Manzano Diaz c. Belgique (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 251
Mai 2021

Manzano Diaz c. Belgique26402/17

Arrêt 18.5.2021 [Section III]

Article 5
Article 5-4
Contrôle de la légalité de la détention

Projet d’arrêt du conseiller-rapporteur communiqué avant l’audience de la Cour de cassation à l’avocat général et non au requérant : non-violation

Conclusions de l’avocat général présentées pour la première fois oralement à l’audience, sans communication préalable au requérant : non-violation

En fait – Le requérant a mené une procédure en cassation à l’encontre d’une décision de maintien de son internement adoptée par la commission supérieure de défense sociale. Sont en cause la transmission d’un projet d’arrêt du conseiller-rapporteur à l’avocat général, ainsi que les échanges prétendus entre l’avocat général et la Cour de cassation ou au moins le conseiller-rapporteur. Le requérant invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

En droit – Article 5 § 4 :

Même à supposer que l’article 6 § 1 soit applicable dans son volet civil, l’article 5 § 4 constitue une lex specialis par rapport à cette dernière disposition.

1. Le requérant se plaint que la communication du projet d’arrêt du conseiller-rapporteur à l’avocat général, sans que ce projet ne lui ait été communiqué, ainsi que les échanges entre le conseiller-rapporteur et l’avocat général avant l’audience publique ont emporté violation du principe de l’égalité des armes et du principe du contradictoire.

L’avocat général à la Cour de cassation n’a pas, en droit belge, la qualité de partie au procès. Il fait partie du parquet de la Cour de cassation qui, à la différence du parquet des juridictions du fond, n’exerce pas, sauf cas exceptionnels étrangers à la présente affaire, l’action publique, ne saisit pas lui-même la Cour, et n’a pas non plus la qualité de défendeur. L’avocat général a pour tâche principale d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité de la jurisprudence, et il agit en observant la plus stricte objectivité.

Ainsi, le principe de l’égalité des armes ne peut pas être invoqué dans un cas comme celui de l’espèce où aucune partie poursuivante ou autre partie adverse n’était partie à la procédure devant la Cour de cassation. Ensuite, la circonstance, évoquée par le requérant, que l’avocat général à la Cour de cassation ne fait pas partie du siège de la juridiction, ne suffit pas à démontrer en quoi il devrait du coup être considéré comme son adversaire dans la procédure en cassation, condition préalable pour alléguer une rupture de l’égalité des armes. En revanche, dès lors que l’avis de l’avocat général est destiné à conseiller et, partant, influencer la Cour de cassation, le principe du contradictoire doit être respecté.

Le projet d’arrêt élaboré par le conseiller-rapporteur, qui est un magistrat de la formation de jugement chargé d’instruire le dossier, ne constitue pas une pièce produite par une partie et susceptible d’influencer la décision juridictionnelle, mais un élément établi au sein de la juridiction dans le cadre du processus d’élaboration de la décision finale. Partant, un tel document de travail interne à la formation de jugement, couvert par le secret, ne saurait être soumis au principe du contradictoire.

Pour établir ses conclusions et pour arrêter la position qu’il soumet publiquement à la formation de jugement, l’avocat général, qu’il partage ou non l’orientation du conseiller-rapporteur, s’appuie notamment sur le projet d’arrêt de celui-ci. En ce qu’elles intègrent l’analyse du conseiller-rapporteur, ces conclusions peuvent donc être de nature à permettre aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier et la lecture qu’en fait la juridiction. Cette particularité leur offre ainsi l’opportunité d’y répondre avant que les juges ne statuent. Par conséquent, il ne saurait être allégué que celle-ci porte en elle-même atteinte au caractère équitable de la procédure devant la Cour de cassation.

Par ailleurs, aucune discussion n’est intervenue en l’espèce entre le conseiller-rapporteur et l’avocat général après la transmission du projet d’arrêt.

2. Le requérant se plaint ensuite d’une violation du principe de l’égalité des armes et du principe du contradictoire en raison de l’absence de communication des conclusions de l’avocat général avant l’audience publique, où elles n’ont été présentées qu’oralement, et de la connaissance qu’aurait eue la Cour de cassation de ces conclusions avant cette audience.

Outre qu’il n’était pas établi en quoi l’avocat général devait être regardé comme l’adversaire du requérant dans la procédure en cassation, le requérant reste en défaut d’apporter des éléments concrets de nature à étayer l’allégation suivant laquelle la Cour de cassation aurait pris connaissance des conclusions de l’avocat général avant l’audience ou qu’elle aurait pris sa décision avant la présentation publique de ces conclusions lors de cette audience. Dès lors, il y a lieu de considérer que tant le requérant que la Cour de cassation et le public ont découvert à l’audience le sens et le contenu des conclusions données oralement par l’avocat général, sur la base d’une note préparée par lui.

Il en résulte que le requérant ne saurait valablement soutenir avoir été placé dans une situation de net désavantage par rapport à quiconque du fait de ne pas avoir eu connaissance des conclusions de l’avocat général avant l’audience publique. Surabondamment, une partie ne saurait tirer du droit à l’égalité des armes le droit de se voir communiquer, préalablement à l’audience, des conclusions qui ne l’ont pas été à une autre partie, ni au rapporteur, ni aux juges de la formation de jugement.

Enfin en vertu du code judiciaire, le requérant disposait de la possibilité de répondre aux conclusions orales du ministère public, soit en exposant oralement ses observations lors de l’audience, soit en demandant un report d’audience ou en sollicitant l’autorisation de déposer une note en délibéré dans un certain délai. Le requérant n’établit pas en quoi il aurait été empêché d’user de cette possibilité dans les circonstances de l’espèce.

Compte tenu de ce qui précède, le requérant ne saurait prétendre avoir été placé dans une situation contraire aux exigences de l’article 5 § 4.

Conclusion : non-violation (unanimité).

(Voir aussi K.A. et A.D. c. Belgique, 42758/98 et 45558/99, 17 février 2005, Résumé juridique ; Marc-Antoine c. France (déc.), 54984/09, 4 juin 2013, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le mai 18, 2021 par loisdumonde

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