Zambrano c. France (déc.) (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 255
Octobre 2021

Zambrano c. France (déc.) – 41994/21

Décision 7.10.2021 [Section V]

Article 35
Article 35-3-a
Requête abusive

Appel à « paralyser » la Cour en multipliant des saisines à l’aide d’un formulaire généré automatiquement sur le site Internet du requérant et copiant sa requête : irrecevable

Article 3
Traitement dégradant
Traitement inhumain

Absence de contrainte à la vaccination contre la covid-19 pour une personne non soumise à l’obligation vaccinale, du fait de la mise en place du passe sanitaire : irrecevable

Article 34
Victime

Requête dénonçant in abstracto le système de passe sanitaire et d’autres mesures de la gestion de la crise due à la covid-19, sans préciser leur effet sur la situation personnelle : irrecevable

Article 35
Article 35-1
Épuisement des voies de recours internes

Non-épuisement du recours pour excès de pouvoir pour contester le système de passe sanitaire et d’autres mesures de la gestion de la crise due à la covid-19: irrecevable

En fait – Dans son formulaire de requête, le requérant dénonce les lois nos 2021-689 et 2021-1040 relatives à la gestion de la crise sanitaire causée par la pandémie de covid-19. La loi n° 2021-689 a mis en place un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 septembre 2021, qui autorise le Premier ministre notamment à limiter les déplacements et l’utilisation des transports collectifs ou à imposer des mesures barrières dans les commerces. Elle a également instauré un dispositif de passe sanitaire jusqu’au 30 septembre 2021 pour les voyageurs en provenance ou à destination de la France et pour l’accès à de grands rassemblements. La loi n° 2021-1040, d’une part, prolonge le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 15 novembre 2021 et, d’autre part, étend le périmètre du passe sanitaire à d’autres activités de la vie quotidienne jusqu’au 15 novembre (bars et restaurants, y compris en terrasse, à l’exception des restaurants d’entreprise ; grands magasins et centres commerciaux, sur décision du préfet du département, en cas de risques de contamination ; séminaires ; transports publics dans les trains, bus et les avions pour les longs trajets ; les hôpitaux, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et les maisons de retraite pour les accompagnants, les visiteurs et les malades accueillis pour des soins programmés, à l’exception des cas d’urgence médicale). Le passe sanitaire est exigible pour les personnes majeures qui souhaitent pratiquer les activités dans les lieux concernés et, pour les personnels qui y travaillent, depuis le 30 août 2021. Des sanctions sont encourues tant par le public en cas de non-présentation ou d’utilisation frauduleuse d’un passe sanitaire et que par les commerçants et professionnels chargés de le vérifier en cas de défaillance dans le contrôle. La loi n° 2021-1040 a par ailleurs rendu la vaccination contre la covid-19 obligatoire, sauf contre-indication médicale, pour les personnes travaillant dans les secteurs sanitaire et médico‑social. Un délai au 15 septembre 2021 a été fixé à cette fin, voire jusqu’au 15 octobre 2021 pour les personnels ayant déjà reçu une première dose de vaccin.

Le requérant invoque les articles 3, 8 et 14 de la Convention, ainsi que sur l’article 1er du Protocole N° 12. Selon lui, ces lois, en créant et en imposant un système de passe sanitaire, constitueraient une ingérence discriminatoire dans le droit au respect de la vie privée et visent essentiellement à contraindre le consentement à la vaccination.

En droit

Article 35 § 1 (épuisement des voies de recours internes) :

Le requérant n’a pas saisi les juridictions administratives de recours au fond dirigés contre les actes réglementaires que sont les décrets d’application des lois litigieuses. Certes, il soutient que, dans la mesure où les lois en cause ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, il n’existerait pas de recours disponible et effectif qui aurait dû être préalablement exercé.

Cependant, en droit français, le recours pour excès de pouvoir, dans le cadre duquel il est possible de développer, à l’appui des conclusions d’annulation, des moyens fondés sur une violation de la Convention, est une voie de recours interne à épuiser. Pour pleinement épuiser les voies de recours internes, il faut donc en principe mener la procédure interne, le cas échéant, jusqu’au juge de cassation. Or, une telle exigence vaut indépendamment de l’intervention d’une décision du Conseil constitutionnel, qui ne se prononce pas au regard des dispositions de la Convention. En effet, le contrôle du respect de la Convention effectué par le « juge ordinaire » est distinct du contrôle de conformité de la loi à la Constitution effectué par le Conseil constitutionnel : une mesure prise en application d’une loi (acte réglementaire ou décision individuelle) dont la conformité aux dispositions constitutionnelles protectrices des droits fondamentaux a été déclarée par le Conseil constitutionnel peut être jugée incompatible avec ces mêmes droits tels qu’ils se trouvent garantis par la Convention à raison, par exemple, de son caractère disproportionné dans les circonstances de la cause. Par ailleurs, il est loisible à un requérant qui saisit le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un décret d’application d’une loi ou une décision refusant d’abroger un tel décret d’invoquer, par la voie de l’exception, l’inconventionnalité de cette loi à l’appui de ses conclusions d’annulation. Un recours effectif était donc ouvert en droit interne qui aurait permis au requérant de contester devant le Conseil d’État le respect par la loi du 5 août 2021 des articles de la Convention invoqués devant la Cour (voir Graner c. France et Charron et Merle-Montet c. France). La requête est en tout état de cause irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

Article 35 § 3 (a) (abus du droit de recours) :

Le requérant a pris l’initiative, s’appuyant sur son site Internet « nopass.fr », de lutter contre le passe sanitaire institué en France en invitant ses visiteurs à se joindre à lui pour exercer un recours collectif devant la Cour et à multiplier des saisines par l’emploi d’un formulaire standardisé, généré automatiquement. Près de dix-huit mille requêtes ont d’ores et déjà été adressées à la Cour dans le cadre de cette démarche. Exprimé en des termes exempts d’ambiguïté, l’objectif poursuivi n’est pas d’obtenir gain de cause, mais au contraire de provoquer « l’embouteillage, l’engorgement, l’inondation » de la Cour, de « paralyser son fonctionnement », de « créer un rapport de force » pour « négocier » avec la Cour et « de faire dérailler le système » dont la Cour serait un « maillon ».

Or, la Cour fait face depuis près de vingt ans à un contentieux de masse découlant de différents problèmes structurels ou systémiques dans les États contractants. Elle veille malgré cela à l’efficacité à long terme du système de protection des droits de l’homme, tout en préservant le droit à un recours individuel, la clé de voûte dudit système, et l’accès à la justice. Il est évident qu’un afflux massif de requêtes telles que celles promouvant l’objectif recherché par le requérant risque de peser sur la capacité de la Cour à remplir la mission que lui assigne l’article 19 relativement à d’autres requêtes, introduites par d’autres requérants, qui remplissent les conditions pour être attribuées à des formations judiciaires et, prima facie, les conditions de recevabilité. La protection du mécanisme de la Convention est d’ailleurs une préoccupation à laquelle renvoient également les dispositions de l’article 17 de la Convention. Compte tenu notamment des objectifs ouvertement poursuivis par le requérant, la démarche de ce dernier est manifestement contraire à la vocation du droit de recours individuel. En l’espèce, il vise délibérément à nuire au mécanisme de la Convention et au fonctionnement de la Cour, dans le cadre de ce qu’il qualifie de « stratégie judiciaire » et qui s’avère en réalité contraire à l’esprit de la Convention et aux objectifs qu’elle poursuit.

Article 34 (qualité de victime) :

Tout d’abord, le requérant se plaint in abstracto de l’insuffisance et de l’inadéquation des mesures prises par l’État français pour lutter contre la propagation du virus covid-19. Il ne fournit pas d’informations sur sa situation personnelle et n’explique pas concrètement en quoi les législations litigieuses et les manquements allégués des autorités nationales seraient susceptibles de l’affecter directement et de le viser en raison d’éventuelles caractéristiques individuelles.

S’agissant plus particulièrement du grief tiré de l’article 3, il ne démontre pas l’existence d’une contrainte exercée à son égard en tant que personne ne souhaitant pas se faire vacciner et susceptible de rentrer dans le champ d’application de cette disposition. Les lois litigieuses ne prévoient aucune obligation générale de se faire vacciner. En outre, le requérant ne justifie pas exercer l’une des professions spécifiques dont les membres sont soumis à l’obligation vaccinale par application de la loi n° 2021-1040 (voir, à cet égard, Thevenon c. France). Cette dernière loi n’impose pas davantage la vaccination aux personnes souhaitant effectuer certains déplacements ou accéder à certains lieux, établissements, services ou évènements. Elle prévoit au contraire expressément la possibilité de présenter le document de son choix parmi trois possibilités : le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19. Enfin, la loi envisage également la possibilité de se faire délivrer un document attestant d’une contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination.

Toutefois, la Cour n’estime pas nécessaire de trancher définitivement la question de savoir si le requérant peut prétendre avoir la qualité de victime. Quant à l’article 1er du Protocole N° 12 invoqué par le requérant, la France n’a pas ratifié ce protocole.

Conclusion : irrecevable (non-épuisement des voies de recours internes ; abus du droit de recours).

A propos des requêtes introduites à l’initiative du requérant

Les éventuelles conclusions de la Cour sur la recevabilité de la présente requête sont susceptibles de s’appliquer aux milliers d’autres requêtes standardisées. Le caractère abstrait du recours ressort de ces requêtes qui n’indiquent aucun détail personnel et correspondent en réalité à un document identique, rempli automatiquement. De plus, ces milliers de requêtes ne remplissent pas toutes les conditions posées par l’article 47 § 1 du règlement de la Cour. A cet égard, par une lettre et un courrier électronique du 17 août 2021, le requérant, dès lors qu’il a été désigné automatiquement comme représentant dans toutes ces requêtes, a été invité, en vertu de l’article 47 § 5.2 du règlement, à compléter les dossiers et averti qu’à défaut, lesdites requêtes risquaient de ne pas être examinées. Les correspondances du greffe sont demeurées sans réponse.

(Graner c. France (déc.), n° 84536/17, 5 mai 2020 ; Charron et Merle-Montet c. France (déc.), no 22612/15, § 30, 16 janvier 2018 ; Thevenon c. France, n° 46061/21, affaire communiquée)

Dernière mise à jour le octobre 7, 2021 par loisdumonde

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