AFFAIRE BADULESCU c. PORTUGAL (Cour européenne des droits de l’homme)

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BĂDULESCU c. PORTUGAL
(Requête no 33729/18)
ARRÊT

Art 3 • Traitement dégradant • Conditions de détention durant six ans et demi • Surpeuplement carcéral, aggravé par l’absence de chauffage

STRASBOURG
20 octobre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bădulescu c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Paul Lemmens, président,
Georgios A. Serghides,
Helen Keller,
Alena Poláčková,
María Elósegui,
Gilberto Felici,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Milan Blaško, greffierde section,

Vu la requête (no 33729/18) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant roumain, M. Ionuț-Marian Bădulescu (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 juillet 2018 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement »),

Vu les observations des parties,

Notant qu’informé de son droit de prendre part à la procédure (article 36 § 1 de la Convention), le gouvernement roumain n’a pas souhaité s’en prévaloir,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 septembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

inTRODUCTION

1. L’affaire concerne les conditions dans lesquelles le requérant a été détenu à la prison de Porto.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1981 ; il est détenu à Tulcea (Roumanie). Il a été représenté par Me I.M. Peter, avocate à Bucarest.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

4. À une date non précisée, le requérant fut condamné pour vol à neuf ans et six mois d’emprisonnement. Le 19 octobre 2012, il fut arrêté et placé en détention à la prison de Porto.

I. Version du requérant

5. Dans sa requête, sans préciser les périodes de détention concernées, le requérant affirmait qu’il avait été placé, à la prison de Porto, dans des cellules qui mesuraient seulement 3,4 m x 1,9 m.

6. Il se plaignait d’avoir été détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes. Il alléguait plus particulièrement :

– que le mobilier des cellules était délabré,

– qu’il n’y avait pas de chaises,

– que les fenêtres étaient cassées,

– que l’éclairage artificiel avait manqué pendant un mois,

– que les toilettes n’étaient pas cloisonnées,

– que l’intimité n’était pas garantie dans les douches, et

– que les cellules étaient insalubres et mal chauffées.

II. Version du Gouvernement

7. Le Gouvernement indique que le requérant a occupé plusieurs cellules lors de son séjour à la prison de Porto. Les dimensions communiquées par le Gouvernement pour chacune d’elles sont récapitulées dans le tableau ci-dessous.

Période de détention Nombre de jours No de cellule Surface totale

(m2)

Nombre total de détenus dans la cellule Espace personnel

(m2)

19/10/2012-

24/10/2012

5 Cellule (dortoir) no 119

Pavillon A

13,11 6 2,1
24/10/2012-

19/03/2013

144 Cellule no 119

Pavillon A

5,64 2 2,8
19/03/2013-

18/09/2013

180 Cellule (dortoir) no 108

Pavillon A

13,11 6 2,1
18/09/2013-

30/09/2013

12 Cellule (dortoir) no 322

Pavillon A

13,11 6 2,1
30/09/2013-

21/10/2015

741 Cellule no 241

Pavillon B

5,64 2 2,8
21/10/2015-

31/03/2017

509 Cellule (dortoir) no 222

Pavillon B

13,11 6 2,1
31/03/2017-

13/06/2018

451 Cellule (dortoir) no 211

Pavillon B

13,11 6 2,1
13/06/2018-

06/03/2019

262 Cellule (dortoir) no 223

Pavillon B

13,11 6 2,1

8. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant. Il plaide que les conditions de détention à la prison de Porto étaient adéquates. Il expose que toutes les cellules disposaient de lits, d’une table, de tabourets, d’une armoire en bois, d’étagères et d’un téléviseur. Il indique que les cellules destinées à accueillir deux personnes avaient des lits séparés et que les autres avaient des lits superposés. Il ajoute que toutes étaient équipées de blocs sanitaires composés d’un WC et d’un lavabo et cloisonnés par un mur de 1,1 m de hauteur, de 60 à 89 cm de largeur et de 11 cm d’épaisseur, de manière à préserver l’intimité de chacun. Il conteste les allégations du requérant concernant la salubrité des lieux, expliquant que les cellules étaient désinfectées régulièrement et que chaque détenu recevait un kit d’hygiène. Il précise que les cellules n’étaient pas équipées d’un système de climatisation, le climat portugais ne justifiant pas selon lui pareille installation.

9. Enfin, il indique que la prison de Porto possédait deux cours extérieures.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. Le droit interne pertinent

10. Le droit interne pertinent est exposé dans l’arrêt Petrescu c. Portugal (no 23190/17, §§ 25‑34, 3 décembre 2019).

11. En ce qui concerne les appels téléphoniques, l’article 70 du code d’exécution des peines et mesures privatives de liberté dispose que tous les détenus sont autorisés à passer, à leurs frais, des appels téléphoniques dans les conditions définies par le règlement général des établissements pénitentiaires fixé par le décret-loi no 51/2011 du 11 avril 2011. L’article 132 § 1 de ce règlement est ainsi libellé :

« Le détenu peut passer un appel téléphonique, d’une durée maximale de cinq minutes, par jour vers l’extérieur, et un appel téléphonique, de même durée, par jour à son avocat ou son conseil (solicitador). »

II. La pratique interne pertinente

12. La situation carcérale générale est décrite dans l’arrêt Petrescu (précité, § 35).

13. Selon la Direction générale de la réinsertion et des services pénitentiaires (Direção-Geral de Reinserção e ServiçosPrisionais), la prison de Porto fut ouverte le 29 avril 1974. D’une capacité d’accueil de 686 places, elle était occupée par 1 070 détenus au 31 décembre 2018. Son niveau de sécurité et le niveau de complexité de sa gestion sont classés « élevés » (annexe de l’arrêté ministériel no 13/2013 du 11 janvier 2013 et Petrescu, précité, § 36).

14. La prison comptait 1 070 détenus au 31 décembre 2012[1], 1 159 détenus au 31 décembre 2013[2], 1 207 détenus au 31 décembre 2014[3], 1 197 détenus au 31 décembre 2015[4], 1 183 détenus au 31 décembre 2016[5], 1 128 détenus au 31 décembre 2017[6] et 1 070 détenus au 31 décembre 2018[7].

15. Dans un rapport du 20 avril 2017[8], le Médiateur (Provedor de Justiça) indiquait qu’à la date de sa visite, 1 223 détenus, dont 923 condamnés s’y trouvaient incarcérés. Dans ses parties pertinentes, les observations du Médiateur étaient ainsi libellées :

« Le principal problème de cet établissement pénitentiaire est sa surpopulation et ce qu’elle implique. Au cours de ma visite, on m’a fait part de diverses préoccupations, plus ou moins importantes, concernant le nombre élevé de détenus à la prison de Porto. Il ne s’agit pas là d’une situation ponctuelle : elle se répète dans le temps et dans beaucoup d’autres prisons de notre pays, entraînant une gestion particulièrement complexe de la répartition des mètres carrés – souvent déjà limités – des cellules collectives et une articulation tout aussi complexe des moyens disponibles pour répondre aux besoins et obligations des détenus. Cette surpopulation peut se traduire, au sein des quartiers d’hébergement, par l’absence de l’intimité la plus élémentaire et le manque d’espace – aussi exigu fût-il – pour disposer de chaises en suffisance pour tous les détenus,voire pour qu’ils puissent se déplacer.

Les effets de la surpopulation ne se font pas sentir seulement chez les détenus. Devoir cuisiner pour un certain nombre de personnes peut devenir difficile lorsqu’il faut en alimenter des centaines, voire plus d’un millier. (…) Les demandes de consultation médicale et de suivi psychologique forment une file d’attente qui n’en finit plus.

(…) »

LES RAPPORTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

I. Textes généraux

16. Les parties pertinentes des rapports généraux du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ainsi que les recommandations pertinentes adoptées, au moment des faits, par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe ont été rappelées par la Cour dans l’arrêt Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, §§ 47‑48 et §§ 55‑56, 20 octobre 2016).

17. En ce qui concerne spécifiquement les appels téléphoniques, le rapport relatif à la visite du CPT au Portugal en 2016 (CPT/Inf (2018) 6) indique ce qui suit (notes de bas de page omises) :

« 76. The CPT attaches considerable importance to the maintenance of good contact with the outside world for all persons deprived of their liberty. The guiding principle should be to promote contact with the outside world as often as possible; any restrictions on such contacts should be based exclusively on security concerns of an appreciable nature.

The situation observed in the prisons visited in the course of the 2016 visit was generally satisfactory. Prisoners were permitted one outside telephone call per day of five minutes, in addition to a five minute call to their lawyer. Remand prisoners were offered three visits of 45 minutes every week and sentenced prisoners two visits of one hour’s duration every week. The visits were usually of an open nature. The CPT’s delegation received many complaints from prisoners about their phone calls being automatically cut off after five minutes, especially when it came to conversations with lawyers. At the time of the visit, the Director General of Prisons acknowledged that there was a problem with the phone system and that alternatives were being studied. The CPT was interested tolearn that the Portuguese authorities were studying the options for introducing new technologies such as VOIP (Voice over Internet Protocol) to facilitate inmates’ ability tomaintain contacts with their families, especially given that so many inmates are foreign nationals or imprisoned long distances from their homes.

(…) »

II. Rapports relatifs au Portugal

A. Situation générale

18. La situation générale est exposée dans l’arrêt Petrescu (précité, §§ 49-50).

B. La prison de Porto

19. Le CPT a inspecté la prison de Porto lors d’une visite ad hoc du 3 au 12 décembre 2019. Son rapport de visite n’a à ce jour pas été publié.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION (CONDITIONS MATÉRIELLES DE DÉTENTION)

20. Le requérant se plaint de ses conditions de détention, qu’il qualifie d’inhumaines et de dégradantes au sens de l’article 3 de la Convention. Cet article est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement

21. Le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant avait à sa disposition un certain nombre de recours et qu’il n’en a pas fait usage. L’intéressé aurait ainsi notamment pu :

– déposer une réclamation, une plainte ou un exposé auprès du directeur de l’établissement, du directeur général des services pénitentiaires, de l’inspection des services pénitentiaires ou du Médiateur,

– s’adresser au juge de l’application des peines pour lui exposer sa situation, ou

– saisir les tribunaux administratifs d’une action en responsabilité civile extracontractuelle.

22. Le requérant expose que les voies de recours internes évoquées par le Gouvernement ne présentent aucune chance de succès dans un cas comme le sien. Il ajoute que tout détenu osant se plaindre subirait des représailles au sein de l’établissement ; cela dissuaderait bon nombre d’entre eux de dénoncer leurs conditions de détention.

23. Dans son récent arrêt Petrescu, précité, la Cour a déjà examiné les différents recours que le requérant aurait dû, selon le Gouvernement, exercer aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. À la lumière de sa jurisprudence en la matière (ibidem, §§ 74‑78), elle a considéré qu’il n’était pas possible de conclure avec un degré de certitude suffisant que le droit portugais offrait à l’intéressé un recours préventif et/ou indemnitaire pour ses conditions de détention (ibidem, § 88). La Cour ne voit pas de raison d’en juger autrement en l’espèce. Elle estime donc qu’il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

2. Conclusion

24. Constatant que les griefs formulés sur le terrain de l’article 3 de la Convention relativement aux conditions matérielles de détention à la prison de Porto ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

25. Le requérant allègue qu’il a toujours occupé à la prison de Porto des cellules collectives, plus spécifiquement des cellules dortoirs ou des cellules pour deux personnes, qui étaient surpeuplées, et qu’il a par conséquent toujours disposé d’un espace personnel très réduit. Il soutient également que celles-ci étaient insalubres, froides en hiver et chaudes en été. Il ajoute que les toilettes n’étaient pas cloisonnées.

26. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant, plus particulièrement celles concernant la salubrité des cellules. Il précise aussi que les toilettes étaient, dans les cellules, partiellement séparées du restant de l’espace par un mur.

2. Appréciation de la Cour

27. La Cour renvoie aux principes énoncés dans sa jurisprudence relative aux mauvaises conditions de détention (Muršić, précité, §§ 96‑101, et Petrescu, précité, §§ 97 et 101).

28. Dans son arrêt de principe Petrescu, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.

29. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, elle ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

30. Elle observe d’abord que la prison de Porto a été surpeuplée d’un bout à l’autre de la période pendant laquelle le requérant a purgé sa peine. Ainsi, quoique prévue pour accueillir 686 personnes, la prison de Porto était occupée par 1 070 détenus au 31 décembre 2012, 1 159 détenus au 31 décembre 2013, 1 207 détenus au 31 décembre 2014, 1 197 détenus au 31 décembre 2015, 1 183 détenus au 31 décembre 2016, 1 128 détenus au 31 décembre 2017 et 1 070 détenus au 31 décembre 2018 (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour relève par ailleurs que la surpopulation de cette prison et ses conséquences constituent la principale inquiétude qui ait été évoquée par le Médiateur dans son rapport du 20 avril 2017 (paragraphe 15 ci-dessus).

31. La Cour constate que pendant toute la durée de son incarcération à la prison de Porto, soit du 19 octobre 2012 au 6 mars 2019, le requérant a disposé de moins de 3 m2 d’espace personnel, plus précisément de 2,8 m2 dans les cellules prévues pour deux personnes et de 2,1 m2 dans les cellules collectives, où cohabitaient jusqu’à six personnes (paragraphe 6 ci-dessus). Eu égard à sa jurisprudence concernant l’espace personnel minimum dont les détenus doivent normalement pouvoir disposer, en vertu de laquelle une détention dans des conditions où le détenu dispose de moins de trois mètres carrés d’espace personnel donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3 qui ne peut être renversée que si se trouvent réunis toute une série de facteurs atténuants, au nombre desquels figure la brièveté des périodes concernées (Muršić, précité, § 138), la Cour, eu égard à la longue durée (six ans et demi) de la période ici en cause, estime que le requérant a traversé une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et qui s’analyse dès lors en un traitement dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention (comparer avec Samaras et autres c. Grèce, no 11463/09, §§ 63-65, 28 février 2012, Muršić, précité, §§ 151-153 et Nikitin et autresc. Estonie, nos 23226/16 et 6 autres, §§ 173, 178 et 188, 29 janvier 2019). Au demeurant, elle estime que l’absence de chauffage a constitué, en l’espèce, un facteur aggravant, vu l’inconfort voire la détresse qu’il a pu causer chez le requérant tout au long de sa détention à la prison de Porto (voir les considérations faites sur ce point dans l’arrêt de principe Petrescu, précité, § 109).

32. Il y a donc eu violation de l’article 3 de la Convention en l’espèce.

II. Sur les autres violations alléguées

A. Sur l’allégation de violation de l’article 3 de la Convention à raison d’un accès tardif et déficient à des soins dentaires

33. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir reçu que tardivement des soins dentaires, qu’il qualifie en outre de déficients. Le Gouvernement conteste ces allégations. Il expose que les détenus à la prison de Porto ont accès à des soins médicaux adéquats, que l’établissement dispose d’une infirmerie ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et que, dans les situations qui l’exigent, les détenus sont transférés à l’hôpital de Porto.

34. La Cour rappelle que, même si elle tient particulièrement compte des difficultés objectives auxquelles se heurtent les requérants lorsqu’il leur faut recueillir des preuves à l’appui de leurs allégations relatives à leurs conditions de détention, les intéressés doivent fournir un récit détaillé et cohérent des circonstances dont ils se plaignent (Muršić, précité, § 127). Elle n’ignore pas, par ailleurs, que la surpopulation pénitentiaire peut affecter la qualité des services au sein d’une prison. En l’espèce, toutefois, le requérant n’indique pas les dates auxquelles il aurait demandé à être vu par un dentiste ou aurait reçu des soins dentaires, et il n’explique pas en quoi les soins qui lui auraient été prodigués auraient été déficients (voir Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, § 60, 20 octobre 2011 et, a contrario, avec V.D. c. Roumanie, no 7078/02, §§ 91 et 97, 16 février 2010, et Fane Ciobanu c. Roumanie, no 27240/03, §§ 81 et 84, 11 octobre 2011). Au vu de ces constatations, la Cour estime que le grief du requérant tiré d’un manque d’accès à des soins dentaires n’est pas suffisamment étayé, il y a donc lieu de le rejeter pour défaut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

35. Toujours sous l’angle de l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint qu’il ne pouvait passer à sa famille des appels téléphoniques de plus de cinq minutes par jour. Le Gouvernement explique que la limitation des appels téléphoniques résulte de la réglementation interne. Il estime que le régime incriminé n’est pas déraisonnable, chaque détenu pouvant, en sus des appels aux avocats ou aux institutions auxquelles les détenus doivent avoir accès, passer chaque jour un appel téléphonique, d’une durée maximale de cinq minutes, vers l’extérieur.

36. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, 20 mars 2018), la Cour estime que le grief du requérant se prête à un examen sous l’angle de l’article 8 de la Convention, qui garantit le droit au respect de la vie familiale. Elle rappelle que toute détention, comme toute autre mesure privative de liberté, entraîne par nature des restrictions pour la vie privée et familiale de l’intéressé. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire autorise le détenu à maintenir le contact avec sa famille proche et qu’elle l’y aide au besoin (Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, § 106, CEDH 2015, et les références qui y sont citées). À supposer que la limitation du nombre d’appels téléphoniques auxquels le requérant avait droit puisse être considérée comme une restriction constitutive d’une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale ou de la correspondance, la Cour estime qu’elle peut se justifier à la lumière du second paragraphe de l’article 8. À cet égard, il y a lieu de tenir compte notamment de la nécessité de partager les postes téléphoniques entre l’ensemble des détenus (A.B. c. Pays-Bas, no 37328/97, §§ 92‑94, 29 janvier 2002, et Voyevodin et autres c. Russie (déc.), nos 6558/18 et 9 autres, § 18, 10 septembre 2019). La Cour constate par ailleurs en l’espèce que la limitation des appels téléphoniques est prévue à l’article 132 du règlement général des établissements pénitentiaires fixé par le décret-loi no 51/2011 du 11avril 2011 (paragraphe 11 ci-dessus). Elle considère qu’eu égard à la nécessité d’assurer à tout détenu un accès au téléphone, la limitation du temps des communications téléphoniques quotidiennes n’est pas une mesure disproportionnée. Elle note également que dans son rapport susmentionné (paragraphe 17 ci-dessus), le CPT a considéré qu’un accès au téléphone pendant cinq minutes par jour était satisfaisant. Au surplus, la Cour observe que le requérant n’a pas indiqué avoir été empêché de communiquer avec sa famille par d’autres moyens (A.B. c. Pays-Bas, précité, § 92).

37. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le grief du requérant fondé sur l’article 8 de la Convention est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

38. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

39. Le requérant sollicite 14 000 euros (EUR) au titre des dommages moral et matériel qu’il estime avoir subis à raison des conditions précaires dans lesquelles il a été détenu à la prison de Porto.

40. Le Gouvernement juge le montant réclamé excessif.

41. La Cour rejette la demande pour dommage matériel. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 14 000 EUR pour préjudice moral.

B. Frais et dépens

42. Le requérant ne réclame rien pour frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêtsmoratoires

43. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs fondés sur l’article 3 de la Convention relativement aux conditions matérielles dans lesquelles le requérant a été détenu à la prison de Porto et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison desdites conditions matérielles de détention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 14 000 EUR (quatorze mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Milan Blaško                     Paul Lemmens
Greffier                              Président

___________

[1] https://dgrsp.justica.gov.pt/Portals/16/Est%C3%A1tisticas/%C3%81rea%20Prisional/Anuais/2012/20130313020339LotRecExistentes.pdf?ver=2018-12-14-144420-957
[2] https://dgrsp.justica.gov.pt/Portals/16/Est%C3%A1tisticas/%C3%81rea%20Prisional/Anuais/2013/20140529040500LotRecExist-31dez.pdf?ver=2018-12-14-144201-857
[3] https://dgrsp.justica.gov.pt/Portals/16/Est%C3%A1tisticas/%C3%81rea%20Prisional/Anuais/2014/2015032304034903EST-PRIS2014_lotac_reclus.pdf?ver=2018-12-14-104809-133
[4] https://dgrsp.justica.gov.pt/Portals/16/Est%C3%A1tisticas/%C3%81rea%20Prisional/Anuais/2015/2016060210060903lot_recl-31122015.pdf?ver=2018-12-14-100403-303
[5] https://dgrsp.justica.gov.pt/Portals/16/Est%C3%A1tisticas/%C3%81rea%20Prisional/Anuais/2016/20170331120320Q03.pdf?ver=2018-12-13-150213-360
[6] https://dgrsp.justica.gov.pt/Portals/16/Est%C3%A1tisticas/%C3%81rea%20Prisional/Anuais/2017/2018042010041603Q-lot-reclus-exist-ano.pdf?ver=2018-12-13-141727-910
[7] https://dgrsp.justica.gov.pt/Portals/16/Est%C3%A1tisticas/%C3%81rea%20Prisional/Anuais/2018/quadro_03.pdf?ver=2019-05-21-094610-783
[8] https://www.provedor-jus.pt/site/public/archive/doc/Estabelecimento_Prisional_do_Porto.pdf

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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