Jessica Marchi c. Italie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 251
Mai 2021

Jessica Marchi c. Italie54978/17

Arrêt 27.5.2021 [Section I]

Article 8
Article 8-1
Respect de la vie privée

Révocation du placement en vue d’adoption à « risque juridique » chez la requérante et transfert de l’enfant dans une autre famille, motivés par son intérêt supérieur : non-violation

En fait –

Lorsque le bébé a été déclaré abandonné et disponible pour l’adoption, il a été placé avec la requérante et son mari. Il s’agissait d’une étape provisoire car l’affaire faisait toujours l’objet d’un recours, de sorte qu’une déclaration finale d’adoption n’avait pas été faite afin que le placement soit en vue de l’adoption « à risque juridique ». Neuf mois plus tard, le mari de la requérante a été accusé, puis déclaré coupable, d’infractions sexuelles concernant des mineurs. Les autorités ont donc examiné le placement provisoire et, bien que la requérante ait confirmé son désir de se séparer de son mari et de continuer à s’occuper de l’enfant, les tribunaux de la famille ont conclu qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant de le placer ailleurs.

En droit – Article 8 :

1. Recevabilité :

a) Vie familial :

La question de l’existence ou de l’absence d’une vie familiale est d’abord une question de fait, qui dépend de l’existence de liens personnels étroits (K. et T. c. Finlande [GC]).

Il n’existe aucun lien biologique entre la requérante et l’enfant. La Cour a constaté dans des affaires antérieures que la relation entre une famille d’accueil et un enfant accueilli qui avaient vécu ensemble pendant de nombreux mois équivalait à une vie de famille au sens de l’article 8 § 1, malgré l’absence de lien biologique entre eux. Elle a tenu compte du fait qu’un lien interpersonnel étroit, semblable à celui qui existe entre les parents et les enfants, s’était développé entre la famille d’accueil et l’enfant, et que la famille d’accueil s’était comportée à tous égards comme les parents de l’enfant de sorte que des « liens familiaux » existaient « de facto » entre eux (Moretti et Benedetti c. Italie ; Antkowiak c. Pologne (déc.) ; V.D. et autres c. Russie).

Il y a donc lieu d’examiner en l’espèce la qualité des liens, le rôle assumé par la requérante vis-à-vis de l’enfant et la durée de la cohabitation entre elle et l’enfant. La requérante, qui a accueilli l’enfant, en vue de son adoption, dans le cadre d’un placement « à risque juridique », a conçu un projet parental et assumait son rôle de parent vis à vis de l’enfant. Elle avait tissé des liens affectifs forts avec celui-ci dans les premières étapes de sa vie.

La durée de la cohabitation entre la requérante et l’enfant a été d’un an environ. Il serait certes inapproprié de définir une durée minimale de vie commune qui puisse caractériser l’existence d’une vie familiale de fait, étant donné que l’appréciation de toute situation doit tenir compte de la « qualité » du lien et des circonstances de chaque espèce. Toutefois, la durée de la relation à l’enfant est un facteur clé pour que la Cour reconnaisse l’existence d’une vie familiale (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, plus de dix ans ; Nazarenko c. Russie, plus de cinq ans ; Antkowiak c. Pologne (déc.), environ six ans, V.D. et autres c. Russie, pendant neuf ans).

Compte tenu de l’absence de tout lien biologique entre l’enfant et la requérante, la courte durée de la relation avec celui-ci, l’existence d’un risque juridique que la requérante avait accepté lorsqu’elle s’était vu confier l’enfant, et en dépit de l’existence d’un projet parental et de la qualité des liens affectifs qui se sont noués entre la requérante et l’enfant, les conditions permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale de fait ne sont pas réunies.

b) Vie privée :

La requérante avait conçu un véritable projet parental, aux fins duquel elle a demandé et obtenu un agrément pour adoption, puis accueilli l’enfant dans le cadre d’un placement « à risque juridique ». Est en cause dès lors le droit au respect de la décision de la requérante de devenir parent, ainsi que le développement personnel de l’intéressée à travers le rôle de parent qu’elle souhaitait assumer vis-à-vis de l’enfant. Les faits de la cause relèvent donc de la vie privée de la requérante.

2. Fond :

Le placement à « risque juridique » est temporaire et s’inscrit dans le cadre de la désinstitutionalisation des systèmes de garde d’enfants et le passage de services institutionnels à des services de proximité.

La requérante a été affectée par la décision judiciaire qui a conduit à la révocation du placement de l’enfant chez elle. Les mesures adoptées à l’égard de l’enfant, éloignement et placement dans une autre famille en vue de son adoption, s’analysent en une ingérence dans la vie privée de la requérante. La mesure de révocation du placement était prévue par la loi et poursuivait le but légitime de protéger l’intérêt de l’enfant.

Les juridictions internes, ont établi qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de continuer à vivre dans la famille de la requérante. Cette décision se fondait sur des motifs pertinents et suffisants, à savoir une dégradation de l’environnement familial qui était due à l’enquête pénale dirigée contre l’époux de la requérante et qui était préjudiciable à l’enfant. La nécessité de mettre l’enfant à l’abri en le plaçant dans une autre famille, où il pourrait de surcroît avoir deux parents, s’imposait comme une évidence.

En outre, il ressort clairement de la motivation de ces différentes décisions que les juges qui se sont prononcés successivement l’ont fait après avoir procédé à un examen attentif et approfondi de la situation de la famille de la requérante et de l’enfant. Il était objectivement évident que la situation de la requérante avait changé depuis le placement de l’enfant.

Aussi les autorités ont été confrontées à la difficile et délicate mission de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu dans une affaire complexe. Elles ont été guidées par l’intérêt supérieur de l’enfant, et notamment par son besoin particulier de sécurité au sein de sa famille d’accueil.

La requérante a pu demander au tribunal le maintien de l’enfant chez elle et elle a pu exprimer au tribunal sa volonté de collaborer pour faciliter l’intégration de l’enfant dans sa nouvelle famille. La requérante a également fait appel de la décision du tribunal et demandé que l’enfant soit à nouveau placé chez elle dans le cadre d’un placement en vue d’adoption. Elle n’a donc pas été privée d’une participation adéquate au processus décisionnel concernant la révocation du placement de l’enfant qu’elle avait accueilli et, partant, de la protection requise de ses intérêts.

Par conséquent, l’atteinte à la vie privée de la requérante était conforme aux exigences de l’article 8.

Conclusion : non-violation (unanimité).

(Voir aussi K. et T. c. Finlande [GC], 25702/94, 12 juillet 2001, Résumé juridique ; Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, 76240/01, 28 juin 2007, Résumé juridique ; Moretti et Benedetti c. Italie, 16318/07, 27 avril 2010, Résumé juridique ; Nazarenko c. Russie, 39438/13, 16 juillet 2015, Résumé juridique ; A.H. et autres c. Russie, 6033/13 et al., 17 janvier 2017, Résumé juridique ; Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], 25358/12, 24 janvier 2017, Résumé juridique ; Antkowiak c. Pologne (déc.), 27025/17, 22 mai 2018, Résumé juridique ; V.D. et autres c. Russie, 72931/10, 9 avril 2019, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le mai 27, 2021 par loisdumonde

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