AFFAIRE UCA c. TURQUIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 45801/12

La requête concerne, sous l’angle de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, l’absence de motifs justifiant le placement en détention provisoire du requérant, l’absence d’audience lors des examens de la détention et la restriction d’accès au dossier d’enquête.


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE UCA c. TURQUIE
(Requête no 45801/12)
ARRÊT
STRASBOURG
29 juin 2021

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Uca c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

Valeriu Griţco, président,
Egidijus Kūris,
Branko Lubarda, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu :

la requête (no 45801/12) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Şahin Uca (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 7 mai 2012,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement ») les griefs tirés de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 juin 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne, sous l’angle de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, l’absence de motifs justifiant le placement en détention provisoire du requérant, l’absence d’audience lors des examens de la détention et la restriction d’accès au dossier d’enquête.

EN FAIT

2. Le requérant, M. Şahin Uca, est un ressortissant turc né en 1995. Il a été représenté devant la Cour par Me C. Altuntaş, avocate exerçant à Mersin.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent.

4. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

I. Procédure pénale et la détention du requérant

5. Le 22 décembre 2011, le requérant, alors âgé de seize ans, fut arrêté et placé en garde à vue, avec trois autres personnes, sur plainte d’un certain R.D. Ils furent tous soupçonnés d’être membres de l’organisation illégale armée PKK, de faire la propagande de celle-ci, d’avoir commis un vol avec violence au nom de cette organisation ainsi que d’infraction à la législation relative aux manifestations.

6. Le procès-verbal de perquisition et d’arrestation établi le même jour fit état du fait que le requérant avait été séparé des autres suspects et conduit au département des mineurs de la direction de la sécurité de Mersin.

7. Le 23 décembre 2011, le requérant, assisté par un avocat commis d’office, fut entendu par le procureur de la République. D’après le procès‑verbal d’interrogatoire, l’avocat du requérant indiqua qu’il avait pu s’entretenir avec son client et examiner toutes les pièces du dossier d’enquête.

8. Toujours en date du 23 décembre 2011, le requérant fut traduit devant le juge d’instance pénal de Mersin qui lui donna lecture de sa déposition faite devant la police et le procureur de la République, ainsi que des rapports, procès-verbaux et de toutes les pièces présentes dans le dossier.

9. Lors de l’audience, son avocat allégua qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour placer le requérant en détention provisoire et demanda sa mise en liberté compte tenu de son âge et du fait qu’il disposait d’une adresse fixe.

10. À l’issue de l’audition le juge décida du placement en détention provisoire du requérant compte tenu de l’existence de forts soupçons quant à la commission des infractions en cause et du fait que ces infractions figuraient parmi celles énumérées à l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

11. Il ressort des éléments du dossier que le requérant avait été placé en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire pour mineurs.

12. Le 14 mars 2012, le juge d’instance pénal, statuant sur dossier, décida du maintien en détention provisoire du requérant.

13. Le 16 mars 2012, l’avocate du requérant forma opposition contre la décision du juge d’instance pénale du 14 mars 2012, relative au maintien en détention provisoire du requérant. Elle reprocha l’insuffisance des motifs avancés par les juges pour la détention provisoire, affirma qu’il n’y avait pas de preuve solide, concrète et convaincante quant à la commission par le requérant des infractions reprochées. Elle ajouta que les autres motifs de détention prévus en droit interne – à savoir le risque de fuite, et le risque d’altération des preuves – n’existaient pas. Elle termina en reprochant aux juges de n’avoir pas envisagé la mise en place d’un contrôle judiciaire. Elle demanda la tenue d’une audience lors de l’examen en opposition.

14. Le 20 mars 2012, le tribunal correctionnel examina sur dossier l’opposition formée par l’avocate du requérant et la rejeta en se fondant sur la nature de l’infraction reprochée, l’état des preuves et la peine encourue.

15. Le 27 avril 2012, le juge examina d’office la question de la détention provisoire du requérant et décida du maintien de cette mesure pour les mêmes motifs.

16. Le 28 mai 2012, la cour d’assises de Mersin accepta l’acte d’accusation dressé à l’encontre du requérant.

17. Le 6 juin 2012, la cour d’assises de Mersin, à l’issue d’un examen sur dossier, se déclara incompétente pour statuer sur les accusations, à l’exception du vol avec violence, et transmit l’affaire au tribunal pour mineurs de Mersin. Elle ordonna le maintien en détention du requérant décidant que le tribunal compétent devait statuer sur cette question.

18. Le 24 juillet 2012, le tribunal pour mineurs de Mersin déclara le requérant coupable d’être membre d’une organisation illégale et d’en faire la propagande ainsi que d’infraction à la législation sur les manifestations. Néanmoins, il considéra que, en vertu de l’article 231 du code de procédure pénale, il convenait de surseoir au prononcé du jugement pendant trois ans, précisant qu’aucune obligation ne devait être imposée au requérant durant cette période. Il décida également de libérer le requérant, compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction.

II. L’interdiction d’accès au dossier d’enquête

19. Le 14 mars 2012, le juge d’instance pénal de Mersin prit, sur le fondement de l’article 153 § 2 du code de procédure pénale, la décision de limiter pour le requérant et son avocat l’accès au dossier d’enquête pour ne pas compromettre l’objectif de l’enquête.

20. Le 20 avril 2012, le tribunal correctionnel de Mersin rejeta l’opposition formée contre cette décision au motif qu’elle était conforme à la loi et à la procédure.

21. Le 28 mai 2012, le dossier d’enquête devint à nouveau accessible pour le requérant et son avocat avec l’acceptation de l’acte d’accusation.

LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

22. Les droits interne et international pertinents concernant les mineurs sont décrits dans les arrêts Güveç c. Turquie (no 70337/01, §§ 49-64, CEDH 2009 (extraits)) et Süzer c. Turquie (no 13885/05, §§ 52-57, 23 avril 2013 ; s’agissant des conditions de détention des mineurs, voir Kuparadze c. Géorgie, no 30743/09, §§ 42-44, 21 septembre 2017).

23. D’après l’article 4 § 1 j) de la loi no 5395 du 3 juillet 2005 relative à la protection de l’enfance, la détention d’un enfant doit être une mesure de dernier ressort. L’article 20 de la loi no 5395 prévoit pour les mineurs des mesures de contrôle judiciaire en sus de celles qui sont déjà prévues à l’article 109 du CPP. Il indique que, s’agissant des mineurs, la décision de placement en détention provisoire ne peut être prise que si la mesure de contrôle judiciaire se révèle ineffective ou bien si elle n’a pas été respectée.

24. Selon l’article 100 du code de procédure pénale, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commise l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou d’altération des preuves. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l’article 100 § 3 du code indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention (risque de fuite et/ou d’altération des preuves) lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction.

25. Les modalités d’exercice du recours en opposition sont énoncées aux articles 267 et suivants du code de procédure pénale.

L’article 271 se lit comme suit :

« A l’exception des cas prévus par la loi, il est statué sur l’opposition sans tenir d’audience. Toutefois, lorsque cela est nécessaire, le procureur de la République puis le représentant ou le défenseur de l’intéressé sont entendus. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

26. Invoquant les articles 5 et 6 de la Convention, le requérant se plaint que les juridictions internes n’ont pas suffisamment motivé les décisions par lesquelles elles avaient ordonné sa privation de liberté. Il soutient que les juridictions internes n’ont pas pris son âge en considération lorsqu’elles ont ordonné sa détention. La Cour juge appropriée d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 5 § 3, qui est ainsi libellée :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

27. Le requérant soutient que son placement en détention provisoire n’était pas indispensable. Il ajoute que, compte tenu de son âge, son placement en détention provisoire aurait dû être une mesure de dernier ressort et que cela n’a pas été le cas.

28. Le Gouvernement invite la Cour à déclarer l’absence de violation de cette disposition car le requérant était soupçonné de plusieurs infractions dans lesquelles plusieurs personnes avaient été impliquées. Il a ajouté que cette affaire était différente des affaires Nart c. Turquie (no 20817/04, 6 mai 2008) et Medeni Uğur c. Turquie (no 49651/06, 24 janvier 2012) car, en l’espèce, le requérant avait été détenu dans une prison pour mineurs.

29. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève, par ailleurs, qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

30. La Cour rappelle que, dans son arrêt Buzadji c. République de Moldova ([GC], no 23755/07, 5 juillet 2016), elle avait estimé que les autorités judiciaires devaient fournir des raisons pertinentes et suffisantes ‑ outre la persistance de motifs plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction ‑ dès la première décision ordonnant la détention provisoire (ibidem, § 102).

31 Pour ce qui est de la détention provisoire des mineurs, la Cour rappelle avoir déjà énoncé que celle-ci devait être envisagée comme une solution de dernier ressort, qu’elle devait être la moins longue possible et enfin que, lorsque cette mesure était inévitable, les mineurs devaient être détenus séparément des adultes (Dinç et Çakır c. Turquie, no 66066/09, §§ 59 and 63, 9 juillet 2013).

32. La Cour examinera ce grief à la lumière des arrêts et principes jurisprudentiels susmentionnés.

33. La Cour note que la législation turque prévoit que la détention des mineurs doit être une mesure de dernier ressort (article 4 § 1 j de la loi no 5395 – paragraphe 23 ci-dessus). En particulier, en vertu de l’article 20 de la loi no 5395, la décision de placement en détention provisoire d’un mineur ne peut être ordonnée que si la mesure de contrôle judiciaire se révèle ineffective ou bien si elle n’a pas été respectée.

34. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a été placé en détention par le juge d’instance pénal, qui s’est fondé uniquement sur l’existence de forts soupçons quant à la commission des infractions reprochées, et sur le fait qu’une partie des infractions en cause était prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. La Cour note également que les instances judiciaires ont exposé des motifs similaires pour ordonner la continuation de la détention du requérant (voir paragraphes 12, 14 et 15 ci-dessus).

35. La Cour rattache, à l’instar du Gouvernement, une importance particulière au fait que le requérant ait été séparé des adultes durant toute la période de sa détention. Elle considère cependant que même dans le cas où un mineur est détenu séparément des adultes et où les conditions de détention sont réunies, le juge doit en tout cas aussi envisager l’application des mesures moins sévères prévues par le droit interne, tel le contrôle judiciaire. Cette exigence est plus marquée s’agissant de la détention des mineurs (voir, Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 77‑89, CEDH 2016, et Güveç, précité, §§ 58 et 60).

36. Or, en l’espèce, bien que l’avocat du requérant ait attiré l’attention du juge de l’instance pénal qui a ordonné sa détention, sur le fait que son client était mineur et qu’il avait demandé sa libération, le juge n’a pas répondu à cette demande, et ce, sans fournir d’explication quant au caractère insuffisant des mesures alternatives pour assurer la comparution de l’intéressé au procès (voir paragraphe 10 ci-dessus). La Cour considère donc que les motivations avancées par le juge d’instance pénal dans sa décision de placement en détention provisoire ainsi que celles des juridictions compétentes ayant ordonné le maintien en détention provisoire qui se sont servies de motivations quasi toujours identiques ne permettent pas de penser que la mesure de détention n’a été utilisée – au regard de l’âge du requérant – qu’en dernier recours, comme l’exige tant le droit interne (paragraphe 23 ci-dessus) que plusieurs conventions internationales (voir, par exemple, Nart, précité, § 22 et Güveç, précité, § 108).

37. La Cour estime dès lors que les motifs invoqués dans les décisions des juridictions internes n’étaient ni suffisants ni pertinents pour justifier le placement et le maintien en détention du requérant, compte tenu notamment du fait que les mesures alternatives, bien que prévues par le droit interne, n’ont pas été envisagées en l’espèce.

Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

38. Invoquant l’article 5 § 4, combiné avec l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint de l’absence d’audience lors de l’examen de sa détention et de la décision de restriction d’accès au dossier d’enquête. Il allègue à cet égard une atteinte à l’égalité des armes et se plaint de n’avoir pas pu exercer le recours en opposition de manière efficace. La Cour estime opportun d’examiner ces griefs sous l’angle du seul article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Absence d’audience lors de l’examen de la détention

39. Le requérant allègue une violation de l’article 5 § 4 de la Convention du fait d’absence d’audience lors des examens de sa détention.

40. Le Gouvernement demande à la Cour de juger que cette disposition n’a pas été méconnue.

41. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

42. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention confère à toute personne arrêtée ou détenue le droit d’introduire un recours au sujet du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 65, série A no 145‑B). La première garantie procédurale découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 81, 28 octobre 2010). En outre, le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention doit pouvoir être exercé « à des intervalles raisonnables » (Knebl, précité, § 85).

43. La Cour a déjà admis que dans les cas où le détenu a pu comparaître en première instance devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution lors de l’examen de l’opposition n’enfreint pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention, à moins que cette circonstance ne porte atteinte au respect du principe de l’égalité des armes (Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 54, 29 novembre 2011). Lorsqu’à la date d’examen de l’opposition, la comparution de l’intéressé devant les juges de première instance remonte à seulement quelques jours, la Cour considère qu’il s’agit là d’un élément à prendre en considération (ibidem, § 55).

44. La Cour note que dans la présente affaire le requérant a, le 23 décembre 2011, été traduit devant le juge d’instance pénal de Mersin, qui ordonna sa mise en détention provisoire. À cette occasion, il a été entendu par le juge et eu la possibilité de contester de manière appropriée les éléments de preuve ayant justifié son placement en détention.

45. Pour ce qui est des recours formés par le requérant contre son placement et son maintien en détention provisoire, la Cour observe que les juridictions nationales les ont rejetés à l’issue d’un examen sur dossier, sans l’avoir entendu. Elle observe dans ce contexte que le requérant n’a eu la possibilité de comparaître devant un juge avant le 24 juillet 2012, date à laquelle le tribunal pour mineurs de Mersin a rendu son jugement sur le fond de l’affaire. Or, la Cour estime que lorsque la liberté personnelle est en jeu, l’écoulement – comme en l’espèce – d’un laps de temps de sept mois sans comparution devant un juge ne permet pas de qualifier la durée en cause de « raisonnable » (voir, en ce sens, pour des durées approximatives de quatre, six et neuf mois respectivement, Erişen et autres c. Turquie, no 7067/06, § 53, 3 avril 2012, Gamze Uludağ c. Turquie, no 21292/07, § 44, 10 décembre 2013 et Karaosmanoğlu et Özden c. Turquie, no 4807/08, § 77, 17 juin 2014).

46. Eu égard à la longueur de la période pendant laquelle le requérant n’a pas pu être entendu par un juge, la Cour estime que la non-comparution de l’intéressé dans le cadre de la procédure pénale a emporté violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

Il s’ensuit qu’il y a eu violation de cette disposition.

B. Absence d’accès aux éléments du dossier d’enquête

47. Le requérant soutient que l’impossibilité qui lui aurait été faite d’accéder au dossier d’enquête l’aurait empêché de contester effectivement les décisions ayant ordonné son placement et maintien en détention provisoire.

48. Le Gouvernement combat la thèse du requérant.

49. Eu égard au constat de violation de l’article 5 § 4 de la Convention ci-dessus, la Cour estime dès lors qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément la recevabilité ou le bien-fondé de ce grief.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

51. Le requérant demande 5 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

52. Le Gouvernement considère que la demande présentée est excessive et qu’elle ne correspond pas aux montants accordés par la Cour dans sa jurisprudence.

53. La Cour estime que le requérant a dû éprouver stress et anxiété du fait de la violation des droits découlant de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention. Statuant en équité, elle lui octroie la somme de 1 650 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

54. Le requérant réclame 5 000 EUR au titre des frais et dépens engagés par lui dans le cadre des procédures menées devant les juridictions nationales et devant la Cour. À l’appui de sa demande, il fournit une copie des contrats par lesquels il s’est engagé à payer son avocate, et ce, pour les travaux relatifs aux procédures devant les juridictions nationales et à sa requête devant la Cour. Le requérant présente à cet égard un justificatif de paiement d’une somme de 700 EUR à titre d’honoraires d’avocat.

55. Le Gouvernement expose que le requérant n’a présenté aucun justificatif de paiement ou autre document à l’appui de sa demande, et qu’il n’a pas détaillé ses frais allégués.

56. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour observe, compte tenu des documents du dossier, que le requérant a effectué un seul paiement à son avocate pour les travaux réalisées par cette dernière devant les juridictions nationales. La Cour estime donc raisonnable d’accorder au requérant 700 EUR au titre de frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Déclare le grief tiré de l’article 5 § 4 relatif à l’absence d’audience lors des examens de la détention recevable ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention en raison de l’absence d’audience lors des examens de la détention ;

5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément la recevabilité et le bien fondé du grief formulé sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention relatif à la restriction d’accès au dossier d’enquête ;

6. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir en livres turques, au taux applicable à la date du règlement :

i. 1 650 EUR (mille six cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 700 EUR (sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 juin 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı                                  Valeriu Griţco
Greffier adjoint                                  Président

Dernière mise à jour le juillet 3, 2021 par loisdumonde

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