AFFAIRE KOYCHEV c. BULGARIE (Cour européenne des droits de l’homme)

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE KOYCHEV c. BULGARIE
(Requête no 32495/15)
ARRÊT

Art 8 • Respect de la vie privée • Rejet d’une action en contestation de paternité au motif de l’intérêt de l’enfant, reconnu par l’époux de sa mère, sans garanties suffisantes pour le père biologique allégué • Absence d’examen circonstancié des faits et de mise en balance des différents intérêts en jeu

STRASBOURG
13 octobre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Koychev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Faris Vehabović, président,
Yonko Grozev,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Jolien Schukking, juges,
et de Andrea Tamietti, greffierde section,

Vu :

la requête (no 32495/15) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. StoychoVasilevKoychev (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 24 juin 2015,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») le grief du requérant tiré de l’impossibilité d’établir sa paternité sur un enfant dont il prétend être le père biologique et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

la décision par laquelle la Cour a retenu l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 septembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, l’impossibilité pour le requérant, qui soutient être le père biologique d’un enfant né hors mariage, de contester la reconnaissance de paternité effectuée par le nouvel époux de la mère et de chercher à établir sa propre paternité.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1975 et réside à Pomorie. Il a été représenté par Me P. Borisov, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.

I. la genèse de l’affaire

4. Entre 2003 et 2005, le requérant vécut en concubinage avec une jeune femme, S.S. En 2005, S.S. tomba enceinte. Le couple se sépara en octobre de la même année. En mars 2006, S.S. donna naissance à un petit garçon, S. Aux dires du requérant, il était clair entre lui et la mère que S. était son fils et il voyait régulièrement l’enfant, qui l’appelait « papa ». Pendant plusieurs années, le requérant n’entreprit aucune démarche pour faire reconnaître sa paternité, au motif que la mère s’y opposait.

5. En 2010, S.S. entama une relation avec G.G., qu’elle épousa en 2012.

6. En mars 2013, le requérant informa S.S. de son intention de reconnaître l’enfant, ce qu’il fit par une déclaration devant notaire le 1er avril 2013.

7. Le 10 avril 2013, G.G. introduisit une requête en adoption plénière de S. Lorsqu’il apprit l’existence de cette procédure, le 7 mai 2013, le requérant informa le tribunal en cause qu’il avait reconnu l’enfant et demanda que la procédure d’adoption fût suspendue.

8. La reconnaissance de paternité effectuée par le requérant fut signifiée à S.S. le 8 mai 2013 par les services municipaux d’état civil. Le 9 mai 2013, S.S. fit opposition à la reconnaissance, ce qui eut pour conséquence de priver celle-ci d’effet. Le même jour, G.G. fit une déclaration devant notaire par laquelle il reconnaissait sa paternité vis-à-vis de S., à laquelle la mère déclara ne pas s’opposer.

II. Les actions judiciaires en établissement et en contestation de paternité introduites par le requérant

9. Le requérant fut informé de l’opposition de S.S. à sa reconnaissance de paternité le 17 mai 2013. Le 27 mai 2013, dans le délai de trois mois suivant l’opposition prévu à l’article 66 du code de la famille, le requérant saisit le tribunal de la ville de Sofia d’une action en établissement de paternité. Dans le cadre de cette procédure, il apprit que G.G. avait reconnu S. le 9 mai 2013 et qu’il avait été inscrit comme étant le père de l’enfant sur l’acte de naissance de celui-ci le 13 août 2013, compte tenu de l’absence d’opposition de la mère (paragraphe 8 ci-dessus).

10. Par une ordonnance du 7 avril 2014, le tribunal de la ville de Sofia jugea l’action en établissement de paternité du requérant irrecevable au motif que l’enfant avait déjà une filiation établie par la reconnaissance effectuée par G.G.

11. Le requérant interjeta appel de cette ordonnance et introduisit, le 9 mai 2014, une deuxième action, visant cette fois à établir que G.G. n’était pas le père biologique de l’enfant. Par une ordonnance du 13 mai 2014, le tribunal déclara cette action irrecevable au motif que le requérant n’avait pas qualité pour agir pour contester la reconnaissance de paternité faite par un autre homme, rappelant que seuls la mère et l’enfant avaient cette qualité.

12. Sur recours du requérant, cette ordonnance fut confirmée par la cour d’appel de Sofia le 13 octobre 2014. Le requérant se pourvut en cassation, en invoquant notamment l’article 8 de la Convention. Le 5 février 2015, la Cour suprême de cassation déclara son pourvoi non admis. Elle releva que le requérant avait la possibilité de saisir le parquet ou la direction territoriale de l’aide sociale qui pouvaient, si cela apparaissait justifié après analyse du cas d’espèce et des intérêts en jeu, décider d’introduire une action en annulation de la reconnaissance effectuée par G.G. La haute juridiction nota que, en cas de refus injustifié de ces autorités d’exercer leurs prérogatives, le requérant aurait alors la possibilité de saisir directement les tribunaux sur le fondement des articles 6 et 8 de la Convention. En l’espèce, dans la mesure où le requérant n’avait pas fait usage de ces voies de recours, elle considéra qu’il ne pouvait prétendre avoir été privé de la possibilité d’établir sa paternité.

13. Le 6 avril 2015, la cour d’appel de Sofia confirma la décision d’irrecevabilité de l’action en établissement de paternité du requérant (paragraphe 9 ci-dessus).

III. Les démarches du requérant auprès du parquet et des services d’aide sociale

14. Même s’il n’en avait pas informé les juridictions saisies de ses actions en recherche et en contestation de paternité, le requérant s’était néanmoins adressé au parquet de la ville de Sofia et à la direction territoriale de l’aide sociale pour leur demander d’introduire une action en annulation de la reconnaissance effectuée par G.G. sur le fondement de l’article 66, alinéa 5, du code de la famille.

15. Le 6 février 2014, le parquet de la ville de Sofia avait refusé d’introduire une telle action en annulation aux motifs notamment que les actions introduites par le requérant visant le même résultat étaient pendantes et que l’intéressé avait eu la possibilité de reconnaître l’enfant depuis la naissance et avait omis de le faire pendant plusieurs années. Sur recours du requérant, le 17 juin 2014, le parquet d’appel avait confirmé cette décision. Finalement, le 30 juillet 2014, le parquet auprès de la Cour suprême de cassation avait constaté que le délai d’un an prévu pour l’introduction d’une action par le parquet était déjà écoulé.

16. Quant à la direction de l’aide sociale, elle avait indiqué au requérant, par deux courriers datés du 13 février 2014 et du 7 avril 2014, qu’elle pouvait agir uniquement lorsqu’une telle démarche s’imposait dans l’intérêt de l’enfant, notamment lorsque celui-ci était en danger. Ayant, d’une part, constaté que S.S. et G.G. élevaient S. dans une atmosphère familiale stable et assuraient tous ses besoins matériels et affectifs et, d’autre part, considéré que la situation conflictuelle relative à une procédure judiciaire entraînait inévitablement des conséquences néfastes sur le psychisme des enfants, la direction de l’aide sociale avait jugé qu’il n’était pas dans l’intérêt de S. d’engager une action pour contester la paternité de G.G.

IV. La deuxième action en contestation de paternité

17. Après la décision de la Cour suprême de cassation du 5 février 2015 (paragraphe 12 ci-dessus), le requérant introduisit une nouvelle action visant à établir que G.G. n’était pas le père biologique de S. et à déclarer la nullité de sa reconnaissance de paternité. Le tribunal de la ville de Sofia déclara l’action irrecevable par une ordonnance du 20 juillet 2015.

18. Sur recours du requérant, la cour d’appel de Sofia confirma cette ordonnance le 24 novembre 2015, considérant que l’article 66 du code de la famille ne permettait pas au prétendu père biologique de contester une reconnaissance de paternité et que, comme l’avait constaté la Cour suprême de cassation dans sa décision du 5 février 2015, le requérant n’avait pas sollicité du parquet ou de la direction de l’aide sociale qu’ils exercent leurs prérogatives en la matière. Se référant à la jurisprudence de la Cour, la cour d’appel ajouta qu’il n’existait pas, parmi les États contractants, d’approche uniforme sur la question de la contestation de la filiation, de sorte que ceux‑ci devaient bénéficier d’une marge d’appréciation étendue dans ce domaine. Elle releva au surplus que le requérant n’avait pas cohabité avec l’enfant et qu’il ne pouvait dès lors prétendre à la protection de sa vie « familiale » au sens de l’article 8 de la Convention.

19. Le requérant se pourvut en cassation. Il produisit les éléments relatifs aux requêtes qu’il avait adressées au parquet et à la direction de l’aide sociale et exposa notamment qu’il avait entretenu une relation régulière avec le jeune S. et qu’il ne l’avait pas reconnu avant 2013 à cause, selon lui, de l’insistance de la mère à cet égard et par peur que celle-ci ne l’empêche de voir l’enfant. Par une ordonnance du 11 avril 2016, la Cour suprême de cassation rejeta le pourvoi. Elle releva que le requérant avait désormais produit la preuve qu’il s’était adressé au parquet et à la direction de l’aide sociale et que ces autorités avaient refusé d’introduire une action en annulation de la reconnaissance faite par G.G., de sorte qu’il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir saisi ces autorités. Elle observa cependant que la direction de l’aide sociale avait constaté que S. vivait avec sa mère et G.G., qui était son père légitime, et que la contestation de la filiation ainsi établie ne serait pas dans intérêt de l’enfant. Elle constata par ailleurs que la reconnaissance effectuée par le requérant, sept ans après la naissance de S., avait été contestée par la mère et que l’action en établissement de paternité qu’il avait introduite avait été déclarée irrecevable. La Cour suprême de cassation en conclut, d’une part, que le requérant n’avait pas été privé de la possibilité d’établir sa paternité mais s’était lui-même placé dans la situation dénoncée en ne reconnaissant pas l’enfant plus tôt et, d’autre part, qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de permettre la contestation de la reconnaissance puisque celui-ci serait privé d’une filiation paternelle sans qu’il y ait une possibilité d’en établir une autre.

20. En 2017, le requérant introduisit une demande de réouverture de cette procédure en invoquant le nouvel arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire L.D. et P.K. c. Bulgarie (nos 7949/11 et 45522/13, 8 décembre 2016). Sa demande fut déclarée irrecevable par la Cour suprême de cassation le 18 janvier 2018.

V. Le recours du requérant contre l’inscription sur l’acte de naissance

21. En parallèle aux procédures décrites ci-dessus, le 6 août 2015, le requérant saisit le tribunal administratif de Sofia d’un recours contre l’inscription de G.G. comme père sur l’acte de naissance de S. (paragraphe 9 ci-dessus). Le tribunal administratif, le 1er septembre 2015, puis la Cour administrative suprême le 10 novembre 2015, déclarèrent ce recours irrecevable au motif que l’inscription sur l’acte de naissance constituait un acte technique et non un acte administratif susceptible de recours. Dans leurs décisions, les juridictions administratives précisèrent néanmoins que, selon la réglementation applicable, dans l’hypothèse où la mère avait fait opposition à la reconnaissance de son enfant par un homme, rien n’empêchait un autre homme de reconnaître l’enfant même si le délai de trois mois dans lequel l’auteur de la première reconnaissance pouvait introduire une action en établissement de paternité n’était pas écoulé. Elles précisèrent que l’autorité administrative n’avait pas d’obligation d’en informer l’auteur de la première reconnaissance et ajoutèrent que, dans ce cas, si la mère déclarait qu’elle ne s’opposerait pas à la deuxième reconnaissance, l’auteur de celle-ci devait être inscrit comme père dans l’acte de naissance.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. La reconnaissance de paternité

22. En vertu des articles 61, 64 et 69 du code de la famille de 2009, la filiation paternelle est établie par le jeu de la présomption de paternité au profit du mari de la mère, par une reconnaissance de paternité ou par une action judiciaire en établissement de paternité. La reconnaissance est l’acte par lequel le déclarant dit être le parent d’un enfant. Un enfant peut être reconnu dès sa conception. La reconnaissance est effectuée devant l’officier d’état civil par le parent en personne, par déclaration certifiée devant notaire ou par l’intermédiaire du directeur de l’établissement médical dans lequel a eu lieu la naissance. L’officier d’état civil doit notifier la reconnaissance à l’autre parent et à l’enfant, s’il a plus de quatorze ans, dans un délai de sept jours (article 65 du code de la famille).

II. L’opposition à la reconnaissance

23. L’autre parent et l’enfant, s’il a plus de quatorze ans, peuvent faire opposition à la reconnaissance, dans un délai de trois mois à compter de la notification de celle-ci, par déclaration écrite adressée à l’officier d’état civil. L’opposition a pour conséquence de priver d’effet la reconnaissance. L’auteur de la reconnaissance peut alors introduire une action en établissement de filiation dans un délai de trois mois (article 66, alinéas 1 et 2 du code de la famille).

24. Si aucune opposition n’est effectuée dans le délai de trois mois ou si l’autre parent renonce à faire opposition, la reconnaissance est inscrite sur l’acte de naissance (article 66, alinéas 1 et 3 du même code).

III. L’action en contestation d’une reconnaissance de paternité

25. L’enfant reconnu alors qu’il était mineur peut contester la reconnaissance par voie judiciaire dans un délai d’un an suivant sa majorité ou la date à laquelle il a eu connaissance de la reconnaissance (article 66, alinéa 4, du code de la famille).

26. Dans sa rédaction actuelle, le code de la famille ne prévoit pas la possibilité pour la personne prétendant être le père biologique d’un enfant ou pour une autre personne de contester le lien de filiation établi par reconnaissance. L’ancien code de la famille, en vigueur jusqu’au 30 septembre 2009, prévoyait en son article 38 que toute personne démontrant un intérêt à agir pouvait contester une reconnaissance de paternité dans un délai d’un an après en avoir eu connaissance.

27. L’article 71 du code de la famille dispose par ailleurs qu’il n’est pas possible d’introduire une action en établissement de filiation ou d’effectuer une reconnaissance s’il existe un lien de filiation déjà établi par acte de naissance, présomption de paternité ou reconnaissance et que celui-ci n’a pas été réfuté par la voie d’une action en justice.

28. En vertu de l’alinéa 5 de l’article 66 de ce code, la reconnaissance peut également être contestée par voie judiciaire par la direction territoriale de l’aide sociale et par le procureur, dans un délai d’un an à compter de la date de la reconnaissance. Ce délai court à compter de la déclaration de reconnaissance, et non de l’inscription de celle-ci sur l’acte de naissance (опр. № 263 от 3.04.2012 г. поч.гр.д. № 192/2012 г., АСВарна).

29. La décision d’engager ou non une action en annulation d’une reconnaissance est à la discrétion de la direction territoriale de l’aide sociale et du parquet. Un homme qui prétend être le père biologique d’un enfant peut s’adresser à ces autorités pour solliciter leur intervention mais ne peut les contraindre à introduire l’action ni contester en justice leur refus de le faire. Lorsque les autorités compétentes décident d’introduire une action, le père biologique présumé n’est pas partie à la procédure et il n’existe pas d’obligation qu’il soit entendu par le tribunal.

30. Il n’existe pas d’acte réglementaire ni d’instruction interne accessibles au public qui spécifient les critères sur la base desquels le parquet et la direction territoriale de l’aide sociale décident d’exercer ou non leur prérogative d’introduire une action en contestation de reconnaissance et la procédure à suivre. Selon un document émanant de l’Agence nationale de l’aide sociale, produite devant la Cour par le Gouvernement, les directions territoriales de l’aide sociale sont compétentes pour introduire une action sur le fondement de l’article 66, alinéa 5 du code de la famille lorsqu’il existe de sérieux doutes qu’une reconnaissance de paternité ne corresponde pas à la réalité biologique et en cas de risque pour l’enfant. Une enquête sociale est réalisée dans chaque cas suspect afin de rechercher si la reconnaissance a été effectuée dans le but de contourner la législation sur l’adoption, d’entraîner l’enfant dans un trafic ou l’exploitation d’êtres humains ou en échange d’une contrepartie financière. Aux termes de ce document, les directions territoriales de l’aide sociale ont reçu de la part de l’agence nationale instruction de réaliser une enquête sociale notamment dans les cas suivants :

– la reconnaissance a été effectuée longtemps après la naissance ;

– l’enfant reconnu est placé en institution ou bénéficie d’une autre mesure de protection ;

– la mère ne dispose pas de ressources et/ou de logement et/ou a déjà plusieurs enfants ;

– l’auteur de la reconnaissance a fait l’objet d’une enquête sociale en tant que candidat à l’adoption ;

– l’auteur de la reconnaissance est un ressortissant étranger.

Le document précise que l’enquête sociale est effectuée par le service de la direction territoriale de l’aide sociale chargé de la protection de l’enfance. Elle comprend une visite au domicile où se trouve l’enfant et un entretien avec les parents. Toute partie concernée peut être entendue dans ce cadre, notamment la personne prétendant être le père biologique.

31. Il ressort de la jurisprudence existante en la matière que les directions territoriales de l’aide sociale ont introduit des actions en contestation de reconnaissance dans des cas où, par exemple, la mère avait donné son consentement pour l’adoption au moment de l’accouchement, avant de le retirer par la suite et de confier l’enfant à l’homme qui l’avait reconnu, ou encore lorsque l’auteur de la reconnaissance avait été candidat à l’adoption et s’était vu refuser l’agrément (опр. № 708 от 19.06.2015 г. по гр.д. № 39/2015, ВКС, IIIг.о., confirmantреш. № 139 от 29.09.2014 г. по гр.д. № 322/2014, АС Варна ; реш. № 101 от 14.03.2016 г. по гр.д. № 859/2015, ОС Плевен).

32. Le tribunal fait droit à l’action s’il est établi que l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père biologique de l’enfant. La reconnaissance est alors annulée avec effet rétroactif. La preuve peut résulter d’un test ADN, mais aussi, en l’absence d’un tel test, d’autres éléments pertinents tels que le refus de l’auteur de la reconnaissance de se soumettre à un test, l’absence de relation entre la mère et l’intéressé avant la naissance, ou encore le fait que la mère avait dans un premier temps consenti à l’adoption (опр. № 708 от 19.06.2015 г. погр.д. № 39/2015, ВКС, III г.о.).

IV. LES Développements postérieurs aux faits de l’espèce

33. Dans sa décision du 5 février 2015 sur l’action engagée par le requérant (paragraphe 12 ci-dessus), la Cour suprême de cassation a laissé ouverte la possibilité pour le père biologique présumé d’introduire une action en contestation d’une reconnaissance en invoquant directement l’article 8 de la Convention en cas de refus injustifié du parquet et de la direction de l’aide sociale d’exercer leur prérogative en vertu de l’article 66, alinéa 5 du code de la famille. S’il n’existe pas, à la connaissance de la Cour, d’exemple de jurisprudence où une action aurait été examinée sur ce fondement à la suite de cette décision, après le prononcé de l’arrêt dans l’affaire L.D. et P.K. c. Bulgarie (précité), la Cour suprême de cassation a effectivement jugé recevables des actions en contestation d’une reconnaissance et en établissement de paternité par de prétendus pères biologiques sur le fondement direct des articles 6 et 8 de la Convention (опр. № 341 от 2.10.2017 г . по ч.гр.д. № 3310/2017, ВКС, IIIг.о., опр. № 349 от 25.07.2018 г. по ч.гр.д. № 2466/2018, ВКС, IVг.о., опр. № 276 от 14.06.2019 г. по ч.гр.д. № 1463/2019, ВКС, IVг.о.). La haute juridiction a notamment estimé que l’homme prétendant être le père biologique d’un enfant avait un intérêt légitime à contester la filiation établie par reconnaissance, dans la mesure où celle-ci était un obstacle à l’établissement de sa propre paternité.

34. Par ailleurs,dans le cadre de l’exécution de l’arrêt L.D. et P.K. c. Bulgarie (précité), le 28 août 2020 le Conseil des ministres bulgare a présenté à l’Assemblée nationale un projet de loi modificative du code de la famille. Selon la modification proposée de l’alinéa 5 de l’article 66 du code, toute personne prétendant être le parent biologique d’un enfant dont la filiation a été établie par reconnaissance pourra contester celle-ci par voie judiciaire, dans un délai d’un an après en avoir eu connaissance. Pour les reconnaissances effectuées postérieurement à l’adoption du code de la famille en 2009 mais avant celle de la loi modificative, le délai d’un an courra à compter de l’entrée en vigueur de la loi modificative. Si la filiation biologique du demandeur est démontrée, le tribunal pourra annuler la reconnaissance et établir la nouvelle filiation.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

35. Le requérant dénonce l’impossibilité de contester la reconnaissance de paternité effectuée à l’égard de S., dont il soutient être le père biologique, et de chercher à établir sa propre paternité. Il estime que cette situation est constitutive d’une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale, tel que protégé par l’article 8 de la Convention, et qu’elle méconnaît son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6. La Cour, maîtresse de la qualification juridique (voir, parmi d’autres, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018), estime qu’il convient d’examiner le grief ainsi formulé uniquement sous l’angle de l’article 8 de la Convention, qui dispose, en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (…).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes

36. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes en trois branches. Il fait tout d’abord valoir que le requérant avait la possibilité de reconnaître S. dès sa naissance et qu’il s’est abstenu d’effectuer cette démarche pendant sept ans, alors que rien ne l’aurait empêché de le faire dans la mesure où l’enfant n’avait pas d’autre filiation paternelle établie. Il soutient ensuite que le requérant a omis d’informer les services de l’état civil de son intention d’introduire une action en établissement de paternité à la suite de l’opposition de la mère à sa reconnaissance de paternité (paragraphe 8 ci-dessus). Selon le Gouvernement, une telle démarche aurait rendu possibles la suspension de la procédure administrative relative à la reconnaissance faite par G.G. et la poursuite de la procédure en établissement de paternité engagée par le requérant. Il estime enfin que le requérant aurait pu introduire une nouvelle action en établissement de paternité après avoir sollicité en vain l’intervention du parquet et de la direction de l’aide sociale, comme la Cour suprême de cassation l’avait suggéré dans son ordonnance du 5 février2015.

37. En réponse à la première objection soulevée par le Gouvernement, le requérant expose qu’il n’a pas reconnu S. pendant plusieurs années car son ancienne compagne s’y serait opposée et car il aurait craint qu’elle empêche ses contacts avec l’enfant. Concernant le deuxième point soulevé par le Gouvernement, il argue que le droit interne ne lui imposait pas l’obligation d’informer les services de l’état civil de son intention d’introduire une action en recherche de paternité et qu’il ne pouvait pas prévoir qu’un autre homme allait reconnaître son enfant. Concernant la troisième branche de l’objection, il soutient qu’il a tenté tous les recours envisageables en droit interne, en sollicitant notamment l’intervention du parquet et du service d’aide sociale, et qu’une nouvelle action en contestation de la reconnaissance effectuée par G.G. n’aurait eu aucune chance d’aboutir.

38. La Cour constate que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement est étroitement liée au fond du grief que le requérant tire de l’article 8 de la Convention dans le sens que le droit interne ne lui offrait aucune possibilité d’établir sa paternité biologique. Il convient dès lors de joindre l’examen de cette exception au fond du grief.

2. Sur l’exception tirée de l’abus du droit de recours

39. Dans ses observations complémentaires du 29 juin 2018, le Gouvernement demande à la Cour de déclarer la requête irrecevable pour abus du droit de recours au motif que le requérant n’aurait pas produit devant elle tous les documents pertinents pour la résolution de l’affaire et notamment ceux relatifs à la procédure devant les juridictions administratives concernant l’inscription de la reconnaissance de paternité sur l’acte de naissance de S. (paragraphe 21 ci-dessus).

40. Le requérant ne formule pas de commentaires sur cette question.

41. La Cour rappelle que, en vertu de sa jurisprudence, une requête peut être déclarée abusive sur le fondement de l’article 35 § 3 a) de la Convention notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés. Une information incomplète et donc trompeuse peut également s’analyser en un abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le cœur de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante pourquoi il n’a pas divulgué les informations pertinentes. Il en va de même lorsque des développements nouveaux importants surviennent au cours de la procédure suivie devant la Cour et que, en dépit de l’obligation expresse lui incombant en vertu de l’article 47§ 7 du règlement, le requérant n’en informe pas la Cour, l’empêchant ainsi de se prononcer sur l’affaire en pleine connaissance de cause. Toutefois, même dans de tels cas, l’intention de l’intéressé d’induire la Cour en erreur doit toujours être établie avec suffisamment de certitude (voir Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, CEDH 2014, et les références de jurisprudence qui y sont citées).

42. En l’espèce, la Cour constate que les décisions dans la procédure à laquelle le Gouvernement fait référence ont été rendues dans le courant des mois de septembre et de novembre 2015 (paragraphe 21 ci-dessus), soit après l’introduction de la requête, le 24 juin 2015, et que le requérant les a produites de sa propre initiative avec ses observations en réponse à celles du Gouvernement datées du 6 juin 2018. Dans ces circonstances, même si le requérant n’a pas produit les décisions en question immédiatement après la fin de la procédure en cause, la Cour estime que ce retard ne révèle pas, en l’espèce, une intention d’induire la Cour en erreur.

43. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement tirée de l’abus du droit de recours.

3. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention

44. La Cour note que le requérant se plaint d’une violation de son droit au respect de la vie privée et familiale. Sans qu’il ne soit nécessaire de déterminer en l’espèce si les liens existants entre le requérant et l’enfant S. constituent une base suffisante pour qu’ils puissent relever de la notion de « vie familiale » visée à l’article 8 § 1 de la Convention, elle rappelle qu’elle a déjà considéré que les procédures en reconnaissance ou en contestation de paternité relèvent de la notion de « vie privée » au sens de cette disposition, du père présumé, car elles englobent des aspects importants de l’identité de ce dernier (Backlund c. Finlande, no 36498/05, § 37, 6 juillet 2010, Ahrens c. Allemagne, no 45071/09, § 60, 22 mars 2012,Marinis c. Grèce, no 3004/10, § 58, 9 octobre 2014, et L.D. et P.K. c. Bulgarie, nos 7949/11 et 45522/13, § 56 8 décembre 2016). Elle ne voit aucune raison de se prononcer différemment en l’espèce et considère que la situation dénoncée par le requérant entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement ne conteste pas, au demeurant, l’applicabilité de cette disposition.

4. Conclusion sur la recevabilité

45. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention et le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

46. Le requérant soutient que les dispositions du droit interne ne permettent pas au père biologique d’un enfant de contester une reconnaissance de paternité effectuée par un autre homme et de chercher à établir sa propre paternité. En s’appuyant sur l’arrêt de la Cour L.D. et P.K. c. Bulgarie (précité), il soutient que cet état du droit a porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, tel que garanti par l’article 8 de la Convention.

47. Le requérant expose qu’il a tenté toutes les démarches envisageables en droit interne, notamment de reconnaître S., de chercher à établir sa paternité judiciairement et de solliciter l’intervention du parquet et des services d’aide sociale, sans aucun succès. Contrairement à ce qu’avance le Gouvernement, il considère qu’il ne lui appartenait pas de prévenir les services de l’état civil de son intention d’introduire une action en établissement de paternité afin de contrer l’effet de la reconnaissance effectuée par G.G., mais que ces services auraient dû eux-mêmes se renseigner auprès du tribunal et refuser l’inscription de la reconnaissance de G.G. sur l’acte de naissance de l’enfant en raison de l’action en justice pendante. En ce qui concerne la possibilité d’introduire une nouvelle action en contestation de la reconnaissance faite par G.G. après le refus d’intervenir du parquet et de la direction de l’aide sociale, il argue que, malgré la possibilité que semblait avoir ouvert la Cour suprême de cassation dans sa décision du 5 février 2015, il n’apparaît pas que la jurisprudence interne ait changé sur ce point et que de telles actions aient été admises, de sorte qu’une nouvelle action de sa part aurait été vouée à l’échec.

48. Pour justifier le laps de temps écoulé avant qu’il ne reconnaisse S., le requérant indique qu’il a tardé à agir non par manque d’intérêt mais en raison de l’insistance de la mère, qui ne souhaitait pas qu’il reconnaisse l’enfant, et de sa crainte que celle-ci l’empêche de le voir, ce qu’elle a effectivement fait à partir du moment où il a déposé une déclaration de reconnaissance.

49. Le requérant considère que cette situation qui, selon lui, porte atteinte à ses droits, ne saurait être justifiée en l’espèce par la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Au contraire, il estime qu’il serait dans l’intérêt de S. de connaître et d’avoir des contacts avec son père biologique.

b) Le Gouvernement

50. Le Gouvernement réitère son argumentation exposée au titre des exceptions de non-épuisement des voies de recours internes et soutient que le requérant avait eu la possibilité de reconnaître l’enfant dès sa naissance et, en cas d’opposition de la part de la mère, d’introduire une action judiciaire en recherche de paternité. En omettant de reconnaître l’enfant pendant une période de sept ans, sans que cette omission puisse, aux yeux du Gouvernement, se justifier par de raisons objectives, le requérant se serait ainsi lui-même placé dans la situation qu’il dénonce. Le Gouvernement considère que la présente affaire se distingue à cet égard des situations à l’origine de l’arrêt L.D. et P.K. c. Bulgarie (précité), dans lesquelles les enfants avaient été reconnus par des tiers dès leur naissance, alors qu’en l’espèce S. est resté sans filiation paternelle établie pendant une longue période. Il estime que cette absence d’action met en doute la motivation du requérant d’établir sa paternité et que l’intéressé pouvait, en tout état de cause, prévoir les conséquences de son comportement.

51. Le Gouvernement ajoute que le requérant aurait dû informer les services de l’état civil de l’introduction de son action en établissement de paternité, expliquant que l’administration aurait alors pu suspendre la procédure administrative de reconnaissance par G.G. et permettre ainsi à l’action du requérant de suivre son cours et d’aboutir à une décision sur le fond concernant sa paternité.

52. Enfin, le Gouvernement indique que la Cour de cassation a considéré, dans sa décision du 5 février 2015, que le requérant pouvait introduire une action en contestation de la reconnaissance de paternité en invoquant directement l’article 8 de la Convention, mais uniquement à la condition d’avoir au préalable sollicité l’intervention du parquet et de la direction de l’aide sociale (paragraphe 12 ci-dessus). Dans la mesure où il s’est avéré que le requérant avait effectivement saisi ces autorités et n’avait pas obtenu de réponse positive, le Gouvernement estime que l’intéressé pouvait de nouveau tenter d’introduire une action en justice sur ce fondement.

53. Par ailleurs, le Gouvernement argue que les États disposent d’une marge d’appréciation étendue pour réglementer un domaine tel que celui de la filiation et du statut personnel. Il expose que le droit national limite les possibilités de contester une filiation déjà établie en prévoyant des délais et en restreignant le cercle des personnes titulaires d’une telle action, et ce dans l’intérêt supérieur de l’enfant et de la stabilité de la filiation établie. Il considère que, en l’espèce, compte tenu des possibilités ouvertes au requérant, dont celui-ci n’a pas fait usage, et de la nécessité d’assurer la stabilité de la filiation établie dans le souci de préserver la sécurité juridique et l’intérêt supérieur de l’enfant, un juste équilibre a été maintenu entre les intérêts de l’intéressé et ceux des autres personnes concernées.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la nature des obligations qui incombent à l’État défendeur

54. La Cour rappelle que, si l’article 8 de la Convention a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée. Ces obligations peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au regard de la Convention ne se prête toutefois pas à une définition précise et les principes applicables sont comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre les différents intérêts privés et publics en jeu et, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Różański c. Pologne, no 55339/00, §§ 60-61, 18 mai 2006, et Mizzi c. Malte, no 26111/02, §§ 105-106, CEDH 2006‑I (extraits)).

55. Dans la présente espèce, où le requérant se plaint de l’impossibilité de contester la reconnaissance de paternité effectuée par un autre homme et d’établir sa propre paternité à l’égard d’un enfant dont il soutient être le père biologique, la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner le grief sous l’angle des obligations positives incombant à l’État sur le terrain de l’article 8 de la Convention (voir, pour une approche similaire, Różański, précité, § 62, et L.D. et P.K. c. Bulgarie, précité, § 58).

b) Sur l’observation de l’article 8 de la Convention

i. Les principes émanant de la jurisprudence de la Cour

56. En ce qui concerne la marge d’appréciation accordée à l’État défendeur, la Cour rappelle qu’elle a estimé, dans un contexte identique à celui de l’espèce, que l’État disposait d’une marge d’appréciation étendue, eu égard en particulier à la nécessité de ménager un équilibre entre des intérêts privés ou publics concurrents et à l’absence d’approche commune dans les législations des États contractants (voir L.D. et P.K. c. Bulgarie, précité, §§ 59-60, et les références de jurisprudence qui y sont citées). Cependant, même dans ce cas, les choix opérés par l’État n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Celle-ci doit examiner, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs dont il a été tenu compte pour parvenir à la solution retenue et rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les différents intérêts en présence. Ce faisant, elle doit avoir égard au principe essentiel selon lequel, chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci revêt une importance primordiale (KrisztiánBarnabásTóthc. Hongrie, no 48494/06, § 32, 12 février 2013, Mandet c. France, no 30955/12, § 53, 14 janvier 2016, et Gueye c. Italie (déc.), no 76823/12, § 33, 31 mai 2016). L’intérêt des parents reste néanmoins un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu (Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 134, CEDH 2010, et V.D. et autres c. Russie, no 72931/10, § 114, 9 avril 2019; voir aussi KrisztiánBarnabásTóth, précité, § 37). La Cour n’a cependant pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités, lesdites autorités bénéficiant de rapports directs avec tous les individus intéressés. Il lui incombe d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions rendues par ces autorités dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (Ahrens, précité, § 64, et Marinis, précité, § 61).

57. En ce qui concerne les litiges en matière de recherche de paternité, la Cour a considéré que, en dépit de la marge d’appréciation accordée aux États dans ce domaine, l’article 8 de la Convention impose que le père biologique ne soit pas complètement empêché d’établir sa paternité ou exclu de la vie de l’enfant sauf s’il y a des raisons impératives liées à l’intérêt supérieur de ce dernier pour le faire. Elle a ainsi jugé qu’une impossibilité absolue pour un homme prétendant être le père biologique de chercher à établir sa paternité, au seul motif qu’un autre homme a déjà reconnu l’enfant, sans examiner les circonstances particulières de l’espèce et les différents intérêts en jeu, méconnaissait l’article 8 de la Convention (Różański, précité, §79, et L.D. et P.K. c. Bulgarie, précité, § 75). Dans d’autres affaires, constatant que le refus d’examiner les demandes en recherche de paternité des requérants était fondé non seulement sur le fait que l’enfant avait déjà un lien de filiation établi mais aussi sur d’autres circonstances pertinentes, telles que l’existence d’une vie familiale stable entre l’enfant et ses mère et père légitimes (Ahrens, § 74 in fine, Kautzor c. Allemagne, no 23338/09, §77 in fine, 22 mars 2012, et Marinis, précité, § 77) ou sur l’appréciation des juridictions internes selon laquelle, dans le cas concret, l’autorisation d’une recherche de paternité ne serait pas dans l’intérêt de l’enfant (Nylund c.Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999‑VI, KrisztiánBarnabásTóth, précité, §§ 33-38, et, concernant une demande du père biologique d’avoir des contacts avec l’enfant, Fröhlich c. Allemagne, no 16112/15, § 42, 26juillet 2018), la Cour a conclu à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention.

58. Dans ce type d’affaires, la Cour a également tenu compte du processus décisionnel ayant abouti aux refus en question et a vérifié si celui-ci comportait certaines garanties telles que l’examen circonstancié des faits de la part des autorités compétentes, la mise en balance par ces autorités des différents intérêts en jeu ou la possibilité pour le requérant d’exposer sa position et sa situation personnelle, de manière à lui assurer la protection requise de ses intérêts (Ahrens, précité, § 76, KrisztiánBarnabásTóth, précité, §§ 33-37, et Gueye, décision précitée, § 37).

ii. Application enl’espèce

59. En ce qui concerne la présente espèce, la Cour observe que, comme dans les affaires à l’origine de l’arrêt L.D. et P.K. c. Bulgarie (précité), le droit bulgare ne prévoyait pas la possibilité pour un homme qui prétend être le père biologique d’un enfant dont la filiation paternelle a été établie par reconnaissance de contester directement cette reconnaissance ou d’établir sa propre paternité. Elle relève que la première action en établissement de paternité du requérant a été déclarée irrecevable en application de cette réglementation et conformément à la pratique judiciaire applicable, sans aucun examen de son cas particulier (paragraphes 10 et 13 ci-dessus).

60. Dans la mesure où le Gouvernement soutient que, si le requérant avait informé en temps utile les services de l’état civil de son intention d’introduire une action en établissement de paternité, il aurait pu obtenir la suspension de la procédure d’enregistrement de la reconnaissance effectuée par G.G. et permettre l’examen de son action, la Cour relève que le requérant n’avait pas été informé de la démarche de G.G. et ne pouvait en connaître l’existence avant que celle-ci ne soit invoquée pour opposer une fin de non-recevoir à son action. Elle note par ailleurs qu’aucune disposition du droit interne n’indiquait que le requérant devait informer le service de l’état civil de l’introduction d’une action judiciaire afin de parer à une potentielle reconnaissance de la part d’un autre homme. Bien au contraire, il ressort de la décision de la Cour administrative suprême du 10 novembre2015 (paragraphe 21 ci-dessus) que le droit interne ne prévoit pas de mécanisme visant à empêcher qu’une reconnaissance soit inscrite aux registres de l’état civil au motif que l’auteur d’une précédente reconnaissance a introduit une action en établissement de paternité ou dispose encore d’un délai pour le faire. Dès lors, il apparaît que la démarche invoquée par le Gouvernement n’aurait pas été en mesure de suspendre la procédure d’enregistrement de la reconnaissance effectuée par G.G. et de permettre l’examen de l’action du requérant.

61. La Cour observe ensuite que, après la décision du 5 février 2015, par laquelle la Cour suprême de cassation a déclaré irrecevable l’action du requérant en contestation de la paternité de G.G. mais a laissé ouverte la possibilité qu’une telle demande puisse être recevable sur le fondement direct de l’article 8 de la Convention (paragraphe 12 ci-dessus), le requérant a introduit une nouvelle action sur ce fondement, dans le cadre de laquelle il a finalement informé la Cour suprême de cassation qu’il s’était tourné, sans aucun succès, vers les autorités en question. En conséquence, dans sa décision du 11 avril 2016, la Cour suprême de cassation a étudié s’il était justifié d’examiner l’action du requérant malgré l’interdiction posée par le droit interne et a exposé les motifs pour lesquels elle refusait de se livrer à cet examen. Elle a ainsi repris les constats faits par la direction de l’aide sociale selon lesquels la contestation de la paternité du nouvelépoux de la mère n’était pas dans l’intérêt de l’enfant car cela était susceptible de perturber l’équilibre de celui-ci et la situation familiale stable dans laquelle il évoluait, et a en outre constaté que le requérant était en partie responsable de la situation qu’il dénonçait dans la mesure où il n’avait pas reconnu l’enfant pendant plusieurs années (paragraphes 16 et 19 ci-dessus).

62. Dès lors, dans la présente espèce, à la différence de l’affaire L.D. et P.K. c. Bulgarie (précitée), les juridictions internes ne se sont pas contentées de faire référence aux dispositions du droit interne pour refuser d’examiner la demande en recherche de paternité du requérant mais ont exposé des motifs pour justifier qu’une telle recherche n’était pas dans l’intérêt de l’enfant. Conformément à sa jurisprudence, la Cour doit donc examiner si les autorités internes ont ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts privés et publics en jeu ainsi que la qualité du processus décisionnel qui a permis d’aboutir à leurs décisions (paragraphes 57-58 ci-dessus).

63. En ce qui concerne les motifs invoqués par les autorités internes, la Cour observe que les considérations retenues par la Cour suprême de cassation et la direction de l’aide sociale en l’espèce, à savoir le risque de perturber l’équilibre affectif et familial de l’enfant ainsi que le manque de diligence du requérant pour reconnaître sa paternité, de même que l’objectif visé par la législation interne, à savoir favoriser la filiation qui correspond à la réalité sociale et familiale, sont en principe de nature à pouvoir justifier une limitation de la possibilité d’établir la paternité biologique (Ahrens, précité, §§ 74-75 ; voir aussi,mutatis mutandis, Fröhlich, précité, § 42, et Gueye, décision précitée, § 35). Elle estime cependant que d’autres éléments auraient dû être pris en considération afin de tenir compte de l’ensemble des intérêts en jeu. Ainsi, en dépit des allégations du requérant qu’il avait entretenu une relation régulière avec le jeune S. qui, selon ses dires, l’appelait « papa » (paragraphe 4 ci-dessus), ni la direction de l’aide sociale ni la Cour suprême de cassation n’ont cherché à examiner la relation existante entre le requérant et l’enfant et l’importance de cette relation pour les deux intéressés. De même, si la Cour suprême de cassation a tenu rigueur au requérant de ne pas avoir reconnu S. pendant environ sept ans, elle n’a pas jugé utile d’examiner les explications fournies par l’intéressé selon lesquelles il avait agi ainsi à la demande de la mère et non par manque d’intérêt pour l’enfant (paragraphes 4 et 19 ci-dessus).

64. Par ailleurs, contrairement à ce que la Cour suprême de cassation semble considérer en indiquant que le requérant a lui-même créé la situation dont il se plaint, la circonstance que le requérant n’a pas reconnu S. pendant plusieurs années ne semble pas avoir affecté sa capacité à établir sa paternité selon le droit interne puisque la possibilité de reconnaître un enfant n’est pas limitée par un délai et peut être faite à tout moment tant que l’enfant n’a pas une autre filiation établie. Le requérant a donc pu réaliser cette démarche de manière valide en avril 2013 puis, face à la déclaration d’opposition faite par la mère, introduire une action en établissement de paternité qui aurait normalement pu permettre de vérifier sa paternité biologique. Si son action n’a en fin de compte pas été examinée, c’est parce que la mère de l’enfant a immédiatement accepté la reconnaissance ultérieure faite par G.G., dont le requérant n’avait pas été informé et à laquelle il n’avait aucune possibilité de s’opposer selon le droit interne (paragraphes 8-9 et 60 ci-dessus). Or il apparaît que la Cour suprême de cassation n’a pas pris en compte ces circonstances dans sa décision du 11 avril 2016.

65. En ce qui concerne ensuite la qualité du processus décisionnel suivi en l’espèce, la Cour observe que, si la direction de l’aide sociale semble avoir procédé à un examen circonstancié des faits, en effectuant notamment une visite au domicile de l’enfant, pour conclure qu’il n’était pas dans l’intérêt de celui-ci de remettre en cause la filiation établie au profit du conjoint de la mère, le requérant n’a pas pu prendre part à cette procédure et n’a pas été en mesure de défendre ses intérêts. Il n’a en outre été informé du refus de cette direction que par de simples courriers, et non par une décision motivée susceptible d’un recours judiciaire (paragraphes 16 et 29 ci-dessus). Il ressort par ailleurs de la règlementation applicable que, pour décider si elle doit exercer ses prérogatives de contester en justice une reconnaissance de paternité, la direction de l’aide sociale doit avoir égard à l’intérêt supérieur de l’enfant mais n’est pas tenue de prendre en compte les différents intérêts en jeu et en particulier celui du père biologique allégué (paragraphe 30 ci-dessus).

66. Certes, le requérant a ensuite bénéficié d’une procédure judiciaire devant les juridictions civiles saisies de son action en contestation de la reconnaissance dans laquelle il a pu exposer sa position de manière contradictoire (paragraphes 17-19 ci-dessus). Cependant, dans le cadre de cette procédure, les juridictions internes ne semblent pas avoir procédé à un examen circonstancié de la situation, en entendant les parties concernées et notamment l’enfant en cause. Plus particulièrement, la Cour suprême de cassation, dans sa décision du 11 avril 2016, s’est appuyée sur les constats de la direction de l’aide sociale qui dataient d’environ deux ans et qui avaient été établis dans une procédure qui, comme la Cour l’a observé plus haut (paragraphe 65 ci-dessus), ne présentait pas des garanties suffisantes pour les intérêts du requérant et n’a pas permis une mise en balance des différents intérêts en jeu.

67. Il ressort de l’ensemble de ces considérations que le requérant a en vain tenté de faire reconnaître sa paternité biologique vis-à-vis de S., en effectuant notamment une reconnaissance de paternité, en introduisant plusieurs actions judiciaires et en s’adressant au parquet et aux services d’aide sociale. Si les juridictions et les autorités internes ont exposé, dans leurs décisions, certains motifs qui, selon elles, justifiaient de ne pas permettre au requérant d’établir sa paternité, le processus décisionnel par lequel ces décisions ont été prises n’apparaît pas comme avoir garanti la protection requise des intérêts du requérant et n’a pas permis de réaliser un examen circonstancié des faits et la mise en balance des différents intérêts en jeu.

68. Dans ces circonstances, la Cour considère que, en dépit de la marge d’appréciation étendue dont bénéficie l’État en la matière, le droit du requérant au respect de sa vie privée a été méconnu. Partant, elle rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement et conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

70. Le requérant demande 10 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

71. Le Gouvernement considère que les prétentions du requérant sont excessives car il aurait notamment, par sa passivité pendant sept ans, contribué à la situation dont il se plaint aujourd’hui, et estime en tout état de cause qu’un constat de violation fournirait à l’intéressé une satisfaction équitable suffisante.

72. La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de la violation constatée de l’article 8 de la Convention que le simple constat de violation ne suffit pas à compenser. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle octroie au requérant 6 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

73. Le requérant réclame également un total de 2 511 EUR au titre des frais et dépens qu’il dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Il produit, à l’appui de ses demandes, un contrat d’assistance juridique qui atteste du paiement de 1 000 levs bulgares, soit 511 EUR, au titre d’honoraires d’avocat pour l’introduction de la requête et un second contrat pour l’assistance fournie après la communication de la requête, pour un montant de 2 000 EUR. Il demande que les montants accordés par la Cour soient versés directement à son avocat, à l’exception des 511 EUR déjà payés.

74 Le Gouvernement soutient que les demandes du requérant ne sont pas prouvées par des documents pertinents et qu’elles sont en tout état de cause injustifiées au regard de la complexité de l’affaire et du travail réellement effectué.

75. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant un montant global de 2 000 EUR pour la procédure menée devant elle, dont 511 EUR sont à verser au requérant et le restant sur le compte indiqué par son avocat.

C. Intérêtsmoratoires

76. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement à l’examen du bien-fondé du grief tiré de l’impossibilité pour le requérant de chercher à établir sa paternité ;

2. Déclare ce grief recevable ;

3. Ditqu’il y a eu violation de l’article 8 de la Conventionet rejette l’exception du Gouvernement ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes,à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :

i. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, dont 511 EUR (cinq cent onze euros) à verser au requérant et 1 489 EUR (mille quatre cent quatre-vingt-neuf euros) à verser sur le compte bancaire indiqué par son avocat ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 octobre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea Tamietti                         Faris Vehabović
Greffier                                      Président

Dernière mise à jour le novembre 9, 2020 par loisdumonde

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