AFFAIRE DANEŞ ET AUTRES c. ROUMANIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 44332/16 et 2 autres

La requête concerne le rejet de l’action civile que les requérants, membres de la direction de l’Ordre national des médecins vétérinaires de Roumanie (ci-après « le C.M.V.R. »), avaient engagée contre un journaliste aux fins de la protection de leur réputation à la suite de la publication d’un article dans un hebdomadaire local. Les requérants invoquent l’article 8 de la Convention.


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE DANEŞ ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 44332/16 et 2 autres –voir liste en annexe)
ARRÊT

Art 8 • Vie privée • Obligations positives • Rejet de l’action civile engagée par les membres de la direction de l’Ordre national des médecins vétérinaires contre un journaliste aux fins de la protection de leur réputation après la publication d’un article dans un hebdomadaire local • Mise en balance adéquate des intérêts en jeu conformément aux critères établis par la Cour européenne

STRASBOURG
7 décembre 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Daneş et autres c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :
Yonko Grozev, président,
Tim Eicke,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Armen Harutyunyan,
Pere Pastor Vilanova,
Jolien Schukking, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes (nos 44332/16, 44829/16 et 44839/16) dirigées contre la Roumanie et dont trois ressortissants de cet État, M. Mihai Daneş (« le premier requérant »), M. Liviu Harbuz (« le deuxième requérant ») et Viorel Andronie (« le troisième requérant »), ont saisi la Cour le 26 juillet 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») le grief concernant le droit des requérants au respect de leur vie privée (article 8 de la Convention) et de déclarer irrecevables les requêtes pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 novembre 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne le rejet de l’action civile que les requérants, membres de la direction de l’Ordre national des médecins vétérinaires de Roumanie (ci-après « le C.M.V.R. »), avaient engagée contre un journaliste aux fins de la protection de leur réputation à la suite de la publication d’un article dans un hebdomadaire local. Les requérants invoquent l’article 8 de la Convention.

EN FAIT

2. Les informations concernant les dates de naissance, les lieux de résidence et le représentant des requérants figurent dans le tableau en annexe.

3. Le Gouvernement a été représenté par ses agents, en dernier lieu Mme O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.

I. l’article de presse litigieux

4. Le journaliste A.A.C.O. publia dans l’édition du 18-24 mars 2013 de l’hebdomadaire Bihoreanul ainsi que sur le site Internet du même journal un article intitulé « Du poison dans la viande. En plein scandale de la viande contaminée aux antibiotiques, un médecin vétérinaire de Bihor accuse : la coupable, c’est la direction du C.M.V.R. ». L’article se lisait ainsi :

« Le lait contaminé par les aflatoxines et du cheval vendu pour du bœuf ont donné du fil à retordre aux autorités ; ces scandales ont été à l’origine de la démission du président de l’autorité nationale sanitaire vétérinaire pour la sécurité des aliments [ci-après « A.N.S.V.S.A. »]. Les consommateurs ignorent un autre danger, bien qu’il puisse être létal : chaque jour, d’importantes quantités d’aliments contaminés par les résidus de médicaments administrés en excès, voire inutilement, aux animaux arrivent sur leurs tables.

Quelles en sont les conséquences ? Lorsque les personnes consomment ces aliments et lorsqu’elles tombent malades, la moindre infection peut être mortelle du fait de la perte d’efficacité des médicaments. La responsable – accuse un médecin vétérinaire d’Oradea – est la direction du C.M.V.R., qui contrôle le commerce des médicaments vétérinaires, lequel représente une affaire de dizaines de millions d’euros, beaucoup plus lucrative que l’exercice, de bonne foi et avec honnêteté, du métier de médecin vétérinaire.

Un véritable génocide lent

La semaine dernière, le président de l’A.N.S.V.S.A., [M.T.], a démissionné en raison d’un scandale lié à la sécurité des produits alimentaires à la suite d’une plainte des autorités allemandes visant une entreprise roumaine ayant exporté de la viande de dinde contaminée par des résidus d’antibiotiques.

« Le gavage des animaux aux antibiotiques est un véritable génocide lent, qui est même plus dommageable que les [additifs alimentaires] E à potentiel cancérigène », affirme le médecin vétérinaire [C.M.] (photo), secrétaire général du patronat des médecins vétérinaires libéraux de Roumanie, qui avait attiré l’attention sur ce danger il y a trois ans déjà. Pour quelle raison ? À long terme, les effets sont dévastateurs pour les consommateurs de produits provenant des animaux « d’élevage » : lait, fromage, viande et œufs. « En effet, ils consomment des antibiotiques sans le savoir et développent ainsi une résistance aux antibiotiques », explique le médecin.

« N’ayant que des connaissances empiriques, les paysans et les fermiers achètent et donnent à leurs animaux des médicaments comme bon leur semble. Ils vendent leurs produits sans respecter le temps nécessaire au métabolisme des médicaments. Ceux-ci sont éliminés de l’organisme des animaux trois à quatre fois plus vite par le lait que par l’urine. Les paysans et les fermiers ignorent même le fait que l’administration de médicaments pendant la période de lactation des animaux est strictement interdite. Le lendemain, ils amènent le lait sur le marché, ou pire, la viande de l’animal qui n’a pas guéri, malgré le traitement, et qui a été sacrifié et mis en valeur afin de réduire les pertes. Maintes fois, le lait contaminé est acheté par les parents d’enfants malades, qui pensent qu’il suffit de le faire bouillir », explique [C.M.].

Des maladies mortelles…

Partant de son expérience quotidienne, le vétérinaire de Bihor a constaté que les paysans et les petits fermiers administrent aux animaux des médicaments, alors qu’aucun diagnostic n’a été établi par un médecin, ce qui entraîne un « échec thérapeutique », qui cache les véritables causes des maladies ; ils administrent inutilement des médicaments en cas de virose respiratoire, de grippe, de néoplasme et d’allergie ; ils font un choix erroné d’antibiotiques car ils ne connaissent pas le spectre d’action microbienne ; soit ils les administrent pendant une période trop longue ou trop courte et ne respectent pas l’intervalle entre deux prises, soit ils les utilisent dans un but prophylactique, en espérant ainsi pouvoir préserver leurs animaux des maladies.

En conséquence, les consommateurs de produits alimentaires provenant des animaux contaminés deviennent à leur tour vulnérables lorsque eux aussi doivent être traités aux antibiotiques en cas de maladies infectieuses (comme la grippe, les viroses respiratoires ou la fièvre, voire la brucellose, le tétanos ou l’anthrax). La situation est la même dans le cas des produits antiparasitaires ([utilisés dans le traitement de] la giardiase, de l’infestation par ténia ou de la trichinose).

Tout est possible, explique le docteur [C.M.], car en Roumanie le circuit des médicaments n’est pas réglementé. « Dans tous les pays de l’Union européenne, les médicaments à usage vétérinaire peuvent être prescrits et administrés seulement par les médecins vétérinaires. Chez nous, ces médicaments sont en vente libre. » C’est révoltant, déclare le médecin, « en 2011, lors de l’inauguration du nouveau siège de la D.S.V.S.A. [direction départementale sanitaire vétérinaire pour la sécurité des aliments] de Bihor, j’ai demandé au directeur général de l’A.N.S.V.S.A., [C.C.], d’entamer des démarches visant à réglementer la commercialisation de médicaments vétérinaires, mais il m’a dit qu’il « était trop petit pour mener une guerre de si grande ampleur ». Je n’ai pas su quoi répliquer. Je me demande pourquoi il occupe cette fonction s’il ne peut garantir la sécurité des aliments, comme l’impose le nom de l’institution. »

Une affaire de millions

Pourquoi est-ce une guerre « de si grande ampleur » ? Parce que la commercialisation de ces médicaments génère des dizaines de millions d’euros chaque année, et que ceux qui en profitent sont également chefs des D.S.V.S.A., de l’A.N.S.V.S.A. et du [C.M.V.R.]. Pas plus tard que la semaine dernière, un reportage télévisé montrait que le directeur de Suceava était aussi patron d’une pharmacie vétérinaire et qu’il avait donc un intérêt à vendre n’importe quoi, à n’importe qui et n’importe comment. De même, le site du périodique Veterinarul a présenté les découvertes faites par la direction du patronat des médecins vétérinaires libéraux de Roumanie (P.M.V.R.) au sujet des liens, impliquant beaucoup d’argent, entre la direction de C.M.V.R. et les producteurs et distributeurs de médicaments.

Le comble est que l’année dernière, à l’initiative du P.M.V.R., le président de l’époque de l’A.N.S.V.S.A., [R.R.], a émis l’arrêté no 41/2012 portant application, pour la première fois, de la loi no 160 sur la sécurité des aliments, et réglementant ainsi le circuit des médicaments vétérinaires. En vertu de cet arrêté, les pharmacies vétérinaires pouvaient seulement être tenues par des médecins vétérinaires pratiquants et devaient être installées dans le même local qu’un cabinet vétérinaire ou dans un espace annexe à un cabinet vétérinaire, et l’établissement des ordonnances ainsi que l’administration des médicaments étaient réservés aux seuls médecins vétérinaires. Toutefois, quelques jours plus tard, la direction du C.M.V.R. a contesté ledit arrêté et a sollicité son annulation par voie judicaire au motif qu’il avait été émis en méconnaissance des conditions de transparence du processus décisionnel. Le P.M.V.R. a indiqué que l’intérêt [de cette contestation] n’était pas le respect de la déontologie de la profession de médecin vétérinaire, mais la réalisation de profits plus importants grâce à la vente libre de médicaments. L’explication ? [V.A. – le troisième requérant], président de l’ordre, [L.H. – le deuxième requérant], premier vice-président de l’ordre, et [M.D. – le premier requérant], secrétaire de l’ordre, représentent les intérêts de certaines entreprises, telles que [I.], [S.] et [F.], contrôlées par l’homme d’affaires [S.S.], qui a repris, frauduleusement, l’institut [P.] de Bucarest et le plus grand distributeur de médicaments vétérinaires du pays, qui est [l’entreprise] [F.] (où travaille le secrétaire du C.M.V.R.).

« Le comble est que les chefs du C.M.V.R. ont demandé l’annulation de l’arrêté no 41/2012 sans avoir été mandatés par les médecins vétérinaires qu’ils prétendent représenter, portant ainsi préjudice aux intérêts professionnels de ceux-ci. L’Ordre des médecins défend les intérêts des médecins, l’Ordre des notaires celui des notaires, seul l’Ordre des médecins vétérinaires agit contre les médecins vétérinaires et contre la santé de la population », affirme [C.M.].

Des analyses aléatoires

Pire encore, les [D.S.V.S.A.], même si elles disposent d’unités de pharmacovigilance, ne procèdent que d’une manière aléatoire à des analyses pour dépister les résidus de médicaments dans les produits alimentaires d’origine animale car cela coûte trop cher. « D’habitude, elles effectuent les analyses pour le dépistage des zoonoses, telles que la trichinose, mais très rarement pour le dépistage des résidus de médicaments, car cela pourrait coûter jusqu’à 200 lei », dit [C.M.].

L’hebdomadaire Bihoreanul a abordé ce sujet avec le chef de la D.S.V.S.A. de Bihor, [R.M.] (photo), mais celui-ci s’est montré gêné par nos questions et par le sujet, expliquant qu’il s’agissait de « secrets professionnels » et précisant que dans tout le département il n’y avait que deux abattoirs. Autrement dit, le danger de consommer de la viande provenant d’animaux gavés d’antibiotiques serait réduit. « Croyez-vous que les scandales dans la presse et les démissions au niveau de l’A.N.S.V.S.A. résoudront les problèmes ? », ajouta le chef de la D.S.V.S.A. de Bihor, contrarié par la mise en cause de l’efficacité du système qu’il représente. Comme si, au contraire, on pouvait résoudre les problèmes en restant indolent et en les balayant sous le tapis… »

II. l’action menée en justice par les requérants

5. Le 23 juillet 2013, les requérants, qui remplissaient respectivement les fonctions de secrétaire du bureau exécutif, de premier vice-président et de président du C.M.V.R., saisirent le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest d’une action civile en responsabilité délictuelle dirigée contre l’hebdomadaire Bihoreanul et le journaliste A.A.C.O., auteur de l’article. Se plaignant d’une atteinte à leur réputation, ils reprochaient à la direction de l’hebdomadaire et à l’auteur de l’article litigieux d’avoir employé des termes, qu’ils jugeaient diffamatoires, suggérant qu’ils avaient une part de responsabilité dans la consommation par la population d’aliments contaminés par des résidus d’antibiotiques, qu’ils soutenaient le commerce de médicaments vétérinaires, qu’ils avaient un intérêt à l’annulation de l’arrêté no 41/2012 émis par l’Autorité nationale sanitaire vétérinaire pour la sécurité des aliments (ci-après « l’A.N.S.V.S.A. ») et qu’ils agissaient contre les intérêts des médecins vétérinaires membres du C.M.V.R. Ils avançaient que la surveillance du commerce de médicaments vétérinaires incombait à l’A.N.S.V.S.A. et ne relevait pas de la compétence du C.M.V.R. et que l’annulation en justice dudit arrêté n’était pas de nature à entraîner un danger pour la santé de la population ni à créer d’éventuels avantages à leur profit ou à celui des distributeurs d’antibiotiques. Ils soutenaient que les termes utilisés dans l’article outrepassaient les limites de la liberté d’expression et que le préjudice subi était d’autant plus important que l’article avait été publié pendant une période d’intenses pressions médiatiques visant le C.M.V.R. et les médecins vétérinaires à la suite d’un scandale lié à la vente illicite de viande de cheval et à l’exportation illégale de produits d’origine animale.

6. Dans son mémoire en défense, l’hebdomadaire précisa que le but de l’article n’était pas de porter atteinte à la réputation des requérants, mais de tirer la sonnette d’alarme quant à un sujet d’intérêt public lié à la protection sanitaire de la population.

A. Le jugement de première instance

7. Par un jugement du 26 juin 2014, le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest (ci-après, « le tribunal de première instance ») rejeta l’action des requérants pour défaut de fondement. Pour parvenir à cette conclusion, le tribunal de première instance analysa d’abord le contenu de l’article litigieux, entendit un témoin (le médecin vétérinaire C.M.) proposé par les parties défenderesses et un témoin (J.L.M.) proposé par les requérants, recueillit les témoignages des parties et leurs conclusions écrites. Il considéra ensuite que l’article litigieux présentait dans son ensemble l’opinion du médecin vétérinaire C.M. sur la commercialisation sans prescription des antibiotiques à usage vétérinaire et leurs effets sur la santé de la population. Il releva également que l’arrêté no 41/2012 avait été annulé le 29 avril 2013 par la cour d’appel de Bucarest à la suite d’une contestation introduite par le C.M.V.R.

8. Après avoir constaté que le litige avait pour objet un conflit entre le droit à la liberté d’expression de l’auteur de l’article et le droit au respect de la vie privée des requérants (articles 8 et 10 de la Convention), le tribunal de première instance jugea que les deux droits concurrents étaient applicables, que les obligations positives de protéger les droits des parties et de ménager un juste équilibre entre ces droits incombaient à l’État et que l’ingérence était prévue par la Constitution roumaine et par le code civil. Il rappela ensuite les critères se dégageant de la jurisprudence de la Cour qu’il fallait prendre en compte lors de la mise en balance des deux droits (la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété des personnes visées et l’objet de l’article, le comportement antérieur des personnes visées et les répercussions de l’article) et procéda à leur application au cas d’espèce, après avoir souligné l’importance de la distinction entre les faits et les jugements de valeur et du rôle que revêtaient le mode d’obtention des informations et la bonne foi de l’auteur de la publication.

9. Ainsi, pour ce qui est de la question relative à la dangerosité pour la santé humaine de la commercialisation et de l’utilisation sans prescription d’antibiotiques vétérinaires, abordée dans l’article litigieux, le tribunal de première instance jugea qu’il s’agissait d’un sujet d’intérêt public contribuant à un débat d’intérêt général et majeur et que, d’après la jurisprudence de la Cour, le public avait le droit d’accès à des informations lui permettant d’évaluer le danger auquel il était exposé. Le tribunal de première instance cita, à cet égard, l’affaire Tătar c. Roumanie (no 67021/01, § 88, 27 janvier 2009). Il observa également que des situations similaires, telles que l’exportation par une entreprise roumaine de viande de dinde contenant des résidus d’antibiotiques ou la contamination du lait par les aflatoxines, qui avaient entraîné la démission du président de l’A.N.S.V.S.A., avaient retenu l’attention des médias avant la publication de l’article litigieux.

10. S’agissant de la notoriété des personnes visées, le tribunal de première instance constata que les requérants remplissaient respectivement les fonctions de secrétaire du bureau exécutif, de premier vice-président et de président du C.M.V.R., qui était, d’après le tribunal, un ordre professionnel d’intérêt public, étant donné qu’il émettait des avis consultatifs sur les actes normatifs dans le domaine de la médecine vétérinaire, élaborait des actes normatifs obligatoires et infligeait des sanctions. De ce fait, le tribunal de première instance jugea que les requérants pouvaient être assimilés à des « personnes publiques » au sens de la jurisprudence de la Cour (il cita à cet égard les affaires Krone Verlag GmbH & Co. KG c. Autriche, no 34315/96, § 37, 26 février 2002, et Verlagsgruppe News GmbH c. Autriche (no 2), no 10520/02, § 36, 14 décembre 2006). Se référant aux affaires Petrenco c. Moldova (no 20928/05, 30 mars 2010) et Lingens c. Autriche (8 juillet 1986, § 42, série A no 103), il ajouta que les premier et troisième requérants étant titulaires d’un doctorat en médecine vétérinaire et cadres universitaires avec une très importante expérience académique, bénéficiaient d’une notoriété dans le domaine scientifique et que, de surcroît, le troisième requérant, député au Parlement roumain, était un « homme politique ». Il conclut donc qu’ils s’exposaient tous à une critique plus large que celle qui était admissible à l’égard d’un simple particulier.

11. Au sujet de l’article, le tribunal de première instance constata qu’il ne concernait pas la vie privée des requérants, qui n’étaient visés que d’une manière secondaire quant à la façon dont ils représentaient les intérêts des médecins vétérinaires, et que le message principal de l’article concernait la santé publique.

12. Se référant au comportement antérieur des personnes mentionnées dans l’article litigieux, le tribunal de première instance rappela que le sujet traité dans l’article en question avait déjà fait l’objet d’un article de presse publié dans le journal national Cotidianul, et que ces informations avaient été reprises par la presse en ligne (www.interceptor.informatia.ro ou www.sursadestiri.net) et par une chaîne nationale (Antena 3) dans une émission télévisée lors de laquelle les intérêts que les requérants pouvaient avoir à l’annulation de l’arrêté no 41/2012 avaient été discutés. Le tribunal de première instance observa que le troisième requérant avait déjà fait l’objet de plusieurs reportages qui le visaient en sa qualité de député et concernaient la façon dont il avait acquis et déclaré son patrimoine.

13. Le tribunal de première instance procéda ensuite à l’analyse des affirmations litigieuses et conclut que certaines d’entre elles, telles que celles portant sur la contamination de la viande et sa consommation quotidienne par la population, représentaient des déclarations factuelles dont la véracité était susceptible d’être prouvée. À titre d’exemple, le tribunal rappela la situation créée par l’exportation de viande de dinde contaminée par des résidus d’antibiotiques, qui avait fait l’objet d’une plainte déposée par les autorités allemandes et avait donné lieu à plusieurs enquêtes journalistiques.

14. Le tribunal de première instance considéra comme des jugements de valeur les propos relatifs au contrôle par la direction du C.M.V.R. du commerce de médicaments vétérinaires, affirmations qui n’avaient pas été émises par le médecin vétérinaire C.M., mais auxquelles celui-ci avait intégralement souscrit lors de son témoignage. Le tribunal jugea que ces propos reposaient sur une base factuelle suffisante, étayée par les témoignages des requérants eux-mêmes, qui avaient confirmé être également actionnaires des entreprises assurant la distribution de médicaments vétérinaires au niveau national (les entreprises F. SA, S.C. SARL et I. SARL), ce qui confirmait l’idée d’un contrôle de facto de ce type de commerce, très profitable, par les requérants. Dans ce même contexte, le tribunal de première instance considéra comme des jugements de valeur les affirmations de l’auteur de l’article selon lesquelles la direction du C.M.V.R. profitait du commerce fructueux de médicaments vétérinaires et avait tout intérêt à faire annuler l’arrêté no 41/2012, qui devait encadrer d’une manière plus efficace ce type de commerce. Pour conclure ainsi, le tribunal de première instance s’appuya sur un article paru en mai 2013 dans le journal Medicul Veterinar (Le médecin vétérinaire) et intitulé « Un signal d’alarme », qui confirmait que la commercialisation de médicaments vétérinaires sans prescription représentait un problème d’actualité. De plus, le tribunal de première instance constata que le premier requérant n’avait pas contesté, lors de son témoignage, que les requérants étaient associés à l’homme d’affaires S.S., qui contrôlait l’entreprise F. SA, le plus grand distributeur de médicaments vétérinaires au niveau national, et qui faisait l’objet d’une enquête pénale au sujet de la reprise illégale d’une autre structure à caractère médical. Quant à l’affirmation, qui était d’ailleurs attribuable à l’auteur de l’article, selon laquelle la direction du C.M.V.R. n’avait pas mandaté les requérants pour demander l’annulation de l’arrêté no 41/2012, le tribunal de première instance jugea qu’il s’agissait d’un jugement de valeur qui avait pour origine le témoignage du médecin vétérinaire C.M. et plusieurs articles de presse relatant le mécontentement exprimé par une grande partie des médecins vétérinaires face à la démarche concernant l’annulation de l’arrêté no 41/2012.

15. Quant au mode d’obtention des informations et à leur véracité, le tribunal de première instance estima que l’auteur de l’article avait respecté la déontologie professionnelle en ce que, avant de publier son article, il avait consulté des articles de presse sur le même sujet, vérifié si l’achat de ce type de médicaments ne nécessitait pas de prescription, étudié les curriculums vitæ des requérants, ce qui lui avait permis de confirmer qu’ils étaient actionnaires des entreprises de distribution de médicaments, contacté le médecin C.M. afin de faire corroborer ses allégations par un spécialiste dans le domaine et essayé d’obtenir des renseignements par téléphone de la part de la D.S.V.S.A. de Bihor. Citant l’affaire Jersild c. Danemark (23 septembre 1994, § 35, série A no 298), le tribunal de première instance constata également que la plupart des affirmations exprimées par le journaliste exposaient l’opinion du médecin vétérinaire C.M.

16. Le tribunal de première instance conclut ensuite que l’analyse effectuée selon le critère relatif à la bonne foi de l’auteur de l’article litigieux démontrait que celui-ci avait fourni une base factuelle suffisante à l’appui de ses affirmations et qu’il avait utilisé un ton objectif et un langage modéré pour adresser un message qui s’inscrivait dans le cadre d’un débat initié par d’autres journalistes sur le même sujet. Quant aux allégations des requérants selon lesquelles les parties défenderesses ne leur avaient pas accordé un droit de réplique, le tribunal de première instance jugea que, compte tenu du constat relatif aux jugements de valeur exprimés par le journaliste, un éventuel droit de réplique pour les requérants n’avait aucune utilité.

17. Enfin, s’agissant des répercussions de l’article, le tribunal de première instance releva qu’il avait été publié dans un journal local, dont le site Internet était fréquenté à 95 % par des lecteurs du département de Bihor selon les résultats d’une étude versée au dossier de l’affaire. Il conclut que l’article ne concernait que très peu les requérants et que, dans les circonstances de l’espèce, un éventuel constat d’un fait illicite à la charge des parties défenderesses aurait porté atteinte au droit à la liberté d’expression, avec pour effet de décourager la presse. Il jugea que les conditions de la responsabilité civile délictuelle n’étaient pas réunies en l’espèce et rejeta l’action comme étant manifestement mal fondée.

B. L’appel des requérants

18. Les requérants interjetèrent appel de ce jugement, critiquant l’application, erronée selon eux, des principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour, ainsi que l’interprétation, incorrecte à leurs yeux, donnée par le tribunal de première instance des conditions de la responsabilité civile délictuelle.

19. Par un arrêt définitif du 16 septembre 2015, le tribunal départemental de Bucarest (ci-après, « le tribunal départemental ») rejeta l’appel des requérants et confirma le bien-fondé du jugement du tribunal de première instance. Il jugea que les critiques formulées par les requérants n’étaient pas fondées, le tribunal de première instance ayant pris en considération non seulement les dispositions légales internes, mais aussi les principes établis par la jurisprudence de la Cour relativement à la mise en balance des deux droits concurrents. L’arrêt fut notifié aux requérants le 27 janvier 2016.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

20. En vertu de l’article 1349 § 1 du code civil, toute personne doit respecter les règles de conduite imposées par la loi ou la coutume et s’abstenir de porter atteinte, par ses actions ou inactions, aux droits ou intérêts légitimes d’autrui. Tout fait de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1357 du code civil).

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

21. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun d’ordonner leur jonction (article 42 § 1 du règlement de la Cour).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

22. Les requérants reprochent aux autorités nationales de ne pas avoir protégé leur droit au respect de leur réputation contre l’atteinte qui serait résultée de la publication de l’article litigieux.

Ils invoquent l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

1. Applicabilité de l’article 8 de la Convention

23. La Cour rappelle que le droit à la protection de la réputation est un droit qui relève, en tant qu’élément de la vie privée, de l’article 8 de la Convention (Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, § 83, 7 février 2012, et Polanco Torres et Movilla Polanco c. Espagne, no 34147/06, § 40, 21 septembre 2010). Pour que cette disposition entre en ligne de compte, l’atteinte à la réputation personnelle doit présenter un certain niveau de gravité et avoir été effectuée de manière à causer un préjudice à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée. Cette condition vaut pour la réputation sociale en général et pour la réputation professionnelle en particulier (Axel Springer AG, précité, § 83, et Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 112, 25 septembre 2018, avec les références qui y sont citées).

24. En l’espèce, étant donné que l’article litigieux suggérait que les requérants, membres de la direction du C.M.V.R., ne représentaient en réalité pas les intérêts des médecins vétérinaires et étaient impliqués dans la commercialisation de médicaments vétérinaires (paragraphe 4 ci-dessus), la Cour estime que les affirmations qui y étaient exprimées étaient d’une gravité suffisante pour appeler l’application de l’article 8 de la Convention.

2. Autres motifs d’irrecevabilité

25. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

26. Les requérants indiquent qu’ils ont été accusés d’être à l’origine de la vente sans prescription d’antibiotiques à usage vétérinaire, d’avoir agi sans le mandat des médecins vétérinaires qu’ils représentaient, et qui plus est contre la santé de la population, en contestant l’arrêté no 41/2012, et d’avoir ainsi obtenu des bénéfices grâce à la vente libre de médicaments à usage vétérinaire. Ils considèrent que ces affirmations, qui avaient aussi été publiées sur le site Internet de l’hebdomadaire Bihoreanul, étaient suffisamment graves pour emporter violation de l’article 8 de la Convention.

27. Ils critiquent la manière dont les juridictions nationales ont mis en balance les deux droits concurrents. Ils estiment que les affirmations litigieuses dépassaient les limites d’un débat d’intérêt général au sujet de la santé de la population car, selon eux, elles portaient également sur le respect de la déontologie professionnelle spécifique au métier de médecin vétérinaire. En ce qui concerne la source d’inspiration de l’article litigieux, ils indiquent qu’à part l’interview accordée par le médecin vétérinaire C.M., un seul article de presse fut publié sur le même sujet, le 13 mars 2013, dans le journal Cotidianul, et que cet article fait l’objet de trois autres requêtes présentées par eux devant la Cour. Ils ajoutent que, bien que le problème concernant la contamination de la viande par des résidus de médicaments ait fait l’objet d’articles similaires, aucune référence les visant ou visant le C.M.V.R. n’avait été faite avant la publication de l’article litigieux. S’agissant de leur notoriété, les requérants estiment que leurs fonctions au sein du C.M.V.R. ne revêtaient aucune importance particulière.

28. Les requérants soutiennent que les affirmations litigieuses étaient dépourvues de toute base factuelle, élément nécessaire même en présence de jugements de valeur. Ils citent à cet égard les affaires Jerusalem c. Autriche (no 26958/95, § 43, CEDH 2001‑II), Lešník c. Slovaquie (no 35640/97, § 57, CEDH 2003‑IV), et Vides Aizsardzības Klubs c. Lettonie (no 57829/00, § 44, 27 mai 2004). Se référant à l’affaire Stângu et Scutelnicu c. Roumanie (no 53899/00, § 53, 31 janvier 2006), ils avancent que le médecin C.M., entendu comme témoin, ne s’est pas prononcé sur la culpabilité du C.M.V.R. et a même nié être l’auteur des affirmations citées par le journaliste A.A.C.O. dans son article. Ils ajoutent que le fait pour l’auteur de l’article de citer des affirmations qui n’avaient pas été formulées par le médecin vétérinaire C.M. témoigne d’un non-respect par le journaliste de la déontologie professionnelle et donc de l’absence de bonne foi (ils citent à cet égard l’affaire Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 37, CEDH 2003‑X (extraits)). Selon les requérants, cette thèse serait également confirmée par le fait que le journaliste n’a pas demandé l’opinion de l’A.N.S.V.S., émettrice de l’arrêté no 41/2012, et qu’il n’a ni sollicité le point de vue des requérants ni effectué les recherches documentaires nécessaires avant de publier un article.

29. Les requérants considèrent que les affirmations litigieuses ne représentaient pas des jugements de valeur mais des déclarations de fait. Ils font référence à ce titre aux affirmations attribuées à tort au médecin C.M. et aux affirmations relatives à l’absence de mandat pour l’annulation de l’arrêté no 41/2012, qui n’avaient selon eux aucun fondement réel. Ils se réfèrent à cet égard à l’affaire Lešník (précité, § 57). Enfin, s’agissant des répercussions de l’article, les requérants indiquent avoir fait l’objet de plusieurs reportages, documentaires et articles de presse qui avaient mis en doute leur probité morale. Ils ajoutent que l’article litigieux avait également été publié sur le site Internet de l’hebdomadaire Bihoreanul, ce qui l’avait rendu plus accessible au grand public, et avait une fois de plus porté atteinte à leur droit à une bonne image et réputation et eu, de surcroît, des répercussions sur leur carrière académique.

b) Le Gouvernement

30. Le Gouvernement renvoie aux principes généraux relatifs aux droits protégés par les articles 8 et 10 de la Convention, qui sont résumés dans l’affaire Von Hannover c. Allemagne (no 2) ([GC], nos 40660/08 et 60641/08, §§ 65 et 70, CEDH 2012), et estime que la présente affaire porte sur deux droits concurrents. Il considère que l’ingérence en l’espèce était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime. Il affirme que les tribunaux internes, après avoir conclu à l’applicabilité de l’article 8 en l’espèce, ont procédé à une mise en balance des deux droits en se fondant sur les critères se dégageant de la jurisprudence de la Cour. Il estime que la question principale à analyser reste celle de savoir si l’État a ménagé un juste équilibre entre les deux droits concurrents.

31. À ce titre, le Gouvernement indique que le tribunal de première instance a conclu, après avoir analysé les preuves versées au dossier, que l’article litigieux tirait la sonnette d’alarme quant à une question de santé publique et contribuait ainsi à un débat d’intérêt général sur une question présentant un intérêt majeur pour la société. Il considère que les requérants, de par leurs fonctions, faisaient l’objet d’un contrôle plus attentif des médias ; que l’article ne concernait pas leur vie privée ; que toutes les affirmations, dont certaines constituaient des déclarations de fait et d’autres des jugements de valeur, reposaient sur une base factuelle suffisante et que l’auteur de l’article avait respecté les règles de déontologie professionnelle avant de le publier. Il ajoute que le tribunal départemental a confirmé l’analyse faite par le tribunal de première instance et a jugé que les requérants n’avaient pas suffisamment étayé leurs allégations pour que leur appel pût être accueilli.

32. Le Gouvernement estime que les tribunaux internes ont procédé à une appréciation des intérêts concurrents en l’espèce. Il indique qu’ils ont jugé que la démarche de l’auteur de l’article n’avait pas eu pour but de porter atteinte à la réputation des requérants et que ceux-ci n’avaient pas rempli en l’espèce les conditions pour former une action en responsabilité civile délictuelle. Il expose que les tribunaux internes ont constaté la bonne foi de l’auteur de l’article, que les requérants (qui ont gardé leurs fonctions au sein du C.M.V.R.) n’ont pas prouvé l’existence d’un quelconque préjudice qui serait résulté de la publication de l’article litigieux et que, de par leurs fonctions, ils étaient assimilés à des personnes publiques au sens de la Convention. Il renvoie à la jurisprudence de la Cour (notamment aux affaires Palade c. Roumanie (déc.), no 37441/05, 31 août 2010 ; Timciuc c. Roumanie (déc.), no 28999/03, 12 octobre 2010 ; et Stroea c. Roumanie [Comité], no 76969/11, 22 octobre 2019) qui accorderait la priorité à la liberté d’expression lors de sa mise en balance avec le droit au respect de la vie privée, et estime que l’État défendeur n’a pas manqué à son obligation positive de faire respecter le droit des requérants à leur vie privée.

2. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

33. La Cour rappelle que dans les affaires du même type que celle à l’examen se trouve en cause non pas un acte de l’État mais l’insuffisance alléguée de la protection accordée par les juridictions internes à la vie privée des requérants. Or si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Von Hannover (no 2), précité, § 98). La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au regard de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents en jeu (ibid., § 99).

34. Lorsque le grief présenté à la Cour a trait à une méconnaissance des droits protégés par l’article 8 de la Convention du fait de l’exercice par d’autres de leur droit à la liberté d’expression, il convient de tenir dûment compte, lors de l’application de l’article 8, des exigences de l’article 10 de la Convention (voir, par exemple et mutatis mutandis, Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, § 58, CEDH 2004‑VI). Ainsi, dans de tels cas, la Cour devra mettre en balance le droit au respect de sa vie privée et l’intérêt général à protéger la liberté d’expression, en gardant à l’esprit qu’il n’existe aucune relation hiérarchique entre les droits garantis par les deux articles (Sousa Goucha c. Portugal, no 70434/12, § 42, 22 mars 2016).

35. La Cour rappelle à cet égard qu’elle a déjà eu l’occasion d’énoncer les principes pertinents qui doivent guider son appréciation dans ce domaine (Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, §§ 90-93, CEDH 2015 (extraits), et Von Hannover (no 2), précité, §§ 95‑99). Elle a ainsi posé un certain nombre de critères dans le contexte de la mise en balance des droits en présence (Axel Springer AG, précité, §§ 90‑95, et Von Hannover (no 2), précité, §§ 109‑113). Les critères définis applicables en la matière – pour autant qu’ils sont pertinents en l’espèce – sont la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, et le contenu, la forme et les répercussions de la publication (voir, mutatis mutandis, Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 93).

36. Dans ce contexte, la Cour rappelle que, si la presse ne doit pas franchir certaines limites, concernant notamment la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. À sa fonction qui consiste à diffuser des informations et des idées sur de telles questions s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. S’il en allait autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de « chien de garde » (Axel Springer AG, précité, § 79).

37. La Cour a également souligné que la contribution de la presse à un débat d’intérêt général ne saurait être limitée aux seuls faits d’actualité ou débats préexistants. La presse est certes un vecteur de diffusion des débats d’intérêt général, mais elle a également pour rôle de révéler et de porter à la connaissance du public des informations susceptibles de susciter l’intérêt et de faire naître un tel débat au sein de la société (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 114).

38. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation se concilient avec les dispositions invoquées de la Convention (Axel Springer AG, précité, § 86). Si la mise en balance, par les autorités nationales, des droits garantis par les articles 8 et 10 de la Convention s’est faite dans le respect des critères établis par la jurisprudence de la Cour, il faut des raisons sérieuses pour que celle-ci substitue son avis à celui des juridictions internes (ibid., §§ 87‑88, avec les références qui y sont citées).

39. Par ailleurs, la Cour rappelle la distinction qui est faite entre déclarations de fait et jugements de valeur. La matérialité des déclarations de fait peut se prouver ; en revanche, les jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’obligation de preuve est impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 (Mika c. Grèce, no 10347/10, § 31, 19 décembre 2013). Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se révéler excessif. Pour distinguer une imputation de fait d’un jugement de valeur, il faut tenir compte des circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos, étant entendu que des assertions sur des questions d’intérêt public peuvent constituer à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de fait (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 126, CEDH 2015, et les références qui y sont citées).

b) Applications des principes au cas d’espèce

40. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour note d’abord que les requérants reprochaient à l’auteur de l’article des propos suggérant qu’ils avaient une part de responsabilité dans la consommation par la population d’aliments contaminés par des résidus d’antibiotiques, qu’ils soutenaient le commerce de médicaments vétérinaires, qu’ils avaient un intérêt à l’annulation de l’arrêté no 41/2012, et qu’ils agissaient contre les intérêts des médecins vétérinaires membres du C.M.V.R. (paragraphe 5 ci‑dessus).

41. À cet égard, la Cour estime utile de souligner, à titre liminaire, que son rôle en l’espèce consiste avant tout à vérifier que les juridictions nationales, dont les requérants contestent les décisions, ont procédé à une juste mise en balance des droits en cause en statuant à l’aune des critères qu’elle a définis pour ce faire (paragraphes 35 et 38 ci‑dessus).

i. Sur la question de la contribution à un débat d’intérêt général

42. La Cour rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. La marge d’appréciation des États est en effet réduite en matière de débat touchant à l’intérêt général (Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 159, 23 juin 2016, et Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, § 167, 27 juin 2017). Pour vérifier qu’une publication portant sur la vie privée d’autrui ne tend pas uniquement à satisfaire la curiosité d’un certain lectorat mais constitue également une information d’importance générale, il faut apprécier la totalité de la publication et rechercher si celle‑ci, prise dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit, se rapporte à une question d’intérêt général (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 102).

43. À cet égard, la Cour précise qu’ont trait à un intérêt général les questions qui touchent le public dans une mesure telle qu’il peut légitimement s’y intéresser, qui éveillent son attention ou le préoccupent sensiblement, notamment parce qu’elles concernent le bien-être des citoyens ou la vie de la collectivité. Tel est le cas également des questions qui sont susceptibles de créer une forte controverse, qui portent sur un thème social important, ou encore qui ont trait à un problème dont le public aurait intérêt à être informé (ibid., § 103, avec les références qui y sont citées).

44. En l’occurrence, la Cour note que le tribunal de première instance a indiqué que l’article litigieux portait sur le danger que représentaient pour la santé humaine la commercialisation et l’utilisation sans prescription d’antibiotiques vétérinaires. Il a jugé qu’il s’agissait d’une question relative à un sujet d’intérêt public contribuant à un débat d’intérêt général et majeur et fait observer que cette question avait déjà retenu l’attention des médias bien avant la publication de l’article en question (paragraphe 9 ci-dessus).

45. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que des propos concernant la protection de la santé publique relevaient de sujets d’intérêt général et s’inscrivaient dans un débat public d’une extrême importance (voir, notamment, Mamère c. France, no 12697/03, § 20, CEDH 2006‑XIII, avec les références qui y sont citées).

46. Elle relève que l’article litigieux avait pour objet d’exposer le danger que représentaient pour la santé des consommateurs la commercialisation et l’utilisation sans prescription de médicaments vétérinaires, ainsi que les démarches entreprises par les requérants pour faire annuler un arrêté qui visait à rendre plus efficaces les normes dans ce domaine et l’implication directe des intéressés dans la commercialisation de médicaments vétérinaires (paragraphe 4 ci-dessus). Elle constate également que la question de la commercialisation de viande impropre à la consommation était déjà un sujet d’actualité au moment de la publication de l’article litigieux et faisait l’objet d’un débat dans la presse nationale (paragraphes 9, 12 et 27 ci‑dessus).

47. À la lumière des considérations ci-dessus, la Cour ne peut que souscrire au point de vue du tribunal de première instance relatif à l’analyse de l’application de ce premier critère. Elle estime que les sujets abordés dans l’article litigieux représentaient des questions d’intérêt général liées à la protection de la santé publique (voir la jurisprudence citée aux paragraphes 36-37 et 42-43 ci-dessus). Elle observe que cette question était déjà un sujet de discussion publique (voir, mutatis mutandis, Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 114 in fine). À l’instar des juridictions nationales (paragraphe 9 ci-dessus), elle rappelle qu’en vertu des obligations positives incombant aux autorités sous l’angle de l’article 8 de la Convention, le public devait avoir accès à des informations lui permettant d’évaluer le danger auquel il était exposé (voir, mutatis mutandis, Tătar c. Roumanie, no 67021/01, § 88, 27 janvier 2009).

48. Au demeurant, la Cour ne voit aucune raison de douter que la publication de l’article litigieux pouvait s’entendre comme ayant contribué à un débat d’intérêt général.

ii. Sur la notoriété des personnes visées et l’objet de l’article

49. La Cour rappelle qu’il faut opérer une distinction entre les personnes privées et les personnes agissant dans un contexte public, en tant que personnalités politiques ou personnes publiques (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 118). Les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier (Petrina c. Roumanie, no 78060/01, § 40, 14 octobre 2008). Ce principe ne s’applique d’ailleurs pas uniquement aux hommes politiques, mais vaut pour toute personne qui fait partie de la sphère publique, que ce soit par ses actes ou par sa position (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 121, avec les références qui y sont citées).

50. En l’espèce, la Cour note que le tribunal de première instance a estimé que les requérants étaient des « personnes publiques » en raison de leurs fonctions au sein d’un ordre professionnel qualifié comme étant d’intérêt public ainsi que de la notoriété acquise par eux au niveau national dans les domaines académique et politique (paragraphe 10 ci-dessus).

51. La Cour observe, à l’instar des juridictions nationales, que les requérants occupaient des fonctions dans la direction d’un ordre professionnel qualifié par le tribunal de première instance comme étant d’intérêt publique (paragraphe 10 ci-dessus). Elle considère que leur activité professionnelle faisait d’eux des personnages connus dans leur secteur professionnel au sens de la jurisprudence citée au paragraphe 49 in fine ci‑dessus (voir également, mutatis mutandis, Petrie c. Italie, no 25322/12, § 51, 18 mai 2017). De plus, le premier et le troisième requérant bénéficiaient d’une certaine notoriété dans le domaine académique (voir, mutatis mutandis, Petrenco c. Moldova, no 20928/05, § 60, 30 mars 2010) et le troisième était de surcroît un « homme politique » (paragraphe 10 in fine ci-dessus) au sens de la jurisprudence citée au paragraphe 49 ci‑dessus.

52. La Cour conclut que les requérants étaient des personnages publics d’une notoriété certaine et ne pouvaient ainsi prétendre à une protection de leur droit à la vie privée de la même manière qu’une personne privée inconnue du public.

53. S’agissant de l’objet de l’article, la Cour note, à l’instar des juridictions nationales (paragraphe 11 ci-dessus), qu’il n’était pas centré sur la vie privée des requérants, mais qu’il concernait leur activité professionnelle en tant que membres de la direction du C.M.V.R. et associés dans des entreprises de commercialisation et de distribution de médicaments vétérinaires (voir, mutatis mutandis, Sabou et Pircalab c. Roumanie, no 46572/99, § 39, 28 septembre 2004).

iii. Sur le comportement antérieur de la personne concernée

54. La Cour constate que les juridictions internes ne se sont pas prononcées sur le comportement antérieur des requérants vis-à-vis des médias, mais ont simplement rappelé que ceux-ci avaient retenu l’attention des médias avant la publication de l’article litigieux (paragraphe 12 ci‑dessus).

55. Dès lors, elle estime que le comportement antérieur des requérants envers les médias n’a eu aucune conséquence sur l’issue de la mise en balance des droits en présence (voir, mutatis mutandis, Fuchsmann c. Allemagne, no 71233/13, § 49, 19 octobre 2017).

iv. Sur le contenu, la forme et les répercussions de l’article

56. La Cour rappelle que, dans leur pratique quotidienne, les journalistes prennent des décisions par lesquelles ils choisissent la ligne de partage entre le droit du public à l’information et le droit d’autrui au respect de sa vie privée. Ils ont ainsi la responsabilité première de préserver les personnes, y compris les personnes publiques, de toute intrusion dans leur vie privée. Les choix qu’ils opèrent à cet égard doivent être fondés sur les règles d’éthique et de déontologie de leur profession (Couderc et Hachette Filipacchi Associés, précité, § 138). Toutefois, si les journalistes sont libres de choisir, parmi les informations qui leur parviennent, celles qu’ils traiteront et la manière dont ils le feront, cette liberté n’est pas exempte de responsabilités (ibid., § 139 in fine).

57. En l’espèce, la Cour note qu’après avoir analysé le contenu de l’article litigieux, le tribunal de première instance a conclu qu’il portait principalement sur la contamination des produits alimentaires d’origine animale par des résidus de médicaments vétérinaires et sur les dangers qui en résultaient pour la santé des consommateurs, et que les requérants n’avaient été visés que d’une manière secondaire (paragraphe 11 ci-dessus).

58. Bien que l’article litigieux se rapportât aussi aux démarches que les requérants, en tant que représentants du C.M.V.R., avaient entamées afin de faire annuler un arrêté qui devait rendre plus efficaces les normes dans ce domaine et à l’implication directe des intéressés dans la commercialisation de médicaments vétérinaires (paragraphe 46 ci-dessus), la Cour constate qu’il n’a ni révélé de détails de la vie privée des requérants ni comporté d’expressions injurieuses, mais qu’il exposait principalement des opinions sur la façon dont les requérants exerçaient leurs fonctions au sein de la direction du C.M.V.R. (voir, mutatis mutandis, Petro Carbo Chem S.E. c. Roumanie, no 21768/12, § 53, 30 juin 2020).

59. La Cour constate également que l’article litigieux faisait référence aux propos exprimés par le médecin vétérinaire C.M. Si les propos de ce dernier ont été attribués en partie à l’auteur de l’article (voir, a contrario, Magosso et Brindani c. Italie, no 59347/11, § 52, 16 janvier 2020), le tribunal a jugé, après avoir recueilli le témoignage de C.M., que ce témoin corroborait les thèses selon lesquelles la direction du C.M.V.R. contrôlait le commerce de médicaments vétérinaires et qu’une grande partie des médecins vétérinaires étaient mécontents de la démarche concernant l’annulation de l’arrêté no 41/2012 (paragraphes 4 et 14 ci‑dessus).

60. En premier lieu, en ce qui concerne les propos de l’auteur de l’article quant aux dangers que représentait pour les consommateurs la viande contaminée par des médicaments (paragraphe 13 ci-dessus), la Cour est d’avis, à l’instar des juridictions nationales et à la lumière des principes cités au paragraphe 39 ci-dessus, qu’il s’agissait de déclarations de fait qui avaient une base factuelle suffisante, étant donné que plusieurs enquêtes journalistiques avaient été menées à ce sujet. Une autre partie des propos, par exemple ceux qui se rapportaient au contrôle par les requérants du commerce de médicaments vétérinaires ou à leur intérêt à l’annulation de l’arrêté no 41/2012 et au fait qu’ils ne représentaient plus réellement les intérêts des membres du C.M.V.R., ont été considérés comme des jugements de valeur par les juridictions nationales (paragraphe 14 ci‑dessus). Compte tenu de l’implication des requérants, en tant qu’actionnaires, dans des entreprises distribuant les médicaments vétérinaires au niveau national et de l’état de mécontentement de certains médecins vétérinaires (paragraphe 14 ci-dessus), la Cour souscrit à la conclusion des juridictions nationales et estime que, même s’ils pouvaient renfermer une certaine dose d’exagération, ces propos s’apparentent à des jugements de valeur.

61. En deuxième lieu, la Cour rappelle que, lorsque les journalistes reprennent des déclarations faites par une tierce personne, le critère à appliquer ne consiste pas à se demander si ces journalistes peuvent prouver la véracité des déclarations, mais s’ils ont agi de bonne foi et se sont conformés à l’obligation qui leur incombe d’habitude de vérifier une déclaration factuelle en s’appuyant sur une base réelle suffisamment précise et fiable qui pourrait être tenue pour proportionnée à la nature et à la force de leur allégation (voir, mutatis mutandis, Dioundine c. Russie, no 37406/03, § 35, 14 octobre 2008), sachant que plus l’allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide (Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 78, CEDH 2004‑XI).

62. En l’espèce, la Cour constate, à l’instar des juridictions nationales, que l’auteur de l’article a agi de bonne foi en se basant sur d’autres articles abordant le même sujet et en transformant les informations ainsi recueillies en jugements de valeur (paragraphes 15-16 ci-dessus). Ses propos ont été corroborés par le témoignage du médecin vétérinaire C.M., qui souhaitait, tout comme le journaliste, tirer la sonnette d’alarme quant à la libre commercialisation de médicaments vétérinaires. En outre, le fait que l’auteur de l’article avait modéré ses propos, accompagné ses allégations de justificatifs et était impliqué dans le cadre d’un débat déjà en cours (paragraphes 12 et 27 ci-dessus) sont des éléments attestant de sa bonne foi (voir, mutatis mutandis, Dumitru c. Roumanie, no 4710/04, § 47, 1er juin 2010, avec les références qui y sont citées).

63. En ce qui concerne la forme de l’article litigieux, la Cour rappelle que l’ampleur de la diffusion de l’article peut, elle aussi, revêtir une importance, selon qu’il s’agit d’un journal à tirage national ou local, important ou faible (Von Hannover (no 2), précité, § 112, et les références qui y sont citées). En l’espèce, la Cour relève que les juridictions nationales ont analysé l’ampleur de la diffusion et l’accessibilité de l’article litigieux et ont conclu que l’article en question avait été publié dans un hebdomadaire à tirage local, dont le site Internet était visité en majorité par des lecteurs du département de Bihor (paragraphe 17 ci-dessus ; voir également, mutatis mutandis, M.L. et W.W. c. Allemagne, nos 60798/10 et 65599/10, § 112, 28 juin 2018). Dès lors, la Cour peut suivre les conclusions des juridictions nationales selon lesquelles le degré de diffusion de l’article litigieux était limité (voir, mutatis mutandis, Fuchsmann, précité, § 52).

v. Conclusion

64. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les juridictions nationales ont dûment mis en balance le droit des requérants au respect de leur vie privée et le droit de l’auteur de l’article à la liberté d’expression, en les appréciant à l’aune des critères se dégageant de sa jurisprudence. Compte tenu de la marge d’appréciation dont jouissent les États contractants, elle n’aperçoit aucune raison sérieuse de substituer son avis à celui des juridictions roumaines (voir la jurisprudence citée au paragraphe 38 ci-dessus). On ne saurait dès lors dire que les juridictions nationales, en refusant de donner suite à la demande des requérants, ont manqué aux obligations positives incombant à l’État roumain de protéger le droit des requérants au respect de leur vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Petrie, précité, §§ 46-54).

65. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 décembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse Freiwirth                        Yonko Grozev
Greffière adjointe                    Président

___________

ANNEXE

No Requête No Nom de l’affaire Introduite le Requérant

Année de naissance

Lieu de résidence

Représenté par
1. 44332/16 Daneş c. Roumanie 26/07/2016 Mihai DANEŞ

1957

Bucarest

Robert-Ionuț CIOCANIU
2. 44829/16 Harbuz c. Roumanie 26/07/2016 Liviu HARBUZ

1962

Piatra Neamț

Robert-Ionuț CIOCANIU
3. 44839/16 Andronie c. Roumanie 26/07/2016 Viorel ANDRONIE

1963

Bucarest

Robert-Ionuț CIOCANIU

Dernière mise à jour le décembre 7, 2021 par loisdumonde

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