Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 249
Mars 2021
Bivolaru et Moldovan c. France – 40324/16 et 12623/17
Arrêt 25.3.2021 [Section V]
Article 3
Traitement dégradant
Traitement inhumain
Remise d’un requérant aux autorités roumaines en exécution d’un mandat d’arrêt européen en présence d’un risque réel de mauvaises conditions de détention : violation
Remise d’un requérant, reconnu réfugié par les autorités suédoises, aux autorités roumaines en exécution d’un mandat d’arrêt européen en l’absence d’un risque réel de persécution et de mauvaises conditions de détention : non-violation
En fait – L’autorité judiciaire d’exécution (AJE) française a exécuté deux mandats d’arrêt européen (MAE) et a remis, à ce titre, les requérants, les deux d’origine roumaine mais l’un réfugié suédois, aux autorités roumaines pour accomplir une peine de prison.
En droit – Article 3 (premier requérant)
a) Sur l’application de la présomption de protection équivalente – L’application de la présomption de protection équivalente dans l’ordre juridique de l’Union européenne (UE) est soumise à deux conditions : l’absence de marge de manœuvre pour les autorités nationales et le déploiement de l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle prévu par le droit de l’UE. Premièrement, l’atteinte alléguée à un droit protégé par la Convention doit découler d’une obligation juridique internationale qui pèse sur l’État défendeur et pour l’exécution de laquelle les autorités internes ne disposent ni d’un pouvoir d’appréciation ni d’une marge de manœuvre. Deuxièmement, il faut que l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle des droits fondamentaux prévu par le droit de l’UE, que la Cour a reconnu comme assurant une protection des droits de l’homme équivalente à celle de la Convention, ait été déployée.
La seconde condition d’application de la présomption de protection équivalente doit être appliquée sans formalisme excessif et en tenant compte des particularités du mécanisme de contrôle en cause. Il n’est pas approprié de subordonner la mise en œuvre de cette présomption à la condition que la juridiction nationale s’adresse à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans tous les cas sans exception, y compris ceux où aucune question réelle et sérieuse ne se poserait quant à la protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union ou ceux dans lesquels la CJUE aurait déjà indiqué de façon précise l’interprétation, conforme aux droits fondamentaux, qu’il convient de donner aux dispositions du droit de l’Union applicable.
Concernant la première condition, la caractérisation d’un risque individuel réel exigée par la CJUE, pour que l’AJE puisse déroger aux principes de confiance et de reconnaissance mutuelle entre États membres en reportant voire en refusant l’exécution du MAE, converge avec la jurisprudence de la Cour. Cette dernière met à la charge des autorités nationales l’obligation de contrôler s’il existe un risque réel et individualisable, apprécié de manière concrète, que la personne soit, en raison des conditions de sa détention dans l’État d’émission, soumise à un traitement contraire à l’article 3. Pour autant, ce pouvoir d’appréciation des faits et des circonstances ainsi que des conséquences juridiques devant y être attachées dont dispose l’autorité judiciaire est exercé dans le cadre strictement défini par la jurisprudence de la CJUE et pour assurer l’exécution d’une obligation juridique dans le plein respect du droit de l’UE, à savoir l’article 4 de la charte des droits fondamentaux qui assure une protection équivalente à celle qui résulte de l’article 3 de la Convention. Dans ces conditions, l’AJE ne saurait être regardée comme disposant, pour assurer ou refuser l’exécution du MAE, d’une marge de manœuvre autonome de nature à entraîner la non-application de la présomption de protection équivalente.
S’agissant de la seconde condition, il n’y a pas, eu égard à la jurisprudence de la CJUE, de difficulté sérieuse liée à l’interprétation de la décision-cadre de 2002 relative aux MAE (décision-cadre) et à la question de sa compatibilité avec les droits fondamentaux qui permettrait de considérer qu’il aurait été nécessaire de procéder à un renvoi préjudiciel à la CJUE. Cette condition est donc remplie.
Ainsi, la présomption de protection équivalente trouve à s’appliquer au cas d’espèce.
b) Sur l’allégation d’insuffisance manifeste de protection des droits garantis par la Convention – La Cour a reconnu, dans l’arrêt Romeo Castaño c. Belgique, qu’un risque réel de traitement inhumain et dégradant de la personne dont la remise est demandée, en raison de ses conditions de détention dans l’État d’émission, appréciées sur des bases factuelles suffisantes, constitue un motif légitime pour refuser l’exécution du MAE, et donc la coopération avec cet État.
Le requérant a produit des éléments sérieux et précis attestant des défaillances systémiques ou généralisées au sein des établissements pénitentiaires de l’État d’émission. Mais au vu des précisions des autorités roumaines, l’AJE a écarté l’existence d’un risque de violation de l’article 3 à son encontre.
Cependant, i) les informations fournies par la Roumanie n’ont pas été suffisamment mises en perspective avec la jurisprudence de la Cour concernant la surpopulation carcérale endémique de l’établissement pénitentiaire envisagé pour l’incarcération du requérant, qui aurait disposé de 2 à 3 m2 ; ii) les autres aspects, tels la liberté de circulation et les activités hors cellule, étaient formulés de manière stéréotypée et n’ont pas été pris en compte dans l’évaluation du risque ; iii) la recommandation de l’AJE que le requérant soit détenu dans un établissement offrant des conditions identiques sinon meilleures, n’est pas suffisante pour écarter un risque réel de traitement inhumain et dégradant car elle ne permettait pas de procéder à l’évaluation d’un tel risque s’agissant d’un établissement déterminé et beaucoup de prisons n’offraient pas des conditions de détention conformes aux standards de la Cour.
Dès lors, l’AJE disposait de bases factuelles suffisamment solides, provenant en particulier de la jurisprudence de la Cour, pour caractériser l’existence d’un risque réel que le requérant soit exposé à des traitements inhumains et dégradants en raison de ses conditions de détention en Roumanie et ne pouvait dès lors s’en remettre exclusivement aux déclarations des autorités roumaines. Il existe donc une insuffisance manifeste de protection des droits fondamentaux de nature à renverser la présomption de protection équivalente.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 3 (second requérant)
a) Statut de réfugié du requérant
i. Sur l’application de la présomption de protection équivalente – Concernant la seconde condition, la Cour de cassation a écarté la demande du requérant de saisir la CJUE d’une question préjudicielle sur les conséquences à tirer sur l’exécution d’un MAE de l’octroi du statut de réfugié par un État membre à un ressortissant d’un État tiers devenu par la suite également État membre. Il s’agit d’une question réelle et sérieuse quant à la protection des droits fondamentaux par le droit de l’UE et son articulation avec la protection issue de la Convention de Genève de 1951 sur laquelle la CJUE ne s’est jamais prononcée. Dans ces conditions, la Cour de cassation a statué sans que le mécanisme international pertinent de contrôle du respect des droits fondamentaux, en principe équivalent à celui de la Convention, ait pu déployer l’intégralité de ses potentialités. La présomption de protection équivalente ne trouve donc pas à s’appliquer sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la première condition.
ii. Sur le point de savoir si la remise du requérant était contraire à l’article 3 – Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’articulation entre la protection des réfugiés par la Convention de Genève et les règles du droit de l’UE, en particulier la décision-cadre. Son contrôle se limite à rechercher si, dans les circonstances de l’espèce, l’exécution du MAE a ou non entraîné une violation de l’article 3. En outre, la Convention et ses Protocoles ne protègent le droit d’asile. L’article 3 interdit le renvoi de tout étranger se trouvant dans la juridiction d’un État contractant vers un État dans lequel il pourrait courir un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants voire à la torture et englobe l’interdiction de refoulement au sens de la Convention de Genève (N.D. et N.T. c. Espagne [GC]). Il n’appartient pas à la Cour de rechercher si la décision d’octroyer le statut de réfugié prise par les autorités d’un pays contractant à la Convention de Genève doit être interprétée comme conférant à l’intéressé le même statut dans tous les autres pays contractants de cette convention (M.G. c. Bulgarie).
La décision-cadre ne prévoit pas de motif de non-exécution tenant à la qualité de réfugié de la personne dont la remise est demandée. Toutefois, les autorités suédoises ont estimé qu’il existait suffisamment d’éléments établissant que le requérant risquait d’être persécuté dans son pays d’origine pour lui accorder le statut de réfugié. L’AJE a considéré que ce statut était un élément qu’elle devait particulièrement prendre en considération et concilier avec le principe de confiance mutuelle mais qu’il ne constituait pas de plano une dérogation à ce principe justifiant à lui seul le refus d’exécuter le MAE. Et les AJE ont recherché si la situation personnelle du requérant ne s’opposait pas, dans les circonstances de l’espèce prévalant à la date de leur décision, à sa remise aux autorités roumaines (Shiksaitov c. Slovaquie).
La chambre de l’instruction a procédé à un échange d’information avec les autorités suédoises qui entendaient maintenir le statut de réfugié du requérant sans toutefois se prononcer sur la persistance, dix ans après son octroi, des risques de persécution dans son pays d’origine.
En outre, les AJE ont conclu à l’absence de but politique du MAE et, que la seule appartenance de l’intéressé au Mouvement d’intégration spirituelle dans l’absolu (MISA) ne suffisait pas à établir la crainte qu’il soit porté atteinte à sa situation en Roumanie en raison de ses opinions ou convictions (Amarandei et autres c. Roumanies). Ainsi, aucun élément n’indique que le second requérant risquait encore, en cas de remise, d’être persécuté pour des raisons religieuses en Roumanie. L’AJE ne disposait donc pas de bases factuelles suffisamment solides pour caractériser l’existence d’un risque réel de violation de l’article 3 et refuser, pour ce motif, l’exécution du MAE.
b) Sur le risque de traitements inhumains ou dégradants en raison des conditions de détention en Roumanie
Les conditions d’application de la présomption de protection équivalente s’appliquent dans les circonstances de l’espèce.
La description faite par le requérant à l’AJE des conditions de détention n’était ni suffisamment détaillée ni suffisamment étayée pour constituer un commencement de preuve d’un risque réel de traitements contraires à l’article 3 en cas de remise aux autorités roumaines. Ainsi, il n’incombait pas à l’AJE de demander des informations complémentaires aux autorités roumaines sur le lieu, les conditions et le régime de détention futur du requérant. L’AJE ne disposait pas de bases factuelles solides lui permettant de caractériser l’existence d’un risque réel de violation de l’article 3 et refuser, pour ce motif, l’exécution du MAE.
Conclusion : non-violation (unanimité).
Article 41 : 5 000 EUR au premier requérant pour préjudice moral.
(Voir aussi Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], 45036/98, 30 juin 2005, Résumé juridique ; M.G. c. Bulgarie, 59297/12, 25 mars 2014, Résumé juridique ; Amarandei et autres c. Roumanie, 1443/10, 26 avril 2016 ; Romeo Castaño c. Belgique, 8351/17, 9 juillet 2019, Résumé juridique ; N.D. et N.T. c. Espagne [GC], 8675/15 et 8697/15, 13 février 2020, Résumé juridique ; Shiksaitov c. Slovaquie, 56751/16 et 33762/17, 10 décembre 2020, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le mars 25, 2021 par loisdumonde
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