AFFAIRE ÇOKBİLGİN ET AYVAZ c. TURQUIE (Cour européenne des droits de l’homme) 3625/05

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ÇOKBİLGİN ET AYVAZ c. TURQUIE
(Requête no 3625/05)
ARRÊT
(Révision)
STRASBOURG
1er mars 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Çokbilgin et Ayvaz c. Turquie (demande en révision de l’arrêt du 8 décembre 2020),

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Branko Lubarda, président,
Jovan Ilievski,
Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. Les requérants sont nés, respectivement, en 1958 et en 1967 et résident à Istanbul. Ils ont été représentés l’un par Me S. Çığgın, avocat à Antalya, et l’autre Me A. Becerik, avocate à Istanbul.

2. Par un arrêt du 8 décembre 2020, la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l’imposition de mesures conservatoires sur les biens des requérants bénéficiant d’une ordonnance de non-lieu, au motif qu’une procédure pénale pour détournement de fonds publics diligentée à l’encontre des dirigeants de l’Imarbank était en cours devant les tribunaux nationaux, et du maintien de ces mesures. Par le même arrêt, elle a aussi décidé de rayer du rôle la partie de la requête relative à la question de l’application de l’article 41 de la Convention, pour autant qu’elle concerne la demande d’indemnisation du dommage matériel et moral découlant selon les requérants de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. La Cour a également décidé d’allouer à Müştak Ayvaz 12 500 euros (EUR) pour frais et dépens et a rejeté les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.

3. Le 8 mars 2021, le Gouvernement a demandé à la Cour la révision de la partie du jugement sur la satisfaction équitable. Il a indiqué que dans l’arrêt Uzan et autres c. Turquie (satisfaction équitable) (nos 19620/05 et 3 autres, § 23, 5 décembre 2019), la Cour a décidé de rayer du rôle la partie de la requête relative à la question de l’application de l’article 41 de la Convention concernant les demandes d’indemnisation pour dommages matériel et moral résultant d’une violation de l’article 1 du protocole no 1 de la Convention au motif que la Commission d’indemnisation mise en place par la loi no 6284 était compétente pour examiner et trancher lesdites demandes ; que, toutefois, dans l’arrêt en question, la Cour n’a pas précisé explicitement pour quelle raison elle avait décidé de rayer du rôle la partie de la requête relative à la question de l’application de l’article 41 de la Convention ; qu’il n’y a pas d’énonciation claire dans le jugement faisant référence à la Commission d’indemnisation ; que cela pouvait entraîner une hésitation pour les autorités nationales dans l’exécution du jugement. Pour cette raison, le Gouvernement est d’avis que l’arrêt devrait être révisé par la Cour. Dans ce contexte, le Gouvernement tient à indiquer que si la Cour considère que le règlement des demandes susmentionnées relève de l’autorité de la Commission d’indemnisation, cela devrait être indiqué explicitement dans l’arrêt. En conséquence, il a demandé la révision de l’arrêt, au sens de l’article 80 du règlement de la Cour.

4. Le 18 mai 2021, la Cour a examiné la demande en révision et a décidé d’accorder aux représentant des requérants un délai de six semaines pour présenter d’éventuelles observations. Par une lettre du 2 juillet 2021, la représentante de M Çokbilgin, Me A. Becerik, a fait parvenir ses observations dans lesquelles elle a indiqué que le jugement n’avait pas besoin d’être révisé et que cette procédure allait retarder son exécution. Me S. Çığgın, la représentante de M Ayvaz, a transmis ses observations par une lettre du 5 juillet 2021. Elle soutient également que le jugement n’a pas besoin d’être révisé ; mais que, dans le cas où la Cour procèderait à une révision, elle prie la Cour d’insérer dans le jugement révisé le paragraphe 37 de l’arrêt Uzan et autres, précité.

EN DROIT

I. SUR LA DEMANDE EN RÉVISION

5. Le Gouvernement demande la révision de l’arrêt du 8 décembre 2020, qu’il n’a pu exécuter en raison du fait que la Cour n’a pas précisé explicitement pour quelle raison elle a décidé de rayer du rôle la partie de la requête relative à la question de l’application de l’article 41 de la Convention.

6. Les représentants des requérants indiquent que l’arrêt n’a pas besoin d’être révisé, sans pour autant s’y opposer formellement.

7. La Cour rappelle que, selon l’article 44 de la Convention, ses arrêts sont définitifs et que, dans la mesure où elle remet en question ce caractère définitif, la procédure en révision, non prévue par la Convention mais instaurée par le règlement de la Cour, revêt un caractère exceptionnel : d’où l’exigence d’un examen strict de la recevabilité de toute demande en révision d’un arrêt de la Cour dans le cadre d’une telle procédure (Pardo c. France (révision – recevabilité), 10 juillet 1996, § 21, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, Gustafsson c. Suède (révision – bien-fondé), 30 juillet 1998, § 25, Recueil 1998‑V, Stoicescu c. Roumanie (révision), no 31551/96, § 33, 21 septembre 2004, et Irlande c. Royaume-Uni (révision), no 5310/71, §§ 78‑79 et 120-122, 20 mars 2018).

8. La Cour doit donc déterminer s’il y a lieu de réviser l’arrêt prononcé le 20 juin 2017 par application de l’article 80 de son règlement qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, est ainsi libellé :

« En cas de découverte d’un fait qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie, cette dernière peut (…) saisir la Cour d’une demande en révision de l’arrêt dont il s’agit. (…) »

9. Il y a donc lieu d’établir en l’espèce si ces conditions sont remplies (Pennino c. Italie (révision), no 43892/04, § 11, 8 juillet 2014, Petroiu et autres c. Roumanie (révision), no 30105/05, §§ 11 et suiv., 14 juin 2016, et Cumhuriyetçi Eğitim Ve Kültür Merkezi Vakfı c. Turquie (révision), no 32093/10, § 9, 19 février 2019).

10. La Cour constate que le Gouvernement ne se réfère à la découverte d’aucun fait « qui, par sa nature, aurait pu exercer une influence décisive sur l’issue d’une affaire déjà tranchée et qui, à l’époque de l’arrêt, était inconnu de la Cour et ne pouvait raisonnablement être connu d’une partie », au sens de l’article 80 de son règlement. Il semble plutôt avoir des doutes quant à une référence à l’arrêt Uzan et autres c. Turquie (satisfaction équitable), nos 19620/05 et 3 autres, §§ 27‑39, 5 décembre 2019.

11. Dans l’arrêt en espèce, la Cour a rappelé qu’elle avait déjà eu l’occasion de se prononcer, dans l’arrêt Uzan et autres c. Turquie (satisfaction équitable), nos 19620/05 et 3 autres, §§ 27‑39, 5 décembre 2019, sur des demandes identiques à celles présentées ici par les requérants, et qu’elle avait alors décidé de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à l’article 41 de la Convention pour autant qu’elle concernait les demandes d’indemnisation pour dommage matériel et moral.

12. Dans l’arrêt Uzan et autres c. Turquie (satisfaction équitable), la Cour a constaté que, par une ordonnance présidentielle no 809 du 7 mars 2019 publiée dans le Journal officiel le 8 mars 2019, le champ de compétence ratione materiae de la Commission d’indemnisation créée par la loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines requêtes introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme avait été élargie (§ 24 et suivants), et elle a estimé qu’un recours devant la Commission d’indemnisation, dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt final, était susceptible de donner lieu à une indemnisation par l’administration et que ce recours représentait un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (§ 33)).

13. Toujours dans l’arrêt Uzan et autres c. Turquie, s’agissant du dommage matériel allégué, la Cour a conclu que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et a estimé dès lors qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur la demande présentée par les requérantes à ce titre. Elle a estimé par conséquent qu’il ne se justifiait plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). Elle a noté qu’elle était, en outre, d’avis qu’il n’existait pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Par ailleurs, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de sa compétence en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention de réinscrire la requête lorsqu’elle estime que les circonstances justifient une telle procédure (Gümrükçüler et autres, précité, § 42, et Uzan et autres c. Turquie (satisfaction équitable), précité, § 37).

14. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour a observé, dans l’arrêt Uzan et autres c. Turquie que, en vertu de l’ordonnance présidentielle précitée, la Commission d’indemnisation est également compétente pour examiner les demandes pour préjudice moral et pour statuer sur celles-ci. Par conséquent, à la lumière de ses conclusions au regard du préjudice matériel, elle avait a estimé qu’il y avait lieu également de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention concernant la demande pour dommage moral en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Uzan et autres c. Turquie (satisfaction équitable), précité, § 37).

15. Ayant examiné les demandes des requérants de la présente affaire à la lumière de l’arrêt Uzan et autres (précité, §§ 37-39), et dans la mesure où la Cour a conclu dans cet arrêt que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et a estimé que la commission d’indemnisation est compétente pour examiner les demandes pour préjudice matériel ainsi que pour préjudice moral, elle n’a décelé aucun fait, aucun argument ni aucune circonstance particulière susceptibles de la mener à une conclusion différente en l’espèce. En d’autres termes, la Cour a estimé que les requérants devaient saisir la Commission d’indemnisation pour leurs demandes relatives au préjudice matériel ainsi que pour pécuniaire moral pour les mêmes raisons que dans l’affaire Uzan et autres.

16. En l’absence de découverte d’aucun fait au sens de l’article 80 de son règlement, la Cour décide de rejeter la demande en révision du Gouvernement.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

Décide de rejeter la demande en révision de l’arrêt du 8 décembre 2020 quant à l’application de l’article 41 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er mars 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı                       Branko Lubarda
Greffier adjoint                          Président

Dernière mise à jour le mars 1, 2022 par loisdumonde

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