Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 250
Avril 2021
Venken et autres c. Belgique – 46130/14, 76251/14, 42969/16 et al.
Arrêt 6.4.2021 [Section III]
Article 34
Victime
Réparation d’un montant suffisant couvrant l’intégralité de la période de l’internement des requérants dans l’annexe psychiatrique d’une prison : irrecevable
Article 3
Traitement dégradant
Internement d’aliénés délinquants pendant une période significative dans l’annexe psychiatrique d’une prison sans espoir de changement et sans encadrement médical approprié : violation
En fait – Les requérants ont été internés dans l’aile psychiatrique de prisons ordinaires dans lesquelles ils allèguent ne pas avoir bénéficié d’une prise en charge thérapeutique adaptée à leur état de santé mentale et ne pas avoir eu à leur disposition un recours effectif.
Les requérants séjournent désormais tous dans un établissement a priori adapté à leur état de santé mentale dans lequel ils ne contestent pas recevoir un traitement approprié.
En droit – Articles 3 (volet matériel) et 5 § 1
1. Procédure pilote et développements ultérieurs – Dans son arrêt pilote W.D. c. Belgique de 2016, la Cour a encouragé l’État belge à agir dans les deux ans afin de réduire le nombre de criminels ou délinquants souffrant de troubles mentaux qui sont internés, sans encadrement thérapeutique adapté, au sein des ailes psychiatriques des prisons.
La mise en œuvre des mesures prises par les autorités ont permis une réduction importante du nombre d’internés détenus en milieu pénitentiaire. De nombreuses places en dehors des établissements pénitentiaires ont été créées au cours des cinq dernières années dont l’ouverture de deux centres de psychiatrie légale. La prise en charge des internés y semble, d’après le plus récent rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), satisfaisante. La Cour n’a d’ailleurs pas été saisie, au jour de l’adoption du présent arrêt, de requêtes mettant en cause ces centres pour leurs conditions de détention ou leur cadre thérapeutique.
Toutefois, au 1er décembre 2019, un nombre non négligeable d’internés se trouvait toujours détenu en prison dans des conditions inappropriées. La Cour doit dès lors inciter l’État défendeur à confirmer cette tendance positive en poursuivant ses efforts pour résoudre définitivement le problème litigieux et garantir à chaque personne internée des conditions de vie compatibles avec la Convention.
2. Recevabilité
a) Les recours étaient-ils susceptibles de pouvoir ôter la qualité de victime aux requérants ?
Un recours compensatoire est en principe suffisant pour redresser la violation alléguée lorsque, comme en l’espèce, les requérants ne sont plus, au moment de l’examen par la Cour, internés dans des conditions qu’ils estiment contraires à la Convention et que se pose la question du maintien de leur qualité de victime.
Cependant, un recours préventif effectif est exigé pour les personnes se trouvant encore dans des conditions contraires aux articles 3 et 5 § 1, c’est-à-dire un recours susceptible de redresser la situation dénoncée et d’empêcher la continuation des violations alléguées. Dès lors, dans la mesure où, lors de l’introduction de leur requête, les requérants se trouvaient toujours dans les conditions litigieuses, la Cour examinera séparément la question de l’effectivité du recours préventif qu’ils avaient à leur disposition, aux fins des articles 5 § 4 et 13 de la Convention.
b) Les autorités ont-elles reconnu les violations de la Convention ?
Les juridictions internes ont reconnu explicitement la violation de la Convention pour tous les requérants et en ont déduit que l’État avait commis une faute au sens de l’article 1382 du code civil.
c) Les requérants ont-ils obtenu une réparation adéquate et suffisante ?
i. La réparation couvrait-elle l’intégralité de la période dénoncée ?
α. MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen (les requérants) – Les juridictions internes ont appliqué un délai de prescription de cinq ans en considérant que la créance à laquelle les requérants pouvaient prétendre naissait chaque jour à nouveau et faisait courir le délai de prescription. Or, l’application du délai de prescription n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour. Si les requérants ont parfois fait l’objet d’une mise en liberté à l’essai pendant de courtes périodes dans des établissements externes, ils ont à chaque fois été réincarcérés. La durée de leur séjour dans les ailes psychiatriques de prison a largement excédé la durée raisonnable pour leur placement dans un établissement approprié. Dès lors, dans la mesure où ils n’ont à aucun moment fait l’objet d’une mise en liberté définitive et que leur statut d’interné n’a pas changé, les périodes de privation de liberté consécutives doivent être considérées comme un tout, et donc comme une violation continue.
Exiger des requérants qu’ils aient introduit un recours indemnitaire avant la cessation de la violation continue alléguée leur aurait imposé une charge procédurale excessive. Une telle exigence ne tiendrait pas compte de la vulnérabilité des personnes internées du fait de leur état de santé mentale et de leur privation de liberté, et du fait qu’au moment où les requérants étaient détenus dans les conditions dénoncées, leur préoccupation principale était de faire évoluer lesdites conditions en demandant leur transfert vers un établissement approprié ou leur mise en liberté.
Aussi, pendant la durée de la privation de liberté dans des conditions incompatibles avec la Convention, seul un recours préventif permettant de mettre fin à la situation dénoncée pouvait passer pour être effectif.
Ainsi, dès lors que la réparation accordée par les juridictions internes aux requérants ne couvre pas l’intégralité de la période de violation continue litigieuse, ils n’ont pas perdu la qualité de victime.
β. MM. Venken et Clauws – Les requérants ont obtenu une réparation pour l’intégralité de la période pour laquelle ils ont demandé une indemnisation. Il y a donc lieu de vérifier si le montant de la réparation qu’ils ont reçue était adéquat et suffisant.
ii. Le montant de la réparation était-il adéquat et suffisant ?
Une large marge d’appréciation doit être laissée aux autorités nationales au sujet de l’évaluation du montant de l’indemnisation. Celle-ci doit être effectuée de façon cohérente avec leur propre système juridique et leurs traditions et compte tenu du niveau de vie du pays même si cela aboutit à l’octroi de sommes inférieures à celles fixées par la Cour dans des affaires similaires.
La Cour doit également prendre en compte les mesures prises par les autorités pour mettre un terme au problème structurel dénoncé, ces mesures ayant en l’espèce profité aux requérants.
Tenant compte de ces éléments, de la durée des situations litigieuses, des montants octroyés par la Cour dans les affaires similaires et des circonstances de l’espèce, le montant de 1 250 EUR par année de détention dans des conditions contraires à la Convention n’est pas déraisonnable. Il en résulte que M. Venken, ayant reçu 1 250 EUR par année de détention dans des conditions contraires à la Convention, et M. Clauws, ayant reçu plus de 2 000 EUR par année de détention dans les conditions dénoncées, ont obtenu un redressement adéquat et suffisant pour les violations qu’ils ont subies.
Enfin, le partage des frais de procédure à part égale entre les parties a été décidé par le tribunal en tenant compte de tous les éléments de la cause, notamment du fait que M. Clauws n’avait que partiellement obtenu gain de cause et qu’il avait bénéficié de l’aide juridique. La Cour n’y décèle aucune charge disproportionnée.
Conclusion : irrecevable (incompatibles ratione personae) (MM. Venken et Clauws).
Conclusion : exception préliminaire rejetée (qualité de victime) (MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen)
3. Fond
À l’instar des affaires précédemment connues par la Cour, le maintien en aile psychiatrique de MM. Rogiers, Neirynck et Van Zandbergen sans espoir réaliste d’un changement, sans encadrement médical approprié et pendant une période significative a eu pour effet de rompre le lien entre le motif de leur détention et le lieu et les conditions de leur détention. Cela a également constitué une épreuve particulièrement pénible les ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérente à la détention.
Par ailleurs, lors de sa dernière visite périodique en Belgique en 2017, le CPT a relevé que les ailes psychiatriques pénitentiaires souffraient toujours de ces problèmes systémiques bien connus.
Conclusion : violation (unanimité).
Concernant l’existence d’un recours effectif en pratique susceptible de redresser la situation dont les requérants sont victimes et d’empêcher la continuation des violations alléguées, la Cour a aussi conclu, à l’unanimité à la violation de l’article 5 § 4 à l’égard de M. Venken ; à la violation des articles 5 § 4 et 13 combiné avec l’article 3 à l’égard de MM. Rogiers et Neirynck ; et par six voix contre une, à la non-violation des articles 5 § 4 et 13 combiné avec l’article 3 à l’égard de MM. Clauws et Van Zandbergen.
Les requêtes similaires aux présentes ont été ajournées pendant le délai octroyé par la Cour dans l’arrêt pilote W.D. c. Belgique. La Cour estime opportun de poursuivre leur examen au regard des principes établis dans le présent arrêt dès qu’il sera devenu définitif.
Article 41 : 2 500 EUR à M. Venken, 6 100 EUR à M. Rogiers, 6 900 EUR à M. Neirynck et 16 200 EUR à M. Van Zandbergen pour préjudice moral.
(Voir aussi W.D. c. Belgique, 73548/13, 6 septembre 2016, Résumé juridique ; Rooman c. Belgique [GC], 18052/11, 31 janvier 2019, Résumé juridique ; Ulemek c. Croatie, 21613/16, 31 octobre 2019, Résumé juridique ; J.M.B. et autres c. France, 9671/15 et al., 30 janvier 2020, Résumé juridique ; Shmelev et autres c. Russie (déc.), 41743/17 et al., 17 mars 2020, Résumé juridique ; Barbotin c. France, 25338/16, 19 novembre 2020, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le avril 8, 2021 par loisdumonde
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