N.M. et autres c. France (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 259
Février 2022

N.M. et autres c. France – 66328/14

Arrêt 3.2.2022 [Section V]

Article 1 du Protocole n° 1
Article 1 al. 1 du Protocole n° 1
Privation de propriété

Absence d’indemnisation, des charges résultant du handicap d’un enfant né comme tel en raison d’une faute lors du diagnostic prénatal, par application rétroactive de la loi : violation

En fait – Les parents d’un enfant né handicapé, en 2001, ont engagé en 2006 en leur nom propre et pour le compte de leur enfant une action en responsabilité pour faute du centre hospitalier étant donné, qu’en raison d’une erreur médicale, le diagnostic prénatal n’avait détecté aucune anomalie. Ils demandèrent réparation entre autres des dépenses liées au handicap.

De nouvelles dispositions législatives (codifiées à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles (CASF)), qui interdisent d’inclure de telles charges dans le préjudice indemnisable, sont entrées en vigueur le 7 mars 2002, soit après la naissance de l’enfant des requérants (en 2001) mais avant l’introduction de leur demande de réparation du préjudice subi (en 2006). Les dispositions transitoires de cette loi prévoyaient son application rétroactive. Toutefois, en 2010, le Conseil constitutionnel les abrogea, par une décision sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Cette décision donna lieu à deux interprétations différentes du Conseil d’État et de la Cour de cassation quant à l’applicabilité de l’article L. 114-5 du CASF à des actions en justice relatives à des faits générateurs antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi en cause mais engagées postérieurement à celle-ci. Le Conseil d’État jugea que les nouvelles dispositions étaient applicables à pareille situation au contraire de la Cour de cassation qui considéra que devaient s’appliquer les conditions de droit commun selon lesquelles s’applique la loi en vigueur à la date de survenance du dommage.

Dans la présente affaire, en 2014, le Conseil d’État jugea que faute d’avoir, pour les requérants, engagé une instance avant l’entrée en vigueur de la loi en cause (le 7 mars 2002), l’article L. 114-5 du CASF était applicable au litige et en déduisit que cela faisait obstacle à l’indemnisation des frais de prise en charge de l’enfant handicapé tout au long de sa vie à laquelle donnait droit une jurisprudence constante jusqu’à l’intervention de cette loi .

En droit – Article 1 du Protocole n° 1 :

Compte tenu des principes de droit commun français et de la jurisprudence constante en matière de responsabilité selon lesquels la créance en réparation prend naissance dès la survenance du dommage qui en constitue le fait générateur, les requérants pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice correspondant aux frais de prise en charge de leur enfant handicapé dès la survenance du dommage, à savoir la naissance de cet enfant, antérieure à l’intervention de la loi litigieuse. Ils étaient donc titulaires d’un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1, lequel s’applique dès lors en l’espèce.

L’application au litige porté par les requérants des dispositions de l’article L. 114-5 du CASF qui ont exclu par principe l’indemnisation des frais liés à la prise en charge du handicap de leur fils constitue une ingérence s’analysant en une privation de propriété.

En premier lieu, selon les termes de la décision QPC du Conseil constitutionnel, l’ensemble du dispositif transitoire ayant prévu l’application rétroactive de l’article L. 114-5 du CASF est abrogé. Ceci laisse immédiatement place à l’application des règles de droit commun relatives à l’application de la loi dans le temps. L’article L. 114-5 du CASF ne saurait donc être appliqué à des faits nés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, quelle que soit la date d’introduction de l’instance.

En second lieu, il existe une divergence entre l’interprétation retenue, de manière prétorienne, par le Conseil d’État de la volonté du législateur et de la portée de l’abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel et celle retenue par la Cour de cassation. Dans ces conditions, la légalité de l’ingérence en l’espèce résultant de l’application, par la décision du Conseil d’État, de l’article L. 114-5 du CASF, ne pouvait pas trouver un fondement dans une jurisprudence constante et stabilisée des juridictions internes. Ainsi l’atteinte rétroactive portée aux biens des requérants ne saurait être regardée comme ayant été « prévue par la loi » au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

Conclusion : violation (unanimité)

Article 41 : satisfaction équitable réservée.

(Voir aussi Maurice c. France [GC], 11810/03, 6 octobre 2005, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le février 3, 2022 par loisdumonde

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