Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella et Radicali Italiani c. Italie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 254
Août-Septembre 2021

Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella et Radicali Italiani c. Italie – 20002/13

Arrêt 31.8.2021 [Section I]

Article 10
Article 10-1
Liberté d’expression

Suppression d’une émission de communication politique à la télévision publique n’ayant pas privé une association sujet politique de la possibilité de diffuser ses opinions : non-violation

[Ce résumé concerne également l’arrêt Associazione Politica Nazionale Lista Marco Pannella c. Italie, 66984/14, 31 août 2021]

En fait – La première association politique requérante dans l’affaire 20002/13 se plaint de la suppression sur les trois chaînes publiques de la RAI d’une émission télévisée de communication politique dédiée au débat politique, les « tribunes politiques ».

Dans l’affaire 66984/14, la même association se plaint que ses représentants n’avaient pas été invités aux plus importantes émissions d’information diffusées par la RAI alors que ceux des autres tendances politiques y avaient participé.

Les associations politiques requérantes s’estiment victimes d’une violation de leur droit à la liberté de communiquer leurs opinions et idées politiques dans les médias hors période électorale.

En droit – Article 10 : Hors période électorale, le régime juridique italien encadrant la diffusion des opinions politiques à la télévision distingue les émissions de « communication politique », dont les « tribunes politiques », des émissions d’information. Les premières sont conçues comme un moyen de diffusion du message des partis politiques, les secondes incluent ce message dans un contexte dynamique lié à l’actualité. L’organisation des « tribunes politiques » sur les chaînes publiques nécessitait un acte d’impulsion émanant d’un organe parlementaire, la commission de vigilance, tandis que l’initiative des émissions d’information relève de l’autonomie éditoriale de chaque chaîne et de chaque rédaction. Ces dernières doivent néanmoins respecter les principes généraux d’impartialité et de pluralisme de l’information. Les dispositions légales fixent seulement les principes généraux applicables à l’accès des « sujets politiques » à la radio et à la télévision, en laissant à la commission de vigilance et à l’Autorité pour les garanties dans les communications (AGCOM) le soin d’adopter la réglementation secondaire mettant en œuvre ces principes. Le contrôle du respect de ces normes incombe à l’AGCOM qui est une autorité administrative indépendante devant : 1) assurer le respect du pluralisme et garantir l’égalité d’accès de tous les « sujets politiques » aux émissions d’information, de communication électorale et de communication politique, et l’impartialité de ces émissions ; 2) veiller au respect des orientations adressées à la RAI par la commission de vigilance, et pouvant fixer elle-même des règles complémentaires afin d’assurer le respect de la législation interne. Le rôle direct de l’État dans le contrôle du service public de radiotélédiffusion a donc progressivement été réduit, et une majeure autonomie éditoriale reconnue à chaque chaîne ainsi qu’aux rédactions responsables des émissions d’information, assure en principe une meilleure protection des principes d’impartialité et de pluralisme de l’information.

a) S’agissant de l’affaire 20002/13 – L’ingérence alléguée par la première requérante découlerait de l’inertie de la commission de vigilance qui a entraîné la suppression d’une émission diffusée par le service public de radiotélédiffusion. S’il y a eu ingérence en l’espèce, celle-ci était « prévue par la loi » et poursuivait le but légitime consistant à protéger les « droits d’autrui ».

La première requérante est un « sujet politique » au sens du droit interne.

Les faits de la présente affaire ne sont pas comparables à ceux des arrêts VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse et TV Vest AS et Rogaland Pensjonistparti c. Norvège, où il était question d’une interdiction absolue faite aux associations requérantes d’avoir recours à la publicité télévisée, politique ou d’intérêt social, pour diffuser leurs opinions et leurs idées. En l’espèce, la première requérante se plaint de ne pas avoir eu accès à une émission télévisée précise, les « tribunes politiques ». Même si la première requérante considère ladite émission comme le moyen privilégié de présentation et de diffusion de ses opinions, il ne s’agit pas ici d’une interdiction absolue d’accès aux émissions télévisées de nature politique, imposée à un parti politique, ce qui pourrait être incompatible avec l’article 10.

La suppression des « tribunes politiques » est la conséquence de l’inertie de la commission de vigilance qui n’a plus fourni à la RAI les instructions nécessaires à l’organisation de ces émissions. La commission de vigilance est un organe politique qui exprime la volonté du Parlement italien en matière de service public de radiotélédiffusion. Le choix de ne plus organiser les tribunes politiques est ainsi un choix politique, dont les raisons relèvent du pouvoir d’appréciation du Parlement.

Le format des « tribunes politiques » a été conçu au début des années 1970, dans un contexte sociétal complètement différent de l’actuel. Depuis lors, il existe un désintérêt du public pour ce type d’émissions et, d’autre part, une évolution de l’offre d’émissions d’information permettant aux partis politiques de véhiculer leurs opinions et leurs idées différemment.

Ensuite, toutes les forces politiques qui y participaient, sans distinction, ont subi les conséquences de la suppression des tribunes politiques. La situation aurait été différente si le refus d’accorder un temps d’antenne à un parti ou à un groupe spécifique s’était accompagné de la diffusion des opinions des autres forces politiques, en créant une disparité de traitement qui aurait pu soulever un problème au regard de l’article 10.

En outre, l’abandon des « tribunes politiques » doit être considéré dans le cadre de l’évolution générale du système public de radiotélédiffusion italien allant vers plus d’autonomie des chaînes.

Au vu de ces considérations, la suppression des « tribunes politiques » n’a pas privé la première requérante de la possibilité de diffuser ses opinions et, dans ces conditions, elle ne peut s’analyser en une atteinte disproportionnée au droit de l’intéressée à la liberté d’expression.

Conclusion : non-violation (unanimité).

La Cour conclut aussi, à l’unanimité, à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 10, car la première requérante n’a pas disposé d’un recours lui permettant de se plaindre devant les autorités nationales de la suppression des « tribunes politiques » et de la violation alléguée de son droit à la liberté d’expression.

Article 41 : constat de violation suffisant pour le préjudice moral.

b) S’agissant de l’affaire 66984/14 – L’absence de représentants de l’association requérante dans trois émissions d’information politique particulièrement populaires diffusées par la RAI s’analyse en une ingérence dans l’exercice par l’intéressée du droit garanti par l’article 10. L’ingérence était « prévue par la loi » qui vise notamment à garantir aux chaînes de télévision une autonomie éditoriale quant au choix des invités et du temps d’antenne qui leur est alloué. Et elle poursuivait le but légitime de la protection des « droits d’autrui », car les dispositions internes visent à garantir l’impartialité et le pluralisme de l’information et, plus spécifiquement, la liberté du débat politique, au bénéfice des citoyens et de la démocratie.

L’association requérante a saisi l’AGCOM pour se plaindre d’un déséquilibre de présence en sa défaveur dans les émissions d’information litigieuses. L’enjeu de la plainte portait sur la participation de l’intéressée à des débats touchant à l’intérêt général, et par conséquent la marge d’appréciation accordée à l’État doit être relativement réduite.

La plainte de l’association requérante a fait l’objet de deux classements sans suite par l’AGCOM. Mais le tribunal administratif régional (TAR) ayant enjoint à l’AGCOM d’exécuter son précédent jugement, l’autorité de contrôle a enfin ordonné à la RAI de corriger la situation de déséquilibre qui avait porté préjudice à l’association requérante.

Le refus de l’AGCOM de tenir compte de la conclusion du TAR que l’association requérante était un « sujet politique » au sens de la réglementation interne ne saurait se justifier par le statut quelque peu particulier de l’intéressée. Pour la Cour, l’AGCOM s’est montrée excessivement formaliste, d’autant que le TAR avait fondé son appréciation sur la réalité de la situation de l’association requérante qui avait signé un accord avec un parti politique lui ayant permis de présenter ses candidats aux élections et de créer ensuite une délégation autonome au sein du groupe parlementaire de ce même parti.

Par ailleurs, s’il est vrai que, contrairement aux émissions de communication politique, les émissions d’information politique ne sont pas soumises au strict respect d’une représentation proportionnelle des opinions de chaque force politique, mais simplement à l’obligation de représenter de manière équilibrée les différentes opinions politiques, la pratique de l’AGCOM et du TAR quant à l’application des principes généraux en matière de pluralisme témoignent d’une protection renforcée de l’accès des « sujets politiques » à une catégorie spécifique d’émissions d’information politique, à savoir celles qui sont caractérisées par une programmation saisonnière cyclique et par une structure et une articulation reconnaissables par le public. Ces émissions, dans lesquelles l’AGCOM inclut les trois en question, font ainsi l’objet d’une « appréciation autonome » lorsqu’il s’agit d’évaluer le respect du principe du pluralisme à l’égard d’un « sujet politique ». Cela signifie que des situations similaires doivent être traitées de manière similaire, dans le respect du principe d’égalité et dans le but de garantir le bon déroulement du débat politique et donc le pluralisme de l’information.

Or, sans avancer la moindre motivation, l’AGCOM a abandonné cette pratique et procédé à une appréciation globale du temps de présence de l’association requérante dans l’ensemble des émissions d’information de la chaîne, sans tenir compte de l’horaire de diffusion des émissions ni de leur popularité.

Lorsque l’association requérante a enfin pu obtenir une décision de l’AGCOM ordonnant à la RAI de prévoir des temps de parole en sa faveur, une des trois émissions avait été supprimée des programmes de la RAI. Bien que la suppression des émissions soit fréquente, l’obligation d’exécution aurait dû imposer une présence compensatrice à faveur de l’association requérante.

À cela vient s’ajouter l’inexécution partielle de la décision de l’AGCOM par la RAI, qui était tenue de l’observer afin d’assurer le respect du principe du pluralisme de l’information. En effet, il apparaît que l’association requérante a effectivement participé à l’une des deux émissions restantes, mais qu’aucun de ses représentants n’a participé à la seconde émission.

Enfin, le gouvernement défendeur argue que la RAI a rencontré « une certaine difficulté » dans l’exécution de la décision de l’AGCOM, liée selon lui aux circonstances spécifiques de l’évolution de l’association requérante depuis sa création en 1992. S’il est probable que l’accord politico-électoral qui a permis l’élection de neuf représentants de l’association requérante présentait des aspects de nouveauté, le TAR, en 2011, avait indiqué que l’intéressée devait être considérée comme un « sujet politique » au sens des dispositions internes. Cela aurait dû permettre à l’AGCOM d’apprécier la situation de l’association requérante à partir de ce constat, et, par conséquent, à la RAI de résoudre les difficultés invoquées par le gouvernement défendeur.

Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure qu’en l’espèce les mesures prises par les autorités internes pour rééquilibrer la situation qui avait eu pour effet d’exclure l’association requérante du débat politique ont été insuffisantes.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 12 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir VgT Verein gegen Tierfabriken c. Suisse, 24699/94, 28 juin 2001, Résumé juridique, et TV Vest AS et Rogaland Pensjonistparti c. Norvège, 21132/05, 11 décembre 2008, Résumé juridique ; voir aussi Manole et autres c. Moldova, 13936/02, 17 septembre 2009, Résumé juridique, et Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], 48876/08, 22 avril 2013, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le août 31, 2021 par loisdumonde

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