Hussein et autres c. Belgique (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 249
Mars 2021

Hussein et autres c. Belgique45187/12

Arrêt 16.3.2021 [Section III]

Article 6
Procédure civile
Article 6-1
Accès à un tribunal

Absence de compétence universelle civile des juridictions pénales en matière de torture concernant la constitution de parties civiles : non-violation

En fait – En 2001, les requérants d’origine jordano-palestinienne se constituèrent parties civiles dans une procédure pénale, sur la base du principe de compétence universelle absolue déduit de la loi du 16 juin 1993 (loi de 1993), contre des hauts dignitaires de l’État du Koweït pour crimes de droit international humanitaire. Ils réclamaient réparation du préjudice moral et matériel. Cependant, les juridictions décidèrent de l’irrecevabilité de l’action publique en Belgique pour donner suite à l’entrée en vigueur en 2005 de la loi du 5 août 2003 (loi de 2003) ayant restreint la compétence.

En droit – Article 6 § 1 : À la différence de l’affaire Naït‑Liman c. Suisse [GC] qui portait sur la question de la compétence universelle des juridictions civiles dans le cadre d’une procédure civile autonome, la présente espèce concerne la possibilité de se constituer partie civile dans une procédure pénale engagée devant les juridictions pénales sur la base du principe de compétence universelle. Cela étant, dans les deux types d’affaires, le droit d’accès à un tribunal en matière civile est en cause et les principes généraux rappelés dans l’arrêt Naït‑Liman s’appliquent de la même manière.

La présente affaire met également en cause l’application d’une loi à des procédures judiciaires en cours. S’il n’est pas interdit, en principe, au pouvoir législatif de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige.

Les requérants ont subi une limitation de leur droit d’accès à un tribunal par le biais de la limitation de la compétence des juridictions belges qui était déduite du dispositif transitoire de la loi de 2003 qui est venue abroger la loi de 1993 prévoyant une compétence universelle même en l’absence de lien de rattachement avec la Belgique. Le litige est donc circonscrit aux conséquences en matière civile des restrictions apportées par le législateur belge à la compétence universelle dans le domaine pénal.

Les États qui, comme la Belgique, ont rendu leurs juridictions compétentes pour connaître de demandes de réparation pour des actes de torture, donnent effet au large consensus dans la communauté internationale sur l’existence d’un droit de victimes d’actes de torture à une réparation appropriée et effective, y compris quand leurs demandes se fondent sur des faits commis en dehors des frontières géographiques de l’État du for. Toutefois, il ne résulte ni du droit international ni de la Convention une obligation à charge des États contractants de se doter d’une compétence universelle civile. De plus, il n’était pas déraisonnable pour un État de lier cette compétence à des facteurs de rattachement avec cet État. En l’espèce, les motifs invoqués pendant l’examen du projet de loi par le parlement, tenant à la bonne administration de la justice, pour justifier l’introduction par le législateur de nouveaux critères de compétence universelle, ainsi que le lien avec la question d’immunité que ces poursuites soulevaient au regard du droit international, pouvaient être considérés comme des motifs d’intérêt général impérieux.

En 2001, lors de la constitution en partie civile des requérants, le droit belge reconnaissait la compétence universelle pénale dans une forme absolue. Le législateur a ensuite progressivement introduit des critères de rattachement ratione personae et ratione loci avec la Belgique ainsi qu’un système de filtrage de l’opportunité des poursuites. Lors de l’entrée en vigueur en 2005 de la loi de 2003, la procédure en question ne répondait pas aux nouveaux critères de compétence des juridictions belges définis pour l’avenir. L’affaire des requérants n’aurait donc pas pu être maintenue sur cette base. Toutefois comme les juridictions belges n’ont pas été dessaisies de l’affaire des requérants dès l’entrée en vigueur de la loi de 2003, car au moins un plaignant était de nationalité belge au moment de l’engagement initial de l’action publique selon l’une des conditions du régime transitoire de la loi, l’on ne saurait considérer que l’intervention du législateur, du seul fait que la loi s’appliquait aux affaires pendantes, rendait vaine toute continuation des procédures (voir, a contrario, Arnolin et autres c. France). Néanmoins, eu égard à la décision de la Cour de cassation de décembre 2010 selon laquelle la compétence des juridictions belges ne pouvait être maintenue que si un acte d’instruction avait été accompli avant l’entrée en vigueur de la loi, l’action engagée par les requérants était nécessairement vouée à l’échec s’il s’avérait qu’un tel acte n’avait pas été accompli. C’est ce qu’ultérieurement la chambre des mises en accusation et la Cour de cassation ont constaté.

Aussi la notion d’acte d’instruction n’a pas été précisée dans la loi même et elle a fait l’objet d’interprétations différentes. Toutefois, une fois la pertinence de l’accomplissement d’un acte d’instruction soulignée par la Cour de cassation, les requérants ont limité leur argumentaire à certains actes de procédure. La Cour ne s’exprime pas sur le point de savoir s’ils auraient utilement pu élargir leur thèse à d’autres actes de procédure qui avaient, eux aussi, été écartés par la chambre des mises en accusation ; elle constate toutefois que ces autres actes ont par la suite été considérés comme pertinents par l’avocat général à la Cour de cassation. Quoi qu’il en soit, force est de constater que le grief des requérants, tel que développé dans leur second moyen en cassation, se référait à certains actes précis.

De plus, les motifs retenus par les juridictions pour se déclarer incompétentes n’étaient ni arbitraires ni manifestement déraisonnables.

Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, le rejet par les juridictions belges, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de 2003, de leur compétence pour connaître de la constitution de partie civile introduite en 2001 par les requérants en vue d’obtenir la mise en mouvement d’une action publique du fait de violations graves de droit international humanitaire et la réparation du préjudice qu’ils alléguaient avoir subi en conséquence, n’était pas disproportionné par rapport aux buts légitimes poursuivis.

Conclusion : non-violation (unanimité).

La Cour conclut également qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la motivation des décisions rendues par la chambre des mises en accusation et la Cour de cassation.

(Voir Arnolin et autres c. France, 20127/03 et al., 9 janvier 2007, Résumé juridique, et Naït‑Liman c. Suisse [GC], 51357/07, 15 mars 2018, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le mars 16, 2021 par loisdumonde

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