Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 253
Juillet 2021
Maestri et autres c. Italie – 20903/15, 20973/15, 20980/15 et al.
Arrêt 8.7.2021 [Section I]
Article 6
Procédure pénale
Article 6-1
Procès équitable
Omission de la cour d’appel d’ordonner une nouvelle audition des inculpés avant d’infirmer leur acquittement en première instance : violation
En fait – La cour d’appel a omis d’ordonner une nouvelle audition des requérants ainsi que des témoins à charge avant de 1) confirmer la condamnation des requérants pour l’infraction de fraude aggravée, puis constater leur culpabilité pour le délit d’association de malfaiteurs, infirmant ainsi le jugement de première instance sur ce point ; et 2) renverser le verdict d’acquittement prononcé en première instance à l’égard de la requérante Maestri.
En droit – Article 6 § 1 :
1. Concernant les requêtes nos 20973/15, 20980/15 et 24505/15
Le tribunal a condamné pour fraude aggravée les six requérants après avoir entendu plusieurs témoins et recueillis d’autres preuves, et a acquitté les requérants pour le chef d’inculpation d’association de malfaiteurs. La cour d’appel, tout en confirmant cette condamnation, a également constaté la culpabilité des requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, infirmant ainsi le jugement de première instance sur ce point.
Pour condamner pour la première fois les requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel n’a ni procédé à un nouvel établissement des faits ni donné une nouvelle interprétation des déclarations des témoins, mais elle a effectué une appréciation différente des éléments constitutifs de l’infraction. L’existence des faits reprochés aux requérants a été établie par le tribunal sur la base des pièces écrites du dossier et des déclarations des témoins et elle a entraîné dès la première instance la condamnation des intéressés pour le délit de fraude. Le fait que la cour d’appel ait donné une nouvelle qualification juridique aux faits déjà établis par le tribunal et qu’elle soit arrivée à une conclusion différente quant à l’existence des éléments constitutifs de l’infraction d’association de malfaiteurs, en plus de celle de fraude, ne saurait infirmer en soi cette conclusion.
Selon la Cour, on ne saurait dès lors considérer qu’en ne procédant pas à une nouvelle audition des témoins à charge la cour d’appel ait restreint les droits de la défense des requérants en l’espèce. D’ailleurs, les intéressés n’ont pas apporté d’éléments de nature à laisser penser qu’une nouvelle audition desdits témoins aurait été utile dans l’appréciation des points en question.
La Cour doit maintenant déterminer si les questions dont la cour d’appel se trouvait saisie pouvaient effectivement se résoudre, aux fins d’un procès équitable, sans une appréciation directe des témoignages livrés en personne par les requérants.
Concernant tout d’abord le rôle de la cour d’appel et la nature des questions dont elle avait à connaître, en vertu du code de procédure pénale, cette juridiction est compétente pour rendre un nouveau jugement sur le fond après avoir examiné l’affaire en fait et en droit et avoir procédé à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence des intéressés. Dans les limites des moyens d’appel présentés par les parties, elle peut décider soit de confirmer soit d’infirmer le verdict du tribunal, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve. En outre, elle peut modifier la qualification juridique des faits et alourdir la mesure ou le type de la peine infligée. La procédure ordinaire devant la cour d’appel est dès lors une procédure régie par les mêmes règles qu’un procès sur le fond et elle est menée par une juridiction dotée de la plénitude de juridiction.
Ensuite, en réformant le verdict du tribunal et en statuant sur la question de la culpabilité des requérants pour le délit d’association de malfaiteurs, la cour d’appel a également examiné les intentions des intéressés et s’est prononcée pour la première fois sur des circonstances subjectives les concernant, affirmant notamment qu’ils ne pouvaient pas ignorer, malgré leur méconnaissance des questions juridiques, que l’activité des sociétés était illégale. Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité des requérants. Lorsque l’inférence d’un tribunal a trait à des éléments subjectifs, il n’est pas possible de procéder à l’appréciation juridique du comportement de l’accusé sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l’intention de l’accusé par rapport aux faits qui lui sont imputés.
Compte tenu de l’étendue de l’examen effectué par la cour d’appel et de l’enjeu pour les requérants, les questions devant être examinées par la cour d’appel appelaient une appréciation directe des déclarations des accusés.
La Cour doit donc établir si les intéressés ont eu en l’espèce une possibilité adéquate d’être entendus et d’exposer en personne leurs propres arguments en défense devant la cour d’appel.
Les requérants, qui avaient participé aux débats en première instance et qui étaient représentés par les avocats de leur choix, ont décidé de ne pas se présenter aux audiences devant la cour d’appel bien qu’ils fussent cités à comparaître en leur qualité d’accusés conformément aux règles de procédure. Il s’ensuit qu’ils ont renoncé de manière non équivoque à leur droit de prendre part aux audiences devant la cour d’appel.
S’agissant de la question de savoir si l’absence des intéressés aux audiences, en plus de constituer une renonciation au droit d’assister aux débats, constituait également une renonciation de leur part au droit d’être entendus par la juridiction d’appel, le fait qu’un accusé ait renoncé à son droit de participer à l’audience n’exempte pas en soi la juridiction d’appel qui procède à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence, de l’obligation qui est la sienne d’évaluer directement les éléments de preuve présentés en personne par l’inculpé qui proclame son innocence et qui n’a pas explicitement renoncé à prendre la parole. Dans ces circonstances, il appartient aux autorités judiciaires d’adopter toutes les mesures positives propres à garantir l’audition de l’intéressé, même si celui-ci n’a pas assisté à l’audience, n’a pas sollicité l’autorisation de prendre la parole devant la juridiction d’appel et ne s’est pas opposé, par l’intermédiaire de son avocat, à ce que cette dernière rende un arrêt au fond.
À cet égard, la Cour de cassation s’est exprimée d’une manière conforme aux principes susmentionnés lorsqu’elle a affirmé que le fait d’être contumax à l’audience ne pouvait pas être interprété comme une renonciation de l’accusé au droit d’être entendu par le juge d’appel pour autant que le juge n’avait pas ordonné d’audition et qu’une audience à cet effet n’avait pas été fixée. En effet, en droit italien, la citation à comparaître à la première audience ordonnée ne correspond pas à une convocation du juge en vue d’être entendu. À cet égard, la requérante de la requête no 20903/15, bien que présente à l’audience, ne fut pas pour autant auditionnée par la cour d’appel.
Il s’ensuit qu’on ne saurait affirmer que les requérants ont explicitement renoncé en l’espèce à leur droit d’être entendus par la cour d’appel, étant donné que, même selon le droit interne, une telle renonciation aurait été possible uniquement si une audition avait été ordonnée et seulement si les intéressés n’y avaient pas consenti ou s’ils ne s’étaient pas présentés à l’audience fixée pour l’audition.
Par ailleurs, il ressort des observations du Gouvernement qu’aurait été ouverte aux requérants le loisir de se prévaloir des déclarations spontanées qui relèvent du libre choix de l’inculpé, lequel a la possibilité de s’exprimer librement à tout moment sans que ni le juge ni les autres parties au procès puissent lui poser de questions, en vertu du droit de l’accusé de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination. Or la Cour n’est pas convaincue que la possibilité pour l’accusé de faire de telles déclarations puisse satisfaire l’obligation faite au juge d’entendre personnellement l’intéressé sur des faits et des questions décisives pour l’établissement de son éventuelle culpabilité. Il est déraisonnable d’avancer que pour assurer sa défense un accusé prendra la parole de sa propre initiative et choisira de s’exprimer sur des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance. Un accusé n’a aucun intérêt à demander que les éléments de preuve relatifs à des faits pour lesquels il a été acquitté en première instance soient réévalués par le juge d’appel. Il appartient à la juridiction d’appel de prendre des mesures positives à ces fins.
Sur ce dernier point, la Cour de cassation a affirmé que le juge d’appel qui s’apprête à infirmer un jugement d’acquittement et qui, pour ce faire, ordonne la réouverture de l’instruction ainsi que l’audition des témoins (dans la procédure de l’« esame ») est également tenu d’ordonner l’audition de l’accusé en personne dès lors que les déclarations de celui-ci sont décisives. La cour d’appel avait tout le loisir de rouvrir l’instruction et d’ordonner l’audition des requérants afin de leur offrir une possibilité adéquate de s’exprimer à propos notamment de l’élément intentionnel du délit d’association de malfaiteurs, question qui revêtait une importance cruciale pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité pour ladite infraction.
En revanche, pour ce qui est de l’argument avancé par la Cour de cassation consistant à dire que le fait que l’accusé soit le dernier à prendre la parole suffirait, si le droit de l’accusé à être le dernier à parler revêt une importance certaine, il ne saurait se confondre avec son droit d’être entendu, pendant les débats, par un tribunal.
Vu l’ensemble de la procédure suivie, le rôle de la cour d’appel et la nature des questions à trancher, le fait que la condamnation pour le délit d’association de malfaiteurs soit intervenue sans que les requérants aient pu exposer lors d’une audition (esame) devant la cour d’appel leurs arguments concernant des faits déterminants pour l’établissement de leur éventuelle culpabilité n’est pas, sauf renonciation de leur part, compatible avec le principe du procès équitable au sens de l’article 6 § 1.
2. Concernant la requête no 20903/15
Mme Maestri a été acquittée en première instance pour tous les chefs d’inculpation retenus contre elle. Le tribunal a considéré que les déclarations des témoins et les autres pièces du dossier avaient démontré qu’elle s’était contentée de tenir la comptabilité des sociétés en suivant les directives des administrateurs et qu’elle n’avait donc pas joué de rôle actif dans l’activité des sociétés.
La cour d’appel a infirmé le jugement rendu en première instance et elle s’est écartée de l’avis du tribunal au sujet de l’interprétation de ces mêmes déclarations. La cour d’appel a prononcé la culpabilité de la requérante après s’être convaincue que les témoignages de M. et de C., en particulier, lesquels avaient décrit dans le détail les tâches qu’accomplissait l’intéressée, avaient permis de démontrer que celle-ci avait joué un rôle proactif dans la gestion des sociétés. Aux yeux de la Cour, il ne fait aucun doute que les questions que la cour d’appel avait à trancher avant de décider d’infirmer le verdict d’acquittement et de condamner l’intéressée ne pouvaient, aux fins d’un procès équitable, être examinées de manière appropriée sans appréciation directe des témoignages à charge de M. et C., compte tenu notamment de la valeur probante de ceux-ci.
Par ailleurs, la requérante, bien que présente aux audiences, n’a pas été auditionnée par la cour d’appel et elle a donc été privée, à l’instar des requérants, de la possibilité d’exposer ses propres arguments sur des questions de faits déterminants pour l’appréciation de sa culpabilité.
Dès lors, en ne procédant pas à une nouvelle audition des témoins à charge et de la requérante en personne avant d’infirmer le verdict d’acquittement dont celle-ci avait bénéficié en première instance, la cour d’appel a sensiblement restreint les droits de la défense de l’intéressée.
Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que, considérée dans son ensemble, la procédure pénale visant la requérante a été inéquitable.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 6 500 EUR à chaque requérant pour préjudice moral.
(Voir aussi Botten c. Norvège, 16206/90, 19 février 1996, Résumé juridique ; Hermi c. Italie [GC], 18114/02, 18 octobre 2006, Résumé juridique ; Igual Coll c. Espagne, 37496/04, 10 mars 2009, Résumé juridique ; Júlíus Þór Sigurþórsson c. Islande, 38797/17, 16 juillet 2019, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le juillet 8, 2021 par loisdumonde
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