La requête concerne les poursuites disciplinaires dirigées contre la requérante, qui est juge au tribunal de la ville de Sofia. L’intéressée soutient que ces poursuites disciplinaires et les sanctions qui en ont découlé ont été motivées par les prises de position qu’elle a pu avoir en sa qualité de présidente de la principale association professionnelle de juges en Bulgarie. Invoquant les articles 6, 8, 10, 14 et 18 de la Convention, elle voit dans les poursuites et les sanctions en cause une atteinte disproportionnée, abusive et discriminatoire à sa liberté d’expression ainsi qu’à son droit au respect de sa vie privée. Elle allègue également que les procédures disciplinaires et judiciaires menées contre elle n’ont pas été équitables.
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE MIROSLAVA TODOROVA c. BULGARIE
(Requête no 40072/13)
ARRÊT
Art 18 • Art 10 • Restrictions dans un but non prévu • Liberté d’expression • Poursuites et sanctions disciplinaires contre la présidente de l’association des juges en représailles à ses critiques du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) et de l’exécutif • Prises de position relevant du débat d’intérêt général, pourvues de base factuelle et ne dépassant pas la critique acceptable d’ordre strictement professionnel • Effet dissuasif de la mesure de révocation sur la juge et l’ensemble des magistrats • Absence de motifs pertinents et suffisants
Art 6 § 1 (civil) • Indépendance et impartialité de la Cour administrative suprême ayant contrôlé la décision disciplinaire du CSM • Impartialité objective non entachée dans le cadre de l’attribution de l’affaire à une formation de jugement, même en l’absence de désignation aléatoire de tous ses juges
STRASBOURG
19 octobre 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Miroslava Todorova c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :
Tim Eicke, président,
Faris Vehabović,
Armen Harutyunyan,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pere Pastor Vilanova,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
Ekaterina Salkova, juge ad hoc,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 40072/13) dirigée contre la République de Bulgarie et dont une ressortissante de cet État, Mme Miroslava Stefanova Todorova (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 18 juin 2013,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») les griefs tirés des articles 6, 8, 10, 14 et 18 de la Convention concernant les sanctions disciplinaires imposées à la requérante et l’équité des procédures disciplinaires menées contre elle et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
les observations des parties,
le déport de M. Yonko Grozev, juge élu au titre de la Bulgarie (article 28 du règlement de la Cour) et la décision du président de la chambre de désigner Mme Ekaterina Salkova pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 b) du règlement),
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 septembre 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
inTRODUCTION
1. La requête concerne les poursuites disciplinaires dirigées contre la requérante, qui est juge au tribunal de la ville de Sofia. L’intéressée soutient que ces poursuites disciplinaires et les sanctions qui en ont découlé ont été motivées par les prises de position qu’elle a pu avoir en sa qualité de présidente de la principale association professionnelle de juges en Bulgarie. Invoquant les articles 6, 8, 10, 14 et 18 de la Convention, elle voit dans les poursuites et les sanctions en cause une atteinte disproportionnée, abusive et discriminatoire à sa liberté d’expression ainsi qu’à son droit au respect de sa vie privée. Elle allègue également que les procédures disciplinaires et judiciaires menées contre elle n’ont pas été équitables.
EN FAIT
2. La requérante est née en 1972 et réside à Sofia. Elle a été représentée par Me D. Dokovska, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme V. Hristova, du ministère de la Justice.
I. Le contexte de l’affaire
4. La requérante exerce les fonctions de juge depuis 1999. Au moment des faits de l’espèce, elle occupait un poste à la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia. Ce tribunal est compétent, en matière pénale, pour juger les crimes et délits graves en première instance et statue en tant qu’instance d’appel pour les délits mineurs relevant de la compétence du tribunal de district.
5. Du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2007, la requérante bénéficia d’un congé sans solde et fut chargée d’enseignement à l’Institut de formation des magistrats. Son congé sans solde fut interrompu à plusieurs reprises à sa demande afin qu’elle puisse continuer à siéger dans quelques affaires toujours en cours.
6. Au cours de la période ayant suivi l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne en 2007, eu égard aux difficultés du pays à assurer le bon fonctionnement de son système judiciaire et à lutter contre la corruption et la criminalité organisée, la Commission européenne mit en place un mécanisme de coopération et de vérification afin d’assurer le suivi des réformes jugées nécessaires dans ce domaine. Dans son rapport de suivi du mois de juillet 2008, la Commission européenne émit un avis critique concernant les mesures prises à ce stade et la capacité du système judiciaire à lutter efficacement contre la corruption et la criminalité organisée. À la suite de ce rapport, le 27 juillet 2008, le Premier ministre déclara que la lutte contre la corruption et la criminalité, de même que l’amélioration du fonctionnement du système judiciaire, figuraient parmi les priorités de son gouvernement. Dans les années qui suivirent, le ministère de l’Intérieur multiplia les actions visant au démantèlement de différents groupes criminels.
7. Le rapport de suivi de la Commission européenne émit également de sérieuses critiques concernant les retards accusés dans les procédures pénales et appela les autorités à prendre des mesures rapides à cet égard, sans attendre les résultats des réformes structurelles en cours. En ce qui concerne plus particulièrement le rôle du Conseil supérieur de la magistrature (« le CSM », Висш съдебен съвет), le rapport observa notamment :
« Il incombe désormais au [CSM] récemment établi d’assumer la responsabilité du processus de réforme et de faire en sorte que le pouvoir judiciaire adopte des décisions rapides et efficaces. L’Inspection du [CSM] doit encore dresser un inventaire des investigations proactives sur les insuffisances procédurales et les affaires disciplinaires, auquel le [CSM] devra alors donner suite avec diligence. »
Dans le cadre de la réforme judiciaire, le CSM adopta le 8 octobre 2008 une série de mesures que les juridictions devaient appliquer pour améliorer le traitement des affaires pénales suscitant un intérêt public important. Une commission dédiée au suivi de ces affaires fut créée au sein du CSM.
8. En octobre 2009, la requérante fut élue présidente de la principale association professionnelle de magistrats, l’Union des juges de Bulgarie (« l’UJB », Съюз на съдиите в България). En cette qualité, elle prit publiquement position à de nombreuses occasions pour critiquer l’action du CSM, notamment concernant certaines nominations de présidents de juridictions, ainsi que la politique du gouvernement en matière judiciaire, en particulier au sujet de la défense de l’indépendance de la justice.
9. En mai 2009, l’UJB avait émis des critiques concernant la nomination par le CSM du juge V.P. au poste de président de la cour d’appel de Sofia. L’organisation reprochait à ce dernier de ne pas présenter les qualités requises pour un tel poste et d’avoir été soupçonné de corruption.
10. En octobre 2009, l’organisation critiqua la gestion par le CSM d’une affaire de suspicion de corruption de membres de ce conseil en relation avec des procédures de promotion de magistrats (affaire dite « Krasyo Chernya »).
11. Au cours des derniers mois de l’année 2009, puis courant 2010, l’UJB, par l’intermédiaire de sa présidente, fit plusieurs déclarations publiques, notamment des lettres ouvertes au Premier ministre, et s’adressa à des institutions ou personnalité nationales, telles que le Procureur général, ou internationales, telles que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ou le Conseil consultatif des juges européens, pour dénoncer divers propos tenus devant la presse par le ministre de l’Intérieur alors en exercice, Ts.Ts. De l’avis de l’UJB, les déclarations du ministre ébranlaient la confiance du public dans la justice et menaçaient l’indépendance de celle‑ci. Le ministre avait en particulier exprimé des avis sur la culpabilité de certains accusés dans des affaires criminelles médiatiques, notamment à l’occasion de l’examen par les juridictions de mesures de placement en détention. En février 2010, à la suite de la décision d’un tribunal de lever une mesure de détention provisoire et de remettre un accusé en liberté, le ministre avait déclaré publiquement : « les tribunaux sont coresponsables de tous ces meurtres intervenus ces dernières années ». En mars 2010, il avait indiqué, sans le nommer, qu’un haut magistrat en exercice avait des liens avec une organisation criminelle dont les membres faisaient l’objet de poursuites pénales.
12. Le 14 septembre 2010, le président de la cour d’appel de Sofia (paragraphe 9 ci-dessus) adressa à l’inspectrice générale du CSM une lettre contenant une liste d’affaires pendantes, dans lesquelles le tribunal de la ville de Sofia avait prononcé un jugement mais dont les motifs n’avaient pas été rendus publics plus de trois mois après le prononcé, ce qui empêchait leur examen par la cour d’appel. Le 20 septembre 2010, l’inspectrice générale du CSM ordonna un contrôle au sein de la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia portant sur la période allant de janvier 2008 à juillet 2010. Le rapport établi à la suite de ce contrôle indiquait, notamment :
« Il existe une tendance inquiétante à retarder les actes judiciaires. Parmi les trente‑cinq juges de la chambre pénale, treize ont un problème avec la production de leurs actes dans les délais. Cette situation ne date pas de la dernière année (…). Il est donc clair que les mesures engagées [par la direction du tribunal] sont inadéquates ou insuffisantes (…). Il est incontestable que les conditions matérielles du bâtiment sont mauvaises (…) mais deux tiers des juges sont capables malgré cela de respecter les délais. »
13. Le rapport recommandait au président du tribunal de prendre des mesures de suivi régulier afin de remédier à ce problème et de rappeler à l’ordre, en application de l’article 327 de la loi sur le pouvoir judiciaire, cinq juges, dont la requérante. Cette dernière avait produit les motifs avec retard dans dix-sept affaires. Le rapport proposait, en outre, d’engager des poursuites disciplinaires contre une juge qui avait accumulé des retards dans quarante-huit affaires.
14. En novembre 2010, l’UJB émit publiquement des critiques envers la procédure de nomination dans le cadre de laquelle le nouveau président de la Cour administrative suprême, G.K., avait été désigné.
15. En juin 2011, à l’occasion de la procédure de nomination du président du tribunal de la ville de Sofia, la requérante et de nombreux autres juges prirent position contre la candidature de V.Y., une juge qui était connue pour être une amie proche du ministre de l’Intérieur Ts.Ts., et se prononcèrent en faveur d’une autre candidate. La nomination de V.Y. par le CSM, le 8 juin 2011, fut critiquée par l’UJB, qui, plus largement, appelait à une réforme de la composition du CSM et de la procédure de promotion interne des magistrats. Deux membres du CSM démissionnèrent pour marquer leur opposition à l’absence de transparence dans la procédure de nomination de V.Y. La procédure en cause fit l’objet d’une large couverture médiatique et de nombreuses voix s’élevèrent dans la presse pour critiquer le choix de V.Y. ; des représentants des médias demandèrent notamment la réalisation d’un contrôle par l’Inspection du CSM concernant des conflits d’intérêts et des retards dans l’examen de certaines affaires, lesquels auraient été imputables à V.Y.
16. Par ailleurs, au moyen d’un arrêt pilote prononcé le 10 mai 2011 (Dimitrov et Hamanov c. Bulgarie, nos 48059/06 et 2708/09), la Cour constata qu’il existait en Bulgarie un problème systémique de durée excessive des procédures judiciaires et enjoignit au gouvernement bulgare d’instaurer, dans un délai de douze mois, un recours effectif pour remédier à ce type de violation de la Convention.
II. Les poursuites disciplinaires contre la requérante
A. Le contrôle réalisé par l’Inspection du CSM en juin 2011 et la procédure disciplinaire no 9/2011
17. À la suite de plusieurs plaintes adressées à l’Inspection du CSM pour dénoncer des conflits d’intérêts et des retards excessifs dans des procédures judiciaires, dont se serait rendue responsable la nouvelle présidente du tribunal de la ville de Sofia, V.Y. (paragraphe 15 ci-dessus, in fine), l’inspectrice générale du CSM s’exprima le 14 juin 2011, devant la presse, dans les termes suivants :
« à présent (…) surgit ce signalement contre V.Y. au sujet d’un conflit d’intérêts et de retards dans une affaire donnée. Ce signalement vient de toute évidence d’un membre de la magistrature. L’Inspection du CSM ne contrôle pas les conflits d’intérêts. Concernant les retards dans les procédures, oui, c’est notre affaire. Un contrôle de l’ensemble de la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia va permettre de voir comment les dossiers ont été retardés et par qui, et nous serons beaucoup plus objectifs de la sorte (…). Je respecte la conscience éveillée et courageuse de tous les magistrats. (…) Mais le contribuable les paye en premier lieu pour qu’ils rendent des jugements, et ils peuvent écrire des déclarations (…) en dehors de leur temps de travail. Pour cette raison nous allons vérifier quels juges ont produit les motifs de leurs décisions dans les délais prévus par la loi, si des retards sont intervenus et quelles en sont les raisons. »
18. Le même jour, le 14 juin 2011, l’inspectrice ordonna qu’un contrôle de toute la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia soit réalisé concernant le respect des délais de production des motivations des jugements entre le 1er janvier 2010 et le 30 juin 2011. En sa qualité de présidente de l’UJB, la requérante dénonça publiquement les déclarations faites dans la presse par l’inspectrice générale. Plusieurs juges de la chambre pénale protestèrent contre l’ampleur du contrôle entrepris en faisant valoir que les signalements dans la presse ne concernaient que certains d’entre eux et qu’un contrôle de l’ensemble de la chambre pénale ne devait pas se faire sur un simple signalement mais aurait dû être prévu dans le programme annuel de l’Inspection.
19. Le rapport établi à la suite de ce contrôle fit des constats similaires à ceux du précédent rapport (paragraphe 12 ci-dessus). Il constatait notamment que les juges du tribunal de la ville de Sofia avaient une charge de travail exceptionnelle en comparaison avec les juridictions de province et que leur productivité n’était pas suffisante pour résorber l’arriéré d’affaires. Il relevait que, parmi les trente-cinq juges de la chambre pénale, quatorze avaient produit tous leurs actes dans les délais, dix avaient occasionnellement accusé des retards et onze avaient produit les motifs de leurs jugements avec des retards, parfois importants, dans un grand nombre de dossiers. La requérante avait le plus grand nombre d’affaires retardées, cinquante-sept au total, et les motifs avaient été délivrés avec des retards qui allaient jusqu’à plus de trois ans. Le rapport précisait que certaines de ces affaires avaient eu un écho dans la presse car les poursuites pénales avaient finalement été prescrites en raison de la durée excessive de la procédure. Il ressortait des éléments chiffrés de ce rapport que la requérante avait aussi le plus grand nombre de dossiers attribués au sein de la chambre pénale.
20. Le 26 juillet 2011, l’inspectrice générale saisit le CSM d’une proposition d’engager des poursuites disciplinaires contre les juges qui avaient des retards importants. Le 28 juillet 2011, le CSM ordonna l’ouverture de procédures disciplinaires pour ce motif contre quatre juges, dont la requérante et V.Y., la nouvelle présidente du tribunal.
21. La procédure dirigée contre la requérante fut référencée sous le numéro 9/2011. Trois membres du CSM furent tirés au sort pour former le collège disciplinaire (дисциплинарен състав) chargé d’instruire l’affaire. La requérante demanda leur récusation au motif, d’une part, que les trois membres étaient deux procureurs et un enquêteur et, d’autre part, que deux d’entre eux avaient critiqué ses prises de position contre la nomination de la présidente du tribunal, V.Y. (paragraphe 15 ci-dessus). Sa demande fut rejetée le 5 octobre 2011, les membres en cause expliquant, en particulier, que les poursuites disciplinaires portaient sur le travail de la requérante comme juge et non sur son activité en tant que présidente de l’UJB. Le collège disciplinaire tint deux audiences auxquelles comparurent la requérante et un représentant de l’Inspection du CSM.
22. Par une décision du 17 janvier 2012, le collège disciplinaire constata que, au cours de la période pertinente, la requérante avait retardé le prononcé des décisions ou l’élaboration des motifs dans cinquante-sept affaires, ce qui constituait un « non-respect systématique des délais prévus » au sens de l’article 307, alinéa 4 1) de la loi sur le pouvoir judiciaire. En conséquence, le collège proposa au CSM d’imposer à la requérante une réduction de salaire de 15 % pour une durée de deux ans à titre de sanction disciplinaire.
23. Lors de la réunion du CSM qui eut lieu le 19 janvier 2012, la présidente du collège disciplinaire présenta l’affaire, exposant en détail la procédure suivie, les arguments soulevés par la requérante et les propositions du collège. Le CSM procéda à un vote à bulletin secret et, par 18 voix pour et 1 abstention, adopta la proposition.
24. La requérante saisit la Cour administrative suprême d’un recours contre la décision du CSM, demandant son annulation pour défaut de motivation suffisante, contrariété avec la loi matérielle et procédurale et abus de pouvoir.
25. S’agissant des trois autres juges de la chambre pénale contre lesquels une procédure disciplinaire avait été ouverte à l’issue du contrôle réalisé par l’Inspection (paragraphe 20 ci-dessus), les poursuites engagées, qui concernaient des retards moins importants que ceux imputés à la requérante, aboutirent à l’imposition par le CSM, pour le premier d’entre eux, d’une diminution de salaire de 10 % pour une durée de six mois et, pour le deuxième et la présidente V.Y., d’un avertissement.
B. La procédure en diffamation engagée par la requérante
26. Le 23 janvier 2012, une interview du ministre de l’Intérieur Ts.Ts. parut dans un quotidien, sous le titre « Notre plus grande critique retarde une affaire contre la mafia de la drogue » et le sous-titre « La juge Miroslava Todorova sert-elle le crime organisé ? ». Dans l’interview, le ministre faisait référence à des affaires dont la requérante avait eu la charge et qu’elle n’aurait pas traitées avec la diligence requise, en particulier une affaire de trafic de drogue dans laquelle elle n’avait toujours pas produit les motifs deux ans et demi après le prononcé du jugement.
27. Le 6 février 2012, la requérante engagea devant le tribunal de district de Sofia des poursuites pénales privées à l’encontre du ministre pour diffamation à l’égard d’un agent de l’autorité publique.
C. La procédure disciplinaire no 3/2012
28. Par la suite, trois autres procédures disciplinaires, décrites ci‑dessous, furent engagées contre la requérante.
29. La première procédure fut ouverte par le CSM le 1er mars 2012, sur proposition de cinq de ses membres, à la suite d’une lettre adressée le 20 février 2012 par le président de la cour d’appel de Sofia, V.P., à la commission du CSM chargée du suivi des affaires suscitant un intérêt public important (paragraphe 7 ci-dessus). Le président de la cour d’appel y informait la commission du cours des affaires faisant l’objet d’un suivi et pointait notamment les retards importants intervenus dans une affaire d’enlèvement et d’extorsion de fonds en bande organisée dont la requérante avait eu la charge en première instance. Le CSM effectua un contrôle dont il ressortit que le jugement dans cette affaire avait été prononcé en juin 2006 mais que les motifs n’avaient été rendus qu’en mars 2011, soit quatre ans et neuf mois plus tard. Les accusés avaient interjeté appel et la condamnation avait été confirmée en partie, mais la cour d’appel avait dû prononcer l’acquittement d’un des accusés en raison de l’écoulement du délai de prescription absolue de quinze ans (paragraphe 78 ci-dessous).
30. La deuxième procédure disciplinaire fut ouverte le 22 mars 2012 sur proposition de cinq membres du CSM à la suite du signalement effectué par la présidente du tribunal de la ville de Sofia, V.Y., au sujet d’irrégularités dans le registre électronique du greffe du tribunal concernant des dossiers dont la requérante avait la charge. Le contrôle effectué par le CSM à cette occasion établit que, dans cinq affaires de la requérante, les inscriptions au registre électronique avaient été antidatées, c’est-à-dire que le registre indiquait que les motifs des jugements avaient été rendus le 1er novembre 2011, alors qu’en réalité ils l’avaient été à une date ultérieure. Le contrôle montra, par ailleurs, que la requérante avait retardé la production des motifs dans une autre affaire pendant plus de quatre ans, entre mai 2005 et mai 2009.
31. La troisième procédure fut ouverte le 26 avril 2012 sur proposition de l’Inspection du CSM, à la suite d’un contrôle ordonné par l’inspectrice générale le 23 février 2012 à la demande du président de la commission de suivi des affaires suscitant un intérêt public important. Le contrôle réalisé constata que les motifs dans une autre affaire pénale, qui concernait un trafic de drogue à grande échelle, avaient été rédigés par la requérante deux ans et cinq mois après le prononcé du jugement (juillet 2009-janvier 2012).
32. Les trois procédures susmentionnées furent jointes sous la référence 3/2012. Le collège disciplinaire formé par tirage au sort procéda à l’instruction de l’affaire. Ayant constaté que la requérante avait produit les motifs dans les trois affaires en cause avec des retards considérables et qu’elle avait donné pour instruction d’introduire des éléments inexacts dans le registre électronique du tribunal, et considérant que ces circonstances étaient constitutives des fautes disciplinaires visées aux points 1) à 4) de l’article 307, alinéa 4 de la loi sur le pouvoir judiciaire, le collège disciplinaire proposa au CSM, le 5 juillet 2012, d’imposer à la requérante la sanction disciplinaire la plus grave, à savoir la révocation. Le CSM délibéra sur cette proposition lors d’une réunion qui se tint le 12 juillet 2012 et, par un vote à bulletin secret, décida de révoquer la requérante par une majorité de 19 voix contre 3, avec 2 abstentions.
33. La requérante, qui affirme avoir eu connaissance de la décision par la presse le jour suivant, introduisit un recours en annulation devant la Cour administrative suprême.
34. La décision du CSM eut un large écho dans la presse et provoqua un débat dans l’opinion publique. Une cinquantaine de juges de la Cour suprême de cassation signèrent une déclaration dans laquelle ils estimaient que la révocation de la requérante ressemblait à un règlement de comptes motivé par les prises de position de l’intéressée, de nombreux autres professionnels du droit et des organisations non gouvernementales bulgares et internationales exprimèrent leur inquiétude face à cette décision. La ministre de la Justice elle-même déclara que le CSM devait revoir sa décision. Dans son rapport établi dans le cadre du mécanisme de coopération et de vérification du 18 juillet 2012, la Commission européenne exprima sa préoccupation concernant l’indépendance de la justice en Bulgarie et mentionna la révocation de la requérante dans les termes suivants :
« L’indépendance est également remise en cause à la suite d’une série de critiques politiques directes à l’encontre de différents magistrats, la révocation de l’appareil judiciaire du président de l’Union des juges par le [CSM] suscitant des inquiétudes dans ce contexte. Le Conseil n’a entrepris aucune action claire pour protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire dans ces affaires. L’impression générale est un non-respect de la séparation des pouvoirs de l’État, ce qui a des conséquences directes sur la confiance que la population entretient à l’égard de la justice. »
35. Le CSM, ayant fait l’objet de critiques concernant notamment la prise en compte insuffisante par lui de facteurs tels que la charge de travail de la requérante, décida de tenir, le 16 juillet 2012, une réunion extraordinaire pour débattre de sa politique en matière disciplinaire. Les débats, dont la retranscription fut publiée sur le site internet du CSM, portèrent notamment sur la charge de travail inégale entre les différentes juridictions et sur la nécessité de tenir compte de ce facteur dans l’imposition de sanctions disciplinaires. Des données statistiques concernant le nombre et la nature des fautes disciplinaires constatées et des sanctions imposées par le CSM au cours des mois précédents furent évoquées et le souci de maintenir une pratique disciplinaire cohérente fut exprimé. Même si la ministre de la Justice, qui dirigeait les débats, rappela à plusieurs reprises que le cas individuel de la requérante ne devait pas être évoqué eu égard à l’interdiction faite par l’article 313, alinéa 3 de la loi sur le pouvoir judiciaire de divulguer des faits relatifs à une procédure disciplinaire en cours, plusieurs membres du CSM évoquèrent les affaires retardées par la requérante et sa charge de travail. Certains précisèrent néanmoins que les faits qu’ils exposaient étaient déjà connus du public et avaient été commentés dans la presse.
III. Le contrôle juridictionnel des décisions du CSM
A. Le recours dans la procédure disciplinaire no 9/2011
36. Le recours introduit par la requérante contre la décision par laquelle le CSM lui avait imposé, dans le cadre de la procédure disciplinaire no 9/2011, une réduction de salaire à titre disciplinaire (paragraphe 23 ci‑dessus) fut examiné en première instance par une formation de trois juges de la Cour administrative suprême. Par un arrêt du 2 août 2012, cette formation décida d’annuler la décision du CSM. Elle considéra que la procédure disciplinaire n’avait pas présenté les garanties suffisantes pour assurer les droits de la défense de la requérante pour les motifs suivants : les règles applicables ne permettaient pas au magistrat poursuivi de comparaître ou de déposer des observations écrites devant le CSM mais seulement devant le collège disciplinaire ; la composition du collège en l’espèce n’était pas conforme à la règle posée par l’article 37, alinéa 4 de la loi sur le pouvoir judiciaire ; l’absence de signalement visant l’ensemble de la chambre pénale du tribunal jetait un doute sur la base légale et sur l’objectivité du contrôle ordonné par l’inspectrice générale. La formation de trois juges estima, en outre, que le comportement fautif de la requérante n’avait pas été dûment établi car la décision du CSM n’avait pas tenu compte de la charge de travail de l’intéressée et de tous les critères requis pour apprécier si le « délai raisonnable » des procédures judiciaires, au sens de l’article 6 de la Convention, avait été respecté. Elle considéra enfin que le délai de prescription de six mois pour engager une procédure disciplinaire, qui courait à compter de la découverte de l’infraction, avait expiré concernant quarante-trois des retards constatés. La Cour administrative suprême jugea, enfin, que la décision était en contradiction avec le but de la loi dans la mesure où le compte rendu du contrôle effectué constatait que, malgré les sanctions disciplinaires imposées à certains juges, ceux-ci avaient continué à ne pas respecter les délais.
37. Le CSM se pourvut en cassation devant une formation élargie de la Cour administrative suprême.
38. Par un arrêt du 18 décembre 2012, la Cour administrative suprême, siégeant en formation de cinq juges, annula le premier arrêt et, statuant sur le fond du recours de la requérante, le rejeta. La formation de cinq juges considéra que les droits de la défense de la requérante n’avaient pas été méconnus car la loi ne prévoyait pas la comparution du magistrat faisant l’objet de poursuites disciplinaires devant le CSM, mais seulement devant le collège disciplinaire ; que la disposition de l’article 37, alinéa 4 de la loi sur le pouvoir judiciaire, qui prévoyait la création de deux collèges, l’un de juges et le second de procureurs et d’enquêteurs, ne concernait pas la procédure disciplinaire mais la procédure d’évaluation interne ; que la procédure disciplinaire n’avait pas pour objet d’apprécier le respect du « délai raisonnable » des procédures au sens de l’article 6 de la Convention, mais d’établir si le magistrat mis en cause avait respecté les délais prévus par le droit interne. Enfin, elle estima que, même en admettant qu’une partie des infractions disciplinaires reprochées à la requérante fussent prescrites, celles établies concernant quatorze affaires suffisaient à justifier la qualification de « non-respect systématique des délais prévus par la loi » et la sanction imposée. La réduction de la rémunération de 15 % pour une durée de deux ans devint définitive et fut exécutée.
B. Les recours dans la procédure disciplinaire no 3/2012
1. L’examen du recours contre la première décision du CSM
39. Dans son recours contre la décision par laquelle le CSM avait ordonné sa révocation le 12 juillet 2012 (procédure no 3/2012, paragraphes 32-33 ci-dessus), la requérante demanda l’annulation de cette décision invoquant, notamment, le défaut d’impartialité du CSM et la contrariété de ladite décision à la loi matérielle et procédurale et au but de la loi. Elle y soutenait, entre autres, que le président de la cour d’appel de Sofia, dont émanaient certaines des critiques ayant provoqué les poursuites, avait un parti pris contre elle, que les membres du collège disciplinaire et du CSM n’avaient pas été impartiaux à raison des prises de position de l’UJB et des appels à la démission formulés par l’organisation et, enfin, que sa révocation était une sanction disproportionnée qui ne visait pas à remédier aux retards dans le traitement des dossiers mais à restreindre sa liberté d’expression.
40. L’examen du recours fut attribué à une formation de trois juges de la sixième chambre de la Cour administrative suprême. La requérante demanda la récusation des membres de la formation, arguant que les recours contre les décisions du CSM étaient habituellement attribués à la septième chambre et que le changement d’attribution dans son affaire créait une suspicion quant à l’impartialité des juges.
41. Par une ordonnance du 18 juillet 2012, la Cour administrative suprême rejeta la demande de récusation au motif que la répartition des affaires entre les différentes sections avait été modifiée par une décision du 6 mars 2012 du président de la juridiction, au titre de sa compétence de direction et d’organisation du travail de la juridiction.
42. La requérante introduisit également une demande de sursis à l’exécution de la décision de révocation, qu’elle motiva par la nécessité de terminer ses dossiers en cours. Cette demande fut rejetée par la Cour administrative suprême en dernier recours le 26 juillet 2012. La haute juridiction rappela que le sursis pouvait être ordonné lorsque l’exécution provisoire d’une décision risquait de causer un dommage difficilement réparable à la personne concernée mais qu’en l’espèce la requérante n’avait pas invoqué un tel risque la concernant mais seulement le retard que sa révocation allait entraîner dans l’examen des affaires pénales dont elle avait la charge.
43. Par un arrêt du 4 janvier 2013, la Cour administrative suprême, statuant en formation de trois juges, rejeta le recours de la requérante contre la décision de révocation. La cour examina et rejeta toutes les objections de la requérante concernant la partialité des membres du collège disciplinaire et du CSM, les irrégularités de la procédure et la violation de ses droits de la défense. Concernant en particulier les allégations de la requérante selon lesquelles les membres du CSM avaient un parti pris à son égard, la cour considéra que les circonstances dénoncées par l’intéressée, telles que des déclarations de membres du CSM faites après la prise de la décision attaquée ou le fait que l’UJB avait appelé à la démission de l’ensemble des membres du CSM, n’étaient pas susceptibles de remettre en cause l’impartialité de cet organe. Quant au fait que les poursuites disciplinaires avaient été engagées à la suite de signalements de la part de V.P., le président de la cour d’appel de Sofia contre lequel l’UJB avait pris position, la cour nota que V.P. n’était pas membre du CSM et que la manière dont les organes compétents pour engager les poursuites avaient eu connaissance des faits n’était pas pertinente pour la régularité de la procédure.
44. La formation de trois juges considéra ensuite que le moyen tiré par la requérante de la prescription des infractions disciplinaires était en partie fondé, dans la mesure où il ressortait des nouveaux éléments produits devant elle que le président du tribunal de la ville de Sofia, le supérieur hiérarchique de la requérante, avait eu connaissance des retards intervenus dans deux des dossiers au plus tard le 1er avril 2009, soit plus de six mois avant l’ouverture des poursuites disciplinaires. Elle estima que les poursuites étaient donc prescrites concernant l’un des dossiers (paragraphe 30 ci-dessus) et partiellement prescrites concernant un autre dossier (paragraphe 29 ci-dessus), dans lequel l’inaction de la requérante avait néanmoins continué encore un an et onze mois après cette date. La formation de trois juges considéra que les retards dans deux affaires, pour lesquels la responsabilité de la requérante était avérée, étaient suffisants pour être caractérisés de « non-respect systématique des délais » au sens de l’article 307, alinéa 4 1) de la loi sur le pouvoir judiciaire. En réponse à l’argumentation développée par la requérante à cet égard, la Cour administrative suprême précisa que les poursuites disciplinaires ne visaient pas le non-respect du « délai raisonnable » au sens de l’article 6 de la Convention, mais les délais prévus par le code de procédure pénale. S’agissant de la charge de travail de la requérante, elle examina dans le détail le nombre et le type d’affaires attribuées à la requérante et constata que ladite charge correspondait à la charge moyenne des juges de la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia et ne pouvait donc exonérer l’intéressée de sa responsabilité. Quant à la mise à disposition de la requérante à l’Institut de formation des magistrats, la cour releva que les retards étaient intervenus postérieurement à la période pendant laquelle l’intéressée avait enseigné et jugea que cette circonstance ne suffisait donc pas à les expliquer.
45. La Cour administrative suprême constata par ailleurs que la requérante avait donné instruction à sa greffière de publier dans le registre électronique du tribunal l’annonce que deux jugements avaient été prononcés alors que ceux-ci n’avaient pas encore été signés par tous les membres de la formation et qu’elle ne les avait pas transmis au greffe, ce qui constituait également une faute disciplinaire au sens de l’article 307, alinéa 4 2), 3) et 4) de la loi sur le pouvoir judiciaire.
46. Enfin, en réponse au moyen que la requérante tirait de la méconnaissance du but de la loi en ce que la décision de la révoquer avait été prise, selon elle, dans le but de la sanctionner pour ses prises de position destinées à défendre l’indépendance de la justice, la formation de trois juges considéra que le but de la loi n’avait pas été méconnu et que la sévérité de la sanction imposée avait été dûment motivée par la gravité et le caractère répétitif des retards constatés.
47. La requérante se pourvut en cassation. Par un arrêt du 16 juillet 2013, la Cour administrative suprême, statuant en formation de cinq juges, fit partiellement droit à son recours. Cette formation examina et rejeta les moyens de la requérante relatifs au défaut de motivation du premier arrêt et à l’irrégularité de la formation de trois juges. Sur ce dernier point, elle estima que rien dans le dossier ne permettait de considérer que la procédure de désignation aléatoire du juge rapporteur, prévue dans le règlement sur l’administration de la Cour administrative suprême, n’avait pas été suivie en l’espèce, et que le retard, pointé par la requérante, dans la mise en œuvre de cette procédure s’expliquait par le fait que l’intéressée avait dû régulariser son recours. Elle confirma également que l’attribution de l’affaire à la sixième chambre de la haute juridiction était régulière et conforme à une décision antérieure du président de modifier la répartition des types de contentieux entre les différentes chambres (paragraphe 41 ci-dessus). La formation de cinq juges rejeta également les moyens de la requérante tirés du caractère inéquitable et du non-respect de la procédure devant le CSM. Cependant, elle considéra que les fautes pour lesquelles la responsabilité disciplinaire n’était pas prescrite, à savoir les retards intervenus dans deux affaires, ne pouvaient être qualifiées de « non-respect systématique » des délais, au sens de l’article 307, alinéa 4 1) de la loi sur le pouvoir judiciaire. Elle jugea, en outre, que les instructions données par la requérante à sa greffière n’enfreignaient pas le code de déontologie des magistrats et n’étaient dès lors pas constitutives d’une faute disciplinaire.
48. La haute juridiction estima que la responsabilité de la requérante devait néanmoins être retenue pour les retards constatés dans deux affaires, à hauteur d’un an et onze mois et de deux ans et onze mois, respectivement. À cet égard, elle considéra que les nombreux engagements de la requérante en tant que formatrice, rédactrice de rapports, etc., ne pouvaient excuser le non‑respect de son obligation principale en tant que juge qui était de délivrer des actes judiciaires. Elle confirma le raisonnement adopté dans l’arrêt de première instance et la décision du CSM selon lequel les retards importants constatés ne s’expliquaient ni par la charge de travail, ni par la complexité des affaires attribuées à la requérante mais plutôt par une mauvaise organisation de son travail. Seule une partie des chefs disciplinaires ayant été retenue, la haute juridiction estima que la sanction imposée n’était pas proportionnée. En conséquence, elle confirma l’arrêt attaqué et la décision du CSM pour autant qu’ils avaient constaté que les retards intervenus dans deux procédures constituaient des « omission[s] [ayant eu] pour effet de retarder la procédure », visées à l’article 307, alinéa 4 2) de la loi sur le pouvoir judiciaire, et les annula pour le surplus. Elle ordonna le renvoi du dossier au CSM afin que celui-ci statue de nouveau sur la sanction à imposer. La requérante fut réintégrée dans son poste le 18 juillet 2013.
2. La deuxième décision du CSM et le recours subséquent de la requérante
49. À la suite du renvoi par la Cour administrative suprême, le collège disciplinaire se saisit de nouveau du dossier. Par une décision du 12 mars 2014, il proposa au CSM d’imposer à la requérante une sanction de diminution de son salaire de 25 % pour une durée de deux ans.
50. Le CSM examina l’affaire le 27 mars 2014. Au cours des délibérations, un membre du conseil émit l’opinion que les fautes reprochées à la requérante étaient d’une gravité particulière compte tenu de l’ampleur des retards intervenus et des conséquences néfastes pour les victimes. Faisant une comparaison avec la pratique du CSM dans d’autres procédures disciplinaires, en particulier la sanction imposée peu auparavant à un autre juge, M.M., pour des fautes qu’il jugeait similaires, il proposa d’imposer une sanction plus grave à la requérante, la rétrogradation. Une autre membre prit la parole pour soutenir cette proposition. Deux autres membres se déclarèrent contre.
51. La proposition du collège disciplinaire (paragraphe 49 ci-dessus) fut soumise au vote et ne fut pas adoptée, ayant obtenu 4 voix pour, 7 voix contre et 10 abstentions. La proposition faite au cours des délibérations du CSM (paragraphe 50 ci-dessus) fut ensuite soumise au vote et fut adoptée par 14 voix contre 7. En conséquence, la requérante se vit imposer la sanction de rétrogradation au tribunal de rang inférieur (le tribunal de district de Sofia) pour une durée de deux ans.
52. La requérante introduisit un recours en annulation contre cette décision devant la Cour administrative suprême et demanda le sursis à l’exécution de la sanction, arguant qu’il était dans l’intérêt général qu’elle pût terminer l’examen de ses affaires pendantes. Sa demande fut rejetée le 10 avril 2014 (rejet confirmé le 30 juin 2014), la Cour administrative suprême ayant considéré que le sursis à l’exécution n’était possible que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision administrative était susceptible d’entraîner un dommage irréparable pour la personne concernée et que des considérations liées à l’intérêt général n’étaient pas pertinentes à cet égard.
53. Une formation de trois juges de la Cour administrative suprême examina le recours en annulation et y fit partiellement droit par un arrêt du 1er juillet 2014.
54. La formation de trois juges releva d’emblée qu’elle devait se prononcer uniquement sur la sanction imposée et non sur l’existence même de fautes disciplinaires. Elle observa néanmoins à cet égard que ni l’Inspection ni le CSM n’avaient examiné la question de savoir si une organisation adéquate avait été mise en place par le président du tribunal à l’époque pertinente (2006-2012), élément pourtant essentiel pour apprécier la gravité des fautes commises par la requérante. Afin de déterminer si la sanction imposée était proportionnée, la formation de trois juges prit en compte la charge de travail de la requérante en tant que juge, sa mise à disposition à l’Institut de formation des magistrats, sa participation à divers formations et séminaires avec l’accord du CSM, ainsi que ses engagements au sein de l’UJB. Sur ce dernier point, l’arrêt faisait les constats suivants :
« L’UJB et d’autres organisations non gouvernementales (…), au moyen de nombreuses déclarations critiques, se sont mises à exercer une pression sur le CSM, comme une forme de contrôle de la société civile sur l’action de celui-ci. Malheureusement, le CSM a perçu cette pression comme une sorte de guerre, surtout à la suite d’appels à la démission de ses membres.
La teneur du procès-verbal de la réunion du CSM du 16 juillet 2012 [paragraphe 35 ci‑dessus], en particulier les déclarations d’un des membres du conseil, est significative à cet égard :
« on a dit que l’UJB et ces ONG sont sponsorisées par les mêmes sources et se partagent des ressources considérables. Ces fonds sont distribués à certains de leurs membres à l’occasion de missions en Bulgarie et à l’étranger, de rédaction de projets de loi et de rapports, de séminaires, etc. (…) Dans ces circonstances, des réponses doivent être apportées à un certain nombre de questions afin de garantir aux yeux du public la transparence de l’action des ONG qui veulent s’impliquer dans le domaine de la justice (…) :
– qui finance l’UJB et les ONG qui la soutiennent ? Leur financement provient‑il des mêmes sources ?
(…)
– quel est le rôle de la juge Miroslava Todorova en tant que présidente de l’UJB dans la répartition des ressources disponibles ?
– quels journalistes et médias reçoivent des fonds de ces organisations ?
– quelles sont les conséquences des retards accusés dans la délivrance des motifs par la juge Todorova et qui va payer si la Bulgarie est condamnée pour la durée excessive des procédures ?
– quel est le montant des indemnités versées pour la durée excessive des procédures en application de la loi sur la responsabilité de l’État et des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (…) ?
(…)
– quelles sont les interactions entre les organes dirigeants de ces ONG et les institutions européennes ? Selon quels mécanismes de tels contacts sont-ils réalisés ?
Des réponses doivent être apportées à ces questions car dans le cas contraire le public ne peut se faire une idée claire des motivations pour lesquelles il conviendrait d’apporter son soutien à une juge (Miroslava Todorova), qui est responsable de fautes professionnelles d’une importante gravité. »
(…)
La question cruciale de savoir s’il est acceptable que des organisations non gouvernementales exercent une pression sur le CSM, comme forme de contrôle de la société civile, reste ouverte. Les évènements survenus dans les années 2010-2012, qui concernent directement la juge Miroslava Todorova, démontrent néanmoins qu’une [telle] pression peut être exercée uniquement par des citoyens qui sont irréprochables dans leur activité professionnelle. Or, le contrôle effectué [en 2010] constatait déjà que « [la requérante] avait [dix-sept] affaires qui accusaient des retards de sept‑huit mois ou plus ». Dans ces circonstances, la déclaration de l’inspectrice générale du CSM devant la presse [paragraphe 17 ci-dessus] constitue une réaction naturelle, logique et prévisible. »
55. L’arrêt relevait ensuite que les contrôles réalisés par l’Inspection avaient permis de constater que la requérante avait retardé la délivrance des motifs dans de nombreuses affaires, avec parfois pour conséquence l’extinction de la responsabilité pénale des personnes accusées, ce qui avait eu un écho dans la presse, et que l’intéressée avait été sanctionnée pour une partie de ces retards dans le cadre d’une première procédure disciplinaire. Il y était observé que les retards accusés dans les deux affaires qui avaient fait l’objet de la procédure disciplinaire no 3/2012 étaient considérables et avaient également été évoqués de manière négative dans la presse. Il y était enfin considéré que la requérante avait fait preuve de « négligence coupable » en s’engageant dans des activités parallèles et en surestimant sa capacité à gérer l’ensemble de ses tâches.
56. Au vu de ces éléments, la formation de trois juges de la Cour administrative suprême estima que la rétrogradation constituait une sanction appropriée en l’espèce mais qu’il convenait d’en réduire la durée à une année.
57. La requérante et le CSM se pourvurent en cassation. La requérante argua en particulier que l’arrêt rendu en première instance n’avait pas répondu à certains de ses arguments, concernant notamment la violation de ses droits de la défense devant le CSM, l’appréciation, erronée selon elle, du « délai raisonnable » des procédures par le CSM, la proportionnalité de la sanction, le fait qu’elle avait déjà exécuté la sanction de révocation pendant un an, l’absence de faute car les retards étaient dus à des circonstances objectives et la prescription de sa responsabilité disciplinaire.
58. Une formation de cinq juges de la Cour administrative suprême examina les recours introduits et prononça son arrêt le 11 février 2015. En ce qui concerne la motivation de l’arrêt de première instance, elle nota d’emblée que celui-ci n’avait pas à se prononcer sur les arguments relatifs à l’existence même de fautes disciplinaires, cette question ayant été tranchée par l’arrêt du 16 juillet 2013 qui avait acquis force de chose jugée (paragraphe 47 ci-dessus) et la procédure ne portant désormais que sur la sanction à imposer. Elle considéra ensuite que le premier arrêt n’avait effectivement pas répondu à tous les arguments de la requérante mais que cela ne justifiait pas son annulation dans la mesure où, après examen, ceux‑ci se révélaient infondés (paragraphe 59 ci-dessous). Elle jugea cependant qu’après avoir décidé d’annuler la décision du CSM, la formation de trois juges ne pouvait elle-même modifier la sanction imposée mais aurait dû renvoyer le dossier devant le CSM afin que celui-ci statuât de nouveau. Elle annula l’arrêt rendu en première instance pour ce motif et examina le fond du recours de la requérante contre la décision du CSM.
59. À cet égard, la formation de cinq juges considéra que les droits de la défense de la requérante n’avaient pas été méconnus au cours de la procédure disciplinaire. Concernant en particulier le fait que l’intéressée n’avait pas pu répondre à la proposition de lui imposer une sanction plus lourde, faite par un membre du CSM au cours des délibérations (paragraphe 50 ci-dessus), la haute instance constata que cette proposition n’avait apporté aucun fait nouveau mais présentait simplement l’interprétation du membre en question concernant des faits déjà soumis au débat contradictoire. Elle jugea en outre que, contrairement à ce que soutenait la requérante, le fait que le membre du CSM en cause avait été élu sur le quota du parquet n’était pas contraire à la loi sur le pouvoir judiciaire. Elle observa ensuite que le fait que la première sanction imposée, la révocation, avait été appliquée pendant une année avant d’être annulée ne devait pas être pris en compte pour la détermination de la nouvelle sanction, la requérante disposant d’une possibilité d’obtenir une indemnisation pour le préjudice subi du fait de la sanction qui avait finalement été annulée. Elle considéra, enfin, que le CSM avait pris en compte tous les éléments pertinents visés à l’article 309 de la loi sur le pouvoir judiciaire pour déterminer la gravité de la sanction, que celle-ci n’était pas disproportionnée et était conforme à la pratique dans des affaires similaires (paragraphe 50 ci‑dessus). En conséquence, la Cour administrative suprême rejeta le recours de la requérante et confirma la sanction de rétrogradation pour une durée de deux ans.
60. Deux juges de la formation exposèrent néanmoins, dans une opinion séparée jointe à l’arrêt, leur avis selon lequel la décision du CSM encourait l’annulation au motif que la procédure n’avait pas permis le respect des droits de la défense, que la décision n’était pas suffisamment motivée, et que la sanction avait été imposée en méconnaissance des principes généraux de proportionnalité, d’égalité de traitement, de cohérence et de prévisibilité des décisions administratives. Les juges dissidentes estimaient en particulier que le cas de la requérante n’était pas comparable à celui, débattu par le CSM, du juge M.M. (paragraphe 50 ci-dessus). Elles relevaient par ailleurs qu’à l’époque où la sanction litigieuse avait été prononcée, il n’existait pas de lignes directrices détaillant les critères à prendre en compte pour déterminer la sanction disciplinaire, de telles règles n’ayant été adoptées par le CSM qu’en décembre 2014. Elles y voyaient une méconnaissance du principe de cohérence et de prévisibilité.
IV. Développements ultérieurs
A. La suite de la procédure en diffamation contre Ts.Ts.
61. Dans la procédure en diffamation engagée par la requérante contre le ministre de l’Intérieur Ts.Ts. (paragraphe 26 ci-dessus), le tribunal de district de Sofia ayant décidé qu’il ne pouvait examiner la plainte, la Cour suprême de cassation désigna un autre tribunal compétent, en l’occurrence le tribunal de district de Plovdiv. Par un jugement du 18 octobre 2012, ce tribunal déclara le ministre non coupable et le relaxa. Le tribunal considéra, en particulier, que le ministre n’avait pas choisi le titre de l’article, que le contenu de l’interview comportait certes des commentaires sur les retards accusés dans le traitement de certaines des affaires de la requérante et les conséquences de ces retards sur la responsabilité pénale des personnes accusées, mais que ces commentaires constituaient une critique acceptable concernant un sujet d’intérêt public tel que l’efficacité de la justice pénale.
62. La requérante interjeta appel devant le tribunal régional de Plovdiv. Tous les juges de ce tribunal demandèrent à se déporter au motif que leur capacité à connaître de ce dossier avec impartialité avait été mise en cause dans les médias à la suite de la nomination, intervenue quelque temps auparavant, du président de leur tribunal au poste de Procureur général de la République. Le 21 mai 2013, la Cour suprême de cassation attribua l’affaire au tribunal régional de Sofia. Par une ordonnance du 30 mai 2013, ce tribunal décida de surseoir à statuer au motif que, le 15 mai 2013, Ts.Ts. avait été élu député et en tant que tel bénéficiait d’une immunité de poursuites pénales.
63. La procédure fut reprise au cours de l’année 2014, après la dissolution de l’Assemblée nationale, et de nouveau suspendue à la suite de la réélection de l’intéressé comme député. Après la fin du mandat de celui‑ci en janvier 2017, la procédure reprit de nouveau. Cependant, par un jugement du 20 février 2017, le tribunal régional de Sofia mit un terme aux poursuites en raison de l’écoulement de la prescription absolue (paragraphe 78 ci-dessous).
B. Autres faits pertinents
64. La requérante retrouva son poste à la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia en février 2017, après l’exécution de la sanction de rétrogradation qui lui avait été infligée.
65. Elle cessa d’être la présidente de l’UJB à compter du 23 novembre 2012 mais conserva des fonctions au sein de la direction de l’organisation.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
I. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
A. Le Conseil supérieur de la magistrature (Висш съдебен съвет)
66. Aux termes de l’article 16 de la loi de 2007 sur le pouvoir judiciaire (Закон за съдебната власт), tel que rédigé au moment des faits de l’espèce, le CSM est un organe permanent qui représente le pouvoir judiciaire et garantit son indépendance. Il détermine la composition et l’organisation du travail des organes du pouvoir judiciaire et assure la gestion de leurs activités, sans affecter leur indépendance. Les compétences du CSM s’étendent à la nomination, la promotion, la mutation, la cessation de leurs fonctions et l’exercice du pouvoir disciplinaire sur les juges, procureurs et enquêteurs. Le CSM organise en outre la formation professionnelle des juges, procureurs et enquêteurs, et prend part à l’adoption du budget de la justice.
67. Dans deux décisions du 15 novembre 2011 et du 3 juillet 2014 (реш. на КС № 10 от 15.11.2011 г. по к.д. № 6/2011, et реш. на КС № 9 от 3.07.2014 г. по к.д. № 3/2014), la Cour constitutionnelle a défini le CSM comme un organe collectif spécifique du pouvoir judiciaire dont la fonction principale est d’en garantir l’indépendance. Selon ces décisions, le CSM a été créé par la Constitution dans le but d’assurer une gestion indépendante des cadres du pouvoir judiciaire ; il constitue un organe judiciaire spécifique, disposant de compétences administratives et organisationnelles clairement définies dont il ressort qu’il ne s’agit pas d’un organe juridictionnel mais d’un organe administratif supérieur ; il ne relève toutefois pas du pouvoir législatif ou exécutif.
68. En vertu de l’article 130 de la Constitution et des dispositions pertinentes de la loi sur le pouvoir judiciaire (articles 16 et suivants), le CSM est composé de vingt-cinq membres. Le président de la Cour suprême de cassation, le président de la Cour administrative suprême et le Procureur général en sont membres de droit. Ces hauts magistrats sont eux-mêmes nommés par décret du président de la République pris sur proposition du CSM, pour un mandat de sept ans. En vertu de la législation applicable au moment des faits de l’espèce, la proposition était adoptée par la formation plénière du CSM à une majorité de 2/3 et à bulletin secret (article 129 de la Constitution et article 173 de la loi sur le pouvoir judiciaire). Les autres membres du CSM sont élus parmi des juristes possédant de hautes qualités professionnelles et morales ayant au minimum quinze années d’expérience professionnelle. Leur mandat est de cinq années, non renouvelable immédiatement. Au moment des faits de l’espèce, onze membres étaient élus par l’Assemblée nationale parmi les juges, procureurs, enquêteurs, universitaires ou avocats, et les onze membres restants étaient élus par les juges, procureurs et enquêteurs – six par les juges, quatre par les procureurs et un par les enquêteurs (article 17 de la loi sur le pouvoir judiciaire).
69. L’article 37 de la loi sur le pouvoir judiciaire dispose que le CSM crée en son sein des commissions spécialisées dans certains domaines relevant de sa compétence. Aux termes de l’alinéa 4 de cette disposition, tel que rédigé au moment des faits de l’espèce, la commission du CSM sur l’évaluation interne des juges, procureurs et enquêteurs (комисия по предложенията и атестирането) devait créer en son sein deux sous‑commissions, la première en charge des juges et la seconde en charge des procureurs et enquêteurs.
70. Depuis une réforme adoptée en avril 2016, le CSM est désormais composé de deux collèges – l’un pour les juges, l’autre pour les procureurs et enquêteurs. Ces collèges sont compétents pour les décisions relatives à la nomination, la promotion ou la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs et enquêteurs, respectivement.
71. La formation plénière du CSM est présidée par le ministre de la Justice qui ne participe pas aux votes.
72. L’Inspection du CSM est un organe distinct qui est composé d’un inspecteur général et d’inspecteurs élus par l’Assemblée nationale parmi des juristes possédant de hautes qualités professionnelles et morales ayant au minimum quinze années d’expérience professionnelle (articles 40 et suivants de la loi sur le pouvoir judiciaire). L’Inspection est chargée, entre autres, de contrôler l’organisation et le fonctionnement du service de la justice, notamment le respect des délais d’examen des affaires, de signaler les éventuels dysfonctionnements aux autorités compétentes et d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre des juges, procureurs et enquêteurs (article 54 de la loi).
B. La responsabilité disciplinaire des magistrats
73. La discipline des magistrats est régie par les articles 307 à 328 de la loi sur le pouvoir judiciaire. Les parties pertinentes de ces dispositions, telles qu’applicables au moment des faits de la présente espèce, se lisaient comme suit :
Article 307
« (…)
3. La faute disciplinaire est constituée par l’inexécution fautive des obligations professionnelles du juge, procureur ou enquêteur.
4. Les fautes disciplinaires sont :
1) Le non-respect systématique des délais prévus par les lois processuelles ;
2) Toute action ou omission qui a pour effet de retarder la procédure de manière injustifiée ;
3) Toute violation du code de déontologie des magistrats bulgares, qui porte atteinte au prestige de l’institution judiciaire ;
4) Toute action ou omission qui nuit au prestige de l’institution judiciaire ;
5) Tout manquement à d’autres obligations professionnelles. »
Article 308
« Les sanctions disciplinaires applicables aux juges, procureurs, enquêteurs et dirigeants administratifs sont les suivantes :
1) L’avertissement ;
2) Le blâme ;
3) La diminution du traitement de 10 à 25 % pour une durée de six mois à deux ans ;
4) La rétrogradation pour une durée d’un à trois ans ;
5) La révocation du poste de dirigeant administratif ;
6) La révocation. »
Article 309
« La gravité de l’infraction, la nature de la faute, les circonstances de l’infraction et le comportement du responsable sont des facteurs à prendre en compte dans la détermination de la sanction à imposer. »
Article 310
« 1. La procédure disciplinaire est ouverte par une décision de l’autorité disciplinaire (наказващ орган) dans un délai de six mois à compter de la découverte des faits mais pas plus tard que trois ans après leur survenance.
(…)
3. Lorsque la faute est constituée par une omission, les délais prévus à l’alinéa 1 courent à compter de la découverte de cette omission. »
Article 311
« La sanction disciplinaire est imposée par :
1) Le dirigeant administratif – pour [l’avertissement et le blâme] ;
2) Le CSM – pour les [autres sanctions imposées] à un juge, procureur ou enquêteur ; (…) »
Article 312
« 1. La proposition d’ouvrir une procédure disciplinaire peut émaner :
1) Du dirigeant administratif ;
2) D’un dirigeant administratif supérieur ;
3) De l’Inspection du CSM ;
4) D’au moins un cinquième des membres du CSM ;
5) Du ministre de la Justice ; »
Article 313
« 1. Avant d’imposer une sanction, (…) le collège disciplinaire, dans l’hypothèse visée à l’article 311 2), entend la personne concernée ou reçoit ses observations écrites et recueille les éléments de preuves pertinents pour l’affaire.
2. Dans le cas où la personne poursuivie disciplinairement n’a pas eu l’opportunité d’être entendue ou de déposer des observations écrites sans y avoir renoncé, le tribunal annulera la sanction imposée sans procéder à un examen au fond.
3. Les faits relatifs à la procédure disciplinaire ne doivent pas être divulgués jusqu’à ce que la décision imposant une sanction devienne définitive. »
Article 316
« 1. Les sanctions [de diminution du traitement, de rétrogradation et de révocation] à l’encontre d’un juge, procureur ou enquêteur (…) sont imposées par le CSM.
(…)
3. Lors de l’ouverture d’une procédure disciplinaire, le CSM désigne trois de ses membres par tirage au sort pour former un collège disciplinaire (дисциплинарен състав). Les membres du collège élisent leur président.
4. Le président du collège disciplinaire fixe une audience dans un délai de sept jours après l’ouverture de la procédure.
5. Des copies de la proposition d’ouvrir une procédure disciplinaire et des pièces écrites sont transmises au magistrat mis en cause, qui peut faire des observations écrites et produire des preuves. »
Article 318
« 1. Les audiences devant le collège disciplinaire ont lieu à huis clos.
2. Le magistrat mis en cause a droit à l’assistance d’un avocat.
3. Le collège disciplinaire établit les faits et les circonstances de l’espèce et peut recueillir des preuves orales, écrites et matérielles (…).
4. L’auteur de la proposition ou son représentant ainsi que le magistrat mis en cause et son conseil sont entendus par le collège disciplinaire (…). »
Article 319
« 1. Le collège disciplinaire adopte une décision (…) par laquelle il détermine les faits, objet de l’affaire, émet un avis sur l’existence d’une faute disciplinaire et propose (…) une sanction.
(…) »
Article 320
« (…)
3. Le CSM peut rejeter la proposition [du collège disciplinaire] ou imposer une sanction disciplinaire (…).
4. La décision du CSM est adoptée à une majorité de plus de la moitié des membres et doit être motivée. Les motifs de la décision du collège disciplinaire, ainsi que les avis exprimés par les membres du CSM, sont considérés comme les motifs de la décision.
(…) »
Article 327
« Le dirigeant administratif peut faire un rappel aux juges (…) concernant les fautes commises relativement à l’ouverture et au traitement des dossiers ou l’organisation de leur travail (…) »
C. Le contrôle juridictionnel des décisions du CSM
74. Aux termes de l’article 323 de la loi sur le pouvoir judiciaire, la décision du CSM est susceptible d’un recours devant la Cour administrative suprême. Le recours n’a pas d’effet suspensif, sauf si la Cour administrative suprême en décide autrement. Il est examiné par une formation de trois juges de la haute juridiction. La décision rendue est susceptible d’un pourvoi en cassation devant une formation de cinq juges de la même juridiction.
75. En vertu de l’article 172, alinéa 2 du code de procédure administrative, lorsqu’elle proclame la nullité ou annule un acte administratif, la juridiction administrative, dans les cas où la matière n’est pas laissée à la discrétion de l’administration, tranche l’affaire sur le fond. Dans les autres cas, elle renvoie le dossier à l’administration afin que celle-ci se prononce de nouveau conformément aux directives du tribunal concernant l’application et l’interprétation de la loi (article 173 du code). Un arrêt interprétatif de la Cour administrative suprême du 30 juin 2017, postérieur aux faits de l’espèce, a relevé qu’il existait une jurisprudence contradictoire sur la question de savoir si, dans le cadre de l’examen d’un recours contre une décision du CSM en matière disciplinaire, la haute juridiction pouvait renvoyer le dossier au CSM afin que celui-ci statue de nouveau. L’arrêt a conclu que, compte tenu de la nature spécifique du CSM, qui n’est pas un organe administratif mais une autorité du système judiciaire, la Cour administrative suprême ne peut interférer dans l’action disciplinaire de celui-ci et ne peut donc ni statuer sur la responsabilité disciplinaire des magistrats ni retourner l’affaire au CSM avec des instructions obligatoires sur l’application de la loi (тълк. реш. № 7 от 30.06.2017 г. по тълк. д. № 7/2015, ВАС, ОСС).
76. L’article 22 du code de procédure civile dispose par ailleurs qu’un juge ne peut pas siéger dans une affaire lorsque, parmi d’autres hypothèses, il est en lien de parenté avec une des parties, il a déjà connu de l’affaire à une autre occasion ou dans une autre qualité et, plus généralement, lorsque les circonstances font naître un doute plausible quant à son impartialité. Dans pareil cas, le juge en cause doit se déporter, de sa propre initiative ou à la suite d’une demande de récusation formulée par une partie.
D. La distribution des affaires au sein des juridictions
77. En vertu de l’article 9 de la loi sur le pouvoir judiciaire, la répartition des affaires au sein des différents organes du système judiciaire s’effectue de manière aléatoire par la voie d’un système électronique. Dans les juridictions, le principe de la répartition aléatoire s’applique au niveau des sections ou des chambres (колегиите или отделенията). L’article 157, alinéa 2 du code de procédure administrative dispose que le juge rapporteur est désigné en fonction de l’ordre d’arrivée des recours au sein de la juridiction, au moyen d’un système électronique ou d’un autre mode de répartition aléatoire. Le règlement sur l’administration de la Cour administrative suprême (Правилник за администрацията на Върховния административен съд), adopté par le CSM le 8 août 2009 et en vigueur jusqu’au 30 août 2013, disposait en son article 74, alinéa 2, que le président de la Cour administrative suprême ou un président de section désignait le juge rapporteur de chaque affaire en application du principe de répartition aléatoire et fixait une date d’audience. Pour les formations de trois juges, la désignation aléatoire s’effectuait parmi les juges de la chambre compétente selon le type de contentieux. Pour les formations de cinq juges, la désignation était faite parmi l’ensemble des juges de la section (les juges étant répartis en deux sections, composées chacune de plusieurs chambres). Le règlement ne faisait pas mention de la manière dont étaient désignés les autres membres de la formation. Il apparaît que dans la pratique les formations de trois juges étaient préétablies et que les deux autres juges suivaient le rapporteur désigné de manière aléatoire au sein de la chambre compétente.
E. Autres dispositions pertinentes
78. L’article 80 du code pénal dispose que l’action publique est prescrite si des poursuites n’ont pas été engagées dans un délai déterminé. Ce délai varie en fonction de la peine dont l’infraction est passible et peut aller de deux à trente-cinq ans. Il est interrompu par tout acte de poursuite (article 81, alinéa 2 du code). Toutefois, indépendamment des actes de poursuite effectués et des interruptions et suspensions de la prescription, l’action pénale s’éteint avec l’écoulement du délai de la prescription dite « absolue », qui correspond à une fois et demie le délai de prescription normal (article 81, alinéa 3). Dans pareil cas, les poursuites doivent être clôturées (article 24, alinéa 1 3) du code de procédure pénale).
79. En vertu de l’article 308 du code de procédure pénale, les motifs d’un jugement pénal doivent être délivrés dans un délai de quinze jours suivant le prononcé du jugement. Ce délai était porté à trente jours dans les affaires présentant une complexité factuelle ou juridique (article 308, alinéa 2, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits de l’espèce).
80. En vertu de l’article 226 de la loi sur le pouvoir judiciaire, un juge, procureur ou enquêteur dont la révocation décidée par le CSM a été annulée en justice a droit à une indemnité égale au montant de son salaire brut pour la période pendant laquelle il a été démis de ses fonctions, pour une durée maximum de six mois. Le magistrat concerné peut également solliciter une réparation du préjudice moral subi du fait de sa révocation illégale sur le fondement de l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage. Cette disposition prévoit que les autorités publiques sont responsables des dommages causés du fait de leurs actes, actions ou inactions illégaux. Elle a été notamment appliquée pour accorder à un juge qui avait été révoqué à titre disciplinaire et dont la révocation avait été annulée par la Cour administrative suprême une réparation du préjudice moral subi, lequel avait consisté en des souffrances morales et une atteinte à la réputation (реш. № 9731 от 25.06.2019 г. по адм.д. № 763/2018 г., ВАС III о.).
II. LES TEXTES INTERNATIONAUX
81. La Cour renvoie aux textes adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe concernant, notamment, le statut et l’indépendance des juges, cités dans les arrêts Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, §§ 77-79 et 81, 23 juin 2016), Denisov c. Ukraine ([GC], no 76639/11, §§ 33-37, 25 septembre 2018), et Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande ([GC], no 26374/18, §§ 121-122, 1er décembre 2020).
EN DROIT
I. sur l’étendue de l’affaire
82. La Cour rappelle que, le 5 juillet 2017, la présidente de la section a décidé de porter à la connaissance du gouvernement défendeur les griefs tirés des articles 6, 8, 10, 14 et 18 de la Convention concernant les sanctions disciplinaires imposées à la requérante et l’équité des deux procédures disciplinaires menées contre elle (paragraphes 20-23, 29-32 et 36‑59 ci‑dessus). Par la même décision, la présidente de la section, siégeant en qualité de juge unique (article 54 § 3 du règlement de la Cour), a décidé de déclarer irrecevables les autres griefs soulevés dans la requête, tirés des articles 6, 8, 10, 13, et 18 de la Convention et relatifs à la procédure pénale en diffamation engagée par la requérante contre le ministre de l’Intérieur (paragraphes 26-27 et 61-63 ci-dessus).
83. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, la requérante maintient ces griefs et développe un argumentaire en ce qui concerne leur recevabilité et leur bien-fondé. La Cour rappelle néanmoins qu’en vertu de l’article 27 § 2 de la Convention et de l’article 54 § 3 du règlement, la décision de la présidente de la section de déclarer une partie des griefs irrecevable est définitive. Dans ces circonstances, la Cour ne tiendra pas compte des arguments développés par l’intéressée concernant les griefs déclarés irrecevables, sauf dans la mesure où ils portent également sur les griefs communiqués au Gouvernement, objet du présent arrêt.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
84. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint de différents aspects de l’équité des procédures disciplinaires menées contre elle. L’article 6 § 1 est libellé comme suit en ses parties pertinentes :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
A. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
85. Le Gouvernement soutient que les procédures menées en l’espèce ne portaient pas sur des droits et obligations de caractère civil et que l’article 6 ne trouve dès lors pas à s’appliquer. Il explique que l’administration de la justice pénale et le respect des délais de procédure relèvent exclusivement de la sphère publique et que les obligations des juges dans ce domaine ne pourraient être comparées avec celles relevant d’une relation entre employé et employeur. Il plaide, en outre, que l’existence d’un recours judiciaire n’entraîne pas à elle seule l’applicabilité de l’article 6.
86. La requérante réplique que ce n’était pas ses fonctions de juge qui étaient en cause dans les procédures disciplinaires en l’espèce mais bien ses droits à caractère civil, à savoir son droit à la liberté d’expression et au respect de sa vie privée, ainsi que le droit à une procédure disciplinaire équitable, l’ensemble de ces droits étant reconnus par le droit interne. Elle soutient que l’applicabilité de l’article 6 sous son volet civil ne saurait être écartée en application des critères définis par la Cour dans l’arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande ([GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007‑II), dans la mesure où le droit interne n’exclut pas l’accès à un tribunal pour ce type de contentieux mais, au contraire, prévoit la possibilité d’introduire un recours judiciaire contre les décisions du CSM en matière disciplinaire.
87. La requérante soutient par ailleurs que l’article 6 s’applique également sous son volet pénal, eu égard en particulier à la gravité des sanctions encourues et imposées.
2. Appréciation de la Cour
a) Applicabilité ratione materiae
i. Volet civil
88. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention s’applique sous son volet civil aux « contestations » relatives à des « droits » de « caractère civil » que l’on peut considérer, au moins de manière défendable, comme étant reconnus en droit interne, qu’ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. De plus, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (voir, parmi d’autres, Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012, et Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, § 100, 23 juin 2016).
89. La Cour a déjà considéré l’article 6 applicable sous son volet civil à des procédures disciplinaires concernant des magistrats lorsque des sanctions telles que la révocation, la rétrogradation ou une réduction de salaire étaient en jeu (Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 120, 6 novembre 2018, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, §§ 44-55, 25 septembre 2018, Di Giovanni c. Italie, no 51160/06, §§ 36-38, 9 juillet 2013, et Čivinskaitė c. Lituanie, no 21218/12, § 95, 15 septembre 2020).
90. En l’espèce, les procédures disciplinaires contre la requérante auraient pu aboutir à différentes sanctions affectant sa relation de travail, telles qu’une réduction de salaire, une rétrogradation ou sa révocation, et étaient donc décisives pour des droits de l’intéressée reconnus par le droit interne.
91. Quant au caractère « civil » de ces droits, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les litiges opposant l’État à ses fonctionnaires entrent en principe dans le champ d’application de l’article 6, sauf si deux conditions cumulatives sont remplies. En premier lieu, le droit interne de l’État concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État (
), la Cour constate que la requérante a pu Vilho Eskelinen et autres, précité, § 62).
92. La Cour constate que la première de ces conditions ne se trouve pas remplie en l’espèce. En effet, sans avoir besoin de trancher à ce stade la question de savoir si le CSM est un organe juridictionnel pouvant être qualifié de « tribunal » au sens de l’article 6 de la Convention (Argyrou et autres c. Grèce, no 10468/04, § 24, 15 janvier 2009, Di Giovanni, précité, § 52, et Kamenos c. Chypre, no 147/07, §§ 85-87, 31 octobre 2017contester les décisions de cet organe devant la Cour administrative suprême. Il s’ensuit que l’article 6 trouve à s’appliquer en l’espèce sous son volet civil.
ii. Volet pénal
93. La Cour rappelle que les poursuites disciplinaires ne relèvent pas, comme telles, de la matière pénale et l’article 6 ne trouve pas à s’appliquer à de telles procédures sous son volet pénal, sauf dans certains cas particuliers, lorsqu’il peut être conclu à l’existence d’une « accusation en matière pénale » au sens des critères définis par sa jurisprudence (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 122-123, et les affaires qui y sont citées). En l’espèce, elle constate que ni la qualification juridique des fautes pour lesquelles la requérante était poursuivie, ni leur nature ni le degré de sévérité des sanctions encourues par l’intéressée ne sont en mesure, selon les critères établis par la Cour depuis son arrêt Engel (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22), de mener à la conclusion que les procédures disciplinaires dirigées contre la requérante avaient pour objet le bien-fondé d’une « accusation en matière pénale ». Partant, l’article 6 ne trouve pas à s’appliquer sous son volet pénal.
b) Conclusion sur la recevabilité
94. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) La requérante
95. Concernant la procédure disciplinaire no 9/2011, la requérante soutient que le collège disciplinaire et le CSM n’étaient pas suffisamment impartiaux. Elle dénonce en particulier la composition, selon elle irrégulière, du collège disciplinaire, qui était constitué de deux procureurs et d’un enquêteur, ce qui aurait été contraire à la loi sur le pouvoir judiciaire (article 37, alinéa 4). Elle voit en outre dans sa non-comparution devant le CSM une méconnaissance de ses droits de la défense.
96. Pour ce qui est de la procédure judiciaire relativement à son recours contre la décision du CSM dans cette procédure disciplinaire, la requérante soutient que la formation de cinq juges de la Cour administrative suprême n’était pas légalement composée et n’était pas impartiale à raison du fait que les juges, à l’exception du rapporteur, n’avaient pas été choisis de manière aléatoire mais désignés par le président de la juridiction, qui était proche du pouvoir exécutif et dont la nomination avait été critiquée par l’UJB. Elle soutient par ailleurs que la Cour administrative suprême n’a pas répondu à ses arguments et n’a pas fait une application correcte de la loi et de sa jurisprudence antérieure.
97. Concernant la procédure disciplinaire no 3/2012, la requérante se plaint du manque d’impartialité du collège disciplinaire et du CSM. Elle expose que la rapporteure du collège disciplinaire était une juge qui avait soutenu la nomination de la présidente du tribunal de la ville de Sofia (paragraphe 15 ci-dessus) et dont le fils travaillait sous la direction de cette dernière et obtint une promotion en 2012 après la décision du CSM de révoquer la requérante. La rapporteure en question aurait fait preuve de parti pris en déclarant que seuls les délais de procédure faisaient l’objet de la procédure disciplinaire et non la qualité globale du travail de la requérante. Quant au président de ce collège, une interview qu’il aurait donnée après l’adoption de la décision dudit collège montrerait qu’il ne connaissait pas les éléments du dossier et qu’il était donc de parti pris.
98. Pour ce qui est du CSM, la requérante se réfère notamment à l’arrêt de la Cour administrative suprême du 1er juillet 2014 qui évoque la réaction du CSM face aux critiques adressées par l’UJB (paragraphe 54 ci-dessus). Elle soutient que le fait que le CSM ait évoqué la procédure disciplinaire la concernant lors d’une réunion publique tenue le 16 juillet 2012 (paragraphe 35 ci-dessus), quelques jours après la décision de la révoquer à titre disciplinaire, violant ainsi le secret des procédures disciplinaires, était également révélatrice de la partialité de cet organe. Elle affirme qu’à raison de la procédure spécifique devant le CSM, huit de ses membres, à savoir ceux qui avaient initié les poursuites et ceux qui étaient membres du collège disciplinaire, avaient déjà pris position sur sa responsabilité avant le vote. À cela s’ajouterait la circonstance que, contrairement aux recommandations de la Charte européenne sur le statut des juges, adoptée au sein du Conseil de l’Europe, qui préconise qu’au moins la moitié des membres des conseils de justice soient des juges élus par leurs pairs, à l’époque des faits, seuls six membres du CSM bulgare étaient des juges élus par leurs pairs. La requérante se plaint enfin de ne pas avoir pu comparaître devant le CSM qui a imposé la sanction disciplinaire, mais seulement devant le collège disciplinaire.
99. Quant aux procédures judiciaires relatives à la procédure disciplinaire no 3/2012, la requérante soutient que les différentes formations de la Cour administrative suprême ayant statué sur ses recours ne présentaient pas l’apparence d’impartialité nécessaire. Elle dénonce à cet égard l’attribution, en mars 2012, du contentieux relatif aux décisions du CSM, auparavant examiné par la septième chambre de la Cour administrative suprême, à la sixième chambre, sur décision de son président, dans la mesure où le président de la juridiction, G.K., était partie prenante puisqu’il était membre du CSM et qu’il avait été personnellement mis en cause par la requérante en sa qualité de présidente de l’UJB. Elle soutient par ailleurs que, par principe, dans les formations de cinq juges, seul le rapporteur est désigné de manière aléatoire et les autres juges sont désignés par le président de la juridiction, ce qui soulève des questions d’impartialité dans la présente espèce. Elle ajoute que dans le cas de son premier recours en cassation devant la formation de cinq juges (paragraphe 47 ci-dessus), l’attribution aléatoire n’a pas été effectuée dans le respect de l’ordre d’arrivée car son affaire a été attribuée à une formation dix-sept jours après le dépôt de son recours au greffe.
100. La requérante se plaint également du refus de la Cour administrative suprême d’ordonner le sursis à exécution de la décision de la révoquer, ce qui aurait été contraire à l’intérêt du bon fonctionnement de la justice.
101. Elle soutient, par ailleurs, que la Cour administrative suprême, statuant dans différentes formations, n’a pas répondu à ses arguments essentiels, notamment concernant le caractère tendancieux et politique des poursuites disciplinaires dirigées contre elle ou les facteurs à prendre en considération pour déterminer la sanction disciplinaire à lui infliger, qu’elle a présenté les faits de manière distordue et n’a pas tenu compte de facteurs tels que le nombre et la complexité des affaires qu’elle traitait, la qualité du travail produit ou les missions annexes dont elle avait la charge. Elle expose qu’avant l’attribution à la sixième chambre des affaires disciplinaires concernant les magistrats, la pratique de la septième chambre était de tenir compte des facteurs susmentionnés pour juger s’il y avait faute disciplinaire, d’annuler les décisions du CSM en cas de non-comparution du magistrat mis en cause devant la formation plénière de cet organe et de calculer le délai de prescription de six mois à partir de la cessation de la faute. De manière générale, elle conteste sa responsabilité sur le fond, estimant que le non-respect de l’exigence du délai raisonnable ne relève pas nécessairement de la responsabilité du juge.
b) Le Gouvernement
102. Le Gouvernement expose que la requérante a pu exercer un recours devant la Cour administrative suprême pour contester les sanctions disciplinaires prises à son encontre et qu’elle a ainsi eu accès à un tribunal disposant d’une « juridiction suffisante », au sens de la jurisprudence de la Cour, et présentant toutes les garanties d’un procès équitable. Il fait valoir que la Cour administrative suprême est compétente pour statuer sur toutes les questions de fait ou de droit pertinentes pour apprécier la légalité des décisions prises par le CSM et, en particulier, pour contrôler les constats faits par cette autorité concernant le respect des délais de procédure ou la validité des raisons avancées par la requérante pour justifier leur non‑respect. Il ajoute que même si la juridiction administrative ne peut remplacer l’appréciation du CSM en opportunité par la sienne propre, elle peut annuler une décision de cette autorité et renvoyer l’affaire pour un nouvel examen, ce qu’elle a fait en l’espèce après avoir considéré que la sanction imposée n’était pas proportionnée aux infractions disciplinaires constatées.
103. En ce qui concerne le défaut d’impartialité du collège disciplinaire, le Gouvernement s’appuie sur les conclusions de la Cour administrative suprême pour expliquer que la procédure disciplinaire était organisée de manière à garantir le respect du contradictoire devant le collège disciplinaire, composé de trois membres du CSM tirés au sort et chargé d’instruire le dossier, devant lequel les deux parties (le magistrat poursuivi et le service de l’Inspection) étaient entendues, tout en évitant d’alourdir le processus en prévoyant une seconde audition devant la formation plénière du CSM.
104. Pour ce qui est de l’exigence d’indépendance et d’impartialité de la Cour administrative suprême, le Gouvernement soutient que cette juridiction présentait toutes les garanties nécessaires d’indépendance et d’impartialité. Il précise que les formations de la Cour administrative suprême ont été constituées conformément à la réglementation applicable et allègue qu’aucun fait concret ne permet de douter de l’impartialité personnelle des magistrats ayant statué en l’espèce.
105. Pour conclure, le Gouvernement argue que la requérante a bénéficié d’une procédure publique, qu’elle a pu exercer ses droits de la défense et que les décisions prononcées ont été dûment motivées. Il réfute par ailleurs les allégations de la requérante selon lesquelles les contrôles réalisés et les poursuites disciplinaires contre elle étaient abusifs et soutient que ceux-ci s’inscrivaient dans le contexte global des mesures engagées pour lutter contre les délais excessifs des procédures judiciaires (voir aussi les arguments développés ci-dessous sous l’angle de l’article 10 de la Convention).
2. Appréciation de la Cour
106. Eu égard aux griefs formulés par la requérante, la Cour se penchera tout d’abord sur la question du respect des exigences découlant de l’article 6 de la Convention dans le cadre des procédures devant le CSM puis de celles qui se sont déroulées devant la Cour administrative suprême. À cet égard, elle examinera successivement l’étendue du contrôle opéré par la haute juridiction, le respect des garanties d’indépendance et d’impartialité, puis les autres aspects du droit à un procès équitable invoqués par la requérante.
a) Sur l’équité des procédures menées devant le CSM
107. La Cour relève que selon le droit interne, le CSM est un organe judiciaire sui generis qui n’est considéré ni comme une juridiction ni comme un organe administratif classique relevant du pouvoir exécutif (paragraphe 67 ci-dessus). Elle rappelle que, selon sa jurisprudence, le terme « tribunal », ne désigne pas nécessairement une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays, et qu’une autorité peut être considérée comme un « tribunal », au sens matériel du terme, lorsqu’il lui appartient de trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence (Argyrou et autres, précité, § 24, Di Giovanni, précité, § 52, et Kamenos, précité, §§ 85-87).
108. En l’espèce, elle observe que le collège disciplinaire du CSM était chargé d’instruire le dossier et de faire une proposition au CSM, lequel n’était pas lié par cette proposition. Ledit collège n’avait dès lors pas le pouvoir de statuer sur la responsabilité disciplinaire de la requérante et il n’y a donc pas lieu d’examiner de manière séparée la procédure devant lui (voir, à titre de comparaison, Denisov, précité, §§ 66-67). Le CSM, en revanche, est un organe établi par la loi qui, lorsqu’il statue en matière disciplinaire, a pleine compétence pour apprécier les faits litigieux et déterminer la responsabilité du magistrat mis en cause, à l’issue d’une procédure réglementée par la loi. Il peut dès lors être considéré, au sens de la jurisprudence de la Cour, comme un organe judiciaire de pleine juridiction, auquel les garanties de l’article 6 trouvent à s’appliquer (voir, à titre de comparaison, Di Giovanni, précité, § 53, et Denisov, précité, § 67).
109. La Cour relève que la procédure disciplinaire devant le CSM comporte un certain nombre de garanties procédurales. La requérante a ainsi pu prendre connaissance des faits qui lui étaient reprochés, comparaître en personne devant le collège disciplinaire et présenter des éléments pour sa défense. Elle a ensuite eu connaissance de la proposition du collège et a pu présenter des observations écrites devant la formation plénière du CSM. La requérante se plaint néanmoins d’un défaut d’impartialité des membres du CSM, en particulier ceux qui composaient le collège disciplinaire, ainsi que de l’absence de comparution personnelle devant la formation plénière du CSM qui a statué sur sa responsabilité disciplinaire, circonstances qui sont en principe susceptibles de remettre en cause la conformité de cette procédure à l’article 6. La Cour rappelle cependant que lorsqu’une autorité chargée d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplit pas toutes les exigences de l’article 6 § 1, il n’y a pas violation de la Convention si la procédure devant cet organe peut faire l’objet du « contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article », c’est-à-dire si des défauts structurels ou de nature procédurale identifiés dans la procédure sont corrigés dans le cadre du contrôle ultérieur par un organe judiciaire doté de la pleine juridiction (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 132, et les affaires qui y sont citées). En l’espèce, elle n’estime pas nécessaire de déterminer si la procédure devant le CSM était conforme à l’article 6 de la Convention eu égard à ses conclusions ci-après concernant le respect par la Cour administrative suprême des exigences découlant de cette disposition et l’étendue du contrôle opéré par cette juridiction.
b) Sur l’étendue du contrôle opéré par la Cour administrative suprême sur les décisions du CSM
110. Les principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour concernant l’étendue du contrôle juridictionnel ont été résumés dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá (précité, §§ 176-184).
111. En l’espèce, la Cour observe que la Cour administrative suprême était compétente pour examiner toute question de fait qu’elle jugeait pertinente ainsi que la qualification juridique de fautes disciplinaires donnée aux actes ou omissions de la requérante. Si elle n’était en principe pas compétente pour déterminer la sanction appropriée, elle pouvait contrôler le respect des critères prévus par la loi concernant la proportionnalité de celle‑ci. La haute juridiction a par ailleurs répondu aux arguments de la requérante sur ces différents aspects sans avoir à décliner sa compétence. Si elle avait jugé fondés les moyens soulevés par la requérante à cet égard, cette juridiction avait le pouvoir d’annuler la décision du CSM et de renvoyer l’affaire devant le même organe pour un nouvel examen, ce qu’elle a d’ailleurs fait à une occasion (paragraphes 75 et 48 ci-dessus).
112. Il apparaît dès lors que la Cour administrative suprême jouissait en l’espèce d’une juridiction d’une étendue suffisante et que les défauts de la procédure devant le CSM allégués par la requérante étaient susceptibles d’être corrigés, le cas échéant, dans le cadre de la procédure judiciaire (voir, à titre de comparaison, Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, § 36, série A no 58, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 201 et 212, Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, §§ 93-94, 15 septembre 2015, et Peleki c. Grèce, no 69291/12, § 59, 5 mars 2020).
c) Sur le défaut allégué d’indépendance et d’impartialité de la Cour administrative suprême
113. La requérante soutient que la Cour administrative suprême n’a pas satisfait aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 6 de la Convention à raison, d’une part, de l’attribution de son recours dans la procédure disciplinaire no 3/2012 à la sixième chambre de la haute juridiction et, d’autre part, de la méthode de désignation des juges dans les formations de cinq juges ayant statué sur ses affaires qui n’étaient pas, selon l’intéressée, composées dans le respect du principe de répartition aléatoire.
114. La Cour observe que ce grief, tel que formulé en l’espèce, porte principalement sur l’indépendance et l’impartialité de la Cour administrative suprême, mais a aussi trait à la composition des formations qui ont statué dans l’affaire de la requérante, et pourrait dès lors être interprété comme visant également le droit à un tribunal établi par la loi, prévu à l’article 6 de la Convention. Elle rappelle à cet égard que, bien que constituant des droits autonomes, les garanties d’« indépendance » et d’« impartialité » et la notion de « tribunal établi par la loi » présentent des liens très étroits (Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 231, 1er décembre 2020). En l’espèce, eu égard au grief, tel que formulé par la requérante et communiqué au Gouvernement, la Cour procédera à son examen sous l’angle des garanties d’indépendance et d’impartialité sans perdre de vue l’exigence d’un tribunal « établi par la loi » lorsque cela s’avère pertinent.
115. Les principes généraux de la jurisprudence concernant les garanties d’indépendance et d’impartialité ont été résumés dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá (précité, §§ 144-150). Les principes généraux concernant le droit à un tribunal établi par la loi figurent dans l’arrêt Guðmundur Andri Ástráðsson (précité, §§ 211-252).
116. En l’espèce, la Cour constate que la requérante ne remet pas en cause l’impartialité subjective de l’un des membres des formations judiciaires ayant statué sur ses affaires et n’a d’ailleurs jamais demandé la récusation d’aucun d’entre eux pour de tels motifs, alors qu’elle en avait légalement la possibilité.
117. Quant à l’impartialité objective, en ce qui concerne tout d’abord l’attribution à la sixième chambre de la Cour administrative suprême du recours de la requérante contre la décision du CSM rendue le 12 juillet 2012 dans la procédure disciplinaire no 3/2012 (paragraphe 40 ci-dessus), la Cour constate que cette attribution a été faite à la suite d’un changement dans la répartition des types de contentieux entre les différentes chambres de la Cour administrative suprême décidé par le président de cette juridiction en mars 2012. Elle relève que cette décision a été prise par le président de la juridiction dans le cadre de ses compétences d’organisation du travail de la juridiction et qu’elle a été jugée conforme à la loi par une formation de cinq juges (paragraphe 47 ci-dessus). La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de revenir sur l’interprétation livrée par les juridictions nationales quant au respect du droit interne dans pareille situation, sauf si leur conclusion peut être regardée comme arbitraire ou manifestement déraisonnable (Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, § 244), ce qui, au vu des considérations ci-dessous, n’apparaît pas être le cas en l’espèce. La Cour a par ailleurs considéré qu’il ne lui appartenait pas, en principe, d’examiner la validité des motifs pour lesquels une affaire particulière a été confiée à un juge ou à un tribunal particulier mais qu’elle doit néanmoins s’assurer qu’une telle affectation est compatible avec les exigences d’indépendance et d’impartialité. Il incombe en effet aux États contractants d’assurer une bonne administration de la justice et de nombreux facteurs sont à prendre en compte pour effectuer la répartition des affaires judiciaires (Bochan c. Ukraine, no 7577/02, § 71, 3 mai 2007, Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, § 176, 9 octobre 2008, et Bahaettin Uzan c. Turquie, no 30836/07, § 59, 24 novembre 2020).
118. En l’espèce, elle note que la modification en cause ne concernait pas seulement l’affaire de la requérante mais l’ensemble des recours dirigés contre des décisions du CSM et surtout qu’elle est intervenue plusieurs mois avant l’introduction de son recours par l’intéressée (paragraphe 41 ci‑dessus). En ce qui concerne plus particulièrement les allégations de la requérante selon lesquelles le président de la Cour administrative suprême, G.K., avait un parti pris contre elle à raison des critiques exprimées par l’UJB lors de sa nomination, la Cour observe, tout d’abord, que G.K. n’a pas pris part aux formations ayant statué sur les affaires de la requérante. Elle considère, ensuite, que le fait que la requérante ait pris position en tant que présidente de l’UJB sur la nomination du président de la Cour administrative suprême ne saurait avoir pour conséquence d’entacher de partialité toutes les décisions prises par celui-ci dans le cadre exclusif de ses fonctions administratives, telles que la répartition habituelle des types de contentieux entre les différentes chambres de cette juridiction. Au vu des observations qui précèdent, et en l’absence d’autres éléments indiquant un manque de neutralité des magistrats composant les formations ayant statué sur le recours de la requérante, la Cour n’est pas convaincue que l’attribution de son affaire à la sixième chambre de la Cour administrative suprême puisse être vue comme ayant visé à influencer l’issue de la procédure et donc comme ayant affecté l’indépendance ou l’impartialité des formations en cause. Elle relève par ailleurs que la requérante a eu la possibilité de contester les décisions rendues par les formations de la sixième chambre devant des formations de cinq juges n’émanant pas de cette même chambre.
119. En ce qui concerne ensuite les formations de cinq juges de la Cour administrative suprême, dont la requérante soutient que la désignation n’a pas été effectuée conformément au droit interne, la Cour relève qu’il ressort de la règlementation et de la pratique internes pertinentes que seul le juge rapporteur devait être désigné au moyen d’un système informatique de répartition aléatoire (paragraphe 77 ci-dessus). Il apparaît dès lors que l’absence de désignation aléatoire des autres membres des formations de cinq juges n’était pas contraire au droit interne. Par ailleurs, pour autant que la requérante soutient que l’attribution de son recours contre la décision du CSM du 12 juillet 2012 n’a pas été faite dans le respect des règles internes applicables en ce qu’elle aurait été retardée de plusieurs jours dans le but de manipuler le système de répartition aléatoire, la Cour note que cet argument a été examiné par la Cour administrative suprême qui n’a pas constaté de méconnaissance de la procédure (paragraphe 47 ci-dessus), et qu’il ne lui appartient pas, en l’absence d’indice d’arbitraire, de revenir sur ce constat.
120. Pour ce qui est des critiques de la requérante concernant le système de répartition applicable, en particulier le fait que seul le juge rapporteur était désigné de manière aléatoire et non l’ensemble de la formation de jugement, la Cour rappelle que la manière de répartir les affaires au sein d’une juridiction relève en principe de la marge d’appréciation des États (Bochan, précité, § 71). Il peut exister une grande variété de manières de procéder parmi les États membres et la tâche de la Cour n’est pas d’imposer un système d’attribution plutôt qu’un autre mais de vérifier si, dans une affaire donnée, les exigences de la Convention ont été respectées (voir, mutatis mutandis, Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, §§ 207 et 230, et les références qui y sont citées). Dès lors, le défaut de désignation aléatoire de tous les juges des formations de jugement ne saurait suffire pour conclure à une méconnaissance de l’article 6 de la Convention.
121. En l’espèce, la requérante allègue plus particulièrement que la désignation des membres de la formation de cinq juges par le président de la Cour administrative suprême, G.K., a porté atteinte à l’impartialité de ceux‑ci en raison du parti pris que celui-ci avait contre elle. La Cour observe que, selon le droit interne, la compétence de désigner les membres de la formation de cinq juges appartient en principe au président de la juridiction ou à un président de section (paragraphe 77 ci-dessus). Elle relève que les parties n’ont pas précisé qui a désigné les membres des formations de cinq juges en l’espèce et selon quels critères, et que cela ne ressort pas des éléments dont elle dispose. Néanmoins, comme elle l’a déjà observé ci‑dessus (paragraphe 118), la Cour ne considère pas que le fait que la requérante ait pris position en tant que présidente de l’UJB sur la nomination du président de la Cour administrative suprême soit susceptible d’entacher de partialité toutes les décisions prises par celui-ci dans le cadre de ses fonctions administratives. Or la requérante n’a pas allégué, ni dans le cadre de la présente procédure ni devant les juridictions internes, que les juges ayant statué sur son affaire auraient été spécifiquement désignés en vue de connaître son cas ou qu’ils auraient agi sur les instructions ou sous pression du président de la haute juridiction (voir, mutatis mutandis, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 155). Qui plus est, la Cour remarque que la requérante n’a pas récusé les membres de la Cour administrative suprême pour de tels motifs, alors qu’elle en avait la possibilité, en particulier au vu de la rédaction de l’article 22 du code de procédure civile, qui définit de manière large les motifs de récusation des juges (paragraphe 76 ci-dessus). Elle note enfin que les juges composant les formations de cinq membres, qui avaient tous été désignés en application des modalités critiquées par la requérante, n’ont pas nécessairement pris des positions défavorables à l’intéressé (paragraphes 47 et 60 ci-dessus). Au vu de ces considérations, et en l’absence d’autres éléments indiquant un manque de neutralité des magistrats composant les formations particulières ayant statué sur les recours de la requérante, la Cour ne saurait conclure que ces formations auraient manqué de l’indépendance et de l’impartialité voulues par l’article 6 de la Convention.
122. Les décisions adoptées par la Cour administrative suprême sur le fond des recours de la requérante ou le rejet de sa demande de sursis à l’exécution de la décision de la révoquer ne permettent pas non plus d’arriver à une telle conclusion.
123. Au vu des observations qui précèdent, la Cour ne constate pas un défaut d’indépendance et d’impartialité de la Cour administrative suprême en l’espèce et conclut à l’absence de violation de l’article 6 à cet égard.
d) Sur les autres aspects de l’équité de la procédure devant la Cour administrative suprême
124. Pour ce qui est de la partie du grief que la requérante tire de la motivation, selon elle insuffisante, des décisions judiciaires, la Cour rappelle que l’article 6 de la Convention veut que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à obtenir une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi beaucoup d’autres, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 185).
125. En l’espèce, la Cour observe que la Cour administrative suprême a répondu aux principaux arguments soulevés par la requérante concernant, notamment, le respect de la procédure et la légalité des décisions du CSM. Plus particulièrement, les différentes formations qui ont examiné les recours de la requérante ont considéré que le CSM avait pris en compte l’ensemble des facteurs pertinents pour déterminer la responsabilité disciplinaire de l’intéressée et conclure que la complexité des affaires dont elle avait la charge ou ses activités extrajudiciaires ne pouvaient justifier l’ampleur des retards générés. Elles ont également, du moins indirectement, répondu aux arguments de l’intéressée concernant le caractère tendancieux des poursuites disciplinaires en affirmant que la procédure n’était pas viciée, que les membres du CSM n’avaient pas manqué d’indépendance et d’impartialité et que la procédure disciplinaire avait pour seul objet les retards avérés dans la production des motifs dans plusieurs affaires et non les autres activités de la requérante (paragraphes 43-47 ci-dessus). Dès lors, la Cour considère que la Cour administrative suprême a suffisamment motivé ses décisions au regard des exigences de l’article 6 de la Convention.
126. Par ailleurs, pour ce qui est de la partie du grief par laquelle la requérante conteste les conclusions des différentes formations de la Cour administrative suprême dans son affaire et soutient que celles-ci étaient en contradiction avec la jurisprudence habituelle de cette juridiction, la Cour rappelle qu’il ne lui revient pas, en principe, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par les juridictions ni de comparer les diverses décisions rendues dans des litiges de prime abord voisins ou connexes (Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 49-50, 20 octobre 2011). Elle a déjà reconnu que des divergences ou une évolution de la jurisprudence ne sont pas en soi contraires à la Convention et que seules des divergences « profondes et persistantes » dans la jurisprudence d’une juridiction suprême sont susceptibles de soulever une question au regard de l’article 6 de la Convention (ibidem, §§ 51-58, et Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 116, 29 novembre 2016). En l’espèce, la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure que de telles divergences existaient au moment des faits pertinents. L’article 6 n’a dès lors pas été méconnu sur ce point non plus.
e) Conclusion
127. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention en l’espèce.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
128. La requérante soutient que les sanctions disciplinaires imposées et la publicité donnée aux poursuites disciplinaires ont porté atteinte à son droit au respect de la vie privée et à sa réputation. Elle invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (…).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
a) Le Gouvernement
129. Le Gouvernement ne conteste pas que les poursuites disciplinaires dirigées contre la requérante aient constitué une ingérence dans l’exercice par celle-ci du droit au respect de sa vie privée. Il soutient cependant que le grief qu’elle tire de l’article 8 est manifestement mal fondé. Il expose à cet égard que le caractère public des procédures judiciaires poursuit l’objectif légitime de garantir la transparence du système judiciaire et de renforcer la confiance des citoyens en la justice. Il explique que la publicité donnée aux faits de l’espèce était justifiée par l’intérêt considérable du public auquel la requérante, en tant que personnalité publique et présidente d’un syndicat, était inévitablement exposée. Quant aux sanctions disciplinaires, celles‑ci viseraient à garantir le bon fonctionnement de la justice et en particulier les délais raisonnables des procédures judiciaires en sanctionnant les magistrats qui ne respectent pas les délais de procédure.
130. Le Gouvernement allègue que les mesures dénoncées n’ont eu qu’un impact limité sur la vie privée de la requérante, dans la mesure où sa réputation n’a pas été ternie et où les sanctions finalement imposées avaient une durée limitée et ne l’ont pas empêchée d’exercer sa profession.
b) La requérante
131. La requérante voit dans les poursuites disciplinaires dirigées contre elle, qui selon elle étaient injustifiées et relevaient en réalité d’une répression politique, dans les sanctions qui lui ont été imposées, en particulier sa révocation, ainsi que dans la publicité donnée à ces procédures et l’atteinte à sa réputation qui en a suivi, une ingérence dans l’exercice par elle des droits protégés par l’article 8 de la Convention.
132. Elle fait valoir que les sanctions qui lui ont été infligées ont eu un impact important sur sa vie privée et rappelle qu’en raison de l’exécution provisoire de la sanction de révocation, elle a été privée de travail et de revenus pendant une période d’un an alors que la loi ne prévoit de compensation qu’à hauteur de six mois de salaire en cas d’annulation d’une telle mesure. Quant à l’atteinte à sa réputation, elle conteste la thèse avancée par le Gouvernement selon laquelle en tant que personnalité publique, elle devait tolérer plus de critiques. Elle plaide, au contraire, que les critiques envers les juges revêtent une gravité particulière car elles sont susceptibles de remettre en cause leur indépendance.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes issus de la jurisprudence de la Cour
133. La Cour note d’emblée que le Gouvernement n’a pas contesté, en tant que telle, l’applicabilité de l’article 8 en l’espèce. Elle estime néanmoins nécessaire de se pencher sur cette question. La question de l’applicabilité étant relative à sa compétence ratione materiae, la Cour l’examinera au stade de la recevabilité (Denisov, précité, § 93).
134. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale d’une personne ainsi que de multiples aspects de son identité physique et sociale. Elle englobe notamment un droit à l’épanouissement personnel et celui de nouer et de développer des relations avec autrui et avec le monde extérieur (Denisov, précité, § 95, et López Ribalda et autres c. Espagne [GC], nos 1874/13 et 8567/13, §§ 87‑88, 17 octobre 2019).
135. Dans son arrêt Denisov, qui portait sur la révocation du requérant de sa fonction de président d’une juridiction, la Cour a dressé une typologie des affaires relatives à des litiges professionnels sur lesquelles elle a eu à statuer et a défini les critères qui fondaient l’applicabilité de l’article 8 de la Convention dans de tels contextes (Denisov, précité, §§ 100-117). Elle y a notamment rappelé que l’engagement de la responsabilité d’un individu pour des infractions pénales ou des irrégularités d’une autre nature emporte inévitablement des conséquences négatives prévisibles d’ordre personnel, social, moral et économique et donc sur la vie privée de l’intéressé, sans pour autant pouvoir constituer, en soi, une atteinte au droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention (Denisov, précité, § 98, et Gillberg c. Suède [GC], no 41723/06, § 68, 3 avril 2012). Elle y a synthétisé les principes guidant l’applicabilité de l’article 8 dans les litiges professionnels de la manière suivante :
« 115. La Cour conclut de la jurisprudence ci-dessus que les litiges professionnels ne sont pas par nature exclus du champ d’application de la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention. Dans de tels litiges, un licenciement, une rétrogradation, un refus d’accès à une profession ou d’autres mesures tout aussi défavorables peuvent avoir des répercussions sur certains aspects typiques de la vie privée. Parmi ces aspects figurent i) le « cercle intime » du requérant, ii) la possibilité pour lui de nouer et de développer des relations avec autrui, et iii) sa réputation sociale et professionnelle. Un problème se pose généralement au regard de la vie privée de deux manières dans le cadre de litiges de ce type : soit du fait des motifs à l’origine de la mesure en cause (auquel cas la Cour retient l’approche fondée sur les motifs), soit – dans certains cas – du fait des conséquences sur la vie privée (auquel cas la Cour retient l’approche fondée sur les conséquences).
116. Si l’approche fondée sur les conséquences est suivie, le seuil de gravité à atteindre pour chacun des aspects susmentionnés revêt une importance cruciale. C’est au requérant qu’il incombe d’établir de manière convaincante que ce seuil a été atteint dans son cas. Il doit produire des éléments prouvant les conséquences de la mesure en cause. La Cour ne reconnaîtra l’applicabilité de l’article 8 que si ces conséquences sont très graves et touchent sa vie privée de manière particulièrement notable.
117. La Cour a énoncé des critères permettant d’apprécier le sérieux ou la gravité des violations alléguées dans le cadre de différents régimes. Le préjudice subi par le requérant s’apprécie par rapport à sa vie avant et après la mesure en question. La Cour estime en outre que, pour déterminer la gravité des conséquences dans un litige professionnel, il convient d’analyser au regard des circonstances objectives de l’espèce la perception subjective que le requérant dit être la sienne. Pareille analyse englobe les conséquences tant matérielles que non matérielles de la mesure en cause. Il reste toutefois que c’est au requérant de définir et préciser la nature et l’étendue de son préjudice, lequel doit avoir un lien de causalité avec la mesure en cause. La règle de l’épuisement des voies de recours internes veut que les éléments essentiels des allégations de ce type doivent avoir été suffisamment exposés devant les autorités internes saisies du litige. »
b) Application au cas d’espèce
136. S’agissant de la présente espèce, la Cour rappelle que la requérante s’est vu imposer, dans le cadre d’une première procédure disciplinaire, une réduction de son salaire de 15 % pour une durée de deux ans, puis, dans le cadre d’une seconde procédure, la sanction de révocation, qui a cependant été annulée à la suite du recours exercé par l’intéressée et remplacée par une rétrogradation pour une durée de deux ans. La Cour relève que les motifs invoqués pour justifier les poursuites disciplinaires contre la requérante se limitaient à ses activités professionnelles et que l’intéressée elle-même ne soutient pas que ces poursuites ou les sanctions imposées auraient été motivées par des considérations touchant à sa vie privée. Conformément à sa jurisprudence mentionnée ci-dessus, elle va donc rechercher si les sanctions en question ont eu des conséquences graves sur des éléments constitutifs de la vie privée de la requérante, de nature à entraîner l’application de l’article 8 de la Convention.
137. Tout d’abord, en ce qui concerne les conséquences des sanctions imposées sur le « cercle intime » de la requérante, la Cour relève que les sanctions imposées ont indéniablement eu pour conséquence une baisse des revenus de l’intéressée et même une absence de rémunération pendant une durée d’environ un an avant l’annulation de sa révocation. Elle rappelle néanmoins que l’élément pécuniaire du litige ne rend pas l’article 8 de la Convention automatiquement applicable (Denisov, précité, § 122, et Camelia Bogdan c. Roumanie, no 36889/18, § 86, 20 octobre 2020). En l’espèce, la requérante n’a produit aucun élément permettant de dire que la baisse de sa rémunération aurait eu de sérieuses incidences sur le « cercle intime » de sa vie privée en la plaçant dans une situation financière difficile (comparer avec J.B. et autres c. Hongrie (déc.), nos 45434/12 et 2 autres, § 132, 27 novembre 2018). Elle n’a pas non plus fait valoir d’arguments en ce sens dans le cadre des procédures internes ; bien au contraire, elle a demandé à deux reprises le sursis à l’exécution des sanctions imposées au seul motif qu’elle souhaitait terminer ses affaires en cours, sans chercher à démontrer, comme cela a été relevé par les juridictions internes, que l’exécution provisoire de ces mesures pourrait avoir des conséquences graves sur sa sphère personnelle (paragraphes 42 et 52 ci-dessus).
138. La Cour observe en outre que si la requérante a été privée de sa rémunération pendant une durée d’environ un an avant que sa révocation ne soit annulée par la Cour administrative suprême, le droit interne lui offrait la possibilité, après cette annulation, de recevoir une compensation pour ses pertes de salaires. Il ressort en effet du droit et de la pratique internes que le magistrat dont la révocation a été annulée a droit à une indemnisation égale à six mois de salaire en application de la loi sur le pouvoir judiciaire, d’une part, et peut demander une indemnisation sur le fondement de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage, d’autre part (paragraphe 80 ci-dessus). La perte de revenus consécutive à l’exécution provisoire de la mesure de révocation s’est donc avérée temporaire en l’espèce (comparer avec Camelia Bogdan, précité, § 86, et J.B. et autres, décision précitée, § 132).
139. Par ailleurs, se penchant sur la procédure judiciaire au cours de laquelle le recours de la requérante a été examiné – procédure dont la durée aurait pu avoir pour effet de prolonger indûment l’application de la mesure de révocation – la Cour n’identifie pas de retards injustifiés dans la conduite de cette procédure et note que le recours en cause a été examinée par deux niveaux de juridiction de la Cour administrative suprême en l’espace d’une année (comparer avec Camelia Bogdan, précité, § 87, et D.M.T. et D.K.I. c. Bulgarie, no 29476/06, § 103, 24 juillet 2012). Qui plus est, la requérante n’a formulé aucune critique à cet égard.
140. De surcroît, au cours de la période pendant laquelle sa révocation était effective, la requérante n’a pas été empêchée d’exercer une autre activité rémunérée. Sur ce point, le cas d’espèce se distingue d’autres affaires examinées par la Cour, dans lesquelles les requérants étaient dans l’impossibilité d’occuper un autre emploi dans le secteur public ou privé (Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 47, CEDH 2004‑VIII, et D.M.T. et D.K.I. c. Bulgarie, précité, § 103) ou dans leur domaine de spécialisation (Platini c. Suisse (déc.), no 526/18, § 57, 11 février 2020).
141. Rien n’indique enfin que la mesure litigieuse aurait eu d’autres répercussions sur le « cercle intime » de la vie privée de la requérante.
142. Pour ce qui est des possibilités de nouer et de maintenir des relations avec autrui, la Cour relève, d’une part, que la requérante a été réintégrée dans ses fonctions après l’annulation de la mesure de révocation et, d’autre part, que les sanctions de réduction temporaire de salaire et de rétrogradation n’ont pas entraîné d’interruption de l’exercice de ses fonctions de juge. Même si sa relation avec ses collègues a pu changer dans une certaine mesure, la requérante n’a pas fourni d’éléments indiquant que les conséquences des sanctions imposées étaient graves au point de constituer une ingérence dans l’exercice par elle de son droit au respect de la vie privée (Camelia Bogdan, précité, § 89, et J.B. et autres, décision précitée, § 133).
143. S’agissant de la réputation professionnelle de la requérante, la Cour rappelle que les seules poursuites et sanctions disciplinaires dirigées contre l’intéressée ne sauraient entraîner l’applicabilité de l’article 8 de la Convention (Denisov, précité, § 130). En l’espèce, pour ce qui est de la publicité que la requérante reproche au CSM d’avoir donné à son affaire, la Cour observe que, en tant que présidente de l’UJB, elle était une personnalité publique qui suscitait l’intérêt des médias, et que les procédures disciplinaires dirigées contre elle ont provoqué, avec la contribution de la requérante et de l’association qu’elle présidait, un débat public sur l’activité du CSM en matière disciplinaire. La requérante n’a d’ailleurs pas engagé de démarches judiciaires ou autres pour exposer dans l’ordre juridique interne les griefs relatifs à sa réputation.
144. L’intéressée n’apporte au demeurant pas d’éléments démontrant que les poursuites disciplinaires dirigées contre elle ou le compte rendu qui en a été fait dans les médias auraient eu pour effet de ternir sa réputation professionnelle au point d’atteindre le niveau de gravité requis par l’article 8 de la Convention. La Cour observe, à cet égard, que si les poursuites disciplinaires contre la requérante ont effectivement été largement médiatisées, il n’apparaît pas que les publications en cause, qu’il s’agisse des informations émanant du CSM ou des divers commentaires parus dans la presse, étaient majoritairement négatives. Bien au contraire, il ressort des éléments dont dispose la Cour que ces publications reflétaient des opinions tant critiques que positives et que la publicité donnée à son affaire a aussi valu à l’intéressée des soutiens parmi les professionnels du droit, les journalistes et l’opinion publique. De nombreux juges ont en effet marqué leur désaccord avec les sanctions imposées par le CSM au moyen de déclarations publiques ou dans les décisions rendues sur les recours de la requérante (paragraphes 34 et 60 ci-dessus) et même la ministre de la Justice a émis des critiques à l’égard de la décision de révocation initiale (paragraphe 34 ci-dessus). La Cour n’estime pas, dans ces circonstances, que les sanctions disciplinaires imposées à la requérante ont eu sur sa réputation des conséquences qui auraient atteint le niveau de gravité requis par l’article 8 de la Convention (Denisov, précité, §§ 116-117 et 127).
145. Eu égard à ce qui précède, le grief doit être rejeté pour incompatibilité ratione materiae en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
146. La requérante soutient que les poursuites disciplinaires dirigées contre elle s’analysent en une sanction dissimulée pour ses prises de position publiques par lesquelles elle avait critiqué le travail du CSM et les interventions du pouvoir exécutif dans des affaires en cours. Elle invoque l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…)
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »
A. Sur la recevabilité
147. La Cour a déjà reconnu dans sa jurisprudence que l’article 10 de la Convention était applicable aux fonctionnaires en général (Vogt c. Allemagne, 26 septembre 1995, § 53, série A no 323, et Guja c. Moldova [GC], no 14277/04, § 52, CEDH 2008) et aux membres de la magistrature en particulier (Koudechkina c. Russie, no 29492/05, § 85, 26 février 2009, et Baka, précité, § 140). Elle ne voit aucune raison de se prononcer différemment en l’espèce. Le Gouvernement ne conteste pas, au demeurant, l’applicabilité de cette disposition.
148. Constatant que ce grief n’est par ailleurs pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) La requérante
149. La requérante soutient que les contrôles effectués au sein de son tribunal et les poursuites disciplinaires engagées contre elle sont la conséquence de ses prises de position en tant que présidente de l’UJB, en particulier de la contestation des nominations aux postes de présidents de juridiction à la cour d’appel de Sofia et au tribunal de la ville de Sofia, ainsi que des critiques formulées contre la politique du CSM en matière de nominations et, plus généralement, contre le manque d’indépendance de la justice. Elle avance que cette hypothèse est corroborée par de nombreux éléments : le caractère ciblé du signalement effectué par le président de la cour d’appel de Sofia, qui ne visait qu’elle, le champ élargi des contrôles opérés la concernant, les déclarations de membres du CSM qui, au cours de débats, l’auraient qualifiée de « nuisible » pour le fonctionnement de la justice, la gravité inhabituelle de la sanction de révocation imposée, les fuites d’informations à la presse. Elle soutient que les juges, notamment ceux exerçant à Sofia, étaient volontairement maintenus dans une situation de surcharge de travail, de manière à ce qu’ils aient constamment peur d’être sanctionnés pour les retards accumulés dans le traitement de leurs dossiers s’ils osaient critiquer le système. Se référant aux constats faits dans l’arrêt de la Cour administrative suprême du 1er juillet 2014 (paragraphe 54 ci-dessus), elle argue que les sanctions disciplinaires qui lui ont été appliquées ont eu un important effet dissuasif sur l’exercice par l’ensemble des juges de leur liberté d’expression.
150. La requérante soutient qu’une telle ingérence n’était ni prévue par la loi ni proportionnée à un but légitime dans l’intérêt public. Elle conteste en particulier la thèse du Gouvernement selon laquelle les contrôles et les poursuites disciplinaires en cause en l’espèce avaient pour objectif de conformer le système judiciaire bulgare à la jurisprudence de la Cour, laquelle avait constaté, dans deux arrêts pilotes, l’existence d’un problème systémique de dépassement des délais raisonnables des procédures judiciaires dans le pays. Sur ce point, elle argue, d’une part, que les autorités compétentes n’ont pris aucune mesure pour remédier à la surcharge des juridictions de Sofia, qui était pourtant notoire et même reconnue dans le cadre des poursuites menées contre elle, et, d’autre part, que l’arrêt pilote rendu par la Cour indiquait expressément que les durées excessives des procédures n’étaient pas nécessairement dues à des retards attribuables à un juge en particulier mais pouvaient résulter d’autres facteurs (Dimitrov et Hamanov c. Bulgarie, nos 48059/06 et 2708/09, § 73, 10 mai 2011).
b) Le Gouvernement
151. Le Gouvernement soutient que les sanctions disciplinaires imposées à la requérante ne sont pas constitutives d’une ingérence dans l’exercice par elle de son droit à la liberté d’expression. Il plaide que la présente affaire doit être distinguée sur ce point de l’arrêt Baka c. Hongrie (précité) ou d’autres affaires similaires, dans lesquelles des mesures avaient été prises à l’égard des requérants spécifiquement à raison d’opinions exprimées publiquement. Selon le Gouvernement, la présente espèce devrait plutôt être rapprochée de la décision Harabin c. Slovaquie (no 62584/00, Recueil des arrêts et décisions 2004-VI) en ce que les sanctions imposées à la requérante l’ont été à raison du non-respect de ses obligations professionnelles et non d’opinions qu’elle aurait exprimées. Le Gouvernement fait valoir que les contrôles effectués en l’espèce par l’Inspection du CSM avaient pour but d’assurer la bonne administration de la justice pénale, en particulier le respect des délais de procédure. Il rappelle que la durée excessive des procédures judiciaires constituait un problème important à l’époque des faits et que la Cour avait en particulier conclu à l’existence d’un problème systémique dans le cadre d’une procédure d’arrêt pilote et enjoint au Gouvernement d’engager des mesures pour y remédier (Dimitrov et Hamanov, précité), que ces contrôles portaient sur l’ensemble des juges de la chambre pénale du tribunal et ne visaient pas spécifiquement la requérante.
152. Le Gouvernement soutient par ailleurs que les procédures disciplinaires dirigées contre la requérante n’ont pas eu pour effet de limiter sa liberté d’expression et qu’elle n’a à aucun moment été empêchée de poursuivre ses activités au sein de l’UJB et de faire des déclarations publiques. Il plaide que les sanctions imposées étaient proportionnées aux fautes commises, qu’elles tenaient notamment compte de la charge de travail de l’intéressée mais aussi des autres éléments pertinents en l’espèce. Il précise qu’à la suite du recours exercé par la requérante, la mesure de révocation a été annulée par la Cour administrative suprême et que l’intéressée occupe toujours un poste de juge à l’heure actuelle.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence
i. Principes découlant de la jurisprudence de la Cour
153. Dans les affaires relatives à une procédure disciplinaire, une révocation ou une nomination touchant un fonctionnaire ou un magistrat, la Cour a dû d’abord rechercher si les mesures en cause constituaient une ingérence dans l’exercice par l’intéressé de sa liberté d’expression – telle qu’une « formalité, condition, restriction ou sanction » – ou si elles restreignaient seulement le maintien à un poste dans l’administration publique, droit qui n’est pas garanti par la Convention. Pour répondre à cette question, il a fallu déterminer la portée de ces mesures en les replaçant dans le contexte des faits de la cause et de la législation pertinente (Baka, précité, §§ 140 et 143, Harabin c. Slovaquie, no 58688/11, § 149, 20 novembre 2012, et Wille c. Liechtenstein [GC], no 28396/95, § 43, CEDH 1999‑VII).
154. Lorsqu’elle a pu constater que les mesures litigieuses étaient exclusivement ou principalement motivées par l’exercice de la liberté d’expression des requérants, la Cour a considéré qu’il y avait eu ingérence dans l’exercice du droit protégé par l’article 10 de la Convention (Baka, précité, § 151, Kayasu c. Turquie, nos 64119/00 et 76292/01, § 80, 13 novembre 2008, Koudechkina, précité, §§ 79-80, et Cimperšek c. Slovénie, no 58512/16, § 58, 30 juin 2020). Dans les cas où elle a, au contraire, considéré que les mesures étaient essentiellement liées à la capacité des requérants à exercer leurs fonctions, elle a conclu à l’absence d’ingérence au regard de l’article 10 (Harabin, arrêt précité, § 151, Köseoğlu c. Turquie (déc.), no 24067/05, §§ 25-26, 10 avril 2018, Simić c. Bosnie‑Herzégovine (déc.), no 75255/10, § 35, 15 novembre 2016, et Harabin, décision précitée).
155. À cette fin, elle tient compte des raisons invoquées par les autorités pour justifier les mesures en cause (voir, par exemple, Harabin, décision précitée, Kövesi c. Roumanie, no 3594/19, §§ 184-187, 5 mai 2020, et Goryaynova c. Ukraine, no 41752/09, § 54, 8 octobre 2020) ainsi que, le cas échéant, des arguments présentés dans le cadre des procédures de recours subséquentes (Koudechkina, précité, § 79, Köseoğlu, décision précitée, § 25, et, mutatis mutandis, Nenkova-Lalova c. Bulgarie, no 35745/05, § 51, 11 décembre 2012). Elle doit néanmoins procéder à une évaluation indépendante de l’ensemble des éléments de preuve, y compris les déductions qu’elle peut tirer des faits dans leur ensemble et des observations des parties (Baka, précité, § 143). Elle doit notamment tenir compte de la manière dont les événements pertinents se sont enchaînés dans le temps plutôt que séparément comme des incidents distincts (Baka, précité, § 148, et Kövesi, précité, § 188).
156. Par ailleurs, dès lors qu’il y a un commencement de preuve en faveur de la version des faits présentée par le requérant et de l’existence d’un lien de causalité entre les mesures litigieuses et l’exercice de la liberté d’expression, il incombe au Gouvernement de prouver que les mesures en cause étaient motivées par d’autres raisons (Baka, précité, §§ 149-151, et Kövesi, précité, § 189).
ii. Application en l’espèce
157. Se tournant vers le cas de l’espèce, la Cour observe que les motifs exposés par le CSM, puis par la Cour administrative suprême, pour justifier les sanctions disciplinaires infligées à la requérante avaient trait au non‑respect par l’intéressée de ses obligations professionnelles, en particulier les retards de production des motifs dans un certain nombre de dossiers dont elle avait la charge, et non à des opinions qu’elle aurait exprimées.
158. La Cour estime néanmoins nécessaire de rappeler le contexte dans lequel se sont déroulées les procédures disciplinaires en cause et l’enchaînement de certains événements. Elle note, d’emblée, qu’à compter de son élection en tant que présidente de l’UJB en octobre 2009, la requérante s’est exprimée à de nombreuses reprises dans les médias pour afficher la position de son association professionnelle concernant l’action du CSM et la politique du gouvernement. Elle a en particulier sévèrement critiqué l’absence de transparence des procédures de nomination par le CSM de plusieurs présidents de juridiction ainsi que les pressions alléguées du pouvoir exécutif sur la justice, et notamment certaines déclarations du ministre de l’Intérieur devant les médias (paragraphes 8-11 et 14‑15 ci‑dessus).
159. Même si les contrôles réalisés par l’Inspection du CSM ne visaient pas uniquement la requérante, mais l’ensemble des juges de la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia, et qu’ils portaient sur le respect des délais de procédure, la Cour relève plusieurs éléments laissant penser que les procédures disciplinaires et les sanctions imposées à l’intéressée n’étaient pas sans lien avec ses prises de position en tant que présidente de l’UJB.
160. Il ressort tout d’abord des déclarations faites dans la presse par l’inspectrice générale du CSM que le contrôle de la chambre pénale réalisé en juin 2011, qui donna lieu à la première procédure disciplinaire contre la requérante, était une réponse aux critiques émanant de magistrats, au premier rang desquels l’organisation présidée par la requérante, contre la nomination de la nouvelle présidente du tribunal : « (…) ce signalement [contre V.Y.] vient de toute évidence d’un membre de l’organisation judiciaire ». Ces déclarations laissent également apparaître que ce contrôle était susceptible d’intimider les magistrats qui auraient voulu émettre des critiques : « Je respecte la conscience éveillée et courageuse de tous les magistrats. (…) Mais le contribuable les paye en premier lieu pour qu’ils rendent des jugements, et ils peuvent écrire des déclarations (…) en dehors de leur temps de travail » (paragraphe 17 ci-dessus).
161. Plus généralement, les opinions critiques formulées par l’UJB et d’autres organisations semblent avoir provoqué une réaction hostile de la part du CSM et du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur a en effet formulé des attaques personnelles contre la requérante (paragraphe 26 ci‑dessus). Quant à la réaction du CSM, elle a été décrite par la Cour administrative suprême dans son arrêt du 1er juillet 2014, statuant sur le recours de la requérante (paragraphe 54 ci-dessus), dans les termes suivants : « L’UJB et d’autres organisations non gouvernementales (…), au moyen de nombreuses déclarations critiques, se sont mises à exercer une pression sur le CSM (…). Malheureusement, le CSM a perçu cette pression comme une sorte de guerre, surtout à la suite d’appels à la démission de ses membres ».
162. La Cour note par ailleurs que le CSM a fait preuve à l’égard de la requérante d’une particulière sévérité, en lui infligeant la sanction la plus grave de révocation de la magistrature (paragraphe 32 ci-dessus), sanction qui a été par la suite jugée disproportionnée par la juridiction administrative et annulée par voie de conséquence (paragraphe 48 ci-dessus).
163. Au vu de ces observations et compte tenu des évènements dans leur ensemble et de la manière dont ils se sont enchaînés, la Cour estime qu’il y a un commencement de preuve de l’existence d’un lien de causalité entre l’exercice par la requérante de sa liberté d’expression et les sanctions disciplinaires imposées par le CSM (Baka, précité, § 148). Cette impression est aussi corroborée par les documents produits par l’intéressée, tels que des articles publiés dans la presse bulgare et des textes adoptés par des institutions internationales (paragraphe 34 ci-dessus) qui font état de la perception qu’un tel lien existait.
164. La Cour prend note de l’argument du Gouvernement selon lequel les procédures engagées contre la requérante faisaient partie des mesures prises par les autorités bulgares pour veiller au respect des délais de procédure et ainsi améliorer le bon fonctionnement de la justice. Elle considère toutefois, compte tenu du contexte existant en l’espèce, de l’enchaînement des événements et de la gravité de la sanction imposée par le CSM, que ces mesures étaient aussi liées aux prises de position publiques de l’intéressée. La Cour considère dès lors que ces sanctions ont constitué une ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 de la Convention. Il reste donc à vérifier si cette ingérence était justifiée au regard du deuxième paragraphe de cette disposition.
b) Sur la justification de l’ingérence
165. Pour être conforme à l’article 10 de la Convention, toute ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression doit être « prévue par la loi », viser un ou plusieurs des buts légitimes prévus à l’article 10 § 2 et être « nécessaire dans une société démocratique » à l’accomplissement de ces buts.
i. « Prévue par la loi »
166. La Cour note que les procédures disciplinaires, les infractions constatées et les sanctions infligées à la requérante étaient fondées sur les dispositions pertinentes de la loi sur le pouvoir judiciaire (paragraphe 73 ci‑dessus) et que leur conformité avec cette loi a été confirmée par la Cour administrative suprême dans le cadre des recours exercés par l’intéressée. Elle considère que les mesures litigieuses étaient donc « prévues par la loi » au sens de l’article 10 § 2.
ii. But légitime
167. La Cour a relevé ci-dessus, pour conclure à l’existence d’une ingérence, que les poursuites disciplinaires et les sanctions imposées à la requérante pouvaient être la conséquence de l’exercice par celle-ci de son droit à la liberté d’expression. Ce constat est de nature à soulever des questions sur la légitimité des buts poursuivis par les mesures litigieuses (voir Baka, précité, § 156). La Cour observe cependant que les mesures en cause, en ce qu’elles visaient aussi à sanctionner la requérante pour un manquement à ses obligations professionnelles sous la forme d’importants retards accumulés dans le traitement de ses dossiers – retards susceptibles de conduire à l’extinction des poursuites pénales du fait de la prescription – poursuivaient également l’objectif légitime d’assurer le bon fonctionnement de la justice pénale en vue de « garantir l’autorité (…) du pouvoir judiciaire » et d’assurer la prévention du crime, lesquels figurent parmi les buts visés par cette disposition. Elle accepte dès lors que les mesures litigieuses poursuivaient un but légitime aux fins de l’article 10 § 2 de la Convention.
iii. « Nécessaire dans une société démocratique »
a) Principes découlant de la jurisprudence de la Cour
168. Les principes généraux permettant d’apprécier la nécessité d’une ingérence donnée dans l’exercice de la liberté d’expression, maintes fois réaffirmés par la Cour, ont été rappelés dans l’arrêt Baka (précité, § 158) en ces termes :
« i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (…)
ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.
iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux autorités nationales compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (…) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (…) »
169. Un autre principe constamment souligné dans la jurisprudence de la Cour veut que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général (voir, parmi d’autres, Perinçek c. Suisse [GC], no 27510/08, § 197, CEDH 2015 (extraits)). Partant, un niveau élevé de protection de la liberté d’expression, qui va de pair avec une marge d’appréciation des autorités restreinte, sera normalement accordé lorsque les propos tenus relèvent d’un sujet d’intérêt général, ce qui est le cas, notamment, pour des propos relatifs au fonctionnement du pouvoir judiciaire (Roland Dumas c. France, no 34875/07, § 43, 15 juillet 2010, Morice c. France [GC], no 29369/10, § 125, CEDH 2015, et Baka, précité, § 159).
170. La nature et la lourdeur des peines infligées sont aussi des facteurs à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence. En effet, les ingérences dans la liberté d’expression risquent d’avoir un effet dissuasif sur l’exercice de cette liberté (Guja, précité, § 95, Morice, précité, § 127, et Baka, précité, § 160).
171. Pour évaluer la justification d’une mesure litigieuse, il faut aussi garder à l’esprit que l’équité de la procédure et les garanties procédurales accordées au requérant sont des facteurs à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 10 (voir, mutatis mutandis, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, §§ 47-48, série A no 236, Association Ekin c. France, no 39288/98, § 61, CEDH 2001‑VIII, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, §§ 171 et 181, CEDH 2005‑XIII, Koudechkina, précité, § 83, et Morice, précité, § 155). La Cour a déjà dit que l’absence de contrôle juridictionnel effectif pouvait justifier un constat de violation de l’article 10 (voir, en particulier, Lombardi Vallauri c. Italie, no 39128/05, §§ 45‑56, 20 octobre 2009). En effet, comme elle l’a déclaré précédemment dans le contexte de cet article, « [l]a qualité de l’examen (…) judiciaire de la nécessité de la mesure (…) revêt une importance particulière à cet égard, y compris pour ce qui est de l’application de la marge d’appréciation pertinente » (Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013, et Baka, précité, § 161).
172. En ce qui concerne plus particulièrement le droit à la liberté d’expression des juges, la Cour a souligné que, eu égard en particulier à l’importance croissante attachée à la séparation des pouvoirs et à la nécessité de préserver l’indépendance de la justice, elle se doit d’examiner attentivement toute ingérence dans l’exercice par un juge de sa liberté d’expression (Harabin, décision précitée ; voir aussi Wille, précité, § 64, et Baka, précité, § 165). De plus, les questions concernant le fonctionnement de la justice relèvent de l’intérêt général ; or les débats sur les questions d’intérêt général bénéficient généralement d’un niveau élevé de protection au titre de l’article 10 (Koudechkina, précité, § 86, et Morice, précité, § 128). Même si une question suscitant un débat a des implications politiques, ce simple fait n’est pas en lui-même suffisant pour empêcher un juge de prononcer une déclaration sur le sujet (Wille, précité, § 67).
b) Application en l’espèce
173. La Cour rappelle qu’elle a conclu ci-dessus que les procédures disciplinaires engagées contre la requérante et les sanctions qui lui ont été imposées dans ce cadre étaient suffisamment liées à ses prises de position exprimées publiquement pour être considérées comme une ingérence par les autorités publiques dans l’exercice par l’intéressée de son droit à la liberté d’expression (paragraphe 164 ci-dessus). Eu égard aux circonstances de la présente espèce, pour apprécier si cette ingérence peut passer pour « nécessaire dans une société démocratique », la Cour attachera une importance particulière aux fonctions occupées par la requérante, à la nature des positions exprimées par elle et au contexte dans lequel elles l’ont été, ainsi qu’à la sévérité des sanctions imposées et aux garanties procédurales dont l’intéressée a bénéficié.
174. La Cour observe d’emblée qu’à l’époque des faits la requérante était la présidente de la principale association professionnelle de juges en Bulgarie. À ce titre, son rôle et son devoir consistaient avant tout à défendre les intérêts professionnels des membres de l’organisation, notamment en exprimant publiquement des avis sur le fonctionnement du système judiciaire, la nécessité de le réformer ou l’impératif de préserver l’indépendance de la justice (voir, mutatis mutandis, Eminağaoğlu c Turquie, no 76521/12, § 134, 9 mars 2021, et Kövesi, précité, § 205).
175. En cette qualité, la requérante a souvent exprimé des positions critiques sur la gestion par le CSM et le gouvernement de l’organisation de la justice, questions qui relèvent indiscutablement de l’intérêt général (voir, mutatis mutandis, Baka, précité, § 171, et Koudechkina, précité, §§ 86 et 94). Ses déclarations s’inscrivaient d’ailleurs dans un vaste débat public, en cours à l’époque des faits, concernant la réforme du système judiciaire et, plus généralement, l’efficacité et l’indépendance de la justice (paragraphes 6-15 et 34-35 ci-dessus). Dès lors, la Cour considère que les prises de position de la requérante relevaient manifestement d’un débat sur des questions d’intérêt général, dans lequel elle a pris part en sa qualité de présidente de la principale association professionnelle de juges dans le pays. Il en résulte que sa liberté d’expression devait bénéficier d’un niveau élevé de protection, et que toute ingérence dans l’exercice de cette liberté devait faire l’objet d’un contrôle strict, qui va de pair avec une marge d’appréciation restreinte des autorités de l’État défendeur (voir le paragraphe 172 ci-dessus). De plus, en l’espèce, aucun élément au dossier n’indique que les déclarations de la requérante auraient été totalement dépourvues de base factuelle ou auraient dépassé le domaine de la critique acceptable d’ordre strictement professionnel (voir, à titre de comparaison, Baka, §§ 170-171, Di Giovanni, § 81, Koudeschkina, §§ 94-95, et Kövesi, § 207, tous précités).
176. Concernant la lourdeur des sanctions imposées, la Cour observe que la requérante a fait l’objet, à deux reprises, de poursuites disciplinaires et qu’elle s’est vu infliger une première sanction de réduction de salaire pour une durée de deux ans, puis a fait l’objet d’une révocation, sanction qui a été ensuite remplacée par une rétrogradation pour deux ans. La Cour ne néglige pas le fait que ces sanctions avaient pour motif formel de sérieux manquements professionnels de la part de la requérante qui sont distincts de ses prises de position publiques et dont la réalité ne peut être contestée (voir, a contrario, Koudechkina, précité, § 79, et Wille, précité, § 69). Elle a néanmoins considéré ci-dessus que les poursuites contre la requérante étaient liées aux prises de position de l’intéressée (paragraphe 164). Ces poursuites et les sanctions imposées ont dès lors pu avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression de l’intéressée et de celle de l’ensemble des magistrats. En particulier, la sanction de révocation initialement imposée à la requérante dans la seconde procédure disciplinaire revêtait une particulière gravité et a été perçue par une partie de l’opinion publique bulgare et par des organismes internationaux comme une atteinte à la liberté d’expression de l’intéressée et à l’indépendance de la magistrature (paragraphe 34 ci-dessus). Si cette sanction a été annulée par la Cour administrative suprême et a été finalement remplacée par une sanction moins sévère, il n’en reste pas moins que la mesure de révocation a fait l’objet d’une exécution provisoire pendant une période d’environ un an durant laquelle la requérante a été démise de ses fonctions (paragraphes 42 et 59 ci-dessus). Indépendamment de la possibilité qu’avait l’intéressée d’obtenir une indemnisation à la suite de l’annulation de cette mesure (paragraphe 80 ci-dessus), la Cour considère que la révocation ordonnée par le CSM et l’exécution provisoire de cette sanction ont indéniablement eu un effet dissuasif tant sur la requérante que sur les autres juges, les décourageant d’exprimer des avis critiques sur l’action du CSM ou, plus généralement, sur des questions relatives à l’indépendance de la justice (voir, mutatis mutandis, Kövesi, précité, § 209).
177. En ce qui concerne l’existence de garanties procédurales adéquates, la Cour observe que la requérante a eu la possibilité de présenter les arguments en sa défense à la fois devant le collège disciplinaire du CSM, au cours de la procédure disciplinaire devant le CSM, et auprès de la Cour administrative suprême, dans le cadre du contrôle juridictionnel des décisions du CSM. Devant cette juridiction, elle a notamment exposé sa thèse selon laquelle les poursuites disciplinaires dirigées contre elle avaient été motivées par des motifs politiques et visaient à réprimer, par des sanctions disproportionnées, son droit à la liberté d’expression (paragraphe 39 ci-dessus). La Cour constate que si la haute juridiction a répondu, en particulier dans son arrêt du 4 janvier 2013, à certains moyens développés par la requérante à cet égard, notamment ceux tirés du manque d’impartialité du CSM, de la méconnaissance du but de la loi ou du caractère disproportionné de la sanction de révocation (paragraphes 43‑46 et 125 ci-dessus), elle a fait abstraction, dans son appréciation de la responsabilité de l’intéressée et des sanctions à imposer, des fonctions de la requérante au sein de l’UJB et de l’argument de l’intéressée selon lequel les contrôles et les poursuites disciplinaires avaient été engagés par le CSM à titre de réprimande pour ses prises de position critiques. La Cour administrative suprême n’a pas non plus tenu compte de l’effet dissuasif des sanctions imposées à la requérante et en particulier de la révocation prise à son égard et mise en application pendant un an (paragraphe 176 ci-dessus).
178. Dans son arrêt rendu le 1er juillet 2014, la formation de trois juges de la Cour administrative suprême avait pourtant admis que les poursuites disciplinaires contre la requérante pouvaient être la conséquence de ses prises de position en tant que présidente de l’UJB, et jugé nécessaire de réduire la sanction imposée à l’intéressée (paragraphes 54-56 ci-dessus), mais cette décision a été annulée par l’arrêt rendu le 12 février 2015 par la formation de cinq juges, qui a confirmé la sanction imposée par le CSM (paragraphes 57-59 ci-dessus). La haute juridiction a donc passé sous silence les constats faits par la formation de trois juges et n’a pas analysé la question d’une manière conforme à la Convention (voir, mutatis mutandis, Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, § 278). Au vu de ces observations, la Cour considère que les autorités nationales n’ont pas fourni dans leurs décisions des motifs pertinents et suffisants pour justifier que les poursuites disciplinaires et les sanctions imposées à la requérante étaient nécessaires et proportionnées aux buts légitimes poursuivis en l’espèce.
179. Eu égard à ce qui précède, et ayant à l’esprit l’importance primordiale de la liberté d’expression sur des sujets d’intérêt général tels que le fonctionnement de la justice ou la nécessité d’en préserver l’indépendance, la Cour considère que les poursuites disciplinaires dirigées contre la requérante et les sanctions qui lui ont été imposées étaient constitutives d’une ingérence dans l’exercice par elle de son droit à la liberté d’expression qui n’était pas « nécessaire dans une société démocratique » à la poursuite des buts légitimes visés par l’article 10 de la Convention.
180. Ce constat ne doit cependant pas être interprété comme excluant la possibilité de poursuivre un magistrat pour des manquements à ses obligations professionnelles suite à l’exercice de sa liberté d’expression, à condition qu’une telle action soit exempte de tout soupçon d’avoir été menée à titre de représailles pour l’exercice de ce droit fondamental. Pour dissiper toute suspicion à cet égard, les autorités nationales doivent être en mesure d’établir que les poursuites en cause visaient exclusivement un ou plusieurs des objectifs légitimes figurant au deuxième paragraphe de l’article 10.
181. Au vu des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 10 de la Convention.
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION combiné avec l’article 10
182. Pour les raisons invoquées ci-dessus sous l’angle des articles 6, 8 et 10, la requérante considère que l’ingérence dans l’exercice par elle de son droit à la liberté d’expression était discriminatoire, en violation de l’article 14 de la Convention, libellé comme suit :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
A. Sur la recevabilité
183. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
184. La requérante soutient que les écarts de la pratique habituelle du CSM et de la Cour administrative suprême démontrent que les procédures disciplinaires et les sanctions qui lui ont été imposées l’ont été de manière discriminatoire.
185. Le Gouvernement plaide que la requérante n’a pas indiqué sur la base de quel critère elle aurait été discriminée, ce qui en soi justifierait le rejet de ce grief. Il soutient qu’en tout état de cause la requérante n’a subi aucune discrimination du fait des sanctions imposées. Il expose, en s’appuyant sur les rapports annuels du CSM et sur des procédures disciplinaires spécifiques, que nombre d’autres juges ont été sanctionnés pour des fautes similaires et soutient que les sanctions imposées à la requérante l’ont été dans l’objectif légitime d’assurer le bon fonctionnement de la justice et étaient proportionnées aux fautes commises, à savoir des retards répétés et systématiques dans la production de jugements.
186. La Cour observe que le grief de la requérante tiré de l’article 14 combiné avec l’article 10 de la Convention reprend pour l’essentiel les questions qu’elle a déjà examinées ci-dessus au regard de l’article 10. Elle estime en conséquence qu’il ne se pose pas de question distincte sur le terrain de l’article 14 et qu’il n’est pas nécessaire qu’elle formule une conclusion séparée au regard de cet article (voir, mutatis mutandis, Baka, précité, § 186).
VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 18 DE LA CONVENTION
187. La requérante soutient que les poursuites disciplinaires dirigées contre elle poursuivaient un autre but que celui qui était affiché, en méconnaissance de l’article 18 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues. »
A. Sur la recevabilité
188. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
189. La requérante soutient que les procédures disciplinaires menées contre elle s’analysent en une sanction dissimulée pour son action en faveur d’une réforme du modèle de gestion du système judiciaire. Elle avance que les présidents du tribunal de la ville de Sofia et de la cour d’appel de Sofia, le CSM, le président de la Cour administrative suprême et les formations de cette juridiction qui ont examiné ses recours ont fait un usage abusif de leurs pouvoirs en matière disciplinaire et juridictionnelle dans le but de la sanctionner pour les prises de position contre le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur et contre le manque de transparence de la politique de nomination du CSM, qu’elle a exprimées dans le cadre de l’exercice de son droit à la liberté d’expression, tel que protégé par l’article 10 de la Convention.
190. Le Gouvernement considère que, dans la mesure où les sanctions imposées à la requérante ne constituent pas une ingérence dans l’exercice par elle de son droit à la liberté d’expression découlant de l’article 10, la question de savoir si une telle ingérence poursuivait des buts autres que ceux visés par la Convention ne se pose même pas. En tout état de cause, il estime que les éléments produits par la requérante sont purement spéculatifs et ne constituent même pas un commencement de preuve que les sanctions disciplinaires qui lui ont été imposées l’auraient été dans un autre but que celui prévu par la loi sur le pouvoir judiciaire d’assurer la bonne administration de la justice.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
191. Comme l’article 14, l’article 18 de la Convention n’a pas d’existence indépendante ; il ne peut être appliqué que combiné avec un article de la Convention ou de ses Protocoles qui énonce l’un des droits et libertés que les Hautes Parties contractantes se sont engagées à reconnaître aux personnes relevant de leur juridiction ou qui définit les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à ces droits et libertés. Cette règle découle, d’une part, du libellé de l’article 18, qui complète celui de dispositions telles que la deuxième phrase de l’article 5 § 1 et les deuxièmes paragraphes des articles 8 à 11, qui autorisent des restrictions aux droits et libertés que ces articles consacrent, et, d’autre part, de sa place dans la Convention, à la fin du titre I, qui contient les articles qui énoncent ces droits et libertés ou définissent les conditions dans lesquelles il peut y être dérogé (Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 287, 28 novembre 2017, avec les références citées, Navalnyy c. Russie [GC], nos 29580/12 et 4 autres, § 164, 15 novembre 2018, et Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 421, 22 décembre 2020).
192. L’article 18 n’est toutefois pas seulement destiné à préciser la portée des clauses de restriction. Il interdit aussi expressément aux Hautes Parties contractantes de restreindre les droits et libertés consacrés par la Convention dans des buts autres que ceux prévus par la Convention elle‑même. Dans cette mesure, il possède une portée autonome. Par conséquent, comme l’article 14, il peut être violé sans pour autant qu’il y ait violation de l’article avec lequel il s’applique de manière combinée (Merabishvili, précité, § 288, avec les références citées).
193. Il découle également du libellé de l’article 18 qu’il ne peut y avoir violation que si le droit ou la liberté en question peuvent faire l’objet de restrictions autorisées par la Convention (ibidem, § 290).
194. Le simple fait qu’une restriction apportée à une liberté ou à un droit protégés par la Convention ne remplit pas toutes les conditions de la clause qui la permet ne soulève pas nécessairement une question sous l’angle de l’article 18. L’examen séparé d’un grief tiré de cette disposition ne se justifie que si l’allégation selon laquelle une restriction a été imposée dans un but non-conventionnel se révèle être un aspect fondamental de l’affaire (ibidem, § 291, avec les références citées ; voir également Navalnyy, § 164, et Selahattin Demirtaş, § 421, tous deux précités).
195. Un droit ou une liberté fait parfois l’objet d’une restriction seulement dans un but non-conventionnel. Il est toutefois également possible qu’une restriction soit apportée à la fois dans un but non‑conventionnel et dans un but prévu par la Convention, c’est-à-dire qu’elle poursuive une pluralité de buts (Merabishvili, précité, § 292). Lorsque dans ce même arrêt elle a exposé les principes généraux d’interprétation de l’article 18, la Cour a envisagé la situation où les restrictions en cause poursuivent une « pluralité de buts » et elle a adapté son raisonnement en énonçant un critère consistant à rechercher si le but prédominant était le but inavoué, par rapport au but conforme à la Convention. Si les principes présentés ci-dessous visent les situations de pluralité de buts, ils donnent aussi des indications pour des situations où le Gouvernement n’aurait pas démontré l’existence d’un but légitime (Navalnyy, précité, § 165).
196. L’aperçu de jurisprudence que contient le paragraphe 301 de l’arrêt Merabishvili montre que si les buts et motifs légitimes sont énoncés de manière exhaustive dans les clauses de la Convention autorisant des restrictions, ils sont aussi définis de manière large et interprétés avec une certaine souplesse. En vérité, la Cour s’attache surtout à trancher la question, étroitement liée à celle de l’existence d’un but légitime, de savoir si la restriction est nécessaire ou justifiée, en d’autres termes si elle est fondée sur des motifs pertinents et suffisants et si elle est proportionnée aux buts ou motifs pour lesquels elle est autorisée. Ces buts et motifs constituent les critères d’appréciation de la nécessité ou de la justification de la restriction (Merabishvili, précité, § 302).
197. Cette manière de procéder devrait guider la Cour dans sa façon d’interpréter et d’appliquer l’article 18 de la Convention lorsqu’une restriction poursuit plusieurs buts. Certains des buts visés sont susceptibles d’être rattachés à la clause de restriction applicable et d’autres non. En pareille situation, la simple présence d’un but qui ne relève pas de cette clause ne peut en soi emporter violation de l’article 18. Il existe une différence considérable entre une situation dans laquelle le but prévu par la Convention est celui qui a véritablement animé les autorités, même si elles ont aussi voulu obtenir un autre avantage, et une situation dans laquelle le but prévu par la Convention, tout en étant présent, n’est en réalité qu’une couverture permettant aux autorités de parvenir à une autre fin, primordiale pour elles. Considérer que la présence d’un autre but quel qu’il soit est en elle-même contraire à l’article 18 ne rendrait pas compte de cette différence fondamentale et serait contraire à l’objet et au but de l’article 18, qui sont d’interdire le détournement de pouvoir. Cela pourrait en effet signifier que, chaque fois que la Cour rejette un but ou un motif invoqué par le Gouvernement au regard d’une disposition normative de la Convention, elle devrait conclure à la violation de l’article 18, parce que les observations du Gouvernement prouveraient que les autorités ont poursuivi non seulement le but accepté par la Cour comme légitime, mais aussi un autre but (ibidem, § 303).
198. Pour la même raison, un constat qu’une restriction vise un but prévu par la Convention n’exclut pas non plus nécessairement une violation de l’article 18. En juger autrement reviendrait en effet à priver cette disposition de son caractère autonome (ibidem, § 304).
199. La Cour considère par conséquent qu’une restriction peut être compatible avec la disposition normative de la Convention qui l’autorise dès lors qu’elle poursuit un des buts énoncés par cette disposition et, en même temps, être contraire à l’article 18 au motif qu’elle vise principalement un autre but, non prévu par la Convention, autrement dit au motif que cet autre but est prédominant. À l’inverse, si le but prévu par la Convention est le but principal, la restriction ne méconnaît pas l’article 18 même si elle poursuit également un autre but (ibidem, § 305).
200. Le point de savoir quel but est prédominant dans une affaire donnée dépend de l’ensemble des circonstances de la cause. Dans son appréciation à cet égard, la Cour prendra en considération la nature et le degré de répréhensibilité du but non-conventionnel censé avoir été poursuivi. Elle gardera aussi à l’esprit que la Convention est destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique régie par le principe de la primauté du droit (ibidem, § 307).
201. En cas de situation continue, on ne saurait exclure que cette appréciation varie avec le temps (ibidem, § 308, et Navalnyy, précité, § 165).
202. Aux fins de son examen sous l’angle de l’article 18 de la Convention, la Cour a estimé qu’elle doit s’en tenir à son approche habituelle sur la question de la preuve (Merabishvili, précité, § 310). Cela implique, premièrement, que la charge de la preuve ne pèse pas sur l’une ou l’autre partie, car la Cour étudie l’ensemble des éléments en sa possession, d’où qu’ils proviennent, et au besoin elle s’en procure d’office d’autres. Cela signifie, deuxièmement, que le critère de la preuve retenu devant elle est celui de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Selon la jurisprudence de la Cour, une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants ; par ailleurs, le degré de conviction nécessaire pour parvenir à une conclusion est intrinsèquement lié à la spécificité des faits, à la nature de l’allégation formulée et au droit conventionnel en jeu. Troisièmement, la Cour apprécie en toute liberté non seulement la recevabilité et la pertinence, mais aussi la valeur probante de chaque élément du dossier. Dans ce contexte, on entend par éléments circonstanciels des informations sur les faits principaux, des faits contextuels ou une succession d’événements qui permettent de tirer des conclusions à propos des faits principaux. Les rapports et déclarations d’observateurs internationaux, d’organisations non gouvernementales ou de médias, ainsi que les décisions d’autres juridictions nationales ou internationales, sont fréquemment pris en considération, notamment pour faire la lumière sur les faits, ou pour corroborer les constats effectués par la Cour (Merabishvili, précité, §§ 309-317).
b) Application en l’espèce
203. La Cour observe d’emblée qu’elle voit dans le grief formulé par la requérante sur le terrain de l’article 18 de la Convention un aspect fondamental de la présente affaire. Estimant en outre ne pas avoir examiné la substance même de ce grief dans le cadre de l’analyse des autres griefs de la requérante, elle l’appréciera séparément (Merabishvili, précité, § 291, Navalnyy, précité, § 164 et Selahattin Demirtaş, précité, § 401).
204. La Cour rappelle qu’elle a accepté ci-dessus que pour autant que les poursuites disciplinaires et les sanctions imposées à la requérante ont été appliquées à raison du non-respect par l’intéressée de ses obligations professionnelles en tant que juge, à savoir les retards importants accusés dans la production des motifs de plusieurs jugements, ces mesures poursuivaient un but légitime visé par l’article 10 de la Convention, celui d’assurer notamment le bon fonctionnement de la justice pénale en vue de « garantir l’autorité (…) du pouvoir judiciaire » et d’assurer la prévention du crime (paragraphe 167 ci-dessus). Sous l’angle de l’article 18 de la Convention, la Cour doit donc rechercher si ces mesures poursuivaient aussi un autre but, non visé par la Convention, et, le cas échéant, si cet autre but revêtait un caractère prédominant (Merabishvili, précité, §§ 318-319, et Azizov et Novruzlu c. Azerbaïdjan, nos 65583/13 et 70106/13, § 70, 18 février 2021.
205. Sur la question de savoir si les poursuites disciplinaires dirigées contre la requérante et les sanctions qui lui ont été imposées visaient aussi, comme le soutient l’intéressée, à la sanctionner pour les positions et critiques qu’elle avait exprimées vis-à-vis de l’action du CSM et de la politique du gouvernement en matière de justice, la Cour a déjà relevé ci‑dessus, dans le contexte de l’article 10 de la Convention, que les mesures disciplinaires prises à l’encontre de la requérante étaient directement liées à ses prises de position publiques (paragraphe 164 ci-dessus). Elle rappelle à cet égard que les déclarations de l’inspectrice générale du CSM démontrent que le contrôle réalisé au sein de la chambre pénale du tribunal de la ville de Sofia en juin 2011 constituait une forme de réprimande pour les critiques émises par des magistrats, en particulier par l’organisation présidée par la requérante, à l’occasion de la nomination par le CSM au poste de président du tribunal de V.Y., qui était notoirement proche du ministre de l’Intérieur en exercice (paragraphes 17 et 160 ci-dessus).
206. La Cour observe par ailleurs que les procédures disciplinaires contre la requérante ont commencé dans un contexte de vifs débats dans la société concernant l’indépendance et l’efficacité de la justice, en particulier concernant le traitement des affaires de crime organisé, et que des polémiques ont eu lieu entre l’association de juges représentée par la requérante, d’une part, et le pouvoir exécutif, d’autre part (paragraphes 6‑11, 14-15 et 26 ci-dessus). En particulier, le ministre de l’Intérieur a fait devant la presse des déclarations qui visaient personnellement la requérante et critiquaient son travail en tant que juge (paragraphe 26 ci-dessus).
207. La Cour considère ces éléments suffisants pour conclure que les poursuites disciplinaires et les sanctions infligées par le CSM à la requérante poursuivaient aussi un objectif non prévu par la Convention, à savoir celui de la sanctionner pour ses prises de position en tant que présidente de l’UJB. Les mesures adoptées contre l’intéressée poursuivaient donc une pluralité de buts et, pour déterminer s’il y a ou non eu violation de l’article 18 de la Convention, la Cour doit rechercher si le but non-conventionnel pouvait être considéré comme prédominant au sens de sa jurisprudence. Pour procéder à cette évaluation, la Cour doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de la cause. Dans son appréciation, elle prendra notamment en considération la nature et le degré de répréhensibilité du but non-conventionnel poursuivi et gardera aussi à l’esprit que la Convention est destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique régie par le principe de la primauté du droit (Merabishvili, précité, § 307).
208. À cet égard, la Cour note tout d’abord la manière dont les événements se sont succédé en l’espèce : la requérante et son organisation ont d’abord exprimé de vives critiques vis-à-vis du CSM, concernant en particulier des nominations à des postes de présidents de juridictions qui, selon elles, manquaient de transparence et permettaient de supposer une intervention de l’exécutif ; des contrôles ont ensuite été réalisés, parfois sur signalement des magistrats concernés par ces critiques, et des poursuites disciplinaires ont été engagées à l’encontre de la requérante ; les fautes disciplinaires constatées concernaient parfois des retards intervenus bien avant le début des contrôles. Cette séquence des événements tend à démontrer, aux yeux de la Cour, que la réalisation de ces contrôles était principalement motivée par la volonté de sanctionner la requérante et non par le souci légitime de remédier aux délais excessifs des procédures judiciaires.
209. Le poids des activités de la requérante au sein de l’UJB dans la motivation des poursuites engagées et des sanctions imposées ressort par ailleurs des avis exprimés lors de la réunion du CSM relative à la responsabilité disciplinaire des magistrats, tenue quelques jours après la décision de révoquer l’intéressée. Les avis clairement hostiles à l’UJB et à d’autres ONG démontrent le caractère dominant de cette motivation chez au moins une partie des membres du CSM (paragraphes 35 et 54 ci-dessus).
210. La manière dont le CSM a traité les affaires disciplinaires de la requérante est également significative. Cet organe a en effet fait preuve d’une particulière sévérité à l’égard de l’intéressée, en particulier en ordonnant d’abord sa révocation. La sévérité exceptionnelle et le caractère disproportionné de cette sanction ont été relevés par une grande partie de la communauté judiciaire et juridique en Bulgarie, par la ministre de la Justice elle-même, par des médias, des ONG et également par des organisations internationales (paragraphe 34 ci-dessus). Il est également notable à cet égard que, dans le cadre des deux procédures disciplinaires, le CSM a pris en compte des retards pour lesquels la responsabilité disciplinaire de la requérante était prescrite, erreur qui a dû être rectifiée par la Cour administrative suprême et qui a notamment justifié l’annulation de la révocation de la requérante (paragraphes 36 et 47 ci-dessus).
211. Or la Cour observe que les activités de la requérante au sein de l’UJB constituaient l’exercice par l’intéressée de ses libertés d’association et d’expression, et que rien n’indique que ces activités auraient été contraires à la loi ou aux règles de déontologie des magistrats. En particulier, les positions critiques exprimées par l’organisation présidée par la requérante visaient à assurer plus de transparence et à limiter les interventions de l’exécutif dans les promotions de magistrats, dans le but de renforcer l’indépendance de la justice, dont la Cour a fréquemment souligné l’importance dans sa jurisprudence (voir, récemment, Guðmundur Andri Ástráðsson, précité, § 215). Au vu de ces éléments, la volonté d’utiliser la procédure disciplinaire à titre de représailles pour les prises de position de la requérante apparaît comme particulièrement préoccupante.
212. La Cour constate par ailleurs que le contrôle judiciaire de la décision du CSM n’a pas corrigé cette situation. La requérante avait pourtant soutenu dans ses recours que les poursuites disciplinaires avaient été motivées exclusivement par des considérations politiques et visaient, en réalité, à punir ses prises de position en tant que présidente de l’UJB (voir en particulier le paragraphe 39 ci-dessus). Une formation de trois juges de la Cour administrative suprême avait même fait des constats dans ce sens dans son arrêt rendu le 1er juillet 2014 et en avait tenu compte pour conclure que la sanction imposée à la requérante devait être réduite (paragraphes 54‑56 ci-dessus). Cependant, dans l’arrêt définitif du 12 février 2015, la formation de cinq juges de la haute juridiction s’est contentée d’examiner la légalité de la décision du CSM selon le droit disciplinaire national (paragraphes 58‑59 ci-dessus). Elle a ainsi passé sous silence la thèse de la requérante et n’en a tiré aucune conséquence pratique sur sa responsabilité disciplinaire ou la lourdeur de la sanction imposée (voir aussi, sous l’angle de l’article 10 de la Convention, les paragraphes 177-178 ci-dessus).
213. En conclusion, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour considère que, indépendamment du fait que la révocation de la requérante a finalement été annulée par la Cour administrative suprême, le but prédominant des poursuites disciplinaires engagées contre la requérante et des sanctions qui lui ont été imposées par le CSM n’était pas d’assurer le respect des délais de clôture des affaires mais celui de sanctionner et intimider l’intéressée à raison de ses prises de position critiques à l’égard du CSM et du pouvoir exécutif.
214. Partant, il y a eu violation de l’article 18 de la Convention combiné avec l’article 10.
VII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
215. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
216. La requérante n’a pas formulé de demande au titre du dommage matériel ou moral et déclare qu’un constat de violation de la Convention lui fournirait une satisfaction équitable suffisante. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
B. Frais et dépens
217. La requérante demande le remboursement des frais de traduction engagés dans la procédure devant la Cour d’un montant de 2 620 levs bulgares (BGN), soit l’équivalent de 1 340 euros (EUR). Elle produit la facture correspondante et une preuve du paiement effectué.
218. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge le montant réclamé au titre des frais de traduction justifié et l’accorde à la requérante.
C. Intérêts moratoires
219. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
1. Déclare, à l’unanimité, recevables les griefs tirés des articles 6, 10, 14 et 18 de la Convention et irrecevable le grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention ;
2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief formulé sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 10 de la Convention ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 18 de la Convention combiné avec l’article 10 ;
6. Dit, à l’unanimité,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 340 EUR (mille trois cent quarante euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 octobre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Ilse Freiwirth Tim Eicke
Greffière adjointe Président
___________
Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion partiellement dissidente commune au juge Harutyunyan et à la juge ad hoc Salkova.
T. E. I.
I. F.
JOINT PARTLY DISSENTING OPINION OF JUDGE HARUTYUNYAN AND AD HOC JUDGE SALKOVA
I. Introduction
1. In the present case, while treating the opinion of the majority with respect, we remain convinced that there has been a violation of Article 6 of the Convention. Our conclusions take into account the need to distinguish between the issues relating to the disciplinary violation committed by the judge, and the provision of a fair trial in connection with her appeal against the decision of the Supreme Judicial Council. In applying the rules designed to ensure a fair trial, national authorities must refrain from infringements such as those alleged in the present case, in order to uphold the rule of law and ensure the fairness of justice.
The principles established in the case-law on Article 6
2. The existence of impartiality must be determined on the basis of a subjective test, where regard must be had to the personal conviction and behaviour of a particular judge, that is, whether the judge held any personal prejudice or bias in a given case, and also of an objective test, that is to say by ascertaining whether the tribunal itself and, among other aspects, its composition, offered sufficient guarantees to exclude any legitimate doubt in respect of its impartiality.
3. However, there is no watertight division between subjective and objective impartiality since the conduct of a judge may not only prompt objectively held misgivings as to impartiality from the point of view of the external observer (objective test) but may also go to the issue of his or her personal conviction (subjective test). In cases where it may be difficult to procure evidence with which to rebut the presumption of the judge’s subjective impartiality, the requirement of objective impartiality provides a further important guarantee (see Micallef v. Malta, [GC], no. 17056/06, ECHR 2009, and Ramos Nunes de Carvalho e Sá v. Portugal [GC], nos. 55391/13 and 2 others, 6 November 2018).
4. According to the Court’s case-law, it must be determined whether, quite apart from the judge’s conduct, there are ascertainable facts which may raise doubts as to judges’ impartiality. When applied to a body sitting as a bench, it means determining whether, quite apart from the personal conduct of any of the members of that body, there are ascertainable facts which may raise doubts as to the impartiality of the body itself.
5. This implies that, in deciding whether in a given case there is a legitimate reason to fear that a particular judge (see Morel v. France, no. 34130/96, ECHR 2000-VI, and Pescador Valero v. Spain, no. 62435/00, ECHR 2003-VII), or a body sitting as a bench (see Luka v. Romania, no. 34197/02, 21 July 2009), lacks impartiality, the standpoint of the person concerned is important but not decisive. What is decisive is whether this fear can be held to be objectively justified (see Wettstein v. Switzerland, no. 33958/96, ECHR 2000-XII; Pabla Ky v. Finland, no. 47221/99, ECHR 2004-V; and Micallef, cited above). In this respect even appearances may be of a certain importance or, in other words, “justice must not only be done, it must also be seen to be done”. What is at stake is the confidence which the courts in a democratic society must inspire in the public. Thus, any judge in respect of whom there is a legitimate reason to fear a lack of impartiality must withdraw (see Micallef, cited above, for example, where the judge had made public statements relating to the outcome of the case; see also Rustavi 2 Broadcasting Company Ltd and Others v. Georgia, no. 16812/17, 18 July 2019).
6. In order that the courts may inspire in the public the confidence which is indispensable, account must also be taken of questions of internal organisation. The existence of national procedures for ensuring impartiality, namely rules regulating the withdrawal of judges, is a relevant factor (see Micallef, cited above, and Mikhail Mironov v. Russia, no. 58138/09, 6 October 2020). Such rules manifest the national legislature’s concern to remove all reasonable doubts as to the impartiality of the judge or court concerned and constitute an attempt to ensure impartiality by eliminating the causes of such concerns. In addition to ensuring the absence of actual bias, they are directed at removing any appearance of partiality and serve to promote the confidence which the courts in a democratic society must inspire in the public (see Mežnarić v. Croatia, no. 71615/01, 15 July 2005, and A.K. v. Liechtenstein, no. 38191/12, 9 July 2015).
7. The hierarchical structure of the competent administrative bodies may also raise an issue in terms of appearances (see Grace Gatt v. Malta, no. 46466/16, 8 October 2019). The national system governing judges’ careers and disciplinary proceedings against them has itself been the subject of applications to the Court from the standpoint of judges’ independence and objective impartiality (see Ramos Nunes de Carvalho e Sá, cited above; Denisov v. Ukraine [GC], no. 76639/11, 25 September 2018; and Oleksandr Volkov v. Ukraine, no. 21722/11, ECHR 2013).
II. THE Facts
The facts of the case and the application of these principles in the instant case
8. The applicant’s complaints contained allegations of political involvement in the disciplinary proceedings and in the administrative and judicial proceedings. Specific arguments were put forward in connection with the conduct of the proceedings before the Supreme Judicial Council (SJC) and the Supreme Administrative Court (SAC), as well as with the subsequent favourable career development of judges who had taken part in the cases against the applicant.
9. A correct conclusion as to the fairness of the judicial proceedings in cases where the applicant complains about the influence of political factors on the adjudicating court can be made if the conduct of the adjudicating court in the particular case is compared with its conduct in similar cases. Hence, the question that arises is whether the SJC and the SAC consistently apply the rule of law in disciplinary proceedings in the same way, or whether there is a difference in application when the rule of law applies to different persons. Any such difference always raises the question of the existence of meta-legal factors in decision-making that create public distrust of the judiciary.
10. One of the issues raised as regards the uniform application of the law is the obligation of the SJC to hear evidence from the person in respect of whom disciplinary proceedings are being conducted.
11. In view of the applicant’s allegation that she was not granted a right of defence in the disciplinary proceedings, we fully share the findings of the Supreme Administrative Court in the first judgment of 2 August 2012, which are fully in line with the teachings of legal theory:
“When it fails to hear evidence directly and immediately from the judge facing disciplinary proceedings, the personnel body of the judiciary, firstly, violates the essence of the principle of adversarial proceedings, namely the hearing of the other party and, secondly, violates the judge’s constitutional right to protection.”
12. The opposite view taken in the subsequent judgment of the SAC of 18 December 2012, which annulled this judgment, does not correspond to the teachings of the theory, especially regarding the following argument:
“The purpose of the law is for the disciplinary proceedings to be conducted by a reduced panel of the collective body, as its authority is preserved regarding the type and quantum of the punishment, as well as to avoid duplication of the disciplinary composition as explicitly provided for in the law. The opposite position would lead to new disciplinary proceedings before the SJC, which is unacceptable.”
This conclusion does not take into account either the fact that the deciding body is the SJC and not the disciplinary panel, or the decisions of the SAC on the appeals of other judges on whom sanctions were imposed (see, for example, SAC judgment no. 2780 of 27 February 2012 in administrative case no. 12603/2011, which revoked the disciplinary sanction of a “reprimand” imposed on another judge for delaying decisions in 249 cases and which was confirmed by SAC judgment no. 9488 of 2 July 2012 in administrative case no. 5054/2012, given by a five-member panel). That judgment found as follows:
“The person facing disciplinary proceedings should be duly notified of the meeting (this follows also from the general rules of the [Code of Administrative Procedure] when an aggravating administrative decision is given) and be given the opportunity to present his defence arguments in person or through a legal representative. The need for a judge, prosecutor or investigator facing disciplinary proceedings to effectively exercise his or her right of defence in each case directly before the disciplinary punishment body of the SJC is a direct consequence of Article 56 of the Constitution of the Republic of Bulgaria.”
13. Another issue which is obviously resolved by the SJC in different ways depending on the identity of the offender is that of the type of punishment imposed for identical violations.
14. The following matters are resolved differently in disciplinary practice: whether and how the workload of the judge and the number and complexity of the cases assigned to him or her are taken into account, as well as the quality of the decisions given and the culpability of the judge charged with a disciplinary violation.
15. In the applicant’s case, it was established that her workload had not been examined at all by the disciplinary body (SAC judgment no. 10945 of 2 August 2012). This issue was not discussed at all in the judgment of the five-member panel of 18 December 2012 which annulled that judgment. The most likely reason for the conclusions of the SAC in its judgment of 18 December 2012 is a misinterpretation of the rules of the Code of Criminal Procedure on the requirement to hear and decide the case within a reasonable time and on the procedural deadlines for procedural actions, based on a misunderstanding of the structure and nature of the criminal process.
16. The issue of culpability is not addressed in this judgment, which merely gives a partial definition of the notion of culpability. The approach in other cases regarding the disciplinary punishment of judges is different, for example in SAC judgment no. 10613 of 15 July 2011 in administrative case no. 2848/2011, given by a five-member panel, which confirmed SAC judgment no. 623 of 13 January 2011 in administrative case no. 9430/2010, and which found as follows:
“… the disciplinary body had to gather evidence of the factual and legal complexity of the nine cases, the decisions on which were taken after the investigation stage. The high personal workload of the judge, as well as of the administrative department as a whole, was not taken into account. Nor was it taken into account that owing to the lack of sufficient judges there had been a redistribution of cases, which led to an additional burden, … the non-performance of official duties would have had to be committed culpably. In this case the aggregate assessment of the facts and circumstances based on the evidence in the case does not establish with certainty that the factual elements of a violation under section 307(4)(1) of the [Judiciary Act] were committed culpably, such as to justify finding a disciplinary violation under section 307(3) of the [Judiciary Act].”
17. This is accepted also in SAC judgments no. 2758 of 1 March 2010 in administrative case no. 14955/2009; no. 2789 of 2 March 2010 in administrative case no. 14708/2009; no. 9926 of 16 July 2010 in administrative case no. 5695/2010; no. 4940 of 4 April 2012 in administrative case no. 1060/2012; and no. 15921 of 23 December 2010 in administrative case no. 12157/2010, given by a five-member panel, among other cases.
18. It should be noted that the issue of the reasons for the delays was also discussed in SAC judgment no. 9190 of 1 July 2014 concerning the second set of disciplinary proceedings against the applicant, in which the court found it indisputable that the applicant had a heavy workload of cases of legal and factual complexity, that she also participated in international events by decision of the SJC, and that her work was hampered by the lack of courtrooms. The court then found as follows:
“… in the present case neither the [SJC Inspectorate], nor the two disciplinary panels in disciplinary case no. 3/2012, nor the Supreme Judicial Council, made efforts to clarify the question whether the work of the Sofia City Court was organised adequately. … The answer to this question is essential because it would contribute to clarification of the gravity of the violation and of one of the other relevant circumstances, constituting the next criterion under section 309 of [the Judiciary Act] for determining the type and amount of the disciplinary sanction, namely the circumstances under which the violation was committed.”
19. There is also a contradictory application of the provisions on the obligation of the sanctioning authority to state the reasons for its decision. It is noteworthy that the view of two of the judges on the five-judge panel ruling in the second set of disciplinary proceedings against the applicant, which was expressed in their dissenting opinion on the need for the SJC to state reasons for its decision when imposing a heavier sentence, was also shared by the third member of the court panel in another case, namely in SAC judgment no. 16181 of 8 December 2011 in administrative case no. 8458/2011, VII o., confirmed by SAC judgment no. 9701 of 4 July 2012 in administrative case no. 5006/2012 (five-member panel). In this judgment, the court panel stated as follows:
“In addition to the above, no reasons have been given for the administrative decision under challenge. In the present case, the disciplinary panel proposed to the Supreme Judicial Council that the applicant be subject to a disciplinary sanction under section 308(1)(3) of the [Judiciary Act], namely a ‘reduction of basic remuneration of 25% for a period of two years’. Although the SJC is not bound by the proposal made, and in the conditions of operational independence it itself determines what punishment to impose, it is a condition for the lawfulness of its decision that reasons be given for it. In the present case, the reasons for the decision were the statements of the members of the Council in support of the proposal for the most severe disciplinary sanction. It is evident from the minutes of the meeting of the SJC that the only relevant statement was made by the Prosecutor General. The Inspector General also made a statement, but she is not a member of the Supreme Judicial Council and her statement does not constitute reasons for the decision. From the statement of the Prosecutor General, however, no substantiated conclusions can be drawn as regards compliance with the provisions of section 309 of the Judiciary Act, which requires account to be taken, in determining the disciplinary sanction, of the gravity of the violation, the form of culpability, the circumstances in which the violation was committed and the conduct of the offender. The statement emphasised the fact that the applicant had claimed to be a lawyer and had deceived citizens, and expressed a subjective opinion to the effect that ‘the fact that no other violation has been established does not mean that there has been none’. But it should be emphasised that the punishment must relate to the specific violation. The court does not accept the stated opinion as a reason for the administrative decision, which must contain specific considerations substantiating the need to impose the most severe disciplinary sanction. It is untenable to refer to allegations of violations. Considerations which are outside the scope of the disciplinary proceedings must not be taken into account either.”
20. Some of the issues that were controversially resolved had already been unambiguously expressed in interpretative judgment no. 7 of 2017 of the SAC (for example on the power of the Supreme Administrative Court to return the case to the Supreme Judicial Council, which in the applicant’s case led to an inadmissible legal result imposing two different sanctions for the same violation). That judgment found as follows:
“The Supreme Administrative Court does not have the power, after reversing the decision of the Supreme Judicial Council which imposed a disciplinary sanction, to return the file to that body for a new ruling.”
The same judgment also accepted that:
“The participation of members of the Supreme Judicial Council in the disciplinary panel, when they are the same persons who submitted a proposal for the imposition of a disciplinary sanction on elected members of the Supreme Judicial Council under section 312(1)(4) of the Judiciary Act read in conjunction with section 311(2)(c) and section 307( 2), or for the imposition of a disciplinary sanction on a judge, prosecutor, investigator, administrative head or deputy administrative head under section 312(1)(4) of the Judiciary Act, is a substantial violation of the administrative procedure rules.”
21. This judgment of the SAC should henceforth have prevented the risk of a different approach being applied in resolving these issues on the basis of the identity of the punished judges, no matter who they are.
22. The different application of the legal provisions in these cases raises doubts about the existence of objective impartiality, doubts which also stem from several other facts.
23. The press statement issued by the Inspector General thirteen days before the deadline for preparation of the inspection report, as established in judgment no. 10945 of 2 August 2012 (“The taxpayer pays judges’ salaries primarily for them to write their judgments and, in their own time, for them to write declarations and positions. Therefore, we will check who wrote their reasons for the decisions within the deadlines specified in the law, how much of a delay they incurred and what were the reasons for this.”), by focusing on the applicant’s statements concerning the independence of the judiciary before the completion of the inspection, meant that the Inspector General could no longer be regarded as an objective observer.
24. Moreover, the final decision of the Inspectorate (published on its website (http://www.inspectoratvss.bg/acts/1439540969.pdf) does not analyse the reasons for the delays. The requirement for an individual judge to ensure the hearing of cases within a reasonable time cannot be accepted as justified, in so far as it is the duty of the State, and specifically the SJC, to resolve problems related to the workload of judges, the distribution of cases and the available resources.
25. This obligation on the part of the State is clearly stated in the Court’s judgment in the case of Dimitrov and Hamanov v. Bulgaria (nos. 48059/06 and 2708/09, § 72, 10 May 2011), as follows:
“72. The States have the duty to organise their judicial systems in such a way that their courts can meet each of the requirements of Article 6 § 1 of the Convention, including the obligation to hear cases within a reasonable time (see, among many other authorities, Bottazzi, § 22, and Scordino (no. 1), § 183, both cited above). They are responsible for delays attributable to the conduct of their judicial or other authorities (see, by way of example, Foley v. the United Kingdom, no. 39197/98, §§ 38‑39, 22 October 2002). They are also responsible for delays in the presentation of the opinions of court‑appointed experts (see Capuano v. Italy, 25 June 1988, § 32, Series A no. 119, and Nibbio v. Italy, 26 February 1992, § 18, Series A no. 228 A). A State may thus be found liable not only for delay in the handling of a particular case, but also for a failure to increase resources in response to a backlog of cases, or for structural deficiencies in its judicial system that cause delays (see Zimmermann and Steiner v. Switzerland, 13 July 1983, §§ 29‑32, Series A no. 66; Guincho, cited above, §§ 39-41; and Pammel v. Germany, 1 July 1997, §§ 69-72, Reports of Judgments and Decisions 1997-IV). Tackling the problem of unreasonable delay in judicial proceedings may thus require the State to take a range of legislative, organisational, budgetary and other measures.
73. In that connection, it should be emphasised that a failure to deal with a particular case within a reasonable time is not necessarily the result of omissions on the part of individual judges, prosecutors or investigators. For instance, while in some cases delays may result from the lack of diligence on the part of the investigator, prosecutor or judge in charge of a particular case (see, by way of example, B. v. Austria, cited above, §§ 52-54, and Reinhardt and Slimane-Kaïd v. France, 31 March 1998, § 100, Reports 1998-II), in others the delays may stem from the State’s failure to place sufficient resources at the disposal of its judicial system (see, by way of example, Zimmermann and Steiner, cited above, §§ 30-32), or allocate cases in an efficient manner (see, by way of example, Georgiadis v. Cyprus, no. 50516/99, § 46, 14 May 2002).”
26. The statement of a member of the SJC (p. 71 of the minutes of 30 May 2011) that he would not support a candidate for President of the Sofia City Court (SCC) because she had participated in a petition against the SJC and therefore could not be a good leader, seems to support the applicant’s complaint that some members of the SJC were intolerant of criticism of their activities and tended to punish judges who expressed such criticism.
27. The lack of reasons in Order no. 352 of 6 March 2012 issued by the President of the SAC, by virtue of which appeals against decisions of the SJC were transferred from the 7th Division, which hears similar cases, to the 6th Division, which deals with cases relating to social security and health care provision, and the issuance of this order without a proposal from the Plenum of the Supreme Administrative Court, seems to support the applicant’s claim that there was a deliberate change, as the judges of the 7th Division had previously ruled in favour of her appeal in the first case.
28. In itself, this circumstance may not call into question the objective impartiality of the trial court. However, viewed in combination with other facts such as the rejection of the request for recusal of the entire panel of judges of the 6th Division and the request for recusal of the disciplinary staff of the SJC; the lack of a reasonable explanation for the violation of the principle of random selection of judges (provided for in section 9 of the Judiciary Act in order to prevent the assignment of certain cases to specific judges who have been specially selected); the delay in hearing the applicant’s case before the SAC; and last but not least, the public statements of the Inspector General and some members of the SJC and the subsequent career development of the judges who decided the applicant’s case (given the support received for these posts), it raises doubts which support the applicant’s argument that there was a lack of objective impartiality.
III. Conclusion
29. All the above-mentioned factors cast doubt on the existence of legal certainty, in view of the varying attitude of the decision-making bodies in disciplinary proceedings against judges. This undermines the foundations of justice.
30. The difficulty in resolving disciplinary proceedings against judges stems from the need to establish the very thin line between the prevention of judicial misconduct, which jeopardises the efficiency of the justice system, and the independence of the judiciary, where political influence undermines justice and public confidence in it.
31. There is no doubt that, where disciplinary offences have been committed, sanctions must be imposed to ensure the effectiveness of justice. However, these sanctions must be applied in proceedings guaranteeing the rights of the participants, based on equal treatment of offenders, because the alternative leads to a perception in society of a lack of objective impartiality, which destabilises the legal order.
32. It is under the conditions of a fair trial that such violations by judges must be sanctioned, and it is beyond doubt, in our view, that the correct application of the law and the prevention of violations can be achieved only in the context of such a process.
33. The destabilisation of the justice system leads to the destabilisation of the rule of law, as a result of which the rights of citizens are endangered. An unstable judiciary cannot provide stability and security for citizens’ rights, and the stability of the judiciary depends on both its independence from political bodies and the existence of clear rules for the career development of judges and their application in an equal manner to all judges. Prompted by the conviction that in this case some of the actions of the Inspector General and of members of the Supreme Judicial Council and the Supreme Administrative Court call into question the existence of objective impartiality, we express this separate opinion, while respecting the opinion of the majority.
Dernière mise à jour le octobre 19, 2021 par loisdumonde
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