Yevgeniy Dmitriyev c. Russie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 246
Décembre 2020

Yevgeniy Dmitriyev c. Russie – 17840/06

Arrêt 1.12.2020 [Section III]

Article 8
Article 8-1
Respect du domicile
Respect de la vie privée

Caractère insuffisant des mesures prises pour remédier aux nuisances sonores et autres provenant du commissariat situé sous le domicile du requérant : violation

En fait – L’appartement du requérant était situé au-dessus d’un sous-sol où le commissariat de police local et des cellules de détention provisoire avaient été installés. Le requérant s’était plaint auprès de plusieurs instances de nuisances sonores et autres en provenance du commissariat et des cellules, puis avait fini par vendre son appartement et déménager en 2008.

En droit – Article 8 :

a) Sur l’applicabilité de l’article 8

La Cour doit déterminer si les nuisances causées par les activités quotidiennes du commissariat ont atteint le seuil de gravité requis pour constituer une ingérence au regard de l’article 8.

Le requérant n’a communiqué aucune preuve directe propre à démontrer que les nuisances sonores subies à l’intérieur de son appartement dépassaient des niveaux acceptables. Néanmoins, un rapport d’inspection rédigé par l’agence publique de protection des consommateurs dénonçait un manquement des autorités aux règles internes applicables concernant les nuisances sonores en particulier et d’autres nuisances en général. La Cour relève en outre que le tribunal chargé de connaître de l’affaire a conclu après avoir entendu le requérant et les témoins que les activités du commissariat et le bruit provenant des cellules s’analysaient en une violation du droit du requérant au repos. Il ressort de surcroît du dossier que les autorités internes elles-mêmes ont admis que le commissariat était situé dans un bâtiment qui n’avait pas été conçu pour un tel usage. Enfin, si elles ne montrent pas que la santé du requérant était menacée à l’époque des faits, les pièces du dossier font apparaître que pendant treize ans, le requérant a souffert nuit et jour des nuisances causées par les activités du commissariat et le mauvais entretien des locaux.

La Cour conclut que prises ensemble, les nuisances causées par la présence du commissariat dans l’immeuble où résidait le requérant ont eu un effet durable sur la vie privée du requérant et l’ont empêché de jouir paisiblement de son domicile.

b) Sur le point de savoir si l’ingérence en cause était justifiée

En l’espèce, les activités quotidiennes du commissariat ont directement porté atteinte aux droits du requérant garantis par l’article 8. Cette ingérence devait donc être justifiée. Or les autorités internes disposaient d’une importante latitude à cet égard (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, 8 juillet 2003, Note d’information 55). Pourtant, il apparaît que les mesures ordonnées par les autorités internes soit ont été insuffisantes, soit n’ont pas été mises en œuvre de manière effective dans des délais raisonnables, soit n’ont pas été mises en œuvre du tout.

En particulier, le requérant avait dès 1996 alerté les autorités des problèmes causés dans son immeuble par les activités du commissariat. Pourtant, alors même que le chef de la police locale avait admis que le commissariat était installé dans un bâtiment qui n’était « pas conçu pour cet usage », aucune mesure supplémentaire n’avait été prise à cet égard, et le requérant avait été informé qu’il était concrètement impossible de déplacer le commissariat. Il apparaît en outre que les autorités n’ont donné aucune suite à une plainte collective qui avait été déposée par le requérant et ses voisins en mai 2000.

En septembre 2000, le tribunal a conclu à la violation du droit du requérant au repos à raison de la présence du commissariat dans son immeuble. La procédure d’exécution a cependant connu des retards considérables, ce qui a eu pour effet de prolonger les souffrances causées au requérant par les nuisances sonores et autres. La Cour est consciente des difficultés et des lenteurs auxquelles les autorités doivent généralement faire face lorsqu’il s’agit de trouver et d’allouer des ressources et d’obtenir les financements nécessaires à de tels projets publics. Elle note néanmoins qu’il a fallu près de sept ans à compter de la date du jugement pour ne serait-ce qu’approuver le projet de construction d’un nouveau commissariat et le budget correspondant. Le Gouvernement n’a communiqué aucune information concernant les raisons de ce délai, pas plus qu’il n’a indiqué si des travaux et des négociations entre les différentes administrations concernées avaient eu lieu entre-temps ou si une solution provisoire aurait pu être proposée dans l’attente d’une solution définitive. En l’absence d’explication raisonnable du Gouvernement, la Cour estime que la procédure a pris un temps excessivement long, en conséquence de quoi les mesures prises par les autorités internes ont été rendues inefficaces et n’ont pas permis de protéger les droits du requérant de manière effective.

Enfin, la Cour admet que, comme le Gouvernement l’affirme, l’installation d’un commissariat au sous-sol d’un immeuble résidentiel était licite au moment de l’aménagement des locaux. Elle observe toutefois qu’alors qu’elles avaient été informées en 2006 par l’un de leurs propres organes qu’elles contrevenaient aux normes et règlements sanitaires applicables à l’époque, les autorités nationales n’ont pris aucune mesure concrète pour réduire les nuisances dont le requérant souffrait, et qu’elles ont indûment repoussé à 2008 le déplacement du commissariat ordonné par le tribunal. Elle relève en outre que cette situation a perduré pendant treize ans pour le requérant et a conduit ce dernier à considérer en 2008 qu’il n’avait d’autre choix que de vendre son appartement et à déménager dans un autre appartement acheté avec ses propres deniers.

Dans ces circonstances, la Cour conclut que l’État n’a pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt de la communauté locale à bénéficier de l’action des forces de l’ordre en faveur de la protection de la paix et de la sécurité publiques et de la bonne application des lois, et celui du requérant à jouir de son droit au respect de sa vie privée et de son domicile.

Conclusion : violation (à l’unanimité).

Article 41 : 5 000 EUR pour dommage moral.

(Voir aussi Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, 8 juillet 2003, Note d’information 55, Moreno Gómez c. Espagne, no 4143/02, 16 novembre 2004, Note d’information 69, Cuenca Zarzoso c. Espagne, no 23383/12, 16 janvier 2018, et la fiche thématique « Environnement et Convention européenne des droits de l’homme »)

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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