TROISIÈME SECTION
AFFAIRE M.A. c. BELGIQUE
(Requête no 19656/18)
ARRÊT
Art 34 • Qualité de victime • Abus de la situation vulnérable du requérant résultant de sa privation de liberté pour lui faire consentir à un soi-disant retour « volontaire » • Caractère équivoque du prétendu départ « volontaire » du territoire belge (embarquement sans résistance et signature d’un formulaire) interdisant d’y voir une renonciation à la protection offerte par l’art 3, à la supposer concevable • Circonstances postérieures (dans le pays de destination) dépourvues d’incidence sur les griefs déjà concrétisés lors du départ
Art 3 • Expulsion (Soudan) • Charge de la preuve des risques : devoir de tenir compte du caractère absolu des droits garantis par l’art 3 • Désistement de la procédure d’asile ne dispensant pas l’État d’évaluer les risques encourus en cas d’éloignement • Carences procédurales (langue, assistance juridique) et contexte de méfiance (mission d’identification avec l’ambassade) pouvant expliquer les silences du requérant quant à sa situation individuelle • Évaluation insuffisante des risques encourus
Art 13 (+ Art 3) • Recours effectif • Combinaison de recours offrant une protection contre un éloignement arbitraire • Autorités n’ayant pas sursis à l’éloignement du requérant conformément à l’interdiction qui leur en était faite
STRASBOURG
27 octobre 2020
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire M.A. c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Georgios A. Serghides, président,
Paul Lemmens,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
DarianPavli,
Anja Seibert-Fohr,
PeeterRoosma, juges,
et de Milan Blaško, greffierde section,
Vu :
la requête susmentionnée (no 19656/18) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant soudanais, M. M.A. (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 13 avril 2018,
la décision du président de la section à laquelle la requête avait été initialement attribuée de ne pas dévoiler l’identité du requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour),
les observations des parties,
les commentaires reçus de la Ligue des droits de l’homme qui a été autorisée à se porter tierce intervenante,
Notant que le 25 juin 2018, la requête a été communiquée au Gouvernement.
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne l’éloignement du requérant vers le Soudan et le défaut allégué d’examen du risque qu’il y encourait et d’un recours effectif pour prévenir cet éloignement. Il invoque en particulier les articles 3 et 13 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1993 et est représenté par Me S. Benkhelifa, avocate à Bruxelles. Il a élu domicile chez sa représentante.
3. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, service public fédéral de la Justice.
4. Le requérant arriva en Belgique à une date inconnue après être passé par l’Italie.
5. Le requérant séjourna à Bruxelles dans le parc Maximilien, situé près d’une gare et fréquenté à l’époque par une centaine de migrants soudanais. Il fit l’objet à plusieurs reprises au cours des six premiers mois de 2017 de contrôles par la police en différents endroits en Belgique, notamment aux abords du port de Zeebrugge et dans la soute d’un autocar en direction du Royaume-Uni.
6. À l’occasion de ces interpellations, il apparut aux autorités belges que ses empreintes ne figuraient pas dans la base de données Eurodac. Les procès-verbaux établis par la police faisaient état de ce que le requérant ne comprenait que l’arabe.
7. Des ordres de quitter le territoire (« OQT ») furent délivrés au requérant en application des articles 7 et 74/14 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »). Une interdiction d’entrée sur le territoire pendant trois ans fut également décidée le 4 avril 2017 en application de l’article 74/11 de la loi sur les étrangers (paragraphe 34 ci-dessous).
8. Le 18 août 2017, le requérant fut intercepté par la police de Louvain alors qu’il se trouvait dans une maison située dans cette ville. Selon ses déclarations, il essayait de se cacher dans la soute d’un camion pour se rendre au Royaume-Uni. Un nouvel OQT lui fut délivré avec maintien dans un lieu déterminé en vue de son éloignement. Il fut transféré le jour même au centre fermé pour illégaux 127bis de Steenokkerzeel, près de l’aéroport de Bruxelles.
9. Dans la version du Gouvernement, à son arrivée au centre, le requérant reçut une brochure en langue arabe l’informant des raisons de sa détention, des possibilités de recours et des possibilités d’obtenir une aide juridique, et un avocat pro deo spécialisé en contentieux des étrangers fut désigné de suite. Dans la version du requérant, les documents qui lui furent remis au centre étaient rédigés en néerlandais.
10. Le 21 août 2017, dans le cadre du droit d’être entendu avant tout éloignement (paragraphe 43 ci-dessus), un formulaire rédigé en anglais fut présenté au requérant qu’un fonctionnaire du centre compléta en néerlandais. Une question de ce formulaire l’interrogeait sur les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas retourner dans son pays d’origine. En réponse, le requérant déclara qu’il y avait eu des problèmes et y était recherché. Un codétenu était présent comme interprète. Dans la version du Gouvernement, le requérant fit ses déclarations en anglais. Dans la version du requérant, il les fit en arabe, le codétenu les traduisit en anglais ce qui permit à l’assistante sociale de les retranscrire en néerlandais.
11. Le 24 août 2017, le requérant fit une tentative d’évasion à la suite de laquelle il fut placé à l’isolement, et ensuite transféré au centre fermé Caricole près de l’aéroport de Bruxelles.
12. Un formulaire d’identification rédigé en arabe fut présenté au requérant le 29 août 2017 qu’il refusa de remplir. Selon le représentant du requérant, le bruit circulait parmi les ressortissants soudanais que ce document était destiné à être envoyé à l’ambassade du Soudan à Bruxelles. Le jour même, une attestation médicale fut établie par un médecin du centre fermé indiquant que le requérant ne souffrait pas d’une maladie susceptible de provoquer un risque de violation de l’article 3 de la Convention en cas d’éloignement.
13. Le 1er septembre 2017, les empreintes du requérant, sa photo et le formulaire qu’il avait refusé de remplir furent transmis par l’Office des étrangers (« OE ») à l’ambassade du Soudan.
14. Le 6 septembre 2017, le requérant introduisit une demande d’asile.
15. À partir de ce moment, les réseaux sociaux et la presse soudanaise relayèrent l’annonce faite par les autorités belges de leur collaboration, via l’ambassade du Soudan, avec les autorités soudanaises à l’identification et au rapatriement des ressortissants soudanais arrivés illégalement en Belgique.
16. Le 8 septembre 2017, un OQT assorti d’une décision de maintien dans un lieu déterminé fut pris sur pied de l’article 74/6 § 1bis, 6o et 12o, de la loi sur les étrangers et de l’article 74 § 2 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (paragraphes 34 et 35 ci-dessous).
17. Le 11 septembre 2017, le requérant reçut le texte pré-imprimé d’un formulaire rédigé en néerlandais. La traduction en français de ce texte se lit comme suit : « Je soussigné, …, déclare me désister de toute procédure d’asile en cours et souhaite retourner dans mon pays d’origine ». Le requérant inscrivit en arabe qu’il se désistait de sa demande d’asile en se référant aux démarches effectuées par le Gouvernement belge auprès des autorités soudanaises et au fait qu’il n’avait pas disposé d’un avocat.
18. Le 27 septembre 2017, au centre fermé, le requérant rencontra des membres de l’ambassade soudanaise et de la mission d’identification soudanaise. Selon le requérant, il était seul, sans avocat ni représentant des autorités belges et fut interrogé en arabe. Dans la version des faits du Gouvernement, un fonctionnaire de l’OE était présent. L’ambassadeconfirmaensuite son identification et délivra un laissez-passer indiquant que« The minister of Justice of the Republic of the Sudan requests by the name of the Sudan all those whom it may concern to allow the bearer, who is Sudanese, to pass freely without hindrance and afford every assistance and protection of which he may stand in need ».
19. Le 30 septembre 2017, le requérant rencontra, pour la première fois selon sa version des faits, un avocat qui avait été contacté par une association d’aide aux réfugiés, et qui se rendit au centre fermé accompagné d’une bénévole soudanaise.
20. Le 5 octobre 2017, le requérant déposa une requête de mise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles. La requête était fondée sur le fait qu’il était détenu en vue de son expulsion vers le Soudan, alors qu’il y courait le risque de traitements prohibés par l’article 3 de la Convention.
21. Le 6 octobre 2017, le requérant fut invité à remplir un questionnaire rédigé en arabe lui demandant de nouveau, dans le cadre du droit d’être entendu avant son éloignement, des précisions sur les raisons pour lesquelles il craignait de retourner dans son pays d’origine et les risques de traitements contraires à l’article 3 de la Convention qu’il y encourait. Il refusa de le remplir. Une « fonctionnaire retour » du centre consigna dans un courriel que le requérant refusait de déposer une nouvelle demande d’asile tant qu’il était en détention. Elle ajouta que le requérant parlait suffisamment bien anglais pour comprendre ce qu’on attendait de lui.
22. Le 11 octobre 2017, la chambre du conseil déclara la requête de mise en liberté irrecevable, au motif qu’elle était territorialement incompétente du fait que le requérant avait été interpellé à Louvain.
23. Le 11 octobre 2017, une note interne fut rédigée par l’OE se référant aux questionnaires des 21 août et 6 octobre 2017 et qui était ainsi formulée :
« 1. L’intéressé n’a pas de famille en Belgique (…).
2. L’intéressé ne souffre pas d’une maladie/n’a pas besoin d’un traitement.
3. L’intéressé déclare ne pas pouvoir retourner vers son pays d’origine.
L’intéressé s’est désisté de sa demande d’asile le 12.09.2017 par laquelle ses allégations auraient pu faire l’objet d’un examen.
[M.A.] déclare qu’il veut volontairement retourner dans son pays d’origine, bien qu’il y aurait des problèmes. Ses déclarations entrent dans le champ d’application de la Convention de Genève. Nous lui avons offert la possibilité d’introduire une demande d’asile, il l’a fait, mais il s’est désisté.
(…) ».
24. Le 11 octobre 2017, le requérant déposa une nouvelle requête de mise en liberté, cette fois devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain. Cette requête était fondée sur les mêmes motifs que celle qui avait été déposée devant la chambre du conseil de Bruxelles. Le requérant fut averti de ce que sa requête serait examinée à une audience fixée au 17 octobre 2017.
25. Le 12 octobre 2017, le requérant fut informé qu’un vol à destination de Khartoum (Soudan) était prévu pour le 13 octobre 2017 à 11 h 20. Au même moment, l’OE fut informé par le parquet du procureur du Roi de Louvain de la requête de mise en liberté déposée la veille.
26. Le 12 octobre 2017, invoquant l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention, le requérant introduisit une requête unilatérale, sur la base de l’article 584 du code judiciaire (paragraphe 41 ci-dessous), devant le président du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, pour entendre ordonner à l’État belge l’interdiction de l’éloigner sous la contrainte avant que la procédure de mise en liberté introduite devant la chambre du conseil de Louvain ne soit arrivée à terme. Le 12 octobre 2017, le président du tribunal, constatant que l’audience devant la chambre du conseil de Louvain était fixée au 17 octobre 2017, fit droit à cette demande. Il interdit à l’État belge de rapatrier le requérant avant que les juridictions ne se soient prononcées sur la mesure de privation de liberté, sous peine d’une astreinte de 10 000 euros (« EUR ») en cas de non-respect de l’interdiction. Le président déclara son ordonnance exécutoire « sur la minute ». Le centre fermé et l’OE en furent informés.
27. Le 13 octobre 2017, l’OE annula le renvoi du requérant sur le vol vers Khartoum via Istanbul prévu pour 11 h 20 « par respect pour le président du tribunal de première instance de Bruxelles et non pour donner suite aux décisions prises sur requête unilatérale ».
28. Le requérant fut quand même amené à l’aéroport. Il indique qu’il fut accueilli par un homme en uniforme qui lui a expliqué en arabe que s’il refusait de monter dans l’avion, d’autres tentatives d’éloignement seraient organisées et l’a menacé de lui administrer des sédatifs en cas de refus.
29. Un document fut présenté au requérant pour signature. Il s’agissait d’une feuille volante sans en-tête rédigée en anglais, dont la traduction française se lit comme suit : « 1. Moi, [M.A.], souhaite partir volontairement. 2. Je n’ai pas donné instruction à mon avocat de faire appel. » Le requérant signa et fut embarqué sur un vol vers Khartoum via le Caire à 15 h 55.
30. Par ordonnance du 17 octobre 2017, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain déclara la seconde requête de mise en liberté sans objet.
31. Par un jugement du 5 décembre 2017, le président du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles déclara irrecevable la tierce‑opposition introduite par l’État belge contre l’ordonnance du 12 octobre 2017 pour défaut d’intérêt légitime. Le président rappela que les migrants en séjour irrégulier en détention constituaient une population particulièrement vulnérable, et qu’en l’espèce, les actes et les déclarations de M.A. étaient visiblement fortement affectés par sa privation de liberté et par sa volonté d’être relâché. Le président s’exprima ensuite en ces termes :
« … L’Office des étrangers a exercé une pression inacceptable sur [M.A.] pour lui faire consentir à un soi-disant retour volontaire, abusant ainsi de sa situation vulnérable résultant de sa privation de liberté. L’avocat de [M.A.] a décrit à juste titre ce départ comme un départ forcé sans résistance.
Il ne ressort d’aucun élément que l’Office des étrangers ait enquêté pour savoir si, au moment de son retour au Soudan, [M.A.] risquait de subir un traitement inhumain ou dégradant ou pire (article 3 de la Convention). Cela aussi est inacceptable, d’autant plus que l’identification par des agents du régime dictatorial soudanais subi par [M.A.] pourrait créer un tel risque.
Visiblement, l’État belge a ignoré sciemment la décision du 12 octobre 2017 du président de ce tribunal, et tente maintenant de faire annuler cette décision afin d’éviter une éventuelle mise à exécution de l’astreinte imposée. »
32. L’État belge interjeta appel devant la cour d’appel de Bruxelles. À la demande de l’État, par un arrêt d’avant dire droit du 26 juin 2018, la cour d’appel l’autorisa à cantonner le montant de l’astreinte.
33. L’affaire est pendante devant cette cour quant au fond de la tierce-opposition.
Le cadre juridique et la pratique internes pertinents
I. Le cadre légal de la détention et de l’éloignement des étrangers
34. Les dispositions suivantes de la loi sur les étrangers s’appliquaient aux faits de l’espèce :
Article 7
« Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le ministre ou son délégué peut, ou, dans les cas visés aux 1o, 2o, 5o, 9o, 11o ou 12o, le ministre ou son délégué doit donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé :
1o s’il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l’article 2;
(…)
3o si, par son comportement, il est considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale;
(…)
12o si l’étranger fait l’objet d’une interdiction d’entrée ni suspendue ni levée;
(…)
À moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement, l’étranger peut être maintenu à cette fin, pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement, et sans que la durée de maintien ne puisse dépasser deux mois.
(…)
Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger cette détention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mise en détention de l’étranger, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.
Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.
Après cinq mois de détention, l’étranger doit être mis en liberté.
(…) »
Article 74/6
« § 1bis. L’étranger qui est entré dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées à l’article 2 ou dont le séjour a cessé d’être régulier, et qui introduit une demande d’asile, peut être maintenu par le ministre ou son délégué dans un lieu déterminé afin de garantir l’éloignement effectif du territoire, lorsque :
(…)
6o l’étranger s’est soustrait volontairement à une procédure entamée à la frontière;ou
(…)
12o l’étranger introduit une demande d’asile dans le but de reporter ou de déjouer l’exécution d’une décision précédente ou imminente devant conduire à son éloignement;
(…) »
Article 74/11
« § 1er. La durée de l’interdiction d’entrée est fixée en tenant compte de toutes les circonstances propres à chaque cas.
La décision d’éloignement est assortie d’une interdiction d’entrée de maximum trois ans, dans les cas suivants :
1o lorsqu’aucun délai n’est accordé pour le départ volontaire ou;
2o lorsqu’une décision d’éloignement antérieure n’a pas été exécutée.
(…) »
Article 74/14
« § 1er. La décision d’éloignement prévoit un délai de trente jours pour quitter le territoire.
Le ressortissant d’un pays tiers qui, conformément à l’article 6, n’est pas autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, bénéficie d’un délai de sept à trente jours.
Sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, le délai octroyé pour quitter le territoire, mentionné à l’alinéa 1er, est prolongé, sur production de la preuve que le retour volontaire ne peut se réaliser endéans le délai imparti.
Si nécessaire, ce délai peut être prolongé, sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, afin de tenir compte des circonstances propres à sa situation, comme la durée de séjour, l’existence d’enfants scolarisés, la finalisation de l’organisation du départ volontaire et d’autres liens familiaux et sociaux.
Le ministre ou son délégué informe par écrit le ressortissant d’un pays tiers que le délai de départ volontaire a été prolongé.
§ 2. Aussi longtemps que le délai pour le départ volontaire court, le ressortissant d’un pays tiers est protégé contre un éloignement forcé.
Pour éviter le risque de fuite pendant ce délai, le ressortissant d’un pays tiers peut être contraint à remplir des mesures préventives.
Le Roi définit ces mesures par un arrêté délibéré en Conseil des ministres.
§ 3. Il peut être dérogé au délai prévu au § 1er, quand :
1o il existe un risque de fuite, ou;
(…)
3o le ressortissant d’un pays tiers constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale ou;
(…) »
35. L’article 74 § 2 de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers se lit comme suit :
« L’étranger qui a introduit une demande d’asile dans le Royaume auprès d’une des autorités compétentes en vertu de l’article 71/2, § 2, et qui, conformément à l’article 74/6, § 1bis, de la loi, est maintenu dans un lieu bien déterminé, reçoit la notification de cette décision au moyen d’un document conforme au modèle figurant à l’annexe 39bis. Dans ce cas, conformément à l’article 52/3, § 2, de la loi, l’intéresse reçoit également un ordre de quitter le territoire au moyen d’un document conforme au modèle figurant à l’annexe 13quinquies. »
II. Instances compétentes en matière d’asile, de détention et d’éloignement du territoire
36. L’Office des étrangers (« OE ») est un organe administratif qui dépend directement du ministre de l’Intérieur sous l’autorité du ministre ou du secrétaire d’État à l’asile et à la migration. Il est chargé, en pratique, de toute décision relative à l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers. Il décide de la détention en centre fermé, et notifie les OQT.
37. Dans le cadre d’une demande de protection internationale, l’OE est compétent pour enregistrer la demande et interroger le demandeur de protection sur son identité, son origine et sur l’itinéraire qu’il a emprunté pour venir jusqu’en Belgique, afin de déterminer si la Belgique est responsable du traitement de sa demande, ou s’il est nécessaire, de le maintenir dans un centre fermé. Le fonctionnaire consigne les déclarations du demandeur par écrit dans un compte-rendu d’audition. Le demandeur peut refuser de signer le document reprenant ses déclarations. S’il refuse de signer, il en sera fait mention sur le document. Le cas échéant, y seront indiquées les raisons de son refus de signer. Le document reprenant les déclarations du demandeur est transmis par l’OE au Commissaire général aux réfugiés et apatrides (« CGRA »).
38. Le CGRA est une administration indépendante, et la seule instance compétente pour instruire et examiner les demandes de protection internationale prises en charge par la Belgique, et, à l’issue de l’examen, d’accorder ou non une protection (statut de réfugié ou de protection subsidiaire).
39. Les décisions de l’OE en matière d’accès au territoire, de séjour, d’établissement et d’éloignement sont susceptibles d’un recours en annulation devant le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »). Le recours en annulation d’une décision de l’OE n’est pas suspensif de celle-ci. C’est pourquoi la loi sur les étrangers prévoit la possibilité d’introduire une demande de suspension, soit selon une procédure « ordinaire » soit selon la procédure « d’extrême urgence ». Un recours en cassation administrative est ouvert devant le Conseil d’État contre les arrêts du CCE.
40. L’étranger maintenu dans un lieu déterminé en application de l’article 74/6 de la loi sur les étrangers peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête de mise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal de première instance du lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé (article 71 de la loi). La chambre du conseil vérifie « si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité » (article 72 alinéa 2). L’intéressé, le ministère public et le ministre ou son délégué peuvent faire appel des ordonnances de la chambre du conseil devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel (article 72 alinéa 3). Bien que non mentionné par la loi sur les étrangers, un pourvoi en cassation est possible contre les arrêts de la chambre des mises en accusation et est régi par le code d’instruction criminelle.
41. Il peut également être fait appel au juge des référés à propos d’une mesure d’éloignement sur pied de l’article 584 du code judiciaire. Sur base de cette disposition, toute personne qui s’estime lésée dans ses droits peut saisir d’une action en référé le président du tribunal de première instance compétent. Celui-ci statue au provisoire en vue de prévenir ou de faire cesser une atteinte à un droit subjectif estimée irrégulière lorsqu’il reconnaît l’urgence de la situation.
III. Garanties procédurales des demandeurs de protection internationale
42. Lors de son arrivée au centre fermé, l’étranger fait l’objet d’un entretien administratif, social et médical. L’arrêté royal du 2 août 2002 « fixant le régime et les règles de fonctionnement applicables aux lieux situés sur le territoire belge, gérés par l’Office des étrangers, où un étranger est détenu, mis à la disposition du Gouvernement ou maintenu, en application des dispositions citées dans l’article 74/8, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers », applicable aux centres fermés, prévoit qu’une brochure d’information est distribuée. Cette brochure explique notamment les possibilités de recours contre la détention, d’obtenir l’assistance d’une organisation non-gouvernementale et de faire appel à une assistance juridique. Cette brochure est disponible au minimum dans les trois langues nationales et en anglais. D’après les informations publiées par Myria (Centre Fédéral Migration, institution publique indépendante), des fiches d’information thématiques existant en nombreuses langues, dont l’arabe, sont également mises à disposition (Retour, détention et éloignement des étrangers en Belgique. Un retour à quel prix ?, novembre 2017).
43. En ce qui concerne le droit d’être entendu avant une décision d’éloignement (voir l’état du droit européen à ce sujet dans Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, §§ 42-45, CEDH 2016), le CCE a jugé que l’OE devait, pour statuer en pleine connaissance de cause, procéder à une recherche des faits, récolter des renseignements nécessaires à la prise de décision et prendre en considération tous les éléments du dossier et donc inviter le demandeur à faire valoir, avant la prise de l’acte d’éloignement, des éléments relatifs à sa situation personnelle (CCE, arrêt du 1er décembre 2016, no 178.868). Il a également considéré que le questionnaire complété au centre fermé ne permettait pas de pallier le non-respect du droit d’être entendu (CCE, arrêt du 8 septembre 2016, no 174.352). Cette jurisprudence s’appliquant aux personnes qui n’ont pas introduit de demande de protection internationale, les services de police ont reçu des instructions pour poser des questions lors de l’interception ou de l’arrestation (rapport intérimaire de la Commission chargée de l’évaluation de la politique du retour volontaire et de l’éloignement forcé des étrangers, présenté au ministre de l’asile et de la migration le 22 février 2019).
44. Les demandeurs de protection internationale peuvent obtenir des conseils juridiques gratuits et faire une demande d’aide judiciaire gratuite par un avocat pour introduire des recours. À chaque stade de la procédure, sauf lors de l’enregistrement de la demande par l’OE, le demandeur peut se faire assister par un avocat.
IV. Retour volontaire et retour forcé
45. Un étranger qui reçoit un OQT est supposé y donner suite de sa propre initiative, dans le délai qui lui est imparti. Il peut soit organiser son retour lui-même, soit demander de bénéficier d’une assistance dans le cadre d’un programme de retour volontaire.
46. D’après les publications citées aux paragraphes 42-43, lorsqu’un étranger n’obtempère pas à l’OQT, il peut être éloigné de force et être maintenu à cette fin dans un centre fermé. L’exécution des retours forcés est réglée par un protocole, non publié, signé entre l’OE et la police aéronautique de l’aéroport de Bruxelles National. Elle est organisée avec ou sans usage de moyens contraignants selon l’attitude de l’intéressé. L’intéressé peut partir sans offrir de résistance, mais s’il refuse de partir de son propre chef, la police l’escorte jusqu’à l’avion, et peut embarquer à bord de l’avion et l’accompagner jusqu’à sa destination.
V. Retour des migrants soudanais en 2017
47. Au cours de l’été 2017, plusieurs dizaines d’étrangers firent l’objet de contrôles et d’arrestations administratives aux environs du parc Maximilien à Bruxelles ou dans des zones au départ desquelles ils tentaient de rejoindre le Royaume-Uni. Beaucoup d’entre eux étaient de nationalité soudanaise, en séjour illégal, et ne souhaitant pas introduire de demandes de protection internationale en Belgique. En septembre 2017, dix de ces personnes, parmi lesquelles se trouvait le requérant, furent éloignées vers le Soudan après avoir été identifiées et avoir obtenu un laissez-passer par les autorités soudanaises. L’éloignement de ces dix Soudanais a entraîné plusieurs réactions, notamment de la société civile et du monde judiciaire, et a eu des conséquences sur la politique de l’immigration.
A. Déclarationd’Amnesty International
48. Le 30 janvier 2018, Amnesty International publia une déclaration intitulée Belgium: returns to Sudanviolated the principle of non‑refoulement. Des extraits de ce document figurent ci-dessous :
« Between 4 September and 4 October 2017, the police conducted 30 round-ups in the area, leading to the apprehension of 653 people considered to be irregularly present in the country, 215 of whom claimed to be Sudanese. Ninety-nine of the Sudanese were placed in detention centres for irregular migrants pending deportation. The Belgian government aimed to return 47 of them to their country of origin, and the remaining 52 to the European country where they had been first registered. The State Secretary for Asylum and Migration said those detained explicitly stated they did not intend to claim asylum in Belgium.
At the same time, since the Sudanese nationals whom Belgium sought to return to Sudan held no identification papers, the Belgian government invited a delegation of Sudanese officials to visit Belgium and the detained returnees, to confirm their nationality and provide them with travel documents. No bilateral readmission agreement was drafted nor were any arrangements agreed to in written form. Between 18 and 27 September, a three-person delegation travelling from Sudan for that purpose, together with representatives from the Sudanese embassy in Belgium, interviewed 61 individuals in different Belgian detention centres. Media reported that members of the delegation were agents of Sudan’s National Intelligence and Security Service (NISS), a state agency that Amnesty International considers responsible for serious and widespread human rights violations. While the Belgian authorities claim that a Belgian official was present during the interviews, the official did not understand what was said (the language used for the interviews was Arabic and there was no interpreter present) and no recordings appear to have been made of the interviews. Subsequently, the Sudanese authorities issued 43 laissez-passer travel documents.
After the Immigration Office, Belgian’s administrative body responsible for returns, conducted a “summary review” of the risks upon return, nine of the individuals identified by the Sudanese delegation were forcibly removed, returned to Khartoum by airplane between October and December 2017. One additional man was returned in the same period, having accepted, according to the government, what is known as an “assisted voluntary return” after having withdrawn his asylum claim.
On 20 December 2017, the Tahrir Institute for Middle East Policy (TIMEP) published information and extracts from interviews with individuals who had been returned from Belgium, alleging that shortly after their arrival in Khartoum they were detained in a police station nearby and beaten by Sudanese authorities. TIMEP shared their report of the interviews and allegations with the Belgian authorities. It includes information that at least some of the returned Sudanese claim to come from conflict-affected areas of Sudan.
(…)
People coming from conflict areas are also at particular risk of persecution by Sudanese authorities. In 2017, the security forces targeted opposition party members, human rights defenders, students and political activists for arbitrary arrest, detention and other abuses, and the rights to freedom of expression, association and peaceful assembly were arbitrarily restricted. NISS officials maintain the power to detain any individual for up to four-and-a-half months without judicial review, which is often used to arbitrarily arrest and detain individuals, and to subject them to torture and other forms of ill-treatment. NISS agents are provided with protection from prosecution for any act committed in the course of their work, which has resulted in a pervasive culture of impunity.
In view of the conflicts and grave human rights abuses in Sudan, and of the specific risk of persecution of those originating from conflict-affected states – such as Darfur, South Kordofan and Blue Nile – Amnesty International considers that Sudanese individuals from those areas should not be returned to Sudan, where they would be at real risk of serious human rights violations.
(…)
The recent returns to Sudan appear to have been realized in breach of the principle of non-refoulement, on substantive and procedural grounds.
Regarding substantive grounds, TIMEP reports that those returned to Sudan may have included people from conflict-ridden Darfur and that individuals returned to Khartoum were subsequently detained and ill-treated by Sudanese security officials. While Amnesty International has not been in a position to independently verify the testimonies collected by TIMEP, the organization wishes to highlight that such testimonies are consistent with others gathered by Amnesty International on the occasion of previous returns to Sudan from other countries.
(…)
Secondly, in processing the return of the Sudanese nationals, Belgian authorities have disregarded key procedural guarantees against refoulement. In particular, (…) while the Immigration Office, the administrative body responsible for returns, conducted a “summary review” of the risks upon return, this did not appear to constitute the careful assessment required by international law. Having reviewed a form filled in regarding one of the 10 returns, Amnesty International notes that the form only includes a few generic questions about the risks the returnee may face, but it lacks any reference or question concerning the region of origin, ethnicity and reasons for leaving the country. These are all crucial elements for any assessment of the risks upon return. Statements given by the Secretary of State for Asylum and Migration before the Belgian Parliament confirm that the relevant authorities did not adequately investigate the region where the people originated from – in fact this was mostly unknown by the Belgian authorities and that when returnees volunteered relevant information it was not fully taken into consideration. In not one single case the “summary review” conducted by the Immigration Office led to the conclusion that returning the individual to Sudan would put them at risk of serious human rights violations. (…)
In addition, it is problematic that Belgian authorities allowed Sudanese officials to interview and identify Sudanese nationals potentially in need of international protection, at a time when they had not analysed the risks to which those individuals would be exposed upon return. Indeed, official documents reviewed by Amnesty International indicate that Belgian authorities enabled Sudanese officials to access those individuals even before engaging in the “summary review” of risks upon return. Furthermore, in at least two cases Sudanese officials were granted access to individuals although the Belgian authorities were aware that those individuals had already submitted asylum claims in other EU countries. The Belgian government therefore appears to have shared highly sensitive information – i.e. the identity of people potentially in need of international protection – with the very authorities whose human rights violations these people were fleeing, which might result in exposing those individuals and their relatives to heightened risks. On top of this, Belgium made no adequate effort to effectively monitor the interviews conducted by the Sudanese officials, for example by ensuring the presence of a Belgian official able to understand the conversation. Identification missions are not per se in breach of human rights law – a state seeking to repatriate a foreign national may request the cooperation of the government of the relevant country of origin. However, the Belgian government could request foreign officials to confirm the nationality of the individuals it is seeking to return, and to provide them with the travel documents that may be necessary, only after any need of international protection and risks upon repatriation have been excluded. (…) »
B. Rapport du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides du 8 février 2018
49. À la suite de l’éloignement des dix ressortissants soudanais, le CGRA fut chargé de mener une enquête pour déterminer les circonstances de leur éloignement et vérifier si ces personnes avaient été soumises à des actes contraires à l’article 3 de la Convention à leur retour. Les résultats de l’enquête furent publiés le 8 février 2018. Ce rapport, intitulé Le respect du principe de non‑refoulement dans l’organisation des retours de personnes vers le Soudan, fournit des informations sur la pratique effectivement suivie par les autorités belges pour organiser le retour et fait des recommandations pour l’avenir. Des extraits de ce rapport sont reproduits ci-dessous :
« 2. Les faits qui ont donné lieu à l’enquête
(…) Compte tenu du nombre relativement élevé de personnes à identifier, les autorités belges ont proposé aux autorités soudanaises d’organiser une mission d’experts (venus du Soudan), afin d’accélérer l’identification d’un nombre relativement élevé de personnes.
Dans la période du 17 au 28 septembre 2017, une délégation composée de 3 experts venus du Soudan et de 1 à 3 employés de l’ambassade du Soudan a visité plusieurs centres fermés. Cette délégation a eu des entretiens avec 61 personnes. Suite à ces entretiens, les autorités soudanaises ont délivré des laissez-passer pour 23 personnes.
Dans le groupe de personnes qui se sont vu délivrer un laissez-passer suite aux entretiens avec la délégation, 10 sont retournées ou ont été éloignées vers le Soudan : 1 personne est retournée dans le cadre du programme REAB de l’OIM et 9 personnes ont été éloignées, certaines avec escorte, d’autres sans.
Fin décembre, l’Institut Tahrir a publié un rapport reproduisant un certain nombre de témoignages concernant les personnes retournées ou éloignées vers le Soudan, témoignages fournis par ces personnes ou venant de tiers.
(…)
4. Informations générales sur la situation au Soudan et le risque en cas de retour au Soudan
Il est de notoriété publique que la situation des droits de l’homme est très problématique au Soudan. Pour de nombreuses personnes originaires du Soudan, il y a donc une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou un risque réel de subir des atteintes graves telles que visées dans la définition de la protection subsidiaire. Il peut s’agir d’opposants politiques ou encore de personnes originaires d’une région en proie à un conflit armé, pour autant que ces personnes ne disposent pas d’une réelle possibilité de fuite à l’intérieur du pays. Ces personnes, à condition qu’elles introduisent une demande de protection se voient dès lors accorder un statut (statut de réfugié ou statut de protection subsidiaire).
La situation au Soudan n’est pas de telle nature qu’il faille accorder un statut de protection à toute personne originaire de ce pays. C’est un fait généralement admis et qui a été confirmé par différentes juridictions, jusqu’à la Cour européenne des Droits de l’Homme (voir p. ex. la jurisprudence citée dans le rapport COI du CGRA).
Un aspect particulier concerne la question de savoir si l’organisation d’un éloignement (éventuellement forcé) vers le Soudan crée un risque particulier.
(…)
5. Le fait d’avoir fait venir une mission d’identification est-il problématique ?
Au moment de l’arrivée au Soudan, un contrôle systématique est donc effectué par les services de renseignement soudanais (NISS). C’est certainement le cas des personnes qui arrivent avec un laissez-passer ou qui ne sont pas en possession des documents de voyage et de séjour nécessaires. Cet examen systématique peut éventuellement être plus poussé que celui effectué en Belgique par l’ambassade ou une mission d’identification. Le fait que ce contrôle systématique ait lieu est plus important que le fait qu’une identification ait été effectuée en Belgique par un groupe de personnes, dont certaines appartiendraient aux services de sécurité.
(…)
L’OE a confirmé auprès du CGRA qu’un collaborateur de l’OE était toujours présent lors des entretiens de la mission d’identification mais que ce n’était pas toujours à proximité du lieu de l’entretien, et qu’en général le collaborateur concerné ne maîtrisait pas la langue dans laquelle était mené l’entretien (l’arabe).
Conclusions
Lorsqu’une identification en vue de la délivrance d’un laissez-passer est effectuée par une mission d’identification dont certains membres appartiendraient éventuellement aux services de sécurité, cela n’est pas forcément problématique en soi.
Il n’en reste pas moins qu’il convient de faire preuve de la plus grande vigilance dans l’organisation d’une telle mission :
– Il faut éviter à tout prix que des personnes ayant besoin d’une protection soient confrontées à des personnes qui représentent les autorités de leur pays. Si une identification est envisagée, il convient donc d’examiner soigneusement au préalable si l’intéressé n’éprouve pas un besoin de protection (y compris au regard de l’art. 3 CEDH).
– Afin de prévenir le risque de problèmes éventuels (p. ex. des menaces), il est recommandé de prendre un certain nombre de précautions au moment de l’identification, p. ex. :
* informer préalablement les intéressés du fait qu’un entretien avec des représentants de leur pays d’origine aura lieu en vue de leur identification ;
* organiser les entretiens en présence d’un membre des instances belges et d’une personne (interprète) qui comprend la langue utilisée au cours de l’entretien.
(…)
7. L’appréciation au regard de l’art. 3 CEDH
Comment a-t-on procédé à l’examen au regard de l’article 3 CEDH?
Les informations relatives aux dossiers ont été rassemblées de la façon suivante : les dossiers OE des 10 personnes retournées ou éloignées ont été consultés (sur la base d’une copie du dossier transmis par l’OE); un entretien a eu lieu avec des représentants de l’OE pour obtenir davantage d’informations.
Principales constatations :
– Les 10 personnes concernées ont été appréhendées à différents endroits, certaines dans les environs du parc Maximilien, d’autres dans une zone portuaire ou alors qu’elles travaillaient au noir. Certaines avaient déjà été arrêtées plusieurs fois pour séjour illégal. Un ordre de quitter le territoire leur a été notifié au moment de leur maintien. Il a été constaté que la motivation de l’ordre de quitter le territoire ne contenait pas d’évaluation du risque éventuel au regard de l’article 3 CEDH. Cette constatation vaut pour les ordres délivrés aux 10 personnes concernées. Il ne ressort pas du dossier que, préalablement à la notification de cet ordre, la question a été d’une façon ou l’autre posée de savoir si l’intéressé courait un danger en cas de retour ou d’éloignement. Selon l’OE, la police a néanmoins posé la question. Et, le cas échéant, la possibilité d’introduire une demande d’asile a été signalée à l’intéressé.
– Après l’arrivée en centre fermé a lieu un triple entretien (intake) : outre les entretiens et examens d’ordre administratif et médical, l’on compte un entretien à caractère social (mené par l’assistant social du centre). À cette occasion, chaque personne est informée de la possibilité de faire appel à un avocat, d’introduire un recours et de faire connaître d’éventuels problèmes en cas de retour grâce à un « droit d’être entendu ». Ces informations sont répétées via un prospectus, une vidéo, …
– Si une personne demande un avocat, la demande est transmise au bureau de consultation et de défense, qui en désigne un d’office. Dans les centres fermés de Bruges et de Vottem, le bureau local de consultation et de défense organise régulièrement une permanence ou une consultation.
– Plusieurs personnes ont fait appel à un avocat. Pour certaines personnes, aucun avocat n’est intervenu. Il ne ressort pas du dossier si la personne concernée avait demandé l’assistance d’un avocat.
– Il ressort des dossiers des 10 personnes concernées qu’elles ont tous fait usage du « droit d’être entendu » pour faire part de leur crainte en cas de retour, à l’exception de la personne qui avait décidé de rentrer volontairement. Dans le cadre de ce « droit d’être entendu », un formulaire est mis à la disposition des intéressés, qu’ils peuvent compléter eux-mêmes – éventuellement avec leur avocat – ou qu’ils peuvent faire compléter par un employé du centre fermé (l’assistant social). Il apparaît que pour les 9 intéressés le formulaire a été complété avec l’aide d’un employé du centre fermé. Dans la plupart des cas, l’entretien s’est déroulé en anglais. S’il s’avère que la personne maintenue ne maîtrise pas suffisamment la langue, il est fait appel à une autre personne du centre pour l’entretien ou l’audition (éventuellement à un autre occupant du centre) ou à un interprète (par téléphone).
– Pour les 10 intéressés, il a été constaté que :
* Toutes les personnes (sauf celle qui a opté pour le retour volontaire) ont fait usage du « droit d’être entendu » et ont fait savoir par ce moyen qu’elles couraient un risque en cas de retour. Certaines d’entre elles se sont prévalues de ce droit à plusieurs reprises et ont donc été entendues plus d’une fois à ce sujet. Dès lors, leur situation a également été plusieurs fois évaluée par l’OE. Pour un certain nombre de personnes, il a été constaté qu’outre l’audition dans le cadre du « droit d’être entendu », une consultation spécifique avait eu lieu pour attirer leur attention sur la possibilité d’introduire une demande d’asile.
* Plusieurs questions ont été posées pour tenter d’évaluer le risque éventuel en cas de retour. Pour les 10 personnes concernées, l’on a constaté qu’elles ont très brièvement répondu à ces questions (en général par une seule phrase). Sur la base des réponses, il n’a pas été possible d’évaluer si, en cas de retour, il existait un risque réel au regard de l’article 3 CEDH, principalement parce que, sur la base de ces brèves réponses, il n’est pas possible d’examiner si le motif invoqué est « crédible » ou fondé.
* Dans le questionnaire, il était signalé systématiquement :
. « Si vous craignez d’être soumis à des tortures ou à des traitements ou peines inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH) : souhaitez-vous recourir à votre droit à demander une protection internationale (asile ou protection subsidiaire) ? Si vous craignez de subir une atteinte à l’article 3 CEDH, il est fortement recommandé de demander l’asile. C’est la procédure appropriée. »
. « Oui : aidez l’intéressé(e) à introduire sa demande d’asile. Non : demandez à l’intéressé(e) pour quelle raison il/elle ne veut pas introduire de demande d’asile et consignez sa réponse ci-dessous. Attention : s’il/si elle mentionne vouloir poursuivre son voyage au Royaume-Uni, vous pouvez lui signaler qu’il/elle a déjà été enregistré(e) en Belgique et que, dès lors, le risque est réel que le Royaume-Uni le/la renvoie en Belgique ou dans un autre pays. » [librement traduit du néerlandais]
* Il apparaît que, pour la plupart des personnes, ce n’est qu’après qu’il a été demandé à l’ambassade de venir identifier les intéressés que l’audition dans le cadre du « droit d’être entendu » a eu lieu.
– Il a toujours été procédé à l’évaluation des éléments invoqués dans le cadre du « droit d’être entendu » immédiatement après l’audition de la personne concernée. Cette évaluation a été effectuée par un collaborateur du service central de l’OE.
* Lors de cette évaluation, en règle générale l’on a conclu qu’il n’existait pas de risque réel au regard de l’article 3 CEDH, parce que les éléments invoqués par la personne concernée étaient des éléments en vertu desquels un statut de protection (réfugié ou protection subsidiaire) pourrait éventuellement être obtenu, éléments qui ne sont pas considérés comme pertinents pour l’examen au regard de l’article 3 CEDH, dans la mesure où l’intéressé refusait d’introduire une demande d’asile, même après qu’on lui a rappelé (à plusieurs reprises) la possibilité de le faire. Les motifs invoqués n’ont donc pas été examinés « sur le fond ». Un tel examen n’aurait pas non plus été possible sur la base des brèves réponses reproduites dans le questionnaire.
* L’on peut retrouver cette évaluation dans le dossier de l’OE, sous la forme d’une note. Cette évaluation n’a pas été reprise sous la forme d’une décision notifiée à l’intéressé.
– Le CGRA n’a reçu de dossier d’asile pour aucune des 10 personnes concernées. Leur situation n’a donc pas été examinée par le CGRA.
(…)
Conclusions
Il semble difficile de soutenir, surtout lorsque les informations générales sur le pays (COI) montrent que la situation y est particulièrement problématique quant au respect des droits de l’homme ou de la sécurité (p. ex. des suites d’un conflit armé), que le fait de ne pas demander l’asile – alors même que l’intéressé apporte des éléments qui justifieraient éventuellement l’octroi d’un statut de protection – peut être considéré comme l’indication d’une absence de risque réel au regard de l’article 3 CEDH. L’obligation de coopération dans le chef de l’autorité impose dans ce cas que l’autorité procède à un examen plus effectif « sur le fond » afin de déterminer si les éléments invoqués sont « crédibles » et de nature à indiquer un risque réel d’atteintes au sens de l’article 3 CEDH.
Cet examen et l’évaluation du risque doivent être menés avant de procéder à une identification par les autorités du pays d’origine.
Cet examen ne doit pas nécessairement être effectué conformément aux règles en vigueur pour l’examen d’une demande de protection internationale (demande d’asile), mais doit être effectué en respectant les règles de bonne administration. Et le résultat de l’examen doit être repris dans une décision motivée, qui implique une possibilité de recours.
Le CGRA estime qu’en cas de contestation d’un risque réel au regard de [l’article] 3 de la CEDH, la personne ne peut pas être éloignée vers son pays d’origine. Il considère néanmoins que, dans ce cas, il n’y a pas nécessairement lieu d’accorder un statut de séjour, en particulier lorsque l’intéressé refuse d’introduire une demande d’asile.
(…) »
50. La publication du rapport du CGRA fut suivi d’un débat parlementaire à l’issue duquel le premier ministre de l’époque annonça plusieurs mesures. L’une d’entre elles a mené l’OE à modifier sa pratique en ce qui concerne les migrants en transit. Désormais, quand il établit qu’il existe un risque de violation de l’article 3 à l’égard d’une personne qui n’a pas introduit de demande de protection internationale mais qui est impliquée dans un retour forcé, l’OE présente lui-même au CGRA une « demande implicite de protection internationale » au nom de la personne concernée (voir notamment Commission chargée de l’évaluation de la politique du retour volontaire et de l’éloignement forcé d’étrangers, Rapport intermédiaire, 22 février 2019, pp. 22-23 et 87).
C. Jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers et du Conseil d’État
51. Selon le CCE, un étranger qui craint d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas d’éloignement vers un pays, doit, en ce qui concerne tant la situation générale dans ce pays que les circonstances propres à son cas, disposer de la possibilité matérielle de les faire valoir en temps utile. Il s’ensuit que l’OE doit se livrer, avant d’adopter un OQT, à un examen aussi rigoureux que possible des éléments touchant au respect de l’article 3 de la Convention, dont elle a ou doit avoir connaissance. Le CCE a décidé ainsi notamment à l’égard d’un ressortissant soudanais menacé d’être éloigné vers le Soudan (arrêt du 26 septembre 2017, chambres réunies, no 192.584).
52. Le Conseil d’État adopte le même point de vue : c’est lors de la prise d’un OQT que l’OE doit s’assurer que l’exécution de cette décision d’éloignement respecte l’article 3 de la Convention (arrêt du 28 septembre 2017, no 239.259 ; arrêt du 8 février 2018, no 240.691 ; arrêts du 29 mai 2018, nos 241.623 et 241.625).
D. Jurisprudence de la Cour de cassation
53. Par deux arrêts, concernant également des ressortissants soudanais, la Cour de cassation considéra que l’éloignement d’un étranger et la mesure privative de liberté prise à cette fin pouvaient aboutir à une situation tombant sous l’application de l’article 3 de la Convention s’il existait des raisons sérieuses de craindre qu’après son éloignement ou en raison de celui-ci, l’étranger risquait de subir soit la torture soit des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Saisie d’un recours contre une mesure privative de liberté, la juridiction d’instruction (chambre du conseil ou chambre des mises en accusation) devait, lorsque l’étranger invoquait un tel risque, en apprécier l’existence, ce contrôle ressortissant à celui de la légalité et non de l’opportunité de la mesure (arrêt du 3 janvier 2018, P.17.1202.F ; arrêt du 31 janvier 2018, P.18.0035.F). Dans le second de ces arrêts, la Cour de cassation précisa que l’obligation d’examiner le risque s’appliquait même si l’étranger n’avait pas introduit une demande d’asile.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE l’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
54. Le requérant se plaint que son éloignement au Soudan par les autorités belges a été effectué en violation de l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Quant au respect du principe de subsidiarité
55. Le Gouvernement fait valoir à titre préliminaire que l’étranger qui, comme en l’espèce, se désiste de la procédure d’asile qu’il a mise en mouvement et décide, confronté à une mesure d’éloignement, de quand même faire valoir devant la Cour un risque de traitement inhumain et dégradant, empêche les autorités nationales de procéder à la vérification de la véracité de son discours. En effet, en Belgique, un étranger qui fait valoir des craintes qui entrent dans le cadre de la Convention de Genève mais ne coopère pas à la charge de la preuve dans le cadre de la procédure d’asile ne bénéficie ni d’un entretien individuel ni de l’examen de ses craintes par un expert. Cet examen ne ressort en effet pas de la compétence de l’OE mais du CGRA, seule autorité capable d’évaluer la crédibilité des déclarations du demandeur et de les confronter. Saisir directement la Cour de l’examen de ces éléments est contraire au principe de subsidiarité.
56. La Cour constate que la Convention ne fait pas du respect du principe de subsidiarité une condition pour la recevabilité d’un grief. Dans la mesure où l’argument du Gouvernement doit être considéré comme fondant une exception d’irrecevabilité, cette exception doit donc être rejetée.
57. La Cour reviendra toutefois sur la question soulevée par le Gouvernement lors de l’examen du bien-fondé du grief (voir notamment le paragraphe 78 ci-dessous).
2. Quant à la qualité de victime du requérant
58. Le Gouvernement se prévaut de la participation du requérant à un programme volontaire de retour au Soudan pour contester en substance la qualité de victime du requérant. Selon le Gouvernement, le requérant a ainsi fait montre de l’absence de tout risque en cas de retour, ainsi que les circonstances de son retour le confirment puisqu’il n’a été arrêté et interrogé par les autorités soudanaises que durant une journée à son arrivée à Khartoum et aurait même perçu une aide financière des autorités locales pour monter un commerce.
59. Le requérant allègue, quant à lui, avoir fait l’objet d’une expulsion forcée vers le Soudan qu’il avait fui et vers lequel il ne voulait pas retourner.
60. La Cour note que le requérant était sous le coup d’un OQT exécutoire et était détenu en vue de son éloignement. Elle constate également, d’après le rapport de départ du requérant (paragraphe 27 ci‑dessus), que la procédure suivie s’apparentait techniquement à la phase initiale d’un retour forcé au cours de laquelle les policiers l’ont accompagné, sans présence ni information préalable de son avocat, jusqu’à l’avion dans lequel il a embarqué sans résistance (paragraphe 46 ci-dessus). Le rapport établi a posteriori par le CGRA tend à démontrer que cela correspondait en effet à la pratique des autorités belges lors de l’éloignement des Soudanais en septembre 2017 (paragraphe 49 ci-dessus). En outre, bien que le courriel rédigé par le « fonctionnaire retour » faisait état de ce que le requérant comprenait l’anglais (paragraphe 21 ci-dessus), il ressort des autres pièces figurant au dossier (paragraphes 6 et 10 ci-dessus) que le requérant ne maîtrisait en réalité que l’arabe, ce qui appuie l’argument selon lequel il n’a pas compris le document de « retour volontaire » rédigé en anglais qu’il a signé à l’aéroport sans l’assistance d’un interprète. Enfin, la Cour relève que le président du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles est parvenu à la même conclusion dans son ordonnance du 5 décembre 2017 quand il a souligné que l’OE avait abusé de la situation vulnérable du requérant résultant de sa privation de liberté pour lui faire consentir à un soi-disant retour volontaire.
61. Au regard de ces circonstances, la Cour ne voit aucune raison de douter que le départ du requérant n’a pas eu lieu sur une base volontaire. Le Gouvernement n’apporte d’ailleurs aucun élément démontrant que le requérant aurait renoncé de manière non équivoque, c’est-à-dire consciente et éclairée, à la protection conférée par l’article 3 de la Convention (voir mutatis mutandis la jurisprudence de la Cour sur le terrain de la renonciation aux garanties d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1: Murtazaliyevac. Russie [GC], no36658/05, § 117, 18 décembre 2018). À supposer même que les droits garantis par l’article 3 de la Convention puissent faire l’objet d’une renonciation, le requérant n’a en tout cas pas, en quittant la Belgique, renoncé à la protection qu’il tire de l’article 3 (voir, mutatis mutandis, M.S. c. Belgique, no 50012/08, § 123, 31 janvier 2012).
62. En tout état de cause, la Cour souligne que les faits à l’origine de la requête s’étaient déjà concrétisés lors du départ du requérant. Les circonstances postérieures au départ n’ont donc pas d’incidence sur la qualité de victime du requérant.
3. Conclusion
63. En conclusion, constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et n’est pas non plus irrecevable pour un autre motif, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
64. Le requérant se plaint que les autorités belges lui ont délivré un OQT et l’ont effectivement expulsé sans aucun examen préalable des risques qu’il encourait au Soudan. Or, il appartenait, selon lui, à l’OE d’examiner ces risques et la compatibilité d’une possible mesure d’éloignement avec le principe de non-refoulement indépendamment du fait qu’il s’était désisté de sa demande d’asile. Une telle approche a d’ailleurs ensuite été celle qui fut préconisée par l’arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2018, et suivie par l’OE (paragraphes 50 et 53 ci-dessus).
65. Le requérant soutient qu’il ne saurait lui être reproché de s’être désisté de sa demande d’asile étant donné les lacunes procédurales auxquelles il a dû faire face. Il fait valoir qu’il n’a pas reçu d’information utile dans une langue qu’il comprenait sur la procédure d’asile ni lors des interpellations par la police ni lors de son arrivée au centre fermé. De plus, s’il avait bénéficié en temps utile d’une assistance juridique, et d’un interprète, il aurait été en mesure d’évaluer les chances de succès d’une demande d’asile, et aurait bénéficié d’informations appropriées sur les garanties de confidentialité qu’offrait la procédure ainsi que sur les recours possibles devant le CCE. Au contraire, les autorités belges ont concentré leurs efforts, via les réseaux sociaux et les lieux stratégiques où se trouvaient les ressortissants soudanais, en vue de les dissuader de déposer une demande d’asile en Belgique, ce qui a créé un climat de méfiance envers les autorités belges et la procédure d’asile.
66. Le requérant explique qu’il n’avait aucun intérêt à se désister de sa demande d’asile et qu’il l’a fait immédiatement après l’annonce officielle de la collaboration entre les autorités belges et soudanaises car il craignait que les déclarations qu’il ferait soient transmises aux services secrets soudanais. Le refus du requérant de remplir les questionnaires rédigés en arabe qui lui ont été présentés dans le cadre du droit d’être entendu procède de la même méfiance envers les autorités d’asile belges. Il souligne que ces craintes se sont avérées fondées et que la pratique des autorités belges fut non seulement largement médiatisée mais également officiellement reconnue a posteriori par le CGRA (paragraphe 49 ci-dessus). Il estime par conséquent que son attitude vis-à-vis de la procédure d’asile belge ne saurait lui être reprochée.
67. Cela étant dit, le requérant soutient qu’il était notoire, à l’époque de son éloignement, que la situation générale au Soudan et en particulier dans la région du Darfour et dans celle du Kordofan du sud, d’où il dit être originaire, était à ce point problématique qu’il y avait un risque de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. De nombreux rapports internationaux en attestaient. Ainsi que cela ressort de l’évaluation de la situation au Soudan effectuée par le CGRA, cette situation était connue des autorités belges puisqu’elles accordaient d’office le statut de réfugié aux demandeurs d’asile soudanais d’ethnie non-arabe et octroyaient la protection subsidiaire aux ressortissants soudanais d’ethnie arabe originaires de ces régions et ne bénéficiant pas d’une alternative de fuite en raison de la situation de conflit armé qui y prévalait. La seule origine géographique du requérant aurait donc dû suffire pour établir les risques qu’il encourait.
68. Le requérant reproche en outre aux autorités belges qu’en le présentant à la mission d’information soudanaise, avant de mettre en exécution l’OQT, elles ont encore augmenté le risque qu’il encourait au regard de l’article 3 de la Convention. Cette collaboration a en effet permis aux autorités soudanaises de l’identifier grâce la transmission de ses données personnelles et de le rencontrer au centre fermé. Le requérant s’est ainsi retrouvé contraint, sans information préalable, de rencontrer seul des représentants du régime soudanais dont certains pouvaient avoir des liens avec les services de renseignement soudanais, augmentant le risque encouru d’être repéré et interrogé par ces services à son retour.
b) Le Gouvernement
69. Le Gouvernement estime que le requérant n’encourait pas de risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 lors de son éloignement vers le Soudan.
70. Ainsi que le CGRA l’a indiqué dans son rapport établi a posteriori, le Soudan n’est pas un pays où toute personne rapatriée est ipso facto confrontée à un risque réel et avéré de subir des traitements contraires à l’article 3. La situation prévalant au Soudan n’est pas une situation de violence généralisée ou de non-respect systématique des droits de l’homme au sens de la jurisprudence de la Cour. Deuxièmement, le requérant n’a jamais allégué avoir subi de mauvais traitements ni appartenir à une ethnie menacée ou aux catégories de la population qui sont particulièrement à risque au Soudan ni s’être impliqué dans des activités politiques susceptibles d’attirer l’attention des autorités soudanaises. Troisièmement, le requérant s’est désisté de sa demande d’asile, ce qui autorisait les autorités à considérer que l’intéressé lui-même, y compris après avoir été éclairé par son avocat, n’estimait pas être exposé à un risque en cas de retour au Soudan.
71. Le Gouvernement admet que les autorités avaient l’obligation d’examiner les conséquences prévisibles du renvoi du requérant vers le Soudan, compte tenu de la situation générale y prévalant et des circonstances propres à l’intéressé. Il estime toutefois que cet examen a eu lieu sur base de toutes les informations que les autorités connaissaient ou devaient connaître à l’époque.
72. Le Gouvernement reproche au requérant de ne pas avoir apporté le moindre commencement de preuve de l’existence d’un traitement inhumain ou dégradant en cas de retour au Soudan, que ce soit en raison de la situation générale ou de ses circonstances personnelles. Il estime que la simple déclaration de crainte de traitements inhumains et dégradants en cas de renvoi au Soudan faite par le requérant ne saurait pallier le refus qu’il a opposé de soumettre la véracité d’un récit à la vérification par les autorités d’asile compétentes et n’équivaut pas à un début de preuve susceptible de démontrer qu’il existe des raisons sérieuses de penser que, si la mesure était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger lesdits traitements.
73. Quant à l’identification du requérant par la mission d’information soudanaise en vue de la délivrance d’un laissez-passer, le Gouvernement estime qu’elle n’a pas pu avoir d’impact sur le risque allégué. La mission n’a en effet pas identifié le requérant comme une personne à risque et aucune des informations que le Gouvernement a pu recueillir sur sa situation après son retour n’indique qu’il aurait pu présenter un profil à risque ou que le risque aurait été exacerbé du fait de l’identification en Belgique. Au contraire, il ressort d’un rapport du CGRA sur les risques en cas de retour au Soudan que le requérant, après son arrivée à Khartoum, n’a jamais fait de déclaration sur des risques ou l’existence de mauvais traitements. Il ne démontre pas que son identification par les autorités soudanaises avant son rapatriement a eu le moindre impact sur les risques encourus lors de son retour au Soudan.
74. Le Gouvernement met en garde la Cour contre une jurisprudence qui contribuerait, d’une part, à faire apparaître une catégorie de ressortissants étrangers en situation irrégulière à l’égard desquels il serait impossible d’envisager tant l’octroi d’un statut de protection internationale car ils refusent de demander l’asile, qu’un retour dans leur pays d’origine car ils allèguent provenir d’un pays à risque, et d’autre part, à la mettre dans la situation d’une juridiction de première instance d’asile.
c) Observations de la Ligue des droits de l’homme, tiers-intervenant
75. La LDH affirme que la situation de violation systématique et constante des droits de l’homme au Soudan en 2017 était connue des autorités belges. Il était aussi connu que le fait qu’une personne ayant quitté le pays sans visa et avec un faux passeport était passible d’une amende et/ou d’une peine d’emprisonnement. La menace de subir des mauvais traitements qui pesait sur les migrants en cas de retour au Soudan de par la situation qui y prévalait a été largement amplifiée par leur identification par le régime soudanais qui a été mis en mesure par les autorités belges elles-mêmes, en dehors de toute procédure, de repérer ses contradicteurs, de les ficher et de faciliter leur oppression. Cette situation a faussé la répartition de la charge de la preuve du risque encouru entre les demandeurs de protection internationale et les autorités, les premiers ayant été placés dans une situation de méfiance totale à l’égard des secondes. Dans ces conditions, un examen rigoureux et préalable des risques prévisibles de traitement contraire à l’article 3 aurait dû être effectué pour dissiper tout doute à ce sujet indépendamment de l’introduction d’une demande d’asile, et s’il y avait lieu, la suspension des expulsions vers le Soudan aurait dû être décidée.
76. L’organisation tiers-intervenante explique que le retour volontaire, quand il était organisé à partir des lieux de détention, a été très problématique et s’apparentait en réalité à un retour forcé. De nombreux témoignages relatent qu’il a été dit aux migrants soudanais en détention que leur éloignement était inéluctable, qu’ils n’avaient aucune chance d’être libérés, que la seule alternative était le retour volontaire qui permettait d’éviter l’escorte policière jusqu’au pays. À cela s’ajoute l’absence d’encadrement procédural (ni avocat, ni interprète) et la rapidité avec laquelle les rapatriements ont été organisés, ne laissant aucune possibilité réaliste d’obtenir un véritable consentement.
2. Appréciation de la Cour
a) Rappel des principesgénéraux
77. à titre préliminaire, la Cour tient à souligner qu’elle se garde de sous-estimer les difficultés liées au phénomène de la transmigration qui impliquent, ainsi que le Gouvernement défendeur le fait valoir, des complications particulières en termes d’immigration irrégulière pour des États contractants situés aux frontières maritimes de l’Europe. Toutefois, elle ne peut que réitérer sa jurisprudence bien établie, selon laquelle, vu le caractère absolu de l’article 3 de la Convention, de tels facteurs ne peuvent exonérer les État contractants de leurs obligations au regard de cette disposition (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 223, CEDH 2011, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 184, 15 décembre 2016).
78. La Cour rappelle que, dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un étranger, elle se garde d’examiner elle-même les demandes de protection internationale ou de vérifier la manière dont les États contrôlent l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Ce sont en effet les autorités nationales qui sont responsables au premier chef de la mise en œuvre et de la sanction des droits et libertés garantis et qui sont, à ce titre, tenues d’examiner les craintes exprimées par les requérants et d’évaluer les risques qu’ils encourent en cas de renvoi dans le pays de destination au regard de l’article 3. Cela résulte du principe de subsidiarité qui est à la base du système de la Convention (Paposhvili c. Belgique [GC], no 41738/10, § 184, 13 décembre 2016, et références citées) et auquel se réfère le Gouvernement (voir paragraphe 55).
79. Concernant la charge de la preuve dans les affaires d’expulsion, il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 ; et lorsque de tels éléments sont soumis, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à ce sujet (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 129, CEDH 2008, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 120, 23 mars 2016, et J.K. et autres c. Suède [GC], no59166/12, § 91, 23 août 2016).
80. En réalité, l’obligation d’établir et d’évaluer tous les faits pertinents de la cause pendant la procédure d’asile est partagée entre le demandeur d’asile et les autorités chargées de l’immigration (J.K. et autres c. Suède, précité, § 96).
81. Le demandeur d’asile est normalement la seule partie à pouvoir fournir des informations sur sa situation personnelle. Sur ce point, la charge de la preuve doit donc en principe reposer sur l’intéressé, lequel doit présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments relatifs à sa situation personnelle qui sont nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale (J.K. et autres c. Suède, précité, § 96 ; voir égalementF.G. c. Suède, précité, § 125). Eu égard toutefois au caractère absolu des droits garantis par les articles 2 et 3 de la Convention, et à la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, si un État contractant est informé de faits, relatifs à un individu donné, propres à exposer celui-ci à un risque de mauvais traitements contraires auxdites dispositions en cas de retour dans le pays en question, les obligations découlant pour les États des articles 2 et 3 de la Convention impliquent que les autorités évaluent ce risque d’office. Cela vaut spécialement pour les situations où il a été porté à la connaissance des autorités nationales que le demandeur d’asile fait vraisemblablement partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements et qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de la pratique en question et à son appartenance au groupe visé (F.G. c. Suède, précité, § 127).
82. En ce qui concerne l’évaluation de la situation générale régnant dans un pays donné, les autorités nationales qui examinent une demande de protection internationale ont pleinement accès aux informations. Pour cette raison, la situation générale dans un autre pays doit être établie d’office par les autorités nationales compétentes en matière d’immigration (J.K. et autres c. Suède, précité, § 98 ; voir également F.G. c. Suède, précité, § 126).
b) Application des principesenl’espèce
83. En l’espèce, le requérant a pénétré le territoire belge de façon irrégulière afin de rejoindre le Royaume-Uni. Il n’avait dans un premier temps aucune intention de demander l’asile en Belgique.Force est toutefois de constater qu’une fois arrêté par la police belge et placé en rétention en centre fermé en vue de son éloignement, il a changé de stratégie. Dans ce contexte, dès sa première arrestation, le requérant a informé la police belge qu’il était originaire du Soudan ; il a ensuite déclaré dès son arrivée au centre fermé, dans le cadre du droit d’être entendu, qu’il avait fui ce pays en raison de la situation qui y régnait et du fait qu’il y était recherché. Ces brefs éléments ont été formalisés dans une demande d’asile (paragraphes 8, 10 et 14 ci-dessus).
84. La Cour relève en outre que, le requérant, invoquant l’article 3 de la Convention, a fait valoir que la situation au Soudan s’opposait à son éloignement dans le cadre de la requête unilatérale qu’il a déposée le 12 octobre 2017 devant le président du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles pour empêcher son retour, fixé au lendemain, avant que les procédures de mise en liberté ne soient arrivées à terme (paragraphe 26 ci-dessus).
85. Il y a donc lieu de considérer que le requérant a exprimé ses craintes auprès des autorités belges avant son éloignement.
86. Quant à la circonstance que le requérant n’a pas poursuivi la procédure d’asile, la Cour rappelle qu’eu égard au caractère absolu de la protection offerte par l’article 3 de la Convention, elle ne constitue pas en soi un argument pour exonérer l’État défendeur de ses obligations de ne pas procéder à un éloignement sans avoir procédé à un examen préalable des risques au regard de cette disposition.
87. C’est dans ce cadre que se situent les griefs, d’ordre procédural, du requérant au regard de l’article 3 de la Convention. Il se plaint d’avoir été éloigné par les autorités belges vers le Soudan, pays qu’il a fui, sans un examen préalable des risques qu’il encourait au regard de l’article 3 de la Convention. Il allègue également que les autorités internes ont aggravé les risques qu’il encourait au Soudan en organisant une mission d’identification avec les autorités soudanaises.
88. Dans une affaire de ce type, la Cour considère que sa tâche n’est pas d’établir elle-même si le requérant encourait un risque réel de mauvais traitements au Soudan (paragraphe 78 ci-dessus), mais qu’elle doit chercher à déterminer, compte tenu des faits de la cause et des griefs que soulève le requérant relativement à la démarche des autorités belges qu’il estime défaillante, si les autorités ont tenu compte, d’office et de manière appropriée, des informations générales disponibles sur le Soudan, et si le requérant s’est vu offrir une possibilité suffisante de demander la protection internationale en Belgique et d’exposer sa situation personnelle (voir,mutatis mutandis, dans une affaire concernant l’expulsion d’étrangers vers un pays tiers considéré un pays tiers sûr, Ilias et Ahmed c. Hongrie [GC], no 47287/15, § 148, 21 novembre 2019). Elle sera également amenée à examiner le grief du requérant selon lequel les autorités belges auraient aggravé sa situation avec la mission d’identification.
89. S’agissant des informations générales sur la situation au Soudan, s’il est vrai, comme le souligne le Gouvernement, que la Cour n’a jamais identifié le Soudan comme un pays où toute personne rapatriée est ipso facto confrontée à un risque réel et avéré de subir des traitements contraires à l’article 3, force est de constater avec le requérant qu’à l’époque litigieuse, il était notoire que la situation des droits de l’homme au Soudan était problématique, et que, pour cette raison, les autorités belges accordaient la protection internationale à un grand nombre de Soudanais, en particulier ceux provenant de la région du Kordofan du Sud d’où le requérant soutient venir (paragraphe 49 ci-dessus). Dans ces conditions, il semble difficile de soutenir, comme le fait le Gouvernement, que l’existence d’un risque sérieux et avéré dans le chef du requérant devait être écarté.
90. Pour autant, la Cour note que l’OQT qui a été notifié au requérant le 18 août 2017 ne contenait aucune mention de la situation au Soudan ni, a fortiori, du risque éventuel au regard de l’article 3. Il en est de même des OQT qui lui avaient été notifiés auparavant.
91. Le Gouvernement s’appuie sur l’évaluation faite par le CGRA de la situation générale au Soudan et de la situation des ressortissants soudanais concernés après leur retour pour faire valoir qu’il ne se justifiait pas de procéder autrement. La Cour note toutefois que le rapport du CGRA a été publié postérieurement à l’éloignement du requérant et rappelle que le fait de constater a posteriori que l’intéressé ne courrait pas de risques dans son pays d’origine, ne peut servir à exonérer rétrospectivement l’État de ses obligations procédurales dans le cadre d’un éloignement (voir, mutatis mutandis, Ilias et Ahmed, précité, § 137).
92. En ce qui concerne, ensuite, la question de savoir si le requérant a eu une possibilité réelle et effective d’exposer les risques personnels qu’il encourait en cas de retour au Soudan, la Cour rappelle qu’il a fait état de ses craintes à plusieurs reprises : au moment de son arrestation, lors de sa rencontre avec le fonctionnaire du centre dans le cadre du droit d’être entendu ainsi que dans le formulaire par lequel il a déclaré introduire une demande d’asile (paragraphe 83 ci-dessus).
93. Le Gouvernement estime toutefois que le requérant est resté en défaut de fournir à l’OE des éléments suffisamment étayés à ce sujet, alors même que toutes les informations utiles sur la procédure d’asile lui ont été fournies dans une langue qu’il comprenait, qu’il a bénéficié d’un avocat et a été entendu par les fonctionnaires du centre ou de l’OE à plusieurs reprises avant son éloignement.
94. La Cour rappelle qu’en ce qui concerne l’établissement, dans le cadre d’une procédure d’asile, des risques individuels encourus dans le pays de destination, la charge de la preuve repose en principe sur le demandeur (paragraphe 81 ci-dessus).
95. Toutefois, les règles relatives à la charge de la preuve entre les parties ne doivent pas vider de leur substance les droits des requérants protégés par l’article 3 de la Convention. Il est également important de tenir compte des obstacles pratiques qu’un étranger peut rencontrer pour accéder à la procédure d’asile (J.K. et autres c. Suède, précité, § 97).
96. Or en l’espèce le requérant se plaint précisément que l’absence d’encadrement procédural auquel il a fait face ne lui a laissé aucune perspective réaliste d’accéder à la procédure d’asile et donc d’étayer ses craintes personnelles.
97. Le requérant allègue premièrement n’avoir reçu aucune information sur les procédures à suivre dans une langue qu’il comprenait. Les parties divergent à cet égard sur le point de savoir si la brochure d’information sur les procédures et les recours qui a été distribuée au requérant au centre fermé était rédigée en arabe. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu de se prononcer plus avant sur cette question et qu’il lui suffit de constater que ladite brochure ne contenait que des informations procédurales sur la détention mais aucune sur la procédure d’asile, ni sur les recours en matière d’éloignement.
98. Le requérant soutient ensuite que, s’il avait eu accès à un avocat durant les premières semaines de sa détention, il aurait été en mesure d’évaluer sa situation sur le terrain de l’asile. Or il indique n’avoir rencontré un avocat qu’une seule fois, le 30 septembre 2017, à l’initiative d’une association d’aide aux réfugiés, soit bien après son désistement.
99. Sans mettre en doute la bonne foi du Gouvernement qui explique qu’à son arrivée au centre le requérant a reçu toutes les informations utiles pour prendre contact avec un avocat et que, conformément à la procédure suivie, un avocat pro deo a été désigné, la Cour attache plus de poids à la version du requérant. D’une part, aucun élément du dossier ne vient attester que le requérant aurait rencontré un avocat au cours des premières semaines de sa rétention. D’autre part, la version du requérant se trouve corroborée par les déclarations consignées dans le formulaire de désistement (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour tient également compte du constat fait par le CGRA selon lequel seule une partie des dix Soudanais concernés ont effectivement bénéficié d’un avocat (paragraphe 49 ci-dessus).
100. La Cour estime que ces circonstances ont sans aucun doute représenté des obstacles de nature à expliquer l’attitude procédurale peu cohérente du requérant. Elle relève en outre dans le dossier de presse soudanaise fourni par le requérant que l’annonce de la collaboration entre les autorités belges et les autorités soudanaises a commencé à circuler au moment où le requérant a déposé sa demande d’asile (paragraphes 14-15 ci‑dessus), ce qui rend plausible le sentiment de méfiance à l’égard des autorités d’asile belges qu’il invoque et le désistement qui a suivi.
101. Le Gouvernement fait en outre valoir qu’indépendamment de la procédure d’asile, le requérant a eu l’opportunité de faire état de ses craintes lors de ses rencontres, dans le cadre du droit d’être entendu avant l’éloignement, avec un fonctionnaire du centre ou de l’OE.
102. La Cour note toutefois qu’à l’occasion de l’entretien organisé au moment de l’arrivée du requérant au centre fermé, aucun interprète officiel n’était présent alors qu’il était avéré qu’il ne comprenait que l’arabe (paragraphe 60 ci-dessus), et qu’un codétenu a traduit les déclarations du requérant de l’arabe vers l’anglais. De plus, il apparaît du formulaire qui a été rempli sur base de ces déclarations que seules des questions générales sur les risques auxquels le requérant pouvait être confronté en cas de retour lui ont été posées, sans aucune référence ou question concernant la région d’origine, l’origine ethnique ni les raisons d’avoir quitté le Soudan (paragraphe 10 ci-dessus). La brièveté des éléments fournis par le requérant peut donc s’expliquer par le caractère vague voire lacunaire des questions posées, sans interprète, comme cela a été le cas, selon le CGRA, pour les autres Soudanais concernés (paragraphe 49 ci-dessus).
103. Le refus opposé par le requérant de remplir un questionnaire plus précis sur les risques encourus dans le cadre du second entretien avec un fonctionnaire du centre ne vient pas modifier ce constat étant donné qu’il est intervenu après la mission d’identification dans un contexte de méfiance exacerbée à l’égard des autorités (paragraphes 15 et 21 ci-dessus).
104. Eu égard à ce qui précède, la Cour est d’avis que l’évaluation faite par l’OE – sans égard à la situation générale au Soudan et sur base des seuls éléments fournis par le requérant – sur laquelle s’appuie le Gouvernement pour dire qu’il n’existait pas de risque réel en cas d’éloignement au Soudan ne saurait passer pour un examen préalable suffisant des risques encourus au regard de l’article 3 de la Convention.
105. Au contraire, il y a lieu de considérer que si les conditions d’une perspective réaliste d’accéder à la protection internationale avaient été mises en place, le requérant aurait été en mesure de poursuivre sa démarche et les instances d’asile belges en mesure d’évaluer les risques réellement encourus par le requérant préalablement à son éloignement. La Cour ne perd pas de vue que cet examen aurait pu les amener à conclure que le récit du requérant de risques de mauvais traitements au Soudan n’était pas convaincant, et qu’une telle conclusion aurait pu être confirmée, comme le fait valoir le Gouvernement, par le fait que le requérant n’a effectivement subi aucun mauvais traitement au Soudan jusqu’à présent. Toutefois, ce n’est pas à la Cour mais aux autorités internes à procéder à une telle évaluation (voir, mutatis mutandis, M.S. c. Slovaquie et Ukraine, no 17189/11, § 128, 11 juin 2020).
106. Reste à examiner l’allégation du requérant selon laquelle l’organisation par les autorités belges de son identification par des agents de l’ambassade soudanaise et la mission d’identification venue du Soudan a été de nature à augmenter le risque qu’il encourait au regard de l’article 3 de la Convention.
107. La Cour est d’accord avec le Gouvernement pour considérer que l’organisation d’une mission d’identification avec des personnes qui représentent les autorités du pays d’origine en vue de la délivrance d’un laissez-passer à des ressortissants étrangers qui, comme le requérant, ne possèdent pas de documents de voyage n’est pas problématique en soi au regard de la Convention.
108. Toutefois, la Cour estime que les conditions dans lesquelles s’est déroulée l’identification en l’espèce posent question.
109. Le requérant fait valoir, sans être contredit par le Gouvernement, qu’il n’avait pas été informé préalablement qu’un tel entretien aurait lieu, et qu’il s’est retrouvé seul à l’entretien. Ce dernier point fait divergence entre les parties, le Gouvernement indiquant qu’un fonctionnaire de l’OE était présent. Quand bien même cette dernière version, corroborée par le rapport du CGRA (paragraphe 49 ci-dessus), correspondait à la réalité, la Cour relève dans ce même rapport que ledit fonctionnaire ne se trouvait pas nécessairement à proximité du lieu de l’entretien, et en général ne maîtrisait pas l’arabe, langue dans laquelle étaient menés les entretiens.
110. Ces éléments montrent à la Cour que l’identification du requérant –qui n’avait pas été précédée d’un examen par les autorités belges de ses besoins de protection – n’a pas non plus été entourée de garanties procédurales suffisantes. Elle relève que ce constat est également celui que le CGRA a dressé dans son rapport établi a posteriori (paragraphe 49 ci‑dessus).
111. En conclusion, au regard des différentes lacunes identifiées ci-dessus, la Cour estime qu’il y a eu une violation de l’article 3 de la Convention.
112. La Cour prend note de la mise en place, postérieure à l’éloignement du requérant, d’une pratique de « demande implicite de protection internationale » permettant au CGRA d’examiner, à l’initiative de l’OE, la situation de personnes qui ne demandent pas l’asile en Belgique (paragraphe 50 ci-dessus). Cette pratique semble a priori susceptible de permettre un examen préalable suffisant des risques encourus par ces personnes.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE l’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
113. Le requérant se plaint également de ne pas avoir disposé d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs tirés de l’article 3 et invoque l’article 13 de la Convention qui se lit comme suit :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
114. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
115. Le requérant soutient que l’État belge ayant entravé de manière injustifiée son accès à la procédure d’asile par divers obstacles procéduraux, il n’a pas non plus disposé des informations nécessaires dans une langue qu’il comprenait ni des conseils éclairés permettant d’avoir un accès effectif aux recours existants que ce soit en matière d’asile ou d’éloignement du territoire.
116. Le requérant se plaint en outre qu’en l’expulsant avant l’audience de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Louvain, alors que le président du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles avait, par ordonnance du 12 octobre 2017, interdit de le rapatrier avant une décision définitive sur la mesure privative de liberté, l’État belge l’a privé d’un recours de droit suspensif effectif.
117. Le Gouvernement fait valoir que le système belge offrait au requérant des recours effectifs – une demande d’asile ou de protection subsidiaire (qui aurait eu un effet suspensif de toute mesure d’éloignement) et des recours contre les OQT – dont il a délibérément choisi de ne pas faire usage. Il a, au contraire, suivi d’autres voies – une requête de mise en liberté (devant la chambre du conseil) suivie d’une requête unilatérale y relative (devant le président du tribunal de première instance) – alors qu’elles étaient inadaptées à sa situation personnelle et inadéquates.
118. Le Gouvernement estime en outre qu’en signant la déclaration de retour volontaire, le requérant s’est désisté explicitement de l’avantage résultant de l’ordonnance interdisant son expulsion.
2. Appréciation de la Cour
119. En ce qui concerne le point de savoir si le requérant a disposé d’un accès effectif aux recours existants contre un refoulement arbitraire, la Cour estime qu’eu égard au raisonnement qui l’a conduite à conclure à la violation de l’article 3 de la Convention en l’espèce (paragraphes 83-112 ci‑dessus), il n’y a rien qui justifie un examen séparé des mêmes faits et griefs sous l’angle de l’article 13 de la Convention (voir, par exemple, M.D. et M.A. c. Belgique, no 58689/12, § 70, 19 janvier 2016, et M.S. c. Slovaquie et Ukraine, précité, § 131).
120. S’agissant ensuite de l’allégation du requérant selon laquelle il n’a pas bénéficié d’un recours suspensif de son éloignement, la Cour constate avec le Gouvernement que la voie de la requête de mise en liberté empruntée par le requérant n’était à l’évidence pas la voie naturelle pour demander que les autorités sursoient à son éloignement. Toutefois, il y a également lieu de noter qu’en interdisant d’éloigner le requérant aussi longtemps qu’il n’y avait pas de décision définitive sur la légalité de la détention, le président du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a lié la possibilité de rapatriement du requérant à l’issue de la procédure sur la légalité de la détention (paragraphe 26 ci-dessus).
121. C’est cette combinaison de recours – la requête de mise en liberté combinée avec la saisine du président du tribunal de première instance statuant en référé –, qui offrait au requérant une protection contre un éloignement arbitraire, du moins temporairement. La décision du président étant exécutoire et donc contraignante pour l’État, nonobstant sa tierce‑opposition, le requérant était en droit d’en attendre le respect conformément à l’article 13 de la Convention.
122. Or, le requérant se plaint que cette décision n’a pas été effective en pratique puisque les autorités belges ont procédé à son éloignement malgré l’interdiction qui leur en était faite.
123. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement, la Cour est d’avis, comme elle l’a souligné plus haut (paragraphe 61), que le requérant ne saurait être considéré avoir volontairement quitté la Belgique. Il en va a fortiori de même de la renonciation à la protection que lui offrait la décision en référé, imposant aux autorités belges de surseoir à son éloignement.
124. Ce constat est conforté par la rapidité avec laquelle les autorités belges ont agi le lendemain de l’ordonnance du 12 octobre 2017 interdisant l’éloignement du requérant. Dans la même journée, l’OE a annulé le renvoi fixé le matin pour le retour du requérant, tout en organisant son transfert à l’aéroport et la signature de ladite déclaration, a programmé un nouveau retour, et l’a embarqué sur ce vol quelques heures après. Cet enchaînement vient à l’appui de la thèse du requérant selon laquelle les autorités belges ont délibérément agi en dépit de l’interdiction, pourtant exécutoire, et ont montré leur détermination à l’éloigner avant qu’une décision soit prise sur sa détention. La Cour note que cette thèse est également celle suivie par le président du tribunal de première instance dans son jugement du 5 décembre 2017, certes non définitif, sur la tierce-opposition de l’État belge contre l’ordonnance précitée (paragraphe 33 ci-dessus).
125. Ces considérations amènent la Cour à considérer qu’à défaut pour les autorités belges d’avoir sursis à l’éloignement du requérant conformément à l’interdiction qui leur en était faite, elles ont privé les recours qu’il avait initiés avec succès de leur effectivité au mépris de l’article 13 combiné avec l’article 3de la Convention.
III. SUR la VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’Article 6 § 1 DE LA CONVENTION
126. Le requérant se plaint que l’État a enfreint l’interdiction d’éloignement ordonnée le 12 octobre 2017 par le président du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles. Il invoque une violation de l’article 6 § 1 de la Convention qui, en ses passages pertinents, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »
127. Le Gouvernement soutient que le non-respect de l’ordonnance précitée ne saurait être reproché aux autorités belges étant donné que le requérant avait renoncé à s’en prévaloir en signant la déclaration de départ volontaire qui lui avait été présentée à l’aéroport.
128. Eu égard au constat de violation auquel elle est parvenue sous l’angle de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3, et compte tenu de l’ensemble des faits de la cause et des arguments des parties, la Cour estime qu’il ne s’impose pas de statuer séparément sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, pour une approche similaire, Kamil Uzun c. Turquie, no 37410/97, § 64, 10 mai 2007, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, 17 juillet 2014).
IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION
129. Enfin, le requérant se plaint que sa détention n’était pas conforme à l’article 5 de la Convention dont les paragraphes pertinents sont ainsi formulés :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(…)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
(…)
4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
130. Le requérant se plaint que sa détention n’était pas régulière au sens de l’article 5 § 1 f) du fait que la décision d’éloignement qu’elle devait mettre à exécution ne répondait pas aux exigences de l’article 3 de la Convention.
131. La Cour constate qu’en droit belge, la Cour de cassation considère que la compatibilité d’un éloignement avec l’article 3 de la Convention est un élément d’appréciation de la légalité de la privation de liberté (paragraphe 53 ci-dessus).
132. La Cour rappelle toutefois sa jurisprudence constante selon laquelle, en vertu de l’article 5 § 1 f) de la Convention, il importe peu que la décision d’expulsion sous-jacente puisse être justifiée au regard du droit interne ou de la Convention (voir Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil 1996‑V, M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, § 63, 26 juillet 2011, et plus récemment, KahadawaArachchige et autres c. Chypre, nos16870/11 et 2 autres, § 58, 19 juin 2018).
133. Sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se plaint, en substance, que la procédure de mise en liberté qu’il a mise en mouvement n’a pas eu d’effet suspensif de la mesure d’éloignement.
134. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence, les recours prévus dans le cadre de l’article 5 § 4 ne doivent pas nécessairement avoir un tel effet à l’égard de privations de liberté relevant de l’article 5 § 1 f) (A.M. c. France, no 56324/13, § 38, 12 juillet 2016).
135. Ces griefs sont donc manifestement mal fondés et doivent être déclarés irrecevables au sens de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
136. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
137. Le requérant n’a pas présenté de demande au titre de la satisfaction équitable. En conséquence, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare les griefs relatifs aux articles 3 et 13 de la Convention recevables et les griefs relatifs à l’article 5 §§ 1 et 4 irrecevables ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait des lacunes procédurales dont se sont rendues responsables les autorités préalablement à l’éloignement du requérant vers le Soudan ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention à défaut pour les autorités belges d’avoir sursis à l’éloignement du requérant conformément à l’interdiction qui leur en était faite ;
4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief relatif à l’article 13 combiné avec l’article 3 et tiré de l’absence d’un accès effectif aux recours existants contre un refoulement arbitraire ;
5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le bien-fondé du grief formulé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 octobre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan Blaško Georgios A. Serghides
Greffier Président
Dernière mise à jour le novembre 9, 2020 par loisdumonde
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