AFFAIRE MUHARREM GUNES ET AUTRES c. TURQUIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 23060/08

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MUHARREM GÜNEŞ ET AUTRES c. TURQUIE
(Requête no 23060/08)
ARRÊT

Article 1 du Protocole no 1 • Privation de propriété • Rejet de revendications de propriété sur des biens enregistrés comme propriété du Trésor lors des travaux du cadastre en présence d’un titre de propriété décerné préalablement sur décision judiciaire aux requérants • Délai particulièrement long, près de quarante-six ans, entre l’annulation définitive au profit du Trésor public du titre de propriété des requérants régulièrement immatriculé et le jugement qui avait établi leur titre • Bonne foi des requérants • Rectification d’erreurs des autorités publiques ne devant pas se faire au détriment des requérants • Absence de réaction des autorités nationales avec la célérité requise et conformément au principe de bonne gouvernance et de sécurité juridique • Juste équilibre rompu au détriment des requérants

STRASBOURG
24 novembre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Muharrem Güneş et autres c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Marko Bošnjak,
Aleš Pejchal,
Egidijus Kūris,
Branko Lubarda,
Pauliine Koskelo,
Saadet Yüksel, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 23060/08) dirigée contre la République de Turquie et dont 9 ressortissants de cet État, lesquels sont listés en annexe, (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 mai 2008,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 novembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

La requête concerne le rejet des revendications de propriété des requérants sur plusieurs biens enregistrés comme propriété du Trésor lors des travaux du cadastre et la non-prise en compte du titre de propriété qui avait été décerné sur décision judiciaire en 1951 et qui reconnaissait le droit de propriété des requérant sur lesdits biens.

EN FAIT

1. Les noms, années de naissance et lieux de résidence des requérants sont indiqués en annexe. Les intéressés ont été représentés par Mes M. Beştaş et M.T. Abay, avocats à Diyarbakır.

2. Le Gouvernement a été représenté par son agent.

A. L’enregistrement du bien comme propriété du de cujus des requérants

3. En 1951, Adem Güneş, le de cujus du requérant, initia devant le tribunal de grande instance d’Eğil (« le TGI ») une action en revendication de propriété d’un terrain de 912 décarres (« le bien ») fondée sur la prescription acquisitive.

4. Par un jugement du 24 septembre 1951, après avoir procédé à une visite des lieux et des auditions d’experts, le TGI rejeta les demandes de deux particuliers s’étant constitués parties intervenantes et fit droit à la demande du de cujus. Il constata que l’intéressé exerçait une possession paisible et ininterrompue à titre de propriétaire depuis plus de vingt ans sur le terrain en cause, lequel était un « champ de chênes » (meşelik tarla). Le TGI ordonna l’enregistrement du bien comme étant sa propriété.

5. Un titre de propriété immatriculé au registre foncier fut décerné en conséquence de ce jugement.

6. Par la suite, le terrain fut volontairement divisé en plusieurs parcelles au sein de l’îlot 119.

B. Le cadastrage de la zone en 1997

7. En 1997, les autorités procédèrent au cadastrage de la région où se trouvait le bien.

8. A l’issue des travaux, les parcelles 7, 9, 26, 27 et 40 de l’îlot 119 furent enregistrées comme propriété du Trésor. D’après les conclusions cadastrales, aucun titre de propriété concernant ces biens n’avait pu être trouvé lors de l’examen du registre foncier. Même si le de cujus des requérants exerçait une possession paisible et ininterrompu depuis plus de vingt ans, ces terrains étaient insusceptibles d’acquisition par voie de prescription dans la mesure où il s’agissait de terrains rocheux ne se prêtant pas à une activité agraire. Par ailleurs, la parcelle 8, qui était un « terrain vierge » (hali arazi), fut elle aussi enregistrée comme propriété du Trésor.

9. Faute d’opposition dans un délai de 30 jours après leur affichage, ces conclusions cadastrales devinrent définitives le 11 juillet 1997.

C. L’action judiciaire concernant les parcelles 26, 27 et 40

10. Le 18 mars 2003, dans le délai de dix ans prévu par la loi relative au cadastre (voir paragraphes 30 et 31 et ci-dessous), les requérants initièrent une action en vue de faire annuler l’inscription des parcelles 26, 27 et 40 comme propriété du Trésor et les faire inscrire à leur nom. Ils firent valoir entres autres qu’ils disposaient d’un titre de propriété inscrit au registre.

11. Le TGI releva qu’une partie de ces parcelles se trouvaient désormais sous les eaux d’un barrage et qu’en vertu tant du code civil que de la loi sur le cadastre, les eaux bénéficiant au public (yararı kamuya ait sular) ne pouvaient faire l’objet d’une propriété privée.

12. Le TGI précisa ensuite qu’en vertu des mêmes codes, les terrains ne pouvant servir à l’agriculture étaient insusceptibles de faire l’objet d’une acquisition par voie d’usucapion. En ce qui concerne la partie non-immergée de la parcelle 27, il releva qu’il s’agissait, d’après l’expert, d’un terrain agricole de classe 3. Quant aux parties non-immergées des parcelles 26 et 40, il observa que l’expert avait conclu que, compte tenu de leur inclinaison, de la structure de leur sol, de leur capacité à retenir l’eau et de leurs autres caractéristiques, ces terrains ne pouvaient se prêter à une activité agricole.

13. A la lumière de ces éléments, le TGI rejeta l’action dans son ensemble par un jugement du 12 décembre 2006, sans autre précision au sujet du terrain agricole de classe 3.

14. Le 19 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérants.

D. L’action judiciaire concernant les parcelles 7, 8 et 9

15. Le 6 juillet 2007, avant la fin du délai de dix ans au-delà duquel les droits antérieurs au cadastrage s’éteignent, les requérants initièrent une action devant le TGI pour obtenir l’inscription des parcelles 7, 8 et 9 à leur nom au registre foncier. Ils firent valoir que, contrairement à ce qu’affirmaient les conclusions cadastrales, ils disposaient d’un titre de propriété inscrit au registre décerné sur décision judiciaire en 1951. Ils précisèrent, entre outre, qu’ils avaient continué à cultiver et exercer une possession sur les parcelles après le décès de leur de cujus en 2003.

16. Le TGI rejeta l’action par un jugement du 27 décembre 2007. Il releva que la totalité de la parcelle 7 et deux parties de la parcelle 8 se trouvaient immergées sous les eaux d’un barrage et qu’en vertu, tant du code civil que de la loi sur le cadastre, les eaux bénéficiant au public (yararı kamuya ait sular) ne pouvaient faire l’objet d’une propriété privée. Quant à la parcelle 9 et au restant de la parcelle 8, l’une des expertises avait indiqué que compte tenu de leur inclinaison, de leur flore, de la structure de leur sol et de leurs autres caractéristiques, ces terrains devaient être considérés comme des forêts. Or, les forêts ne pouvaient elles non plus faire l’objet d’une propriété privée.

17. La Cour de cassation rejeta le pourvoi par un arrêt du 6 octobre 2008, précisant que la décision judiciaire de 1951 n’était pas opposable au Trésor étant donné que celui-ci n’avait pas été partie à la procédure.

18. Le 26 février 2009, la haute juridiction en fit de même au sujet de la demande en rectification d’arrêt des requérants.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Les inscriptions du registre foncier

19. L’article 633 de l’ancien code civil (loi no 743) (ACC) du 17 février 1926, qui était en vigueur jusqu’au 1er janvier 2002, était ainsi libellé :

« La propriété foncière s’acquiert par l’inscription au registre foncier.

Celui qui acquiert un immeuble par occupation, succession, expropriation, exécution forcée ou jugement en devient toutefois propriétaire avant l’inscription, mais il ne peut en disposer dans le registre foncier qu’après que cette formalité a été remplie. »

20. La teneur de cette disposition a été reprise à l’article 705 du nouveau code civil (loi no 4721) (NCC).

21. En vertu de l’article 1020 du NCC, « nul ne peut prétendre ignorer les mentions du registre foncier ».

22. L’article 1023 du NCC, qui reprend une disposition préexistante, crée une fiction d’exactitude du registre foncier dans les termes suivants :

« Celui qui acquiert la propriété ou d’autres droits réels en se fondant de bonne foi sur une inscription du registre foncier est maintenu dans son acquisition. »

B. La prescription acquisitive

23. L’article 639, alinéa 1, de l’ACC disposait :

« Toute personne ayant exercé une possession continue et paisible à titre de propriétaire pendant vingt ans sur un bien immeuble pour lequel aucune mention ne figure au registre foncier peut introduire une action [en justice] en vue d’obtenir l’inscription [au registre foncier] de ce bien comme étant sa propriété. »

24. Une disposition similaire figure à l’article 713, alinéa 1, du NCC.

25. L’article 14 de la loi no 3402 du 21 juin 1987 sur le cadastre prévoit que « le titre d’un bien immobilier non immatriculé au registre foncier (…) est inscrit au nom de celui qui prouve, au moyen de documents, d’expertises ou de déclarations de témoins, l’avoir possédé, à titre de propriétaire, de manière ininterrompue pendant plus de vingt ans ».

26. En vertu de l’article 715 du NCC (article 641 de l’ACC) et de l’article 16 du code du cadastre, les biens sans maître ainsi que les biens dédiés à l’usage commun du public relèvent de la haute police de l’État et ne peuvent faire l’objet d’une propriété privée.

27. Il en va ainsi des forêts et de la bande littorale qui échappent à la prescription acquisitive.

28. Les biens ne pouvant faire l’objet d’un usage agricole, tels que les terrains rocheux, ne peuvent eux non plus faire l’objet d’une acquisition par usucapion.

C. Le cadastrage

29. En vertu de l’article 12 de la loi no 3402 du 21 juin 1987 relative au cadastre (« la loi sur le cadastre »), les conclusions établies à l’issue des travaux de cadastrage font l’objet d’un affichage public pendant une durée de trente jours. En l’absence de contestation durant cette période, les procès-verbaux de cadastrage deviennent définitifs et sont retranscrits au registre foncier dans un délai de trois mois.

30. Cette retranscription ne fait cependant pas obstacle à une procédure judiciaire visant à faire valoir des droits qui n’auraient pas été pris en compte lors du cadastrage. Une telle action doit être exercé avant la fin du délai de la prescription extinctive décennale prévu à l’alinéa 3 de l’article 12 en ces termes :

« Au-delà d’un délai de dix ans à partir de la date à laquelle les procès-verbaux sont devenus définitifs, aucun recours fondé sur des droits antérieurs au cadastrage ne peut être formé contre les constatations, droits et délimitations que [lesdits procès-verbaux] contiennent ».

31. En vertu de l’alinéa 4 de la même disposition, à l’issue du délai de dix ans, tous les titres antérieurs relatifs aux biens situés dans la zone de cadastrage perdent leur « qualité de titre en circulation » (işleme tabi kayıt niteliğini kaybeder) et ne peuvent plus permettre aucune démarche auprès des services du cadastre ou du registre foncier.

D. L’article 1007 du NCC

32. L’article 1007 du NCC, qui reprend l’article 917 de l’ACC, pose le principe selon lequel l’État est responsable de tout dommage résultant d’erreurs dans la tenue des registres fonciers.

33. En vertu d’une jurisprudence bien établie depuis un arrêt du 26 novembre 1980 de l’Assemblée des chambres civiles de la Cour de cassation, la responsabilité ainsi prévue par le code civil exigeait l’existence d’un lien entre le préjudice dont l’indemnisation était réclamée et la tenue des registres. Toutefois, les actes qui relèvent des travaux de cadastrage et qui peuvent, de ce fait, faire l’objet de contestation par l’usage de voies de droit spécifiques (voir paragraphes 29 à 31 ci-dessus) n’étaient pas considérés comme entrant dans la notion de « tenue des registres ».

34. Ainsi, conformément à cette jurisprudence, les personnes dont les titres de propriété avaient été annulés à l’issue de travaux de cadastrage au motif que lesdits biens relevaient du domaine forestier ou étaient situés sur la bande littorale ne pouvaient obtenir d’indemnisation sur le fondement de l’article 1007.

35. La Cour de cassation a par la suite modifié sa jurisprudence, d’abord dans les affaires concernant le littoral puis dans celles concernant le domaine forestier.

36. L’infléchissement jurisprudentiel qui est intervenu au sujet du littoral après les arrêts rendus par la Cour dans les affaires N.A. et autres c. Turquie (no 37451/97, CEDH 2005‑X) et Doğrusöz et Aslan c. Turquie (no 1262/02, 30 mai 2006), est décrit dans l’arrêt Hüseyin Ak et autres c. Turquie (nos 15523/04 et 15891/04, § 18, 7 décembre 2010) en ces termes :

« (…) la Cour de cassation turque a développé une jurisprudence qui permet à une personne privée de son droit de propriété portant sur un bien situé sur le littoral d’obtenir une indemnisation sur le fondement de l’article 1007 du code civil. À cet égard, on peut citer plusieurs arrêts rendus par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation :

– arrêt du 2 juillet 2007 (E. 2007/6353 – K. 2007/7497) : pour confirmer le jugement rendu le 26 juillet 2005 par le tribunal de grande instance de Mudanya qui avait ordonné l’annulation du titre de propriété (dans le cadre de l’action principale) et le paiement d’une indemnité au propriétaire privé de son bien sur le littoral (dans le cadre d’une demande reconventionnelle), la Cour de cassation a relevé que l’intéressé avait acquis de bonne foi le bien en question en se fiant au registre foncier, et qu’il y avait lieu de l’indemniser en raison de l’annulation de son titre de propriété ;

– arrêts du 23 octobre 2007 (E. 2007/6214 – K. 2007/9985), du 1er novembre 2007 (E. 2007/8538 – K. 2007/10353) et du 12 novembre 2007 (E. 2007/9403 – K. 2007/10807) : statuant sur des jugements de première instance relatifs à l’annulation de titres de propriété, la Cour de cassation a souligné le droit à réparation des personnes privées de leurs biens situés sur le littoral. Se référant à l’affaire Doğrusöz et Aslan précitée, la chambre a relevé que le droit de propriété fondé sur un titre valide, délivré par les autorités, jouissait sans conteste d’une protection. Selon elle, le fait pour l’État d’invoquer l’absence de validité d’un titre de propriété délivré par lui et de demander l’annulation de ce titre sans indemnisation était non seulement incompatible avec le respect du droit de propriété, mais aussi de nature à porter atteinte à la respectabilité de l’État. Après avoir confirmé l’existence d’une utilité publique dans l’annulation des titres de propriété portant sur des biens situés sur le littoral, elle a souligné la nécessité d’indemniser les personnes ainsi privées de leur droit de propriété pour ne pas rompre le juste équilibre devant régner entre les intérêts en jeu ;

– arrêts du 13 mars 2008 (E. 2008/1113 – K. 2008/3238) et du 27 mars 2008 (E. 2008/1596 – K. 2008/3880) : statuant sur des jugements relatifs à l’annulation du titre de propriété, la 1ère chambre a encore souligné le droit à une indemnisation tout en précisant que celle-ci devait faire l’objet d’une action principale distincte ou d’une demande reconventionnelle.

On peut également citer les arrêts adoptés par la 4ème chambre civile de la Cour de cassation le 18 septembre 2008 (E. 2007/14851 – K. 2008/10543) et le 29 novembre 2007 (E. 2007/1940 – K. 2007/15047) : la chambre y a cassé le jugement de première instance ayant refusé l’indemnisation ; elle a considéré que la personne privée de son bien devait être indemnisée sur le fondement de l’article 1007 du code civil. »

37. Le régime de responsabilité mis en place par cette nouvelle jurisprudence est celui de la responsabilité sans faute.

38. Le délai d’introduction de la demande fondée sur l’article 1007 a été porté à dix ans par voie prétorienne (voir arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 15 juillet 2011 – E. 2011/4662 K. 2011/8363 – cité dans la décision Altunay c. Turquie (déc.), no 42936/07, § 27, 17 avril 2012).

39. Par la suite, un revirement de jurisprudence a également été opéré en ce qui concerne le domaine forestier par la 20ème chambre civile de la Cour de cassation, laquelle a compétence en cette matière.

40. Ce changement semble être intervenu pour la première fois dans un arrêt du 11 octobre 2011 (E. 2011/9173- K. 2011/12065), également mentionné dans la décision Altunay (précitée).

41. D’autres arrêts dans le même sens ont été rendus par la 20ème chambre les 12 décembre 2011 et 18 décembre 2012.

42. Il est à noter que parmi les éléments présentés par le Gouvernement figure un arrêt de l’Assemblée des chambres civiles du 18 novembre 2009 rendu dans une affaire concernant une demande d’indemnisation pour l’annulation d’un titre relatif à un bien relevant du domaine forestier. Si la question tranchée dans l’arrêt concernait celle de la compétence entre les juridictions judiciaires et administratives, l’Assemblée a néanmoins rappelé, dans un obiter dictum, la jurisprudence relative à l’article 1007 dans les affaires relatives au littoral.

E. Les compétences de la commission d’indemnisation

43. Dans le cadre de la procédure d’arrêt pilote Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, §§ 29 et 74-75, 20 mars 2012), le gouvernement défendeur avait pris l’engagement d’établir une voie de recours ad hoc pour remédier au problème structurel concernant les délais excessifs de procédure en se conformant à la jurisprudence de la Cour en la matière.

44. Dans ce contexte, est entrée en vigueur, le 19 janvier 2013, la loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines requêtes introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme (Avrupa İnsan Hakları Mahkemesine yapılmış bazı başvuruların tazminat ödenmek suretiyle çözümüne dair kanun). Cette loi a mis en place une commission d’indemnisation et a énoncé les principes ainsi que la procédure à suivre relativement à l’indemnisation dans les affaires de durée de la procédure ainsi que dans celles relatives à la non-exécution ou à l’exécution partielle ou tardive de décisions judiciaires nationales.

45. Par la suite, les compétences de la commission ont été étendues à d’autres matières et notamment au domaine forestier. Ainsi, par un décret du 9 mars 2016, le Conseil des ministres a étendu le champ de compétence ratione materiae de la commission aux requêtes concernant des allégations de violation du droit de propriété en raison de l’annulation de titre de propriété au motif que le bien en cause faisait partie du domaine forestier (voir Demir c. Turquie (déc.), no 9161/07, § 36 in fine, 15 octobre 2019).

46. Par l’ordonnance présidentielle no 809 du 7 mars 2019, la commission a vu sa compétence s’élargir à nouveau. Elle peut désormais octroyer une indemnisation lorsque la Cour lui délègue la question du préjudice matériel et/ou moral sur le terrain de l’article 41 après avoir constaté une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (voir Kaynar et autres c. Turquie, nos 21104/06 et 2 autres, § 24, 7 mai 2019).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 du protocole no 1 a LA CONVENTION

47. Les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit au respect de leurs biens. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

48. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

49. Le Gouvernement soulève deux exceptions d’irrecevabilité tirées de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes.

50. Premièrement, il expose que les requérants peuvent saisir la commission d’indemnisation, dont les compétences ont été élargies aux préjudices liés à l’annulation des titres de propriété portant sur des terrains relevant du domaine forestier.

51. Deuxièmement, il soutient que les intéressés auraient pu introduire une action en indemnisation fondée sur l’article 1007 du NCC.

52. En ce qui concerne la première branche du grief, la Cour observe qu’elle a déjà déclaré irrecevables des griefs similaires dans l’affaire Savasçın et autres c. Turquie (no 15661/07, 7 juin 2016) en les redirigeant vers la commission d’indemnisation créée par loi no 6384 visant le règlement des affaires pendantes devant la Cour par le versement d’une indemnité.

53. Elle n’aperçoit aucune raison de décider autrement en l’espèce et déclare irrecevable le grief pour autant qu’il concerne les parties du bien qui ont été considérées comme relevant du domaine forestier.

54. En ce qui concerne l’exception relative à l’article 1007, la Cour observe que la Cour de cassation a modifié son interprétation de cette disposition par étapes. Dans un premier temps, à partir du deuxième semestre de l’année 2007 (voir paragraphe 36 ci-dessus), elle a permis l’indemnisation des personnes dont le titre avait été annulé ou rendu caduque au motif qu’il portait sur un bien situé sur la bande littorale, avant d’élargir, dans un second temps, cette possibilité aux biens relevant du domaine forestier, et ce, à partir de fin 2011 (voir paragraphes 39 à 41 ci‑dessus). La haute juridiction a également étendu à 10 ans le délai dans lequel l’action en indemnisation devait être introduite (voir paragraphe 38 ci-dessus).

55. La Cour observe, qu’en l’espèce, les autorités nationales ont considéré que les parties du bien litigieux situées en dehors du domaine forestier ne pouvaient faire l’objet d’une propriété privée en raison de leur nature et relevaient de ce fait de la haute police de l’État.

56. Elle constate que la jurisprudence présentée par le Gouvernement concerne le domaine forestier et le littoral et que celui-ci n’a pas présenté de décision judiciaire correspondant au cas des requérants.

57. Elle estime qu’il ne lui est pas aisée, et qu’il ne lui appartient de toute façon pas, de se livrer à une interprétation des évolutions jurisprudentielles mentionnées plus haut pour déterminer si l’on peut en déduire une règle générale selon laquelle toutes les annulations de titres reposant sur la circonstance que le bien en question ne pouvait faire l’objet d’une propriété privée – et pas uniquement celles relatives au littoral ou domaine forestier – doivent donner lieu à une indemnisation sur le fondement de l’article 1007 du NCC.

58. À supposer qu’une telle interprétation soit permise au vu de l’ensemble des développements jurisprudentiels relatif à l’article 1007 du NCC, la Cour observe que les requérants ont introduit leur requête le 2 mai 2008, à l’époque où lesdits développements jurisprudentiels en étaient encore à leur début : seul deux arrêts semblent avoir été rendus à cette époque, et ils ne concernaient que le littoral. Dès lors, faute d’exemple de décision concernant spécifiquement des situations similaires à celle des requérants, la Cour ne saurait conclure que ce recours avait acquis, au moment de l’introduction de la requête, un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention.

59. En outre, la Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie, en principe, à la date d’introduction de la requête (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001-V (extraits)). Il est vrai que la Cour a déjà fait des exceptions à cette règle générale notamment en ce qui concerne la création de recours spécifiques se référant explicitement aux requêtes déjà introduites auprès de la Cour et visant à les faire tomber dans le champ de compétence des instances nationales, telle que, par exemple, la commission d’indemnisation mentionnée plus haut. Toutefois, toujours à supposer que l’article 1007 du NCC puisse aujourd’hui être interprété de manière à permettre une indemnisation, la Cour observe que le délai de dix ans pour engager l’action est forclos (les décisions judiciaires étant devenues définitives en 2007 et 2009) ; de sorte que la question de savoir si l’on doit s’écarter en l’espèce de la règle générale ne se pose même pas.

60. A la lumière de ces éléments, la Cour rejette l’exception du Gouvernement fondée sur l’article 1007 du NCC.

61. Constatant qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité et qu’il n’est pas manifestement mal fondé, la Cour déclare le grief recevable pour autant qu’il concerne les parties des parcelles en cause ne relevant pas du domaine forestier, et irrecevable pour le surplus.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

62. Les requérants se plaignent d’avoir été privés de leur bien sans aucune indemnité, malgré une décision de justice leur reconnaissant la propriété du bien en cause.

63. Le Gouvernement conteste cette thèse.

64. Après avoir exposé son importance pour le développement économique et social du pays, il précise que le cadastre et le registre foncier requièrent la confiance du public et la sécurité juridique. Selon le Gouvernement, cette dernière est assurée par la règle de la prescription extinctive décennale en vertu de laquelle tout droit antérieur s’éteint dans un délai de dix ans après le cadastrage (voir paragraphes 30 et 31 ci-dessus).

65. Compte tenu des conséquences particulièrement importantes de cette prescription, les travaux de cadastrage ne pourraient se restreindre à une simple mise en œuvre des titres sur le terrain afin d’en déterminer les limites physiques, mais nécessiteraient également une vérification de la validité des titres.

66. Le Gouvernement affirme qu’un titre établi de manière non valable ne pourrait conférer un quelconque droit à son titulaire. À cet égard, il précise que, dans certains cas, même un titre établi sur décision judiciaire pourrait ne pas être valable si ladite décision devait s’avérer ne pas refléter la situation réelle du bien.

67. Par ailleurs, le Gouvernement ajoute qu’il en va de même des titres établis sur la base de décisions rendues à l’issue d’une procédure non-contentieuse, c’est-à-dire sans partie adverse.

68. Or, le titre dont se prévalent les requérants ayant été décerné à l’issue d’une procédure de ce type, le jugement de 1951 n’aurait pas conféré aux intéressés de droit opposable aux tiers.

69. Le Gouvernement indique que c’est en tenant compte du fait que ce titre ne pouvait être opposable au Trésor que les juridictions nationales auraient considéré le bien comme un bien non inscrit au registre. Elles ont en conséquence examiné les prétentions des requérants sur la seule base des règles relatives à l’usucapion. Les conditions de la prescription acquisitive n’étant cependant pas remplies, elles ont rejeté les actions des intéressés.

2. Appréciation de la Cour

70. La Cour observe que les jugements du TGI du 12 décembre 2006 et du 27 décembre 2007 qui ont confirmé les conclusions cadastrales ont eu pour conséquence d’annuler définitivement – en le rendant caduque – le titre de propriété des requérants sur le bien en cause établi par le jugement du 24 septembre 1951 (voir paragraphe 4 ci-dessus). Cette situation s’analyse en une privation de propriété au sens de la deuxième phrase du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1.

71. Il n’y pas de controverse sur la question de savoir si la mesure répondait à un intérêt général. Il reste donc à déterminer si l’invalidation des titres de propriété des requérants a respecté le juste équilibre entre l’intérêt général et les droits des intéressés.

72. La Cour rappelle que la proportionnalité d’une ingérence dans le droit de propriété implique l’existence d’un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la collectivité et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus. Cet équilibre est rompu si la personne concernée a eu à subir « une charge spéciale et exorbitante ».

73. La vérification de l’existence d’un juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en cause et peut appeler une analyse du comportement des parties, des moyens employés par l’État et leur mise en œuvre (Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 64, 5 décembre 2017).

74. Dans le contexte de la protection de la propriété, une importance particulière doit être accordée au principe de bonne gouvernance (Nekvedavičius c. Lituanie, no 1471/05, § 87, 10 décembre 2013). Ce principe exige que lorsqu’une question d’intérêt général est en jeu, et en particulier lorsque l’affaire porte sur des droits fondamentaux, les autorités publiques doivent agir en temps utile et de manière appropriée, et surtout cohérente (Ioannis Anastasiadis c. Grèce (déc.), no 51391/09, § 46, 17 octobre 2017 ; Bogdel c. Lituanie, no 41248/06, § 65, 26 novembre 2013).

75. Si ce principe de bonne gouvernance n’exclut pas que les autorités puissent rectifier des irrégularités, même lorsque celles-ci résultent de leur propre négligence, la nécessité de corriger une « erreur » ancienne ne doit pas constituer une ingérence disproportionnée dans le droit acquis par le requérant en se fiant de bonne foi à l’action des autorités publiques (Beinarovič et autres c. Lituanie, nos 70520/10 et 2 autres, § 140, 12 juin 2018). C’est à l’État qu’il incombe d’assumer le risque d’une faute des pouvoirs publics et il convient de ne pas y remédier aux dépens de la personne touchée, surtout lorsqu’aucun autre intérêt privé concurrent n’est en jeu (Gashi c. Croatie, no 32457/05, § 40, 13 décembre 2007 ; Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 80, 6 décembre 2011). Dans le cadre de l’annulation d’un titre de propriété attribué par erreur, le principe de bonne gouvernance n’impose pas aux autorités uniquement une obligation d’agir rapidement pour corriger leurs erreurs mais peut aussi impliquer le paiement d’une indemnisation adéquate au détenteur de bonne foi ou une autre forme de réparation appropriée (Beinarovič et autres, § 140; Lelas c. Croatie, no 55555/08, § 74, 20 mai 2010; Maksymenko et Gerasymenko c. Ukraine, no 49317/07, § 64, 16 mai 2013; et Bogdel, précité, no 41248/06, § 66, 26 novembre 2013).

76. La Cour observe que les requérants disposaient d’un titre de propriété inscrit au registre foncier. Leur de cujus s’est vu reconnaître la propriété des parcelles litigieuses en 1951 par le TGI d’Eğil, qui a estimé, après une visite des lieux et des auditions d’experts, que l’intéressé réunissait les conditions de la prescription acquisitive dans la mesure où il exerçait une possession paisible et ininterrompue sur le bien en cause depuis plus de vingt ans.

77. Elle rappelle que, en droit turc, c’est l’inscription au registre qui opère tant le transfert de propriété que la constitution d’un droit réel (Avyidi c. Turquie, no 22479/05, § 88, 16 juillet 2019) et qu’un titre immatriculé audit registre constitue la preuve incontestable de l’existence d’un droit de propriété (Avyidi c. Turquie, no 22479/05, § 88, 16 juillet 2019; Rimer et autres c. Turquie, no 18257/04, § 36, 10 mars 2009, Bölükbaş et autres c. Turquie, no 29799/02, § 36, 9 février 2010, Usta c. Turquie, no 32212/11, § 29, 27 novembre 2012, et Doğancan c. Turquie (déc.), no 17934/10, § 22, 15 octobre 2013).

78. Elle relève que les requérants ont pu jouir de leur bien de façon normale pendant une très longue période jusqu’à l’annulation de leur titre de propriété au profit du Trésor public et qu’ils pouvaient légitimement se croire en situation de « sécurité juridique » compte tenu de ce titre.

79. Il est vrai que les requérants avaient obtenu le titre à l’issue d’une procédure à laquelle l’administration n’était pas partie et que les tribunaux internes ont considéré que le jugement en question (de 1951) ne pouvait lier le Trésor. Mais ce point n’est pas décisif aux yeux de la Cour, étant donné que ce jugement définitif qui concernait la propriété du bien a été transcrit au registre et que les requérants disposaient d’un titre de propriété régulièrement immatriculé lequel est opposable aux tiers (comparer avec Basa c. Turquie, nos 18740/05 et 19507/05, §§ 33 et 92, 15 janvier 2019 où le jugement en cause, qui avait été rendu dans le cadre d’une procédure en partage et qui contenait, à titre incident, des constatations non pas sur la propriété mais sur la superficie du bien, n’avait pas été transcrit au registre). La Cour observe à cet égard que la seule inscription au registre suffit pour rendre le droit opposable aux tiers. En effet, en vertu de l’article 1020 du NCC, nul ne peut prétendre ignorer les mentions du registre foncier. Il s’agit d’ailleurs là de l’un des objectifs même de la publicité foncière, établir une présomption de connaissance du contenu du registre foncier et éviter, en rendant les inscriptions et mentions du registre opposable à tous, que quiconque puisse se prévaloir de son ignorance.

80. Au demeurant, tant le titre des requérants que le jugement sur lequel il se fonde émane d’autorités publiques. Rien n’indique – et le Gouvernement n’a jamais émis d’allégations en ce sens – que les requérants se soient livrés à des manœuvres frauduleuses, qu’ils aient fait de fausses déclarations ou qu’ils aient autrement cherché à tromper et à induire en erreur lesdites autorités, dont le tribunal. Si ces dernières ont commis des erreurs, la rectification de celles-ci ne doit se faire au détriment des requérants dont la bonne foi n’a jamais été mise en cause.

81. En outre, compte tenu du délai particulièrement long (près de quarante-six ans) qui sépare l’annulation de l’inscription au registre et du jugement, il est difficile d’affirmer que les autorités ont réagi avec la célérité requise et de manière conforme tant au principe de bonne gouvernance qu’à celui de sécurité juridique.

82. A la lumière de ces éléments, la Cour estime que le juste équilibre a été rompu au détriment des requérants.

83. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

84. Les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit à un jugement obligatoire et définitif en raison de l’annulation de leur titre de propriété. Ils invoquent l’article 6 de la Convention.

85. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

86. Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour estime qu’il n’est pas utile d’examiner ni la recevabilité ni le bien-fondé de ce grief.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

87. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

88. Les requérants réclament 3 000 000 de livres turques (TRY) au titre du dommage matériel et 1 800 000 TRY au titre du préjudice moral qu’ils ont subi. Ils demandent en outre 12 000 TRY au titre des frais et dépens. Sur cette dernière partie de la demande, ils présentent un décompte des heures de travail et du montant des travaux de leur avocat.

89. Le Gouvernement invite la Cour à renvoyer la question de la réparation du dommage à la Commission d’indemnisation et se réfère à l’arrêt Kaynar et autres (précité).

90. La Cour rappelle que l’initiative du Gouvernement turc d’élargir les compétences de la commission d’indemnisation renforce le caractère subsidiaire du mécanisme de protection des droits de l’homme instauré par la Convention et facilite pour la Cour et le Comité des Ministres l’accomplissement des tâches que leur confient respectivement l’article 41 et l’article 46 de la Convention (Kaynar et autres, précité, § 73).

91. Elle relève que l’évaluation du préjudice subi par le requérant est complexe et que la Cour ne dispose pas de tous les outils qui lui permettraient raisonnablement de régler cette question. Elle rappelle avoir déjà constaté dans de nombreuses affaires contre la Turquie relatives au droit de propriété qu’une telle évaluation est presque objectivement impossible dans la mesure où elle est très étroitement liée aux contextes nationaux, voire locaux, et nécessite une expertise certaine (ibidem, § 76).

92. La Cour estime que les instances nationales sont, sans conteste, les mieux placées pour évaluer le préjudice subi et disposent de moyens juridiques et techniques adéquats pour mettre un terme à une violation de la Convention et d’en effacer les conséquences, notamment, comme dans le cas d’espèce, lorsqu’il s’agit de déterminer la valeur d’un bien immobilier dans un État contractant à une date donnée (Avyidi c. Turquie, no 22479/05, § 129, 16 juillet 2019).

93. Dans ces conditions, elle estime qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt final est susceptible de donner lieu à l’indemnisation par l’administration et que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (ibidem, § 127).

94. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et estime dès lors qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les demandes présentées par le requérant à ce titre. Elle estime par conséquent qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). Elle est en outre d’avis qu’il n’existe, en l’espèce, pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Par ailleurs, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de l’article 37 § 2 de la Convention qui lui permet de réinscrire une requête au rôle lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient (ibidem, § 130).

95. Il y a donc lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant les demandes au titre des dommages matériel et moral.

96. Quant aux frais et dépens, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut en obtenir le remboursement que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants la somme de 1 720 EUR tous frais confondus.

97. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 recevable pour autant qu’il concerne les parties du bien ne relevant pas du domaine forestier et irrecevable pour le surplus;

2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention ;

3. Dit, qu’il n’y a pas lieu d’examiner ni la recevabilité ni le bien fondé du grief formulé sur le terrain de l’article 6 de la Convention ;

4. Décide, de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage matériel et moral;

5. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 1 720 EUR (mille sept cent vingt euros) à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Hasan Bakırcı                          Jon Fridrik Kjølbro
Greffier adjoint                         Président

 

ANNEXE

No Prénom NOM Année de naissance Nationalité Lieu de résidence
1 Muharrem GÜNEŞ 1960 turc Diyarbakır
2 Kadri GÜNEŞ 1966 turc Diyarbakır
3 Fikret GÜNEŞ 1945 turc Diyarbakır
4 İhsan GÜNEŞ 1955 turc Diyarbakır
5 İlhami GÜNEŞ 1968 turc Diyarbakır
6 Mehmet GÜNEŞ 1959 turc Diyarbakır
7 Nizamettin GÜNEŞ 1970 turc Diyarbakır
8 Ömer GÜNEŞ 1943 turc Diyarbakır
9 Zülfi GÜNEŞ 1963 turc Diyarbakır

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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