PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE C.A. ET AUTRES c. ITALIE
(Requête no 40931/15)
ARRÊT
STRASBOURG
22 juillet 2021
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire C.A. et autres c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Erik Wennerström, président,
Lorraine Schembri Orland,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Viktoriya Maradudina, greffière adjointe de section f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er juillet 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve la requête dirigée contre l’Italie et dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 3 août 2015. Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de l’identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement de la Cour).
2. Les requérants ont été représentés par Me A.G. Lana, avocat à Rome.
3. La requête a été communiquée au gouvernement italien (« le Gouvernement »).
EN FAIT
4. La liste des requérants se trouve dans le tableau joint en annexe.
5. Les requérants ou leur de cujus entamèrent une procédure civile afin d’obtenir réparation du dommage qu’ils estimaient avoir subi en raison d’infections post-transfusionnelles.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION
6. Les requérants se plaignent de la durée excessive de la procédure entamée afin d’obtenir réparation du dommage subi par eux-mêmes ou par leur de cujus en raison d’infections post-transfusionnelles. Ils invoquent l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :
Article 2
« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (…) »
A. Concernant les requérants E.Z. et F.S. (voir le point 1 du tableau en annexe)
7. La Cour a reçu la déclaration de règlement amiable, signée par les parties, en vertu de laquelle les requérants E.Z. et F.S. acceptaient de renoncer à toute autre prétention à l’encontre de l’Italie à propos des faits à l’origine de cette requête, le Gouvernement s’étant engagé à leur verser les sommes reproduites dans le tableau joint en annexe. Ces sommes seront versées dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de la décision de la Cour. Si elles n’étaient pas versées dans ce délai, le Gouvernement s’engage à les majorer, à compter de l’expiration du délai et jusqu’au règlement, d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
8. Le paiement vaudra règlement définitif de cette partie de la requête.
9. La Cour prend acte de l’accord intervenu entre les parties. Elle considère que cet accord repose sur le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles et ne voit pas de raison qui exigerait qu’elle poursuive l’examen de cette partie de la requête. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rayer cette partie de la requête du rôle.
B. Concernant les 11 requérants indiqués au point 2 dans le tableau en annexe (héritiers A. et héritiers G.)
10. Le Gouvernement a avisé la Cour qu’il proposait de prononcer une déclaration unilatérale en vue de régler les questions soulevées par les griefs introduits par les 11 requérants indiqués au point 2 dans le tableau en annexe (héritiers A. et héritiers G.). Il a en outre invité la Cour à rayer cette partie de la requête du rôle conformément à l’article 37 de la Convention.
11. Le Gouvernement reconnaît la durée excessive de la procédure afin d’obtenir réparation du dommage subi par le de cujus de ces requérants en raison d’infections post-transfusionnelles. Il offre de verser à ces requérants les sommes reproduites dans le tableau joint en annexe et il invite la Cour à rayer cette partie de la requête du rôle conformément à l’article 37 § 1 c) de la Convention. Ces sommes seront payables dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification de la décision de la Cour. Si elles n’étaient pas versées dans ce délai, le Gouvernement s’engage à les majorer, à compter de l’expiration du délai et jusqu’au règlement, d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
12. Le paiement vaudra règlement définitif de cette partie de la requête.
13. Les termes d’une déclaration unilatérale ont été transmis aux requérants concernés plusieurs semaines avant la date de cette décision. La Cour n’a pas reçu de réponse des requérants indiquant qu’ils acceptaient les termes de la déclaration.
14. La Cour rappelle que l’article 37 § 1 c) de la Convention lui permet de rayer une affaire du rôle si :
« (…) pour tout autre motif dont [elle] constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête ».
15. Ainsi, en vertu de cette disposition, la Cour peut rayer des requêtes du rôle sur le fondement d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur, même si les requérants souhaitent que l’examen de leur affaire se poursuive (voir, en particulier, l’arrêt Tahsin Acar c. Turquie (question préliminaire) [GC], no 26307/95, §§ 75‑77, CEDH 2003‑VI).
16. La jurisprudence de la Cour en matière de la durée excessive de la procédure afin d’obtenir réparation du dommage subi en raison d’infections post-transfusionnelles est claire et abondante (voir, par exemple, G.N. et autres c. Italie, no 43134/05, 1er décembre 2009 et D.A. et autres c. Italie, nos 68060/12 et 18 autres, 14 janvier 2016).
17. Eu égard aux concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu’au montant des indemnisations proposées (montant qui est conforme à ceux alloués dans des affaires similaires), la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 c)).
18. En outre, à la lumière des considérations qui précèdent, la Cour estime que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas par ailleurs qu’elle poursuive l’examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 in fine).
19. Enfin, la Cour souligne que, dans le cas où le Gouvernement ne respecterait pas les termes de sa déclaration unilatérale, la requête pourrait être réinscrite au rôle en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention (voir Josipović c. Serbie (déc.), nº 18369/07, 4 mars 2008).
20. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rayer cette partie de la requête du rôle.
C. Concernant les 13 requérants indiqués au point 3 dans le tableau en annexe
21. La Cour relève que les 13 requérants indiqués au point 3 dans le tableau en annexe se sont prévalus du remède prévu par l’article 27-bis du décret-loi no 90/2014 (voir D.A. et autres c. Italie, précité, §§ 158-161).
22. La Cour note que, selon texte de l’alinéa 2 de l’article 27-bis du décret-loi no 90/2014, en acceptant le remède en cause, les requérants renoncent « aux actions en dédommagement entamées, y compris les procédures de transaction, ainsi qu’à toute prétention ultérieure ayant nature de réparation du préjudice subi à l’encontre de l’État, y compris au niveau international ».
23. Elle en conclut que les requérants susmentionnés n’entendent plus maintenir leur requête et décide partant de rayer cette partie des requêtes du rôle, au sens de l’article 37 § 1 a) de la Convention.
D. Concernant M.G. (voir le point 4 du tableau en annexe)
24. Le Gouvernement a soumis une déclaration unilatérale qui n’offre pas une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de cette partie de l’affaire relative à la requérante M.G. (article 37 § 1 in fine). En conséquence, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de cette partie de la requête et décide de procéder à un examen au fond de l’affaire (voir Tahsin Acar c. Turquie (exception préliminaire) [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2003‑VI).
25. La Cour relève ensuite que dans les arrêts de principe G.N. et autres c. Italie, précité et D.A. et autres c. Italie, précité, la Cour a conclu à la violation au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet du grief soulevé par M.G.
26. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant à la recevabilité et au bien-fondé du grief en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime que la durée de la procédure en cause a été excessive et que les autorités italiennes, face à un grief défendable tiré de l’article 2 de la Convention, ont manqué d’offrir une réponse adéquate et rapide conforme aux obligations procédurales qui découlent de cette disposition.
27. Il s’ensuit que cette partie de la requête est recevable et révèle une violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet procédural.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
28. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
29. Eu égard aux documents en sa possession et à sa jurisprudence (voir G.N. et autres c. Italie, précité et D.A. et autres c. Italie, précité), la Cour estime raisonnable d’allouer à la requérante M.G. les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe et elle rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
30. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de rayer la partie de la requête concernant les requérants E.Z. et F.S. (voir le point 1 du tableau en annexe) du rôle conformément à l’article 39 de la Convention ;
2. Prend acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur (concernant les 11 requérants indiqués au point 2 dans le tableau en annexe (héritiers A. et héritiers G.)) et des modalités prévues pour assurer le respect des engagements ainsi pris et décide de rayer cette partie de la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention ;
3. Décide de rayer du rôle la partie de la requête (concernant les 13 requérants indiqués au point 3 dans le tableau en annexe) en vertu de l’article 37 § 1 a) de la Convention ;
4. Rejette la demande de radiation de la requête formulée par le Gouvernement sur le fondement de sa déclaration unilatérale, eu égard à la requérante M.G. ;
5. Déclare la partie de la requête concernant la requérante M.G. (voir le point 4 du tableau en annexe) recevable quant au grief concernant la durée excessive de la procédure entamée afin d’obtenir réparation du dommage subi en raison d’infections post-transfusionnelles ;
6. Dit que ce grief de la requérante M. G. révèle une violation de l’article 2 de la Convention, sous son volet procédural, en raison de la durée excessive de la procédure entamée afin d’obtenir réparation du dommage subi en raison d’infections post-transfusionnelles ;
7. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante M.G., dans les trois mois, les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 juillet 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Viktoriya Maradudina Erik Wennerström
Greffière adjointe f.f. Président
____________
ANNEXE
Requête concernant des griefs tirés de l’article 2 de la Convention
(la durée excessive de la procédure afin d’obtenir réparation du dommage subi en raison d’infections post-transfusionnelles)
Numéro et date d’introduction de la requête | Nom des requérants, année de naissance et détails quant à l’issue de la présente requête
|
Nom et
ville du représentant |
Début et
fin de la procédure |
Durée totale
Nombre de degrés de juridiction |
Numéro de dossier devant la juridiction interne | Montant alloué pour dommage moral
(en euros)[1] |
Montant alloué pour frais et dépens
(en euros)[2] |
40931/15
03/08/2015 Anonymat (27 requérants) |
1) 2 requérants ayant conclu un règlement amiable avec le Gouvernement :
E.Z. 1965 F.S. 1964
2) 11 requérants pour lesquels l’affaire est clôturée suite à la déclaration unilatérale du Gouvernement
a) 8 héritiers A. :
C.A. 1949 E.A. 1969 M.A. 1973 M.G.A. 1954 M.R.A. 1965 O.A. 1971 P.A. 1958 R.V. 1929
b) 3 héritiers G.
E.G. 1961 G.G. 1959 A.Z. 1935
3) 13 requérants pour lesquels la requête a été rayée du rôle :
S.B. 1947 E.B. 1945 L.D. 1940 G.G. 1974 A.L. 1941 M.M. 1972 G.M. 1955 E.M. 1954 L.N. 1939 L.O. 1959 A.P. 1986 N.P. 1937 F.S. 1952
4) 1 requérante pour laquelle la Cour a conclu à la violation de l’article 2 :
M.G. 1962 |
Lana Anton Giulio
Rome
|
27/10/1999 – 04/02/2015
|
15 ans et 3 mois pour 4 instances
|
Tribunal de Rome RG no 89309/99
Cour d’appel de Rome RG no 498/02 Cour de cassation RGN no 5624/05 Cour d’appel de Rome
|
2 requérants ayant conclu un règlement amiable avec le Gouvernement :
E.Z. 20 000
F.S. 20 000
11 requérants pour lesquels l’affaire est clôturée suite à la déclaration unilatérale du Gouvernement
a) 8 héritiers A. :
22 500 conjointement
b) 3 héritiers G.
22 500 conjointement
20 000 (requérante M.G.)
|
250
(conjointement à E.Z. et F.S.)
1 100 (conjointement pour l’ensemble des requérants indiqués au point a) les 8 héritiers A. et b) les 3 héritiers G)
150 (requérante M.G.)
|
[1] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.
[2] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.
Dernière mise à jour le juillet 23, 2021 par loisdumonde
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