La requête concerne les conditions de détention du requérant dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique et l’absence de recours effectif à cet égard.
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE TOUSIOS c. GRÈCE
(Requête no 36296/19)
ARRÊT
Art 3 (matériel) • Traitement dégradant• Mauvaises conditions de détention durant quinze jours dans les locaux de la direction de la sécurité • Constat du CPT des conditions de détention extrêmement mauvaises dans ces locaux
Art 13 (+ Art 3) • Absence de recours effectif
STRASBOURG
10 février 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Tousios c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une Chambre composée de :
Marko Bošnjak, président,
Péter Paczolay,
Krzysztof Wojtyczek,
Alena Poláčková,
Raffaele Sabato,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Renata Degener, greffière de section,
Vu :
la requête (no 36296/19) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Konstantinos Tousios (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 3 juillet 2019,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 3 et 13 de la Convention (conditions de détention dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique et absence de recours effectif à cet égard) et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 janvier 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne les conditions de détention du requérant dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique et l’absence de recours effectif à cet égard.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1960 et est représenté par Me C. Giosis, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par le délégué de son agent, M. G. Avdikos, auditeur au Conseil juridique de l’État.
Les circonstances de l’espèce
1. L’arrestation et le placement en détention du requérant
4. Le 23 janvier 2019, le requérant fut arrêté.
5. Le 24 janvier 2019, vers minuit vingt, le requérant fut placé dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique. Il était accusé d’adhésion et de participation à une organisation criminelle ainsi que de trafic de migrants.
6. Le 7 février 2019, il fut transféré à la prison de Diavata.
7. Le 22 mai 2019, il fut acquitté par la cour d’appel criminelle de Thessalonique (arrêt no 1154/2019). Le 23 mai 2019, il fut remis en liberté.
2. Les conditions de détention dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique
a) La version du requérant
8. Le requérant allègue qu’il partageait avec dix à quinze autres personnes une cellule qui ne comportait que trois lits en ciment longs de 1,5 m, où les détenus n’avaient pas de place pour s’asseoir. Il ajoute que les détenus souffrant d’hépatite n’étaient pas séparés des autres, et que ces derniers craignaient de contracter une maladie contagieuse. Il explique que les locaux étaient surpeuplés parce que les autorités avaient à l’époque des faits procédé à plusieurs interpellations, arrêtant au moins 80 personnes entre le 24 janvier 2019 et le 7 février 2019. Il avance en outre que les conditions d’hygiène étaient mauvaises, que les cellules n’étaient pas nettoyées, qu’il n’y avait ni lumière naturelle ni ventilation suffisante et que la nourriture était de piètre qualité.
b) La version du Gouvernement
9. Le Gouvernement soutient que, pendant la période considérée, les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique n’étaient pas surpeuplés. Il nie que le requérant ait été détenu avec dix à quinze autres personnes dans une cellule équipée de trois lits. Il avance que ces locaux sont entrés en service récemment, en juin 2004, et qu’ils ont été conçus conformément aux spécifications techniques prévues par la loi afin de garantir des conditions de détention satisfaisantes. Il ajoute que les locaux de détention destinés aux hommes sont composés de 15 cellules d’une capacité totale de 55 personnes et que, pendant la période considérée, 39 hommes y étaient détenus, ce qui exclut que les locaux aient été surpeuplés. Il affirme qu’il est impossible de savoir dans quelle cellule le requérant était détenu mais que, si l’on accepte l’allégation de l’intéressé selon laquelle sa cellule était équipée de trois lits, les cellules correspondant à cette description mesurent 5,77 m2 ou 5,25 m2 et trois détenus au maximum y étaient détenus tandis que, s’il est vrai qu’il a été détenu avec dix autres personnes, il disposait dans sa cellule d’un espace personnel de 3,13 m2. Selon le Gouvernement, les lits en ciment mesurent 200 x 80 cm ou 200 x 150 cm. Les cellules seraient conçues afin que les détenus puissent s’y reposer. Elles ne disposeraient d’aucun autre équipement que les lits et le linge, et la loi ne prévoirait aucun autre aménagement car les locaux des commissariats de police seraient par nature prévus pour de courtes périodes de détention.
10. Le Gouvernement précise que les locaux réservés aux hommes sont équipés de sept douches et de sept toilettes et que ces dernières sont nettoyées pendant la nuit et accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il ajoute que les autorités prennent toutes les mesures nécessaires afin de garantir l’hygiène des détenus en leur distribuant des articles d’hygiène personnelle, que des matelas et des couvertures nettoyés une fois par semaine leur sont également distribués, que de l’eau chaude est disponible pendant toute la journée, que les poubelles se trouvent à l’extérieur des cellules, dans les espaces communs, et que des inspections ont lieu régulièrement pour vérifier l’absence d’anomalies et d’avaries. Il avance qu’un médecin est disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et que les détenus sont transférés à l’hôpital, si besoin, que l’administration des médicaments est assurée par les policiers et que les détenus qui présentent des symptômes de maladie contagieuse sont transférés dans des cellules séparées. Il assure que les cellules sont suffisamment éclairées et ventilées, que les détenus reçoivent deux repas par jour, qu’ils peuvent recevoir la visite des membres de leur famille quatre fois par semaine et qu’il leur est toujours possible d’avoir accès à un avocat et de téléphoner. Il indique que le requérant a reçu 11 visites, qui ont duré chacune vingt minutes environ. Il concède que les détenus n’ont pas la possibilité de se promener ou de manger en dehors des cellules.
3. Le recours introduit par le requérant contre sa détention
11. Le 25 janvier 2019, le requérant introduisit une demande de remplacement de sa détention par des mesures restrictives devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Thessalonique.
12. Le 5 avril 2019, sa demande fut rejetée (décision no 226/2019).
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
13. Les dispositions du droit interne pertinentes en l’espèce sont décrites dans l’arrêt A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 22-32, 13 juin 2013).
14. L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé :
« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »
15. Dans son rapport du 9 avril 2020 établi à la suite de sa visite en Grèce du 28 mars au 9 avril 2019, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») rappelait que des prévenus pouvaient être détenus par la police pendant une durée maximum de vingt-quatre heures avant d’être présentés devant le juge compétent. Il précisait que ce juge devait, dans un délai de trois jours, soit libérer le détenu soit décider de son maintien en sa détention, et qu’à la demande du détenu ou dans des circonstances exceptionnelles, ce délai pouvait être prolongé de deux jours. Il s’ensuivait, selon le CPT, qu’un prévenu ne pouvait être maintenu en garde à vue (in police custody) que pendant six jours au maximum (paragraphe 77 du rapport).
16. Dans son rapport, le CPT précisait avoir déjà critiqué dans ses précédents rapports les conditions de détention constatées dans plusieurs commissariats de police en Grèce, et avoir souligné que la plupart des commissariats visités n’étaient pas adaptés à des périodes de détention de plus de vingt-quatre heures (paragraphe 102 du rapport). Quant aux conditions de détention dans les locaux du troisième étage de la direction générale de la police de Thessalonique, le CPT constatait dans son rapport qu’elles étaient extrêmement mauvaises (extremely poor). Il y précisait que le jour sa visite, 35 personnes y étaient détenues, y compris des femmes, pour une capacité de 72 personnes, que quatre cellules n’étaient pourtant pas utilisées, que la zone de détention était plongée dans l’obscurité, que les détenus se plaignaient de la présence de punaises de lit et du manque de produits d’hygiène, que les cellules étaient sales et non équipées de sonnettes d’appel, que les détritus s’entassaient dans les couloirs, et que les matelas étaient poussiéreux et les couvertures usées et sales. Il observait également que les blocs sanitaires étaient dans un mauvais état d’hygiène et d’entretien, précisant que la délégation avait signalé des égouts ouverts, des douches cassées, des toilettes bouchées, de l’eau stagnante dans les grands lavabos, des sols sales, des déchets humains et des détritus. Il précisait que bien que cette situation eût été portée à l’attention des autorités locales et centrales, aucune mesure n’avait encore été prise. Enfin, il indiquait que l’absence persistante d’une cour d’exercice en plein air faisait de ce lieu de détention un endroit inadapté à des séjours de plus de vingt-quatre heures (paragraphe 105 du rapport).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
17. Le requérant se plaint de ses conditions de détention dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
18. Le Gouvernement allègue que, faute d’avoir introduit une action indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il indique que le requérant a introduit sa requête le 3 juillet 2019, c’est-à-dire après son transfert à la prison de Diavata. Il en déduit que la requête de l’intéressé ne visait pas à l’amélioration de ses conditions de détention dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique, mais uniquement à l’obtention d’une indemnisation. Or il estime que le requérant aurait pu obtenir réparation devant les juridictions administratives dans le cadre d’une action indemnitaire fondée sur les dispositions des décrets présidentiels nos 141/1991 et 254/2004, ainsi que sur l’article 3 de la Convention. Il plaide que l’absence de jurisprudence des juridictions internes dans ce domaine n’est pas un argument décisif pour conclure à l’absence en l’espèce de recours effectif à épuiser. Il avance que, faute pour les détenus concernés d’avoir engagé des actions indemnitaires, les juridictions internes n’ont pas eu l’occasion de faire évoluer leur jurisprudence en la matière. Enfin, il renvoie à un arrêt de la cour d’appel d’Athènes (no 2390/2005) ayant alloué à un détenu la somme de 3 000 euros en réparation du dommage subi par celui-ci du fait de ses conditions de détention dans un centre de rétention.
19. Le requérant rétorque qu’il ne disposait d’aucun recours effectif à épuiser. Il plaide que l’action indemnitaire prévue par l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil n’offre pas aux intéressés la possibilité de modifier leur situation mais uniquement d’obtenir une indemnisation. Il ajoute qu’il avait introduit le 25 janvier 2019 une demande de remplacement de sa détention par des mesures restrictives (paragraphe 11 ci-dessus).
20. La Cour considère que l’exception du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief formulé par le requérant sur le terrain de l’article 13 de la Convention. Elle décide par conséquent de la joindre au fond.
21. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.
B. Sur le fond
22. Le requérant soutient que ses conditions de détention dans les locaux en cause n’étaient pas conformes à l’article 3 de la Convention. Il se réfère à sa version des conditions de détention (paragraphe 8 ci-dessus). Il ajoute que, selon le droit interne, les autorités auraient dû le transférer promptement dans une prison. Quant au point de savoir dans quelle cellule il a été détenu, le requérant plaide qu’il incombe au gouvernement de conserver des informations sur les détenus.
23. Le Gouvernement plaide que le requérant a été détenu pendant quinze jours seulement dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique, immédiatement après son arrestation et jusqu’à ce que son transfert à la prison de Diavata fût possible. Il estime que cette période très courte n’est pas susceptible d’emporter violation de l’article 3 de la Convention. Qui plus est, il avance que dans sa requête, le requérant n’a fourni qu’une description très incomplète des conditions dans lesquelles il a été détenu. Renvoyant à sa version des conditions de détention (paragraphes 9 et 10 ci-dessus), il soutient que le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention n’a pas été atteint en l’espèce. Il ajoute que le requérant n’a pas démontré en quoi les conditions de détention l’ont affecté personnellement.
24. La Cour rappelle qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, d’affaires relatives aux conditions de détention de personnes placées en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion dans des locaux de police, et qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans ces affaires (Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009, Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009, Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, Efremidi c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011, Aslanis c. Grèce, no 36401/10, 17 octobre 2013, Chazaryan et autres c. Grèce (comité), 76951/12, 16 juillet 2015). Abstraction faite des déficiences particulières quant à la détention des intéressés dans chacune des affaires précitées – ayant notamment trait à la surpopulation, au manque d’espace extérieur de promenade, à l’insalubrité et à la qualité de la restauration – la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 de la Convention sur la nature même des commissariats de police, lesquels sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein de commissariats de police comprises entre un et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 de la Convention (Siasios et autres, § 32, Vafiadis, §§ 35-36, Shuvaev, § 39, Tabesh, § 43, Efremidi, § 41, et Aslanis § 39, Chazaryan et autres c. Grèce, § 63, tous précités).
25. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique du 24 janvier 2019 vers minuit vingt au 7 février 2019, soit pendant quinze jours. Pendant cette période, le requérant n’avait pas la possibilité de se promener ou de manger en dehors de sa cellule, comme l’admet le Gouvernement (paragraphe 10 ci‑dessus). La Cour note en outre que ces locaux sont destinés à accueillir des personnes pour de courtes durées et que l’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 interdit la détention de prévenus et de condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat dans une prison n’est pas possible (paragraphe 14 ci-dessus). Elle ajoute que, selon le CPT, un prévenu ne peut être maintenu en garde à vue que pendant six jours au maximum (paragraphe 15 ci-dessus).
26. La Cour note en outre qu’à la suite de sa visite dans les locaux en cause du 28 mars au 9 avril 2019, soit peu après le transfert du requérant dans la prison de Diavata, le CPT a constaté que les conditions de détention dans ces locaux étaient extrêmement mauvaises. Elle souligne que selon le CPT, l’absence persistante d’une cour d’exercice en plein air faisait de ce lieu de détention un endroit inadapté à des séjours de plus de vingt-quatre heures (paragraphe 16 ci-dessus).
27. La Cour déduit des considérations qui précèdent, au terme d’une appréciation globale des circonstances ci-dessus, et notamment des conditions matérielles de détention du requérant dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique, de la durée de celle-ci et des constats du CPT concernant les locaux en cause, que, dans les circonstances particulières de l’espèce, le traitement en cause a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à cet égard.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
28. Le requérant allègue qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif afin de se plaindre de ses conditions de détention dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
29. Le Gouvernement renvoie à ses observations sur la recevabilité de l’article 3 de la Convention.
30. Le requérant rétorque qu’il n’a disposé d’aucun recours effectif à épuiser.
31. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
32. Le requérant plaide qu’il n’a disposé d’aucun recours effectif et renvoie à ses arguments relatifs à la question de l’épuisement des voies des recours internes (paragraphe 19 ci-dessus).
33. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ce grief, au motif selon lui que le requérant n’a pas de grief défendable sous l’angle de l’article 3 de la Convention.
34. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours pour les griefs que l’on peut estimer « défendables » au regard de la Convention. Un tel recours doit habiliter l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition et même si la portée de ces obligations varie en fonction de la nature du grief que le requérant tire de la Convention. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 de la Convention doit être « effectif » en pratique comme en droit (Mc Glinchey et autres c. Royaume-Uni, no 50390/99, § 62, CEDH 2003-V).
35. La Cour rappelle en outre qu’elle a déjà jugé, dans des affaires similaires, que l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil ne saurait être considéré comme un recours effectif à épuiser (voir, à titre d’exemple, Aslanis c. Grèce, no 36401/10, §§ 29-33, 17 octobre 2013). La Cour constate que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument susceptible de la conduire à une conclusion différente en l’espèce.
36. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l’exception du Gouvernement doit être rejetée (paragraphe 20) et qu’il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 en ce qui concerne les conditions de détention dans les locaux de la direction de la sécurité de Thessalonique.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
37. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
38. Le requérant demande 25 000 euros (EUR) au titre du dommage matériel et moral qu’il estime avoir subi.
39. Le Gouvernement plaide que la somme en cause est excessive et injustifiée. Il ajoute que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction suffisante.
40. La Cour octroie au requérant 5 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
41. Le requérant réclame 2 500 EUR au titre des frais et dépens. Il ne produit pas de facture à l’appui de ses prétentions.
42. Le Gouvernement rétorque que ce montant est excessif et que le requérant n’a pas fourni de justificatif à cet égard.
43. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de l’absence de justificatif y relatif, la Cour rejette la demande présentée au titre des frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
44. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond, l’exception préliminaire du Gouvernement tiré du
non-épuisement des voies des recours internes et la rejette ;
2. Déclare, la requête recevable ;
3. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
4. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 ;
5. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette, le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Renata Degener Marko Bošnjak
Greffière Président
Dernière mise à jour le février 10, 2022 par loisdumonde
Laisser un commentaire