AFFAIRE HUSSEIN ET AUTRES c. BELGIQUE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 45187/12

INTRODUCTION. La présente affaire concerne des requérants jordaniens qui se sont constitués parties civiles en mains du juge d’instruction de Bruxelles contre des hauts dignitaires de l’État du Koweït pour crimes de droit international humanitaire. Ils affirment qu’en déclarant l’action publique irrecevable et les juridictions belges incompétentes, les juridictions internes n’ont pas suffisamment motivé leurs décisions et les ont privés du droit d’accès à un tribunal. Les requérants invoquent l’article 6 de la Convention et font état d’une atteinte à leur droit à un recours effectif au sens de l’article 13.

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE HUSSEIN ET AUTRES c. BELGIQUE
(Requête no 45187/12)
ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Accès à un tribunal • Absence de compétence universelle civile absolue des juridictions pénales en matière de torture concernant la constitution de parties civiles en vertu d’une nouvelle loi à portée rétroactive • Loi ayant introduit des critères de rattachement ratione personae et ratione loci avec la Belgique et un système de filtrage de l’opportunité des poursuites • Motifs d’intérêt général impérieux ni arbitraires ni manifestement déraisonnables • Intervention du législateur ne rendant pas vaine toute continuation des procédures • Rejet proportionné des juridictions nationales • Motivation suffisante des décisions internes

STRASBOURG
16 mars 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hussein et autres c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Georgios A. Serghides, président,
Paul Lemmens,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma, juges,
et de Milan Blaško, greffierde section,

Vu :

la requête (no 45187/12) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont dix ressortissants jordaniens(« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 13 juillet 2012,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, et de déclarer irrecevable et rayer la requête du rôle pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 12 janvier et 9 février 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne des requérants jordaniens qui se sont constitués parties civiles en mains du juge d’instruction de Bruxelles contre des hauts dignitaires de l’État du Koweït pour crimes de droit international humanitaire. Ils affirment qu’en déclarant l’action publique irrecevable et les juridictions belges incompétentes, les juridictions internes n’ont pas suffisamment motivé leurs décisions et les ont privés du droit d’accès à un tribunal.

2. Les requérants invoquent l’article 6 de la Convention et font état d’une atteinte à leur droit à un recours effectif au sens de l’article 13.

EN FAIT

3. Les requérants ont été représentés par Me E-M. Bollecker, avocate à Strasbourg. Les autres informations détaillées concernant les requérants figurent dans le tableau en annexe.

4. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, service public fédéral de la Justice.

I. GENÈSE DE L’AFFAIRE

5. Lors de la première guerre du Golfe (1990-1991), les ressortissants jordano-palestiniens qui résidaient au Koweït furent réprimés par les autorités du Koweït et expulsés vers la Jordanie. Une partie de ces personnes créèrent une association selon le droit jordanien (« Cooperative Society for the Gulf War Returnees », ou Coopérative des sociétaires des revenants de la Guerre du Golfe) dont le but était d’entraider les membres, et notamment d’obtenir des compensations des pertes morales et matérielles subies.

II. CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE EN MAINS DU JUGE D’INSTRUCTION

6. Par acte du 20 décembre 2001, le conseil des 7 738 membres de l’association, parmi lesquels les requérants, se constitua partie civile en leur nom et pour leur compte en mains du juge d’instruction de Bruxelles contre 74 personnes, pour la plupart, des hauts dignitaires de l’État du Koweït, en vue d’obtenir la mise en mouvement d’une action publique du chef de génocide sur la base des dispositions de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire, telle que modifiée par la loi du 10 février 1999. Ils réclamaient également réparation du préjudice moral et matériel subi du fait des infractions dont ils se prétendaient lésés.

7. Le juge d’instruction communiqua le dossier de la procédure au procureur du Roi de Bruxelles le 22 juillet 2002. Après que le parquet fédéral ait fait procéder à la jonction d’un courrier et de pièces au dossier, le juge d’instruction communiqua à nouveau son dossier au ministère public le 1er septembre 2003.

8. Par une lettre adressée aux requérants le 1er mars 2004, le procureur fédéral précisa qu’eu égard à la présence d’au moins un plaignant de nationalité belge au moment de l’engagement initial de l’action publique, les conditions n’étaient pas remplies pour initier la procédure de dessaisissement énoncée par le régime transitoire de la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire qui était venue entretemps remplacer la loi du 16 juin 1993 précitée (paragraphe 27 ci‑dessous).

9. Le 8 septembre 2004, le parquet fédéral fit savoir au juge d’instruction qu’il se saisissait de la cause d’office en application de l’article 144quater du code judiciaire (compétence exclusive du procureur fédéral pour exercer l’action publique en matière de violations graves du droit international humanitaire).

10. Le parquet fédéral adressa au magistrat instructeur, le 19 octobre 2006, des réquisitions complémentaires tendant à l’exécution de différents devoirs. Par réquisitoire du même jour, le procureur fédéral pria la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles de déclarer la constitution de partie civile partiellement irrecevable et ce, en tant qu’elle visait des personnes bénéficiant d’une immunité de droit international.

11. Sur la base du résultat des devoirs d’instruction ordonnés par le magistrat instructeur, le procureur fédéral établit, en date du 10 mars 2008, un nouveau réquisitoire tendant à faire déclarer, pour les autres inculpés, l’irrecevabilité de l’action publique en Belgique, dès lors qu’il considérait que les faits allégués ne constituaient pas un crime de droit international tel que défini aux articles 136bis à 136quater du code pénal, insérées par la loi du 5 oût 2003 précitée, et que les conditions de recevabilité de l’action publique à raison des crimes et délits commis hors du royaume n’étaient pas réunies, aucun des inculpés ne se trouvant en Belgique.

12. Par ordonnance du 14 juillet 2008, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles fit droit aux réquisitions du ministère public.

13. Les requérants interjetèrent appel. Par un arrêt du 30 avril 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma l’ordonnance entreprise en ce qu’elle déclarait la constitution de partie civile dirigée contre certaines personnes – bénéficiaires d’une immunité de droit international – irrecevable. Elle déclara les juridictions belges compétentes et sursit à statuer pour le surplus dans l’attente de l’exécution de devoirs complémentaires dont les juges d’appel chargèrent le juge d’instruction.

14. Les inculpés se pourvurent en cassation. Par un arrêt du 8 décembre 2010, la Cour de cassation souligna que les affaires visées par le dispositif transitoire de la loi du 5 août 2003 ne continuaient à ressortir à la juridiction belge que si deux conditions étaient réunies, à savoir la présence d’au moins un plaignant belge au moment de l’engagement initial de l’action publique et l’accomplissement d’un acte d’instruction à la date d’entrée en vigueur de cette loi. Partant, elle considéra que l’arrêt attaqué, en ce qu’il décidait que l’action publique exercée à charge des inculpés non couverts par une immunité ressortait à la juridiction belge, tout en constatant qu’aucun acte d’instruction n’avait été accompli avant les réquisitions prises le 19 octobre 2006, n’était pas légalement justifié. La Cour de cassation cassa donc partiellement l’arrêt de la chambre des mises en accusation.

15. Le 16 mai 2011, dans son réquisitoire devant la chambre des mises en accusation autrement composée de la cour d’appel de Bruxelles, le procureur fédéral plaida en faveur du maintien de la compétence des juridictions belges au motif selon lui qu’un procès-verbal de constitution de partie civile constituait un acte d’instruction et qu’en l’espèce un tel procès‑verbal ayant été établi le 20 décembre 2001, il devait entrer en considération dans le cadre de l’application du dispositif transitoire de la loi du 5 août 2003. Il estima toutefois que les infractions visées dans la plainte des requérants ne constituaient pas de violations graves du droit international humanitaire telles que visées aux articles 135bis à 136quater du code pénal. Eu égard à cette dernière considération, il demanda à la chambre des mises en accusation de déclarer l’action publique irrecevable.

16. Par un arrêt du 9 juin 2011, la chambre des mises en accusation confirma l’irrecevabilité de l’action publique en Belgique décidée en première instance dès lors que les faits dénoncés ne pouvaient pas être qualifiés d’infractions aux articles 136bis à 136quater du code pénal et que, du reste, aucun inculpé n’avait été trouvé en Belgique. La chambre des mises en accusation considéra en outre que, même si ces faits avaient été, quod non, constitutifs de telles infractions, aucun acte d’instruction « au sens usuel du terme » n’avait encore été accompli au moment de l’entrée en vigueur de ladite loi. Elle s’exprima sur ce terrain en ces termes :

« Dans le cas d’espèce, aucun acte d’instruction au sens usuel du terme, à savoir tout acte ayant pour objet la recherche des auteurs d’infractions ou la collecte de preuves, n’a été accompli avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2003 ; ni le procès-verbal de constitution de partie civile, ni le procès-verbal de transfert du dossier au parquet fédéral et le procès-verbal de saisine du parquet fédéral, ni la décision prise par le juge d’instruction sur pied de l’article 61ter du code d’instruction criminelle, ni la demande de paiement de caution, ni l’enquête sur l’immunité diplomatique, ni les différents courriers aux réunions de concertation repris en page 22 des conclusions des parties civiles, ne peuvent être considérés, fussent-ils interruptifs de la prescription de l’action publique, comme des actes d’instruction au sens visé par la loi du 5 août 2003. »

17. Par conséquent, la chambre des mises en accusation conclut qu’en toute hypothèse les juridictions belges étaient sans compétence pour connaître de l’action publique.

18. Les requérants introduisirent un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Dans un premier moyen, ils firent valoir que les juges d’appel, en décidant que les faits dénoncés dans la plainte de constitution de partie civile ne pouvaient être qualifiés d’infractions aux articles 136bis à 136quater du code pénal, ne justifiaient pas légalement leur décision, et ne répondaient pas à l’argumentation des requérants sur ce point. Dans un second moyen, ils firent grief aux juges d’appel d’avoir écarté, au terme d’une interprétation manifestement déraisonnable et contra legem de la notion d’acte d’instruction, le procès-verbal recevant la constitution de partie civile, ainsi que les pièces relatives au transfert et à la communication du dossier au parquet.

19. L’avocat général à la Cour de cassation D. Vandermeersch conclut à la cassation de l’arrêt de la chambre des mises en accusation. À propos du second moyen, il s’exprima en ces termes :

« La loi ne définit pas ce qu’il faut entendre par « acte d’instruction » au sens de l’article 29, § 3, [de la loi du 5 août 2003].

Suivant l’avocat général J. Spreutels, il s’agit d’un acte d’instruction au sens de l’article 22 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, relatif à l’interruption de la prescription de l’action publique, c’est-à-dire « tout acte émanant d’une autorité qualifiée à cet effet et ayant pour objet de recueillir des preuves ou de mettre la cause en état d’être jugée ».

Si l’on devait retenir cette interprétation, le moyen doit être considéré comme fondé dès lors que les actes énumérés dans l’arrêt attaqué, notamment le procès-verbal de constitution de partie civile, le procès-verbal de transfert du dossier au parquet fédéral, la demande de paiement de caution, l’enquête sur l’immunité diplomatique… constituent incontestablement des actes d’instruction interruptifs de la prescription de l’action publique.

Mais, dès lors que cette interprétation conduit à considérer l’acte de saisine du juge d’instruction lui-même, à savoir la constitution de partie civile ou le réquisitoire de mise à l’instruction, comme un acte d’instruction au sens de l’article 29 § 3, de la loi du 5 août 2003, il faut reconnaître que la condition de l’exigence qu’un acte d’instruction ait été posé avant l’entrée en vigueur de la loi, n’aurait plus de portée pratique puisque l’ouverture de tout dossier d’instruction présuppose un acte de saisine interruptif de la prescription.

Dans cette optique, si l’on devait abandonner la notion d’acte d’instruction au sens d’acte interruptif de la prescription, encore faudrait-il cerner le contenu qu’il y a lieu de donner à la notion d’acte d’instruction, au sens de l’article 29 § 3, de la loi du 5 août 2003. Dès lors que cet acte est nécessairement posé dans le cadre d’une instruction judiciaire, j’estime que l’acte d’instruction pourrait être entendu ici comme l’acte posé par le juge d’instruction dans le cadre de sa mission d’instruire telle que définie par l’article 55, alinéa 1er, du Code d’instruction criminelle, à savoir « l’ensemble des actes qui ont pour objet de rechercher les auteurs d’infraction, de rassembler les preuves et de prendre les mesures destinées à permettre aux juridictions de statuer en connaissance de cause » (art. 55, al. 1er C.i.cr.). Cette mission comporte un aspect d’investigation et un aspect juridictionnel.

Si l’on retient cette définition, ne constitueraient pas des actes d’instruction les actes de saisine du juge, les actes posés par le ministère public ou par d’autres parties et les décisions des juridictions d’instruction. Par contre, les actes posés par le juge d’instruction en vue d’identifier les auteurs d’infraction, de recueillir les preuves ainsi que les actes ou mesures prises par ce juge pour permettre aux juridictions de statuer en connaissance de cause seraient à considérer comme des actes d’instruction au sens de l’article 29 § 3, de la loi du 5 août 2003.

L’application de cette définition au cas d’espèce conduit à considérer que les actes accomplis par le parquet fédéral, tel que le procès-verbal de saisine du parquet fédéral ou les courriers émanant de celui-ci, ou les actes purement formels, tels que le procès-verbal de transmission du dossier ou les courriers du juge d’instruction fixant rendez-vous à l’avocat des parties civiles, ne peuvent être considérés comme des actes d’instruction tels que définis ci-dessus. En revanche, l’instruction et l’enquête sur l’immunité diplomatique et l’ordonnance prise par le juge d’instruction en application de l’article 61ter du code d’instruction criminelle, actes évoqués en page 22 des conclusions des demandeurs à laquelle l’arrêt attaqué se réfère, me paraissent constituer des actes d’instruction au sens de l’article 55, al. 1er, du code d’instruction criminelle et, par conséquent, de l’article 29, § 3, de la loi du 5 août 2003 ».

20. L’avocat général conclut en outre que, dans l’hypothèse où le premier moyen était examiné, il devait être déclaré fondé. Le point qu’il soulevait étant décisif pour déterminer la compétence extraterritoriale du juge belge ou la recevabilité de l’action publique, les juges d’appel n’avaient pas, selon lui, régulièrement répondu aux conclusions des demandeurs en se bornant à énoncer que les faits dénoncés dans la plainte ne pouvaient être qualifiés d’infractions aux articles 136bis à 136quater du code pénal.

21. Par un arrêt du 18 janvier 2012, la Cour de cassation, ne suivant pas les conclusions de son avocat général, rejeta les pourvois des requérants.

22. Elle considéra, en ce qui concerne leur premier moyen, que la décision des juges d’appel quant à l’absence d’acte d’instruction rendait sans pertinence leurs conclusions à propos de la qualification de génocide des faits dénoncés par eux :

« En tant qu’il invoque une violation des articles 136bis à 136quater du code pénal, alors que seule la régularité de la motivation est attaquée, le moyen manque en droit.

L’arrêt décide que la cause ne ressortit pas à la juridiction belge dès lors qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un acte d’instruction à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2003.

Cette décision rend sans pertinence les conclusions des demandeurs soutenant, d’une part, que les faits dénoncés par eux constituent les infractions visées par les articles 136bis à 136quater du code pénal et, d’autre part, qu’en cas d’incertitude à cet égard, il y a lieu de désigner un collège d’experts.

Il n’apparaît pas, des conclusions dont le moyen fait état, que les demandeurs aient allégué la présence, parmi les victimes du génocide dénoncé, d’une personne ayant eu, au moment des faits, la qualité de ressortissant belge, de réfugié reconnu en Belgique ou de personne y résidant depuis au moins trois ans.

La chambre des mises en accusation n’avait dès lors pas à motiver sa décision de rejeter tant la qualification revendiquée par les plaignants que la demande d’expertise visant à l’établir.

Le moyen ne peut être accueilli. »

23. Elleconsidéra que le second moyen manquait en droit pour le motif suivant :

« Il résulte de l’économie de la loi du 5 août 2003 que l’acte d’instruction dont l’existence est imposée comme condition du maintien de la juridiction belge est tout acte par lequel, agissant dans l’exercice de sa mission de recherche de la vérité, le juge d’instruction recueille les informations pertinentes pour le jugement de la cause.

Partant, contrairement à ce que le moyen soutient, ni le procès-verbal recevant une constitution de partie civile ni les pièces relatives au transfert ou à la communication du dossier au parquet ne peuvent être considérés comme des actes d’instruction au sens de la loi précitée, ces actes de procédure ne constituant pas un commencement de l’instruction proprement dite.

Le moyen manque en droit. »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. COMPÉTENCE UNIVERSELLE

24. La constitution de partie civile introduite par les requérants en l’espèce a été réalisée sous l’empire de la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire, telle que modifiée par la loi du 10 février 1999. La loi de 1993 a transposé en droit interne la notion d’infractions graves aux règles de droit international humanitaire et donné la compétence aux juridictions belges de les connaître, indépendamment du lieu où elles avaient été commises. La loi de 1999 a ensuite étendu le champ d’application de la compétence universelle en y incluant le crime de génocide et les crimes contre l’humanité. Par ailleurs les auteurs ne pouvaient plus se prévaloir d’aucune immunité pouvant empêcher l’application de la loi.

25. Après une série de modifications apportées par la loi du 23 avril 2003, la loi de 1993 a été abrogée par la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droit international humanitaire. Cette dernière loi a introduit un titre Ibis dans le code pénal en vue d’y ajouter les infractions qui jusqu’alors étaient poursuivies sur la base de la loi de 1993 (articles 136bis à 136quater du code pénal, concernant respectivement le crime de génocide, le crime contre l’humanité, les crimes de guerre, et les violations graves de l’article 3 commun des Conventions signées à Genève le 12 août 1949). Elle a également modifié le code d’instruction criminelle (« CIC ») en prévoyant désormais la compétence des juridictions belges pour connaître de ces infractions dans trois cas: lorsque l’infraction est commise par un Belge ou une personne ayant sa résidence principale sur le territoire du Royaume (article 6, phrase introductive et 1obis du titre préliminaire du CIC) (compétence personnelle active), lorsque la victime de l’infraction est un ressortissant belge ou une personne qui, au moment des faits, séjourne effectivement, habituellement et légalement depuis trois ans en Belgique (article 10, 1obis du titre préliminaire du CIC) (compétence personnelle passive), et lorsqu’une règle de droit international, de source conventionnelle ou coutumière, liant la Belgique lui impose de poursuivre l’auteur de certaines infractions (article 12bis du titre préliminaire du CIC). Le champ d’application de la compétence « universelle » est donc désormais limité à cette dernière hypothèse. La loi du 5 août 2003 a également reconnu l’immunité de certaines catégories de personnes, conformément au droit international, en particulier les chefs d’État, chefs de gouvernement et ministres des affaires étrangères ainsi que d’autres personnes dont l’immunité est reconnue par le droit international (article 1bis du titre préliminaire du CIC).

26. Les travaux préparatoires de la loi du 5 août 2003 (rapport de la commission de la Justice, Doc. parl., Chambre, session extraordinaire 2003, Doc 51-0103/003, pp. 3-4 et 9-10) se lisent notamment comme suit :

« L’application de la « loi relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire » (16 juin 1993, modifiée le 10 février 1999 et le 23 avril 2003) a posé nombre de problèmes, notamment par l’utilisation abusive et parfois absurde qui en a été faite.

Dès lors, le gouvernement, soucieux, d’une part, de maintenir les principes fondamentaux qui ont sous-tendu le vote à l’unanimité des membres de cette Assemblée de la loi du 16 juin 1993 et, d’autre part, de permettre à la Belgique de développer une politique étrangère active et dynamique, a décidé de proposer une loi abrogeant la loi du 16 juin 1993, tout en en transférant les dispositions clés dans le droit commun :

– les dispositions de droit pénal matériel sont transférées au Code pénal : la répression des violations graves du droit international humanitaire que sont les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ;

– les dispositions relatives à la compétence extraterritoriale des tribunaux belges pour connaître des infractions visées par la loi de 1993 sont transférées au Titre préliminaire du Code de procédure pénale.

(…)

Il convient également de préciser que le présent projet de loi est basé sur une étude comparative de la législation en vigueur dans une série de pays ayant un système juridique largement comparable au nôtre. Cette étude a révélé que la plupart de ces pays avaient instauré une compétence universelle limitée, tout en conservant les règles d’immunité du droit international et du droit coutumier ainsi qu’un point de rattachement personnel (auteur et/ou victime) ou territorial clair avec le pays.

C’est ainsi qu’il est proposé de créer au livre II du Code pénal, un nouveau titre – le Titre Ibis – intitulé « Des violations graves du droit international humanitaire ». Ce Titre reprendra toutes les infractions énoncées dans la loi du 16 juin 1993, modifiée par les lois du 10 février 1999 et du 23 avril 2003. Il s’agit des nouveaux articles 136bis à 136octies du Code pénal.

La loi de 1993 établissait la compétence des juridictions belges en toute hypothèse, y compris en l’absence de tout lien de rattachement de l’affaire considérée avec la Belgique, l’auteur présumé ne devant même pas se trouver sur le territoire du Royaume (compétence universelle dite élargie ou par défaut).

Le projet de loi restreint les règles de compétence ; toutefois, celles-ci demeurent très larges, grâce à une adaptation du droit commun de la compétence extraterritoriale des juridictions belges aux réalités de la criminalité internationale moderne.

(…)

Le texte proposé (…) a également tenu compte de la question des immunités internationales de juridiction, sur lesquelles se fondent certaines obligations internationales qui lient la Belgique et qui lui interdisent de poursuivre les personnes qui en bénéficient. Ainsi, le projet de loi rappelle ce principe des immunités de juridiction découlant du droit international conventionnel et coutumier. (…)

Même si le Conseil d’État s’interroge sur la nécessité juridique de cette disposition, le Gouvernement souligne que l’insertion de cette disposition est juridiquement correcte (l’article 5§3 de la loi de 1993, modifié en 2003 contenait déjà une telle règle) et politiquement importante au regard du respect par la Belgique de des obligations qui la lient dans le cadre de ses relations internationales. »

27. La loi entra en vigueur le 7 août 2003, date de sa publication au Moniteur belge. Un dispositif transitoire fut mis en place pour les affaires pendantes à l’information et à l’instruction à la date de l’entrée en vigueur de la loi. Ce régime, prévu à l’article 29 § 3 de la loi, était ainsi formulé :

« Les affaires pendantes à l’information à la date d’entrée en vigueur de la présente loi et portant sur des infractions visées au titre Ibis, du livre II, du code pénal sont classées sans suite par le procureur fédéral dans les trente jours de l’entrée en vigueur de la présente loi lorsqu’elles ne rencontrent pas les critères visés aux articles 6, 1obis, 10, 1obis et 12bis du titre préliminaire du code de procédure pénale.

Les affaires pendantes à l’instruction à la date d’entrée en vigueur de la présente loi et portant sur des faits visés au titre Ibis, du livre II, du code pénal, sont transférées par le procureur fédéral au procureur général près la Cour de cassation endéans les trente jours après la date d’entrée en vigueur de la présente loi, à l’exception des affaires ayant fait l’objet d’un acte d’instruction à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, dès lors que, soit au moins un plaignant était de nationalité belge ou réfugié reconnu en Belgique et y ayant sa résidence habituelle, au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole additionnel au moment de l’engagement initial de l’action publique, soit au moins un auteur présumé a sa résidence principale en Belgique, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi.

Dans le même délai, le procureur fédéral transmet un rapport portant sur chacune des affaires transférées, dans lequel il indique leur non-conformité avec les critères visés aux articles 6, 1obis, 10, 1obis et 12bis du titre préliminaire du code de procédure pénale.

Endéans les quinze jours suivant ce transfert, le procureur général requiert la Cour de cassation de prononcer, dans les trente jours, le dessaisissement de la juridiction belge après avoir entendu le procureur fédéral ainsi que, à leur demande, les plaignants et les personnes inculpées par le juge d’instruction saisi de l’affaire. La Cour de cassation se prononce sur base des critères visés aux articles 6, 1obis, 10, 1obis et 12bis du titre préliminaire du code de procédure pénale.

Pour les affaires qui ne sont pas classées sans suite sur base de l’alinéa 1er, du § 3, du présent article ou dont le dessaisissement n’est pas prononcé sur base du précédent alinéa, les juridictions belges restent compétentes. »

28. Les travaux préparatoires précités (ibid., pp. 10-11) présentent le régime transitoire en ces termes :

« Un régime détaillé s’applique aux affaires en cours: la philosophie générale est que les affaires pendantes qui respectent les nouvelles règles de compétences territoriale ou extraterritoriale sont maintenues (infraction commise en Belgique, ou par un Belge ou par une personne ayant sa résidence principale en Belgique ou contre une personne de nationalité belge au moment des faits ou contre une personne résidant depuis trois ans de manière effective, habituelle et légale en Belgique au moment des faits ou dans tous les cas ou le droit international impose à la Belgique d’être compétente).

Il ne convient pas de prendre en considération dans cet examen le fait que la possibilité de se constituer partie civile a été réduite par rapport au régime juridique antérieur.

En outre, lorsque les affaires pendantes ont déjà fait l’objet d’un acte d’instruction, et en raison du lien objectif créé depuis entre cette affaire et la Belgique, certaines affaires ne répondant pas aux conditions de compétence définies pour l’avenir, mais dont les juridictions belges étaient valablement saisies, sont maintenues également.

Le régime ainsi créé pour les affaires pendantes à l’instruction veille, comme le suggérait le Conseil d’État, à ce que le dessaisissement des juridictions belges saisies s’opère non par l’effet de la loi, mais par décision du pouvoir judiciaire, en l’espèce la Cour de cassation. »

29. La Cour constitutionnelle annula les dispositions transitoires de la loi du 5 août 2003 qui concernaient les affaires pendantes à l’instruction, donc entre les mains d’un juge d’instruction, au motif que le législateur avait opéré une distinction injustifiable entre plaignants de nationalité belge et plaignants ayant la qualité de réfugié reconnu en Belgique (arrêt du 21 juin 2006, no 104/2006). Suite à cette annulation, l’article 29 § 3 de cette loi se lit désormais comme suit :

« Les affaires pendantes à l’information à la date d’entrée en vigueur de la présente loi et portant sur des infractions visées au titre Ibis, du livre II, du code pénal sont classées sans suite par le procureur fédéral dans les trente jours de l’entrée en vigueur de la présente loi lorsqu’elles ne rencontrent pas les critères visés aux articles 6, 1obis, 10, 1obis et 12bis du titre préliminaire du code de procédure pénale.

Pour les affaires qui ne sont pas classées sans suite sur base de l’alinéa 1er, du § 3, du présent article, les juridictions belges restent compétentes. »

La Cour constitutionnelle précisa toutefois que les dessaisissements des juridictions belges, lorsqu’aucun des plaignants n’était réfugié reconnu en Belgique au moment de l’engagement initial de l’action publique, étaient définitivement acquis.

II. AUTRES DISPOSITIONS PERTINENTES DE PROCÉDURE PÉNALE

30. En droit belge, la constitution de partie civile en mains du juge d’instruction est régie par les articles 63 à 70 du CIC et est définie comme une déclaration formelle sous forme de plainte par laquelle la personne préjudiciée réclame réparation de son dommage. Elle met l’action publique en mouvement en même temps que l’action civile au sens défini par l’article 3 du titre préliminaire du CIC qui prévoit que « l’action pour la réparation du dommage causé par une infraction appartient à ceux qui ont souffert de ce dommage ».

31. L’article 22 du titre préliminaire du CIC prévoit que :

« La prescription de l’action publique ne sera interrompue que par les actes d’instruction ou de poursuite faits dans le délai déterminé par l’article 21.

Ces actes font courir un nouveau délai d’égale durée, même à l’égard des personnes qui n’y sont pas impliquées. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

32. Les requérants se plaignent que leur plainte avec constitution de partie civile a été rejetée sans motivation suffisante et qu’ils n’ont pas eu accès à un tribunal. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

A. Sur la recevabilité

33. Le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6. Il fait valoir que les requérants n’étant pas « accusés », le volet pénal de l’article 6 n’entre pas en jeu. En ce qui concerne le volet civil, l’article 6 ne trouve à s’appliquer aux parties civiles que dans la seule mesure où elles demandent la réparation civile d’un préjudice découlant de la commission d’une infraction. Or, en l’espèce, les requérants sollicitaient devant la justice belge essentiellement, sinon exclusivement, la poursuite et la condamnation pénale de hauts dignitaires de l’État du Koweït. S’appuyant sur la jurisprudence Perez c. France ([GC], no 47287/99, § 70, CEDH 2004-I), le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable ratione materiae.

34. En ce que le grief des requérants consiste à soutenir que des faits doivent recevoir une qualification pénale déterminée et justifier la mise en mouvement de l’action publique, le Gouvernement estime qu’il sort également du champ d’application de l’article 6, lequel ne consacre pas de droit d’accès à un tribunal en vue de faire condamner un tiers.

35. Les requérants font valoir qu’en introduisant leur plainte avec constitution de partie civile dans le cadre de la procédure pénale engagée sur la base du principe de compétence universelle, ils entendaient non seulement obtenir la condamnation pénale des personnes responsables des exactions commises à leur encontre, mais également la réparation pécuniaire des dommages subis, tant moraux que physiques et matériels. Il n’y a donc pas lieu de dissocier les deux aspects, civil et pénal, comme le fait le Gouvernement défendeur pour écarter l’applicabilité de l’article 6.

36. La Cour a déjà considéré que l’article 6 § 1 sous son volet civil est applicable à une plainte avec constitution de partie civile (Perez, précité, § 66 ; voir également Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 188, 25 juin 2019), sauf dans le cas d’une action civile engagée uniquement à des fins punitives (Perez, précité, § 70, Gorou c. Grèce (no 2) [GC], no 12686/03, § 25, 20 mars 2009, Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 207, et Gracia Gonzalez c. Espagne, no 65107/16, § 52, 6 octobre 2020, non encore définitif). En effet, la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers. Pour relever de la Convention, un tel droit doit impérativement aller de pair avec l’exercice par la victime de son droit d’intenter l’action, par nature civile, offerte par le droit interne, ne serait-ce qu’en vue de l’obtention d’une réparation symbolique ou de la protection d’un droit à caractère civil, à l’instar par exemple du droit de jouir d’une bonne réputation (Perez, précité, § 70, et Gorou (no 2), précité, § 24). Par conséquent, l’article 6 s’applique à une procédure avec constitution de partie civile à partir du moment où la personne se constitue partie civile (Perez, précité, § 66, Gorou (no 2), précité, § 25, et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 207).

37. En l’espèce, la Cour constate qu’en droit belge, une constitution de partie civile a pour effet de déclencher l’action publique et vise, en même temps, à la réparation du préjudice subi du fait de l’infraction (paragraphe 30 ci-dessus). Cela est confirmé en l’espèce par les termes de la constitution de partie civile introduite par les requérants qui postulaient la réparation des infractions dont ils se prétendaient lésés (paragraphe 6 ci‑dessus ; voir, mutantis mutandis, Ernst et autres c. Belgique (déc.), no 33400/96, 25 juin 2002). À la différence de la situation dans l’affaire Perez précitée sur laquelle s’appuie le Gouvernement pour écarter l’application de l’article 6 de la Convention, il n’est pas question en l’espèce d’une « action civile à des fins purement répressives » (§ 69).

38. Dans ces circonstances, appliquant les principes rappelés ci-dessus, la Cour considère que l’article 6 § 1 sous son volet civil trouve à s’appliquer à la procédure mise en mouvement par les requérants et rejette l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement.

39. Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Motivation des décisions juridictionnelles internes

a) Thèses des parties

i. Les requérants

40. Les requérants se plaignent que les juridictions du fond se sont bornées à décider que les faits dénoncés dans leur plainte avec constitution de partie civile ne pouvaient être qualifiés de crimes au sens des articles 136bis à 136quater du code pénal belge ni par conséquent tomber sous l’application du dispositif transitoire de la loi du 5 août 2003, sans répondre aux arguments soulevés par les requérants dans leurs conclusions ni spécifier pour quelle raison ces faits ne pouvaient recevoir une telle qualification.

41. Les requérants soutiennent que la conclusion des juridictions internes selon laquelle aucun acte d’instruction « au sens usuel du terme » n’a été effectué avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2003 n’était pas davantage motivée puisqu’elle ne procédait pas d’une interprétation raisonnable de cette notion. Selon eux, une telle définition ne concorde en effet pas avec la notion communément admise de l’acte d’instruction au sens de toute mesure d’information utile à la manifestation de la vérité, prise ou ordonnée par une juridiction d’instruction, qui a notamment pour effet d’interrompre la prescription de l’action publique conformément à l’article 22 du titre préliminaire du CIC (paragraphe 31 ci-dessus). Or les faits de l’espèce démontrent que de tels actes ont été accomplis avant le 5 août 2003. C’est dans ce sens que se sont d’ailleurs prononcés tant le procureur fédéral que l’avocat général à la Cour de cassation (paragraphes 15 et 19 ci-dessus).

ii. Le Gouvernement

42. Le Gouvernement fait valoir que tant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel que la Cour de cassation ont précisément justifié leurs décisions en réponse aux arguments des requérants et que les motifs de leur raisonnement étaient pertinents. Il prétend que selon l’article 29 § 3 de la loi du 5 août 2003, les juridictions belges devaient en effet, pour affirmer leur compétence, constater l’existence d’un acte d’instruction accompli à la date d’entrée en vigueur de la loi. S’il est vrai que la loi ne définit pas la notion d’acte d’instruction, les juridictions internes ont bien pris soin de définir ce qu’il y avait lieu d’entendre par acte d’instruction, et ont considéré qu’aucun des actes posés en l’espèce n’entrait dans cette définition.

43. Le Gouvernement rappelle que si l’article 6 de la Convention exige une motivation suffisante et admissible, il n’implique pas de la part de la Cour un contrôle substantiel de la décision rendue par la juridiction interne. En l’espèce il y a lieu de constater que la conception de l’acte d’instruction retenue par les juridictions internes n’est ni arbitraire ni manifestement déraisonnable ; elle cadre avec la finalité de la loi du 5 août 2003 contrairement à celle défendue par les requérants qui, comme l’a fait valoir l’avocat général à la Cour de cassation, aurait abouti à priver le régime transitoire de sa raison d’être. À cela s’ajoute que les requérants ont limité dans leur mémoire en cassation les moyens portés devant la Cour de cassation aux actes de procédure écartés par la chambre des mises en accusation.

b) Appréciation de la Cour

44. La Cour note que les motifs de l’arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles du 9 juin 2011 – qui a débouté les requérants en appel – tenaient, à titre principal, à ce que les faits tels qu’ils les dénonçaient ne pouvaient être qualifiés d’infractions au sens des articles 136bis à 136quater du code pénal, et en ordre subsidiaire, que, même si ces actes pouvaient être qualifiés d’actes de génocide, quod non, les actes posés avant l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2003 n’étaient pas des actes d’instruction au sens des dispositions transitoires de la loi (paragraphe 27 ci‑dessus). Contrairement à la lecture que donnent les requérants de ce raisonnement, il apparaît à la Cour que chacun de ces motifs peut suffire en lui-même pour justifier la décision de la chambre des mises en accusation.

45. C’est aussi le raisonnement de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 18 janvier 2012, a considéré que la décision de la chambre des mises en accusation constatant l’absence d’acte d’instruction rendait sans pertinence les conclusions des requérants soutenant que les faits dénoncés par eux constituaient les infractions visées par les articles 136bis à 136quater du code pénal, et a, du même coup, rejeté le moyen que les requérants tiraient du défaut de motivation de la décision concernant l’applicabilité des dispositions précitées.

46. Cette approche des juridictions internes – qui n’estiment pas nécessaire de se prononcer sur la qualification des infractions puisqu’en tout état de cause, l’action publique est irrecevable pour un autre motif – n’apparaît pas critiquable aux yeux de la Cour. Elle limite du même coup la portée de son examen du grief de défaut de motivation à la seule question de l’absence d’actes d’instruction.

47. Sur ce terrain ainsi délimité, les requérants allèguent que l’interprétation donnée par les juridictions internes de la notion d’acte instruction n’est pas légalement justifiée et est manifestement déraisonnable, et que ces juridictions ont donc manqué à leur obligation de motivation au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

48. La Cour rappelle que, même si les tribunaux ne sauraient être tenus de donner une réponse détaillée à chaque argument d’une partie (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288, et Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303-A), ils ne sont pour autant pas dispensés d’examiner dûment les moyens décisifs pour l’issue de la procédure et d’y répondre (Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 84, 11 juillet 2017, et Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 185, 6 novembre 2018). Si, de surcroît, ces moyens ont trait aux droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles, les juridictions nationales sont astreintes à les examiner avec une rigueur et un soin particuliers (voir, parmi d’autres, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 96, 28 juin 2007, et Felloni c. Italie, no44221/14, § 24, 6 février 2020).

49. Quant à l’exactitude de l’interprétation du droit interne – que les requérants contestent –, la Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il appartient d’interpréter la législation interne, et que, sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, sa tâche se limite à déterminer si ses effets sont compatibles avec la Convention (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 149, 20 mars 2018, S., V. et A. c. Danemark [GC], nos35553/12 et 2 autres, § 148, 22 octobre 2018, et Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018). La Cour, qui n’est pas une instance d’appel, n’est donc pas appelée à rechercher si les arguments ont été adéquatement traités (Van de Hurk, précité, § 51, Perez, précité, § 80, et Fourchon c. France, no 60145/00, § 22, 28 juin 2005).

50. En l’espèce, la Cour observe que la chambre des mises en accusation et la Cour de cassation ont écarté la compétence des juridictions belges au départ d’une même interprétation de la notion d’« acte d’instruction », au sens de tout acte par lequel le juge d’instruction, agissant dans l’exercice de sa mission de recherche de la vérité, recueille les informations pertinentes pour le jugement de la cause. C’est également l’interprétation retenue par l’avocat général à la Cour de cassation. De cette définition, que la chambre des mises en accusation a estimé correspondre « au sens usuel du terme », étaient exclus, selon elle, les actes de procédure posés en l’espèce. De même, la Cour de cassation a estimé que ni le procès-verbal de constitution de partie civile, ni le procès-verbal de transfert du dossier au parquet, ni le procès-verbal de saisine du parquet fédéral, ne constituait un commencement de l’instruction proprement dite et n’entrait donc pas dans la notion d’acte d’instruction telle qu’elle résultait de l’économie de la loi du 5 août 2003.

51. Examinant ces motifs à la lumière de la jurisprudence rappelée ci‑dessus, la Cour considère que les juridictions internes ont donné une réponse spécifique et explicite au moyen soulevé par les requérants et qu’il ne saurait être jugé qu’elles ont manqué à leur obligation de motivation à cet égard.

52. En outre, la Cour n’aperçoit rien d’arbitraire ou de manifestement déraisonnable dans l’interprétation donnée par les juridictions internes de la notion d’acte d’instruction. Ainsi que le fait valoir le Gouvernement, cette interprétation correspond à la finalité de la loi du 5 août 2003 de limiter le contentieux basé sur la compétence universelle tout en évitant, par la mise en place d’un régime transitoire, que soient affectées les affaires pendantes à l’instruction. Force est également de considérer, ainsi que l’a souligné l’avocat général à la Cour de cassation (paragraphe 19 ci-dessus), que suivre l’interprétation proposée par les requérants aurait pour effet de priver le régime transitoire de son objet puisque l’ouverture de tout dossier d’instruction présuppose un acte de saisine qui est, selon la disposition pertinente de procédure pénale belge, interruptif de la prescription.

53. En ce qui concerne l’application de cette interprétation aux faits de l’espèce, les requérants se plaignent que des actes pourtant accomplis par le juge d’instruction – l’enquête sur l’immunité diplomatique et l’ordonnance en application de l’article 61ter du CIC – ont été écartés alors qu’ils auraient dû, selon eux, être considérés comme des actes d’instruction. Ils appuient cette thèse sur les conclusions de l’avocat général à la Cour de cassation (paragraphe 19 ci‑dessus).

54. La Cour observe à cet égard que, dans le mémoire à l’appui de leur pourvoi en cassation, les requérants se sont eux-mêmes limités à se référer au procès-verbal de constitution de partie civile, au procès-verbal de transfert du dossier au parquet et au procès-verbal de saisine du parquet fédéral, sans mentionner les autres actes d’instruction pourtant explicitement écartés par la chambre des mises en accusation (paragraphe 16 ci-dessus) et considérés comme pertinents par l’avocat général à la Cour de cassation.

55. Il y a donc lieu, selon la Cour, de constater que les requérants ont délimité leur argumentation devant la Cour de cassation et de considérer que la circonstance que celle-ci n’a pas fait mention des autres actes d’instruction ne saurait davantage passer pour un défaut de motivation.

56. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la motivation des décisions rendues par la chambre des mises en accusation et la Cour de cassation.

2. Accès à un tribunal

a) Thèses des parties

57. Les requérants soutiennent que les modifications législatives subséquentes – en soumettant la recevabilité de leur action à des conditions qui n’existaient pas au moment de l’ouverture de la procédure, et, au surplus, sans définir de façon précise les notions clés, telles que celle d’acte d’instruction, – ont abouti de facto à les priver du droit d’accès à un tribunal. À l’époque où ils ont déposé leur plainte, en 2001, la loi reconnaissait la compétence universelle des juridictions belges et les conditions de recevabilité de leur action étaient remplies. La loi du 5 août 2003 est venue ensuite modifier de manière brutale les règles de compétence des juridictions belges pour l’avenir et, limiter, par le biais des dispositions transitoires, de manière rétroactive, l’accès à un tribunal pour les procédures en cours. À cela s’ajoute que dans leur procédure, le magistrat instructeur s’est saisi du dossier dès 2001, pour le compléter en 2003, et le procureur fédéral a expressément indiqué que la possibilité de dessaisissement prévue par la première mouture des dispositions transitoires de la loi n’était pas applicable. Ce n’est finalement qu’en 2008 que la question de la satisfaction aux critères posés par l’article 29 § 3 de la loi, entre-temps modifié, s’est posée. Les requérants sont donc restés cinq ans dans la conviction qu’ils continueraient à bénéficier de la compétence universelle des juridictions belges.

58. Le Gouvernement fait valoir que le droit d’accès à un tribunal n’est pas un droit absolu et que les restrictions qui sont intervenues en l’espèce étaient légitimes et proportionnées. La loi du 5 août 2003 visait à mettre fin aux problèmes suscités par l’application de loi de 1993 qui avait institué un cas unique en son genre de compétence universelle par défaut ou in absentia sans aucun critère de rattachement avec la Belgique. Il s’agissait, dans un objectif de bonne administration de la justice, d’éviter une explosion du contentieux basé sur la compétence universelle et une instrumentalisation de celle-ci à des fins politiques, et de prévenir les difficultés en matière de collecte et d’appréciation des preuves. Pour autant, cette loi a maintenu une large possibilité de poursuites contre les auteurs en matière de droit pénal humanitaire et prévu un régime transitoire pour les affaires en cours pendantes à l’instruction. L’appréciation de la proportionnalité de la restriction au droit d’accès qui en a résulté doit tenir compte de ce que la Convention n’impose pas aux États de prévoir une compétence universelle inconditionnelle de leurs juridictions et qu’en l’abrogeant, la Belgique n’a pas contrevenu à ses autres engagements internationaux. Quant à la solution finalement appliquée aux requérants, le Gouvernement renvoie à son argumentation sur le terrain de la motivation des décisions internes pour faire valoir que l’entrave qui en a résulté était basée sur un critère objectif dénué de tout arbitraire.

b) Appréciation de la Cour

59. La Cour souligne d’emblée qu’à la différence de l’affaire Naït‑Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, 15 mars 2018 qui portait sur la question de la compétence universelle des juridictions civiles dans le cadre d’une procédure civile autonome, la présente espèce concerne la possibilité de se constituer partie civile dans une procédure pénale engagée devant les juridictions pénales sur la base du principe de compétence universelle. Cela étant, dans les deux types d’affaires, c’est le droit d’accès à un tribunal en matière civile qui est en cause et les principes généraux que la Cour a rappelés dans l’arrêt Naït‑Liman à ce sujet (§§ 112-116) s’appliquent de la même manière.

60. La présente affaire met également en cause l’application d’une loi à des procédures judiciaires en cours. À cet égard la Cour réaffirme que si, en principe, il n’est pas interdit au pouvoir législatif de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 de la Convention s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire du litige (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 126, CEDH 2006‑V, et références citées).

61. En l’espèce, les requérants ont subi de toute évidence une limitation de leur droit d’accès à un tribunal en ce que les juridictions belges se sont déclarées incompétentes pour connaître de l’action publique qu’ils avaient mise en mouvement en se constituant partie civile en mains du juge d’instruction de Bruxelles. Cette limitation de compétence était déduite du dispositif transitoire de la loi du 5 août 2003 qui est venue abroger la loi du 16 juin 1993 prévoyant une compétence universelle même en l’absence de lien de rattachement avec la Belgique (paragraphe 27 ci-dessus).

62. Les requérants allèguent que l’intervention du législateur et l’influence qu’elle a eue sur le dénouement de leur action judiciaire a constitué une entrave disproportionnée à leur droit d’accès à un tribunal. Ils se plaignent que la nouvelle loi a été d’application immédiate et que les limitations qu’elle a apportées à la compétence des juridictions belges ont pesé sur le sort des affaires qui, comme la leur, étaient en cours d’instruction au moment de l’entrée en vigueur de la loi.

63. La Cour réitère que le litige devant elle est limité aux conséquences en matière civile des restrictions apportées par le législateur belge à la compétence universelle dans le domaine pénal. Il échet donc d’apprécier les effets de la loi du 5 août 2003 sur l’action civile des requérants à la lumière du contexte pénal de leur constitution de partie civile.

64. Sur le point de savoir, en premier lieu, si les limitations du droit d’accès des requérants à un tribunal poursuivaient un but légitime, le Gouvernement explique que le but poursuivi par le nouveau dispositif était d’assurer la bonne administration de la justice. Il fait valoir à cet égard le risque de surcharge pour les tribunaux qui aurait résulté d’une explosion du contentieux basé sur la compétence universelle sans aucun lien de rattachement avec la Belgique ainsi que les difficultés pratiques pour les juridictions belges sur le terrain de l’administration de la preuve. Il ressort également des travaux préparatoires de la loi du 5 août 2003 que la réforme visait à remédier à des tensions diplomatiques suscitées par la reconnaissance de cette compétence universelle absolue et l’utilisation politique manifestement abusive qui en avait résulté (paragraphe 27 ci‑dessus).

65. Il est vrai que les États qui, comme la Belgique, ont rendu leurs juridictions compétentes pour connaître de demandes de réparation pour des actes de torture, donnent effet au large consensus dans la communauté internationale sur l’existence d’un droit de victimes d’actes de torture à une réparation appropriée et effective, y compris quand leurs demandes se fondent sur des faits commis en dehors des frontières géographiques de l’État du for. La Cour rappelle toutefois qu’il ne résulte ni du droit international ni de la Convention une obligation à charge des États contractants de se doter d’une compétence universelle civile (voir, mutatis mutandis, Naït-Liman, précité, § 198). De plus, elle a reconnu qu’en tout cas il n’était pas déraisonnable pour un État de lier une compétence universelle civile à des facteurs de rattachement avec cet État (ibidem, §§ 218-219). En l’espèce, elle estime que les motifs invoqués par le Gouvernement pendant l’examen du projet de loi par le parlement, tenant à la bonne administration de la justice, pour justifier l’introduction par le législateur de nouveaux critères de compétence universelle (paragraphe 63 ci-dessus), ainsi que le lien avec la question d’immunité que ces poursuites soulevaient au regard du droit international, pouvaient être considérés comme des motifs d’intérêt général impérieux. La légitimité du but n’a, du reste, pas prêté à controverse entre les parties (voir, mutatis mutandis, Naït-Liman, précité, §§ 126 et 128).

66. La Cour doit ensuite rechercher si les conséquences qui ont découlé en l’espèce sur le déroulement de la procédure des requérants étaient proportionnées par rapport au but poursuivi par la loi.

67. La Cour note qu’en 2001, au moment où les requérants se sont constitués partie civile, le droit belge reconnaissait la compétence universelle pénale dans une forme absolue. Le législateur a ensuite progressivement introduit des critères de rattachement ratione personae et ratione loci avec la Belgique ainsi qu’un système de filtrage de l’opportunité des poursuites (paragraphe 27 ci‑dessus). Lors de l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2003, le 7 août 2003, la procédure que les requérants avaient mise en mouvement en 2001 ne répondait pas aux nouveaux critères de compétence des juridictions belges définis pour l’avenir. L’affaire des requérants n’aurait donc pas pu être maintenue sur cette base. Toutefois elle n’a pas non plus fait l’objet, comme l’a indiqué le procureur fédéral dans son courrier du 1er mars 2004, de la procédure de dessaisissement instaurée par la nouvelle loi, étant donné qu’au moins un plaignant était de nationalité belge au moment de l’engagement initial de l’action publique (paragraphe 8 ci-dessus), ce qui répondait à une des conditions prévues par le régime transitoire de la loi du 5 août 2003. L’affaire des requérants est donc restée à l’instruction.

68. La poursuite de l’action publique s’est ensuite heurtée aux règles d’immunité profitant à certains des inculpés, pour finalement se cristalliser, à partir de l’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 2010, sur le point de savoir si, en vertu des dérogations prévues par le dispositif transitoire de la nouvelle loi (paragraphe 27 ci-dessus), la compétence des juridictions belges pouvait être maintenue du fait de l’accomplissement d’un acte d’instruction avant l’entrée en vigueur de la loi (paragraphe 14 ci-dessus).

69. Comme les juridictions belges n’ont pas été dessaisies de l’affaire des requérants dès l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2003, l’on ne saurait considérer que l’intervention du législateur, du seul fait que la loi s’appliquait aux affaires pendantes, rendait vaine toute continuation des procédures (voir, a contrario, Arnolin et autres c. France, nos 20127/03 et 24 autres, §§ 73-74, 9 janvier 2007, et Ducret c. France, no 40191/02, §§ 36-37, 12 juin 2007). Néanmoins, eu égard à la décision de la Cour de cassation selon laquelle la compétence des juridictions belges ne pouvait être maintenue que si un acte d’instruction avait été accompli avant l’entrée en vigueur de la loi (arrêt du 8 décembre 2010, voir paragraphe 14 ci‑dessus), l’action engagée par les requérants était nécessairement vouée à l’échec s’il s’avérait qu’un tel acte n’avait pas été accompli. C’est effectivement ce qu’ultérieurement la chambre des mises en accusation et la Cour de cassation ont constaté (arrêts respectivement des 9 juin 2011 et 18 janvier 2012, voir paragraphes 16 et 21 ci-dessus).

70. Cela étant dit, il est également vrai que la notion d’acte d’instruction au sens de l’article 29 § 3 de la loi du 5 août 2003 n’a pas été précisée dans la loi même et qu’elle a fait l’objet d’interprétations différentes (paragraphe 19 ci‑dessus).

71. À cet égard toutefois, la Cour constate qu’une fois la pertinence de l’accomplissement d’un acte d’instruction soulignée par la Cour de cassation (dans son arrêt du 8 décembre 2010, paragraphe 14 ci‑dessus), les requérants ont limité leur argumentaire à cet égard à certains actes de procédure (paragraphe 18 ci‑dessus). La Cour ne s’exprime pas sur le point de savoir s’ils auraient utilement pu élargir leur thèse à d’autres actes de procédure qui avaient, eux aussi, été écartés par la chambre des mises en accusation (paragraphe 16 ci-dessus) ; elle constate toutefois que ces autres actes ont par la suite été considérés comme pertinents par l’avocat général à la Cour de cassation (paragraphe 19 ci-dessus). Quoi qu’il en soit, force est de constater que le grief des requérants, tel que développé dans leur second moyen en cassation, se référait à certains actes précis.

72. La Cour rappelle de plus qu’elle a considéré que les motifs retenus par les juridictions pour se déclarer incompétentes n’étaient ni arbitraires ni manifestement déraisonnables (paragraphe 52 ci-dessus).

73. Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, la Cour estime que le rejet par les juridictions belges, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2003, de leur compétence pour connaître de la constitution de partie civile introduite en 2001 par les requérants en vue d’obtenir la mise en mouvement d’une action publique du fait de violations graves de droit international humanitaire et la réparation du préjudice qu’ils alléguaient avoir subi en conséquence, n’était pas disproportionné par rapport aux buts légitimes poursuivis.

74. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

75. Les requérants se plaignent que les restrictions apportées par la loi du 5 août 2003 à la compétence universelle des juridictions belges à l’endroit des crimes dont ils s’estiment victimes les ont privés de leur droit à un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention.

76. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

77. Les arguments invoqués à l’appui du grief coïncident avec la thèse développée sur le terrain du droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6. Vu sa conclusion relative à cet égard (paragraphes 73 et 74 ci-dessus), la Cour estime, avec le Gouvernement, qu’il n’y a pas lieu d’examiner aussi l’affaire sous l’angle de l’article 13, les exigences du second étant moins strictes que celles du premier et absorbées par elles en l’espèce (voir, entre autres, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000-XI).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief relatif à l’article 13 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 mars 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan Blaško                                Georgios A. Serghides
Greffier                                                Président

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ANNEXE

No Prénom NOM Année de naissance Nationalité Lieu de résidence
1 Abdel Mannan Taha AL RAMAHI 1942 jordanien Amman
2 Ghazi Zain Mahmoud AL TALLEH 1963 jordanien Amman
3 Abdulla Husni FATAYER 1930 jordanien Amman
4 Ziad Faris Mohammad Fares HAITAN 1969 jordanien Amman
5 Husam Yousef Mohammed HASSOUNEH 1973 jordanien Amman
6 Salam Yasin Subri HUSSEIN 1967 jordanien Amman
7 Al-Moa’Taz Bellah Mohammad Ahmad ISMAEL 1968 jordanien Amman
8 Iyad Abdalla Basim Abdalla KHAZAN 1970 jordanien Amman
9 Marwan Abdel Wahab Seleiman OBEID 1971 jordanien Amman
10 Qasem Hamdan Mohammad QASEM 1937 jordanien Amman

Dernière mise à jour le mars 16, 2021 par loisdumonde

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