Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 254
Août-Septembre 2021
M.P. c. Portugal – 27516/14
Arrêt 7.9.2021 [Section IV]
Article 8
Obligations positives
Article 8-1
Respect de la correspondance
Respect de la vie privée
Messages électroniques échangés par la requérante sur un site de rencontres produits sans son consentement par son ex-mari lors de procédures civiles : non-violation
En fait – L’ex-mari de la requérante a accédé à des messages électroniques qu’elle avait échangés sur un site de rencontres et il les a produits, sans son consentement, dans le cadre d’une part d’une procédure qu’il avait engagée en vue de la répartition de l’autorité parentale et, d’autre part, d’une procédure de divorce. Le tribunal aux affaires familiales n’a finalement pas tenu compte de ces messages. La requérante se plaint donc uniquement du fait que les juges n’aient pas sanctionné son mari pour les avoir divulgués.
En droit – Article 8
a) Applicabilité – La présente espèce concerne des messages électroniques que la requérante avait échangés avec des correspondants masculins sur un site de rencontres occasionnelles. Il s’agit de messages personnels dont un individu peut légitimement attendre qu’ils ne soient pas dévoilés sans son consentement, et dont la divulgation peut entraîner un sentiment très fort d’intrusion dans la « vie privée » et la « correspondance » visées à l’article 8. La gravité de l’atteinte à la jouissance personnelle du droit au respect à la vie privée dénoncée en l’espèce ne faisant pas de doute, de tels messages relèvent bien du champ d’application de cette disposition.
Conclusion : article 8 applicable.
b) Fond – L’ingérence dans la vie privée de la requérante étant réalisée par une personne privée, il y a lieu d’examiner les griefs de l’intéressée sous l’angle des obligations positives qui incombent à l’État en vertu de l’article 8.
En ce qui concerne le cadre juridique, le fait d’accéder au contenu de lettres ou de télécommunications sans le consentement des correspondants et le fait de divulguer le contenu ainsi obtenu sont sanctionnés pénalement. Faisant suite à la plainte pénale déposée par la requérante pour violation de sa correspondance, le parquet près le tribunal a ouvert une enquête. Par ailleurs, à sa demande, la requérante a été autorisée à intervenir dans le cadre de la procédure pénale en qualité d’assistente, ce qui lui a permis de jouer un rôle actif dans cette procédure. Elle a ainsi eu, notamment, la possibilité de présenter ses moyens de preuve, puis de demander l’ouverture d’une instruction lorsque le parquet a décidé de classer l’affaire sans suite. Par ailleurs, elle a renoncé à la possibilité d’introduire une demande d’indemnisation lorsqu’elle a sollicité l’ouverture de l’instruction. Elle a ainsi exprimé le souhait de voir se poursuivre la procédure pénale dans le seul but d’obtenir la reconnaissance de l’atteinte qu’elle estimait avoir été portée à ses droits. Au vu de ces constatations, la Cour est d’avis que le cadre juridique existant au Portugal offrait, dans les cas tels que celui de la requérante, une protection adéquate du droit au respect de la vie privée et au secret de la correspondance.
S’agissant de l’accès aux messages électroniques de la requérante, la cour d’appel a considéré que cette dernière avait donné à son mari un accès total à la messagerie qu’elle entretenait sur le site de rencontre et que ces messages faisaient donc partie de la vie privée du couple. La Cour estime que le raisonnement tenu par les autorités internes quant à l’accès mutuel à la correspondance des conjoints est sujet à caution, d’autant que tout porte à croire en l’espèce que le consentement finalement donné par la requérante à son mari est apparu dans un contexte conflictuel. Cela dit, la conclusion à laquelle les juridictions internes ont abouti quant à l’accès même auxdits messages n’apparaît pas arbitraire au point de justifier que la Cour substitue sa propre appréciation à la leur.
En ce qui concerne spécifiquement le versement des messages électroniques dans le cadre des procédures de divorce et de répartition de la responsabilité parentale, la cour d’appel a exclu toute responsabilité pénale du mari pour violation du secret de la correspondance après avoir conclu que la condition d’absence de consentement dans la divulgation posée par le code pénal n’était pas remplie. La Cour partage l’avis de la cour d’appel quant à la pertinence des messages litigieux dans le cadre des procédures civiles en cause, qui allaient donner lieu à une appréciation de la situation personnelle des conjoints et de la famille. Toutefois, dans une telle situation, l’ingérence dans la vie privée qui découle de la production de pareils éléments doit se limiter, autant que faire se peut, au strict nécessaire.
Souscrivant à l’approche de la cour d’appel, les effets de la divulgation des messages litigieux sur la vie privée de la requérante ont été limités. En effet, ces messages n’ont été divulgués que dans le cadre des procédures civiles. Or, l’accès du public aux dossiers de ce type de procédures est restreint. De plus, les messages n’ont pas été examinés concrètement, le tribunal aux affaires familiales n’ayant finalement pas statué sur le fond des demandes formulées par le mari.
La Cour ne voit donc pas de raison sérieuse qui justifierait en l’espèce qu’elle substitue son avis à celui des juridictions internes. D’une part, les autorités nationales ont mis en balance les intérêts en jeu en respectant les critères qu’elle a établis dans sa jurisprudence. D’autre part, dès lors que la requérante avait renoncé à toute prétention civile dans le cadre de la procédure pénale, seule restait à trancher la question de la responsabilité pénale du mari, question sur laquelle la Cour ne saurait statuer.
Au vu de ce qui précède, l’État s’est acquitté de l’obligation positive qui lui incombait de garantir les droits de la requérante au respect de sa vie privée et au secret de sa correspondance.
Conclusion : non-violation (unanimité).
Dernière mise à jour le septembre 7, 2021 par loisdumonde
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