 965/12, § 85 et 91, 15 octobre 2020).

67. Par ailleurs, la Cour rejette le postulat des autorités disciplinaires et du Gouvernement selon lequel le requérant avait manifesté l’intention de transmettre un message au public qui approuvait le contenu de l’article litigieux en le partageant bien qu’il n’eût pas formulé de commentaire indiquant qu’il y adhérait. Elle estime à cet égard que l’application d’un tel postulat, qui n’autoriserait les magistrats membres d’un groupe fermé à partager que les articles faisant l’éloge des autorités administratives et judiciaires supérieures et leur imposerait de passer sous silence les articles désapprouvant les actes et décisions de ces mêmes autorités, conduirait à une autocensure inutile dans leurs discussions sur des sujets touchant au cœur de leur profession.

68. De plus, on ne peut ignorer que l’infliction d’une sanction disciplinaire à un fonctionnaire appartenant au corps judiciaire emporte, par sa nature même, un effet dissuasif, non seulement sur le magistrat concerné lui-même, mais aussi sur la profession dans son ensemble (voir, par exemple, Eminağaoğlu, précité, § 124). Il en est particulièrement ainsi lorsque les magistrats échangent entre eux des idées et opinions sur des décisions du HCJP susceptibles d’avoir un effet sur leur indépendance vis-à-vis des autres pouvoirs étatiques.

69. Quant aux garanties procédurales dont le requérant aurait dû disposer contre toute éventuelle atteinte injustifiée à sa liberté d’expression, la Cour constate en premier lieu que le CJP n’a procédé de façon adéquate à aucun exercice de mise en balance entre le droit du requérant à la liberté d’expression et son devoir de réserve en tant que magistrat, conformément aux critères pertinents susmentionnés. Elle rappelle également que le CJP est un organe non juridictionnel et que les procédures suivies devant la Chambre statuant en première instance ainsi que celle devant l’Assemblée plénière, organe de recours, ne fournissent pas les garanties d’un contrôle juridictionnel (voir, dans le même sens, Eminağaoğlu, précité, § 99-101). La Cour observe en outre que le requérant n’a bénéficié d’aucun recours judiciaire contre la mesure prise contre lui par le CJP. En effet, le CJP est intervenu dans la présente affaire en première instance par sa deuxième chambre, et en dernière instance par son Assemblée plénière. Dès lors que l’article de presse que le requérant avait partagé s’interrogeait sur l’indépendance et l’impartialité du CJP vis-à-vis de l’exécutif dans le cadre de certaines procédures disciplinaires, force est de constater que le CJP est intervenu en l’espèce en qualité à la fois d’autorité accusatrice et d’autorité décisionnelle de dernière instance, et ce dans une affaire où étaient en cause certaines de ses propres décisions. Or il y a lieu de rappeler que lorsqu’une procédure disciplinaire est engagée contre un juge, il y va de la confiance du public dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire. C’est pourquoi tout magistrat qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire doit disposer de garanties contre l’arbitraire. L’intéressé doit notamment avoir la possibilité de faire contrôler la mesure litigieuse par un organe indépendant et impartial pour statuer sur la légalité de la mesure et sanctionner un éventuel abus des autorités (Eminağaoğlu, précité, § 150). La Cour constate que tel n’a pas été le cas en l’espèce.

70. À la lumière des considérations ci-dessus, et compte tenu de l’importance primordiale de la liberté d’expression sur les questions d’intérêt général, la Cour conclut que la sanction disciplinaire infligée au requérant ne répondait à aucun besoin social impérieux et, de ce fait, ne constituait pas une mesure « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 10 § 2.

Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION combiné avec l’article 10

71. Le requérant allègue notamment qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif pour contester la sanction disciplinaire dont il a fait l’objet. Il invoque l’article 13 de la Convention, dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

72. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

73. Le requérant fait observer d’abord qu’en raison de l’article 159 de la Constitution turque, qui stipule que les décisions du CJP autres que celles portant révocation de la magistrature ne sont pas susceptibles de contrôle juridictionnel, il ne disposait d’aucune voie de recours judiciaire pour contester devant un tribunal le blâme lui ayant été infligé.

74. Le requérant avance ensuite que les membres de la deuxième chambre du CJP appelés à réexaminer la sanction disciplinaire contestée étaient incontestablement ceux qui lui avaient infligé la sanction en question. Il souligne également que le recours qu’il avait introduit auprès de l’Assemblée générale du CJP a été examiné par douze membres, dont six avaient déjà siégé en tant que membres de la deuxième chambre du CJP qui avait prononcé la sanction objet de son recours. Il soutient que le fait que le rapporteur auteur d’un rapport sur un dossier examiné par une chambre du CJP ne puisse pas exercer cette fonction lorsque le même dossier est examiné par l’Assemblée générale ne change rien à ce manque d’impartialité, dès lors, selon lui que l’infliction de sanctions disciplinaires relève de la compétence exclusive des membres, et non des rapporteurs.

75. Le Gouvernement soutient que les exigences de l’article 13 de la Convention ont été satisfaites puisque les personnes concernées par une décision du CJP peuvent en demander le réexamen dans un délai de dix jours à compter de la réception de la notification de la décision. Il ajoute que les personnes concernées peuvent exercer un recours contre la décision rendue à l’issue du réexamen dans un délai de dix jours à compter de la réception de la notification, et que pareil recours est ensuite examiné et tranché par l’Assemblée générale. Il fait observer que dans la présente affaire, le requérant a utilisé ces voies de recours et qu’en dernier ressort, son recours a été rejeté à l’unanimité par les douze membres de l’Assemblée générale du CJP.

76. Le Gouvernement considère que l’indépendance des membres du CJP est garantie par les dispositions de la Constitution et de la loi pertinente et qu’il n’y a en l’espèce aucune preuve concrète qui puisse donner à penser que les membres du CJP n’étaient pas indépendants et impartiaux.

77. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne devant une instance habilitée à examiner le contenu d’un grief défendable fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000-XI).

78. En l’espèce, dès lors que la Cour a conclu plus haut qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention, le caractère défendable de ce grief ne fait pas de doute.

79. La Cour estime que sa jurisprudence établie dans les arrêts Kayasu c. Turquie, nos 64119/00 et 76292/01, § 121, 13 novembre 2008, et Özpınar c. Turquie, (no 20999/04, §§ 84‑85, 19 octobre 2010) quant à l’absence d’impartialité du HCJP, en ses formations appelées à connaître du recours des intéressés, s’appliquent également dans la présente affaire. En effet, les six membres de la chambre du CJP qui avait infligé au requérant la sanction disciplinaire litigieuse siégeaient à l’Assemblée plénière du CJP appelée à statuer sur le recours de l’intéressé. De plus, ce dernier ne disposait d’aucune autre voie de recours contre cette décision définitive de l’Assemblée plénière.

80. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le requérant n’a pas bénéficié d’une voie de recours répondant aux exigences minimales de l’article 13 pour faire valoir son grief sur le terrain de l’article 10 de la Convention.

Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 10.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

81. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

82. Le requérant demande 50 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

83. Le Gouvernement estime ce montant excessif.

84. La Cour octroie au requérant 6 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

85. Le requérant réclame 4 000 EUR au titre des honoraires versés à son avocat et 5 000 livres turques (TRY) au titre des frais et dépens qu’il a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Il joint à sa demande copie d’une convention d’honoraires conclue entre lui et son avocat, aux termes de laquelle il s’engage à lui verser 4 000 EUR.

86. Le Gouvernement estime ces montants excessifs et souligne l’absence de documents de nature à étayer les prétentions émises.

87. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 4 000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

88. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 10 ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er mars 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı                           Jon Fridrik Kjølbro
Greffier adjoint                                Président

Dernière mise à jour le avril 28, 2022 par loisdumonde

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