AFFAIRE KOLESNIKOVA c. RUSSIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 45202/14

INTRODUCTION. La présente affaire concerne l’atteinte prétendument portée à la présomption d’innocence de la requérante par la motivation d’une décision des autorités d’enquête ainsi que le manque allégué d’impartialité des juges de la juridiction saisie de la contestation de l’intéressée contre la décision litigieuse.

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE KOLESNIKOVA c. RUSSIE
(Requête no 45202/14)
ARRÊT

Art 6 § 1 (pénal) • Tribunal impartial • Rejet d’une demande de récusation non abusive de tous les juges d’un tribunal ayant décidé eux‑mêmes de la récusation dirigée contre eux • Instance de cassation n’ayant pas remédié aux déficiences litigieuses

STRASBOURG
2 mars 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Kolesnikova c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Paul Lemmens, président,
Georgios A. Serghides,
Dmitry Dedov,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête (no 45202/14) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Olga Kondratyevna Kolesnikova (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 juin 2014,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 février 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire concerne l’atteinte prétendument portée à la présomption d’innocence de la requérante par la motivation d’une décision des autorités d’enquête ainsi que le manque allégué d’impartialité des juges de la juridiction saisie de la contestation de l’intéressée contre la décision litigieuse.

EN FAIT

2. La requérante est née en 1958 et réside à Arkhangelsk. Elle a été représentée par Me V.I. Nifantyev, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par M. M. Galperine, représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

4. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

5. Au mois de mai 2008, la requérante démissionna de ses fonctions de juge et de présidente de la cour du district autonome Nénetski de la région d’Arkhangelsk (« la cour du district »).

6. À une date non spécifiée dans le dossier, deux employées chargées des finances à la cour du district, S. et M., furent poursuivies pour un détournement de fonds qu’elles auraient commis entre 2004 et 2008. Dans le cadre des poursuites pénales dirigées contre ces employées, la requérante figura en tant que témoin.

7. Le 12 juillet 2011, les autorités d’enquête lancèrent une procédure de vérification préliminaire contre la requérante sur la base de l’article 144 du code de procédure pénale (CPP) eu égard à des éléments rassemblés dans le cadre de l’investigation menée à l’endroit de S. et de M. D’après les autorités d’enquête, la requérante avait commis une infraction réprimée par l’article 293 § 1 du code pénal (CP) (paragraphe 24 ci‑dessous), ayant omis de prendre des mesures nécessaires pour prévenir le détournement de fonds dont S. et M. avaient été accusées.

8. Ultérieurement, respectivement en septembre 2011 et en décembre 2011, S. et M. furent reconnues coupables de détournement de fonds et condamnées à des peines différentes.

9. Le 16 mars 2012, dans le cadre de la vérification préliminaire conduite contre la requérante, l’enquêteur Ch. du département du comité d’instruction de la région d’Arkhangelsk et du district autonome Nénetski (« le comité d’instruction ») rendit une décision de non-lieu. S’appuyant sur un certain nombre d’éléments rassemblés au cours de la vérification préliminaire, dont les déclarations de la requérante, l’enquêteur estima que les éléments constitutifs de l’infraction réprimée par l’article 293 § 1 du CP n’étaient pas réunis. Il indiqua notamment qu’aucun élément du dossier ne permettait d’affirmer que la requérante avait omis de remplir ses devoirs professionnels ou qu’elle avait fait montre de négligence en les accomplissant. Il indiqua en outre que le délai de prescription de la responsabilité pénale pour l’infraction visée à l’article 293 § 1 du CP avait expiré en 2010.

10. À une date non spécifiée dans le dossier, la décision du 16 mars 2012 fut annulée.

11. Le 5 mai 2012, l’enquêteur N. du comité d’instruction rendit à son tour une décision par laquelle il refusa d’ouvrir une enquête pénale contre la requérante, cette fois-ci pour cause de prescription, cas prévu par l’article 24 § 1 alinéa 3 du CPP (paragraphe 25 ci‑dessus). La décision se lisait comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Il est établi que, pendant la période allant du 17 juin 2002 au 1er mai 2008, [Mme] Kolesnikova a occupé le poste de présidente de la cour du district autonome Nénetski et était chargée de remplir, outre ses fonctions de juge et des fonctions procédurales, les fonctions visant à assurer le travail de la cour et de son personnel (…), y compris la mise en place de la comptabilité. Toutefois, ayant fait preuve d’une attitude peu consciencieuse et de négligence envers le service, [Mme] Kolesnikova n’a pas dûment rempli ses fonctions ; [notamment], elle n’a pas rempli l’intégralité de ses fonctions relatives à [la tenue] de la comptabilité et [n’a pas respecté] les dispositions légales [en la matière].

(…)

Selon l’article 15 § 2 du CP, l’infraction réprimée par l’article 293 § 1 du CP est d’une gravité moyenne. Selon l’article 78 § 1 a) du CP, une personne est [dégagée] de toute responsabilité pénale une fois le délai de deux ans après la commission de l’infraction écoulé. [Mme] Kolesnikova a commis la négligence [en cause] pendant la période comprise entre 2004 et le 1er mai 2008 ; par conséquent, le délai de prescription de sa responsabilité pénale a expiré le 2 mai 2010. »

12. Le 10 décembre 2012, le président de la cour du district, agissant au nom du conseil des juges du district Nénetski, adressa une lettre au conseil des juges de la Fédération de Russie. Dans cette lettre, il demandait des clarifications quant à la façon la plus appropriée de lancer une procédure en annulation du statut de juge à la retraite de la requérante eu égard au contenu de la décision de l’enquêteur N. du 5 mai 2012.

13. La requérante saisit la justice d’une demande en annulation de la décision de l’enquêteur N. du 5 mai 2012 sur la base de l’article 125 du CPP (paragraphe 35 ci‑dessous). Dans sa demande, elle se plaignait que la conclusion de l’enquêteur selon laquelle elle avait commis l’infraction visée à l’article 293 §1 du CP n’était pas étayée par les éléments du dossier et, par conséquent, était illégale.

14. Le 27 décembre 2012, le tribunal de la ville de Naryan-Mar débouta l’intéressée. Dans sa décision, le tribunal estima que tant la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse que les motifs sous-tendant ladite décision étaient conformes à la législation nationale.

15. La requérante interjeta appel de cette décision devant la cour du district.

16. La cour du district fixa la date de l’examen de l’appel de la requérante au 18 avril 2013.

17. Le 3 avril 2013, la requérante forma une demande de récusation visant tous les juges de la cour du district, précisant souhaiter que l’examen de son appel fût dévolu à une juridiction d’appel située en dehors du district Nénetski. Dans sa demande, elle indiquait tout d’abord craindre un manque d’impartialité du président de la cour du district. Elle faisait référence à cet égard à la lettre envoyée par ce dernier le 10 décembre 2012 au conseil des juges de la Fédération de Russie, et elle se référait en outre à des plaintes pénales que ce magistrat avait précédemment soumises au procureur aux fins de l’ouverture d’une enquête pénale contre elle pour abus de fonctions. Ensuite, elle exprimait ses craintes quant à un manque d’impartialité des juges Ku. et N., ainsi que du vice-président de la cour du district, F., précisant que ces magistrats avaient représenté la partie lésée, c’est-à-dire la cour du district elle-même, dans les procédures pénales dirigées contre M. et S. Enfin, elle alléguait que les autres juges de la cour du district pouvaient manquer d’impartialité au motif qu’ils avaient travaillé avec elle pendant la période correspondant à sa présidence de la cour du district.

18. Le 18 avril 2013, la cour du district, siégeant en une formation composée des juges G., Ka., et S., rejeta la demande de récusation introduite par l’intéressée le 3 avril 2013. Pour ce faire, les juges indiquèrent qu’aucune des raisons invoquées par la requérante dans sa demande ne pouvait constituer un motif de récusation au sens de l’article 61 du CPP. De plus, ils relevèrent que les juges de la cour du district bénéficiaient des garanties d’indépendance dans l’exercice de leurs fonctions conformément à la loi no 3132-FZ du 26 juin 1992 portant sur le statut des juges.

19. Toujours le 18 avril 2013, la cour du district, siégeant en la même composition, rejeta l’appel interjeté par la requérante contre la décision du tribunal de la ville de Naryan-Mar du 27 décembre 2012. Elle fit siennes les conclusions du tribunal de première instance quant à la légalité de la décision de l’enquêteur N. du 5 mai 2012.

20. La requérante introduisit un pourvoi en cassation contre la décision du 18 avril 2013.

21. Par une décision du 10 octobre 2013, la cour du district refusa de transmettre le pourvoi de la requérante au présidium de cette juridiction pour examen sur le fond. Les parties n’ont pas soumis de copie de cette décision à l’attention de la Cour.

22. La requérante introduisit un deuxième pourvoi en cassation devant la Cour suprême de la Fédération de Russie (« la Cour suprême »). Dans son recours, elle se plaignait notamment d’un manque d’impartialité de la cour du district dans les termes suivants :

« Je considère [que] l’examen de mes contestations par les juges de la cour du district Nénetski [était] contraire à l’éthique et aux articles 61 § 2 et 63 § 1 du CPP, car le 10 décembre 2012 – encore au stade de l’examen de ma contestation sur le fond – le président [de ladite cour] M. (qui [remplit] en même temps [la fonction de] président du conseil des juges du district Nénetski) a adressé au conseil des juges de la Fédération de Russie une demande [tendant] à l’annulation de mon statut de juge à la retraite en se basant sur la décision de l’enquêteur du 5 mai 2012 qui faisait l’objet de ma contestation, s’étant donc déjà [forgé] son opinion quant à la légalité de la décision attaquée. [Ma] demande de récusation des juges de la cour district a été rejetée ».

23. Par une décision du 4 mars 2014, la Cour suprême, siégeant en formation de juge unique, refusa de transmettre le second pourvoi de la requérante pour examen sur le fond. S’agissant du grief relatif au manque allégué d’impartialité de la cour du district, le juge unique indiqua que les juges de la cour du district n’avaient été empêchés de siéger le 18 avril 2013 lors de l’examen de l’appel de l’intéressée par aucun des motifs prévus par les articles 61 et 63 du CPP et que la demande de récusation introduite par cette dernière avait été examinée conformément à la législation en vigueur.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

I. LE CODE PÉNAL

24. L’article 293 du CP en vigueur au moment des faits était ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 293. Négligence

1. La négligence, c’est-à-dire le non-accomplissement ou l’accomplissement incomplet par un fonctionnaire de ses obligations dû à une attitude peu consciencieuse ou négligente envers le service, si elle a causé un préjudice considérable ou a porté atteinte aux droits et intérêts légitimes de citoyens ou de personnes morales ou aux intérêts juridiquement protégés de la société ou de l’État, est punie (…) »

II. LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

A. Sur l’abandon des poursuites pénales

25. Selon l’article 24 § 1 alinéa 3 du CPP, en cas de dépassement du délai de prescription, une enquête pénale ne peut être ouverte et une enquête pénale ouverte doit être close.

26. Selon l’article 27 § 2 du CPP en vigueur au moment des faits, l’abandon des poursuites pénales pour les motifs indiqués à l’alinéa 3 de l’article 24 § 1 du CPP n’était pas permis si le suspect ou l’accusé s’y opposait. Dans ces circonstances, l’action pénale se déroulait conformément aux dispositions générales de la procédure.

B. Sur la compétence territoriale

27. Selon l’article 35 § 1 alinéa 1 du CPP, une affaire pénale peut être examinée sur demande d’une partie à la procédure par un tribunal d’un ressort territorial différent dans le cas où il a été fait droit à la demande de récusation de cette partie visant toute la formation judiciaire conformément à l’article 65 du CPP.

C. Sur la récusation

28. Les articles 61 à 65 du CPP régissent les cas de récusation et d’abstention des juges dans la procédure pénale.

29. Les articles 61 et 63 du CPP en vigueur au moment des faits énuméraient les circonstances dans lesquelles un juge ne pouvait participer à l’examen d’une affaire pénale :

– si le juge en question était partie à l’affaire soumise à son examen (article 61 § 1 alinéa 1 du CPP) ;

– s’il avait auparavant pris part à l’examen de l’affaire pénale en une qualité différente (juré, expert, spécialiste, traducteur, témoin instrumentaire, greffier, défenseur, représentant légal de la victime, représentant de la partie civile demanderesse, représentant de la partie civile défenderesse, investigateur, enquêteur ou procureur) (article 61 § 1 alinéa 2 du CPP) ;

– s’il avait des liens de parenté avec une personne participant à la procédure (article 61 § 1 alinéa 3 du CPP) ;

– en cas d’existence de toute autre circonstance laissant à penser qu’il avait un intérêt, direct ou indirect, à l’issue de l’affaire pénale (article 61 § 2 du CPP) ;

– ou s’il avait auparavant pris part à l’examen de l’affaire en tant que juge d’une instance de fond, d’appel ou de révision (article 63 du CPP).

30. Selon l’article 62 du CPP en vigueur au moment des faits, en présence des circonstances décrites aux articles 61 et 63, le juge devait s’abstenir de siéger lors de l’examen de l’affaire pénale (§ 1) et, à défaut, il pouvait être récusé à la demande des parties à la procédure pénale (§ 2).

31. La procédure de récusation est détaillée à l’article 65 du CPP. Toute décision portant sur une abstention ou sur une demande de récusation formulée par les parties à la procédure est prise en la forme d’une décision écrite rendue après le retrait du (des) juge(s) dans la salle des délibérations (article 65 § 1 du CPP). La nécessité de motiver la décision prise sur le fondement de l’article 65 du CPP, y compris en appel, a été soulignée à plusieurs reprises par la Cour constitutionnelle russe (décisions no 2084-O du 29 septembre 2016, no 630-O-O du 27 mai 2010 et no 237‑O‑O du 19 mars 2009).

32. La décision par laquelle il est statué sur une demande de récusation ou sur une décision d’abstention émanant d’un juge est prise par la formation judiciaire elle‑même :

– dans le cas d’une formation judiciaire à juge unique, tant en ce qui concerne l’examen de l’affaire pénale sur le fond que celui des questions relatives à la détention provisoire et aux mesures d’instruction pénale (article 65 § 4 du CPP), c’est le juge unique lui-même qui rend une décision sur la demande de récusation dirigée contre lui ;

– dans le cas d’une formation collégiale de trois juges, en cas de demande de récusation dirigée contre l’un des juges, ce sont les deux autres juges qui rendent une décision sur cette demande après avoir recueilli l’avis du magistrat visé par celle-ci (article 65 § 2 du CPP) ; si la demande de récusation concerne deux des juges ou tous les juges de la formation collégiale, c’est la formation elle‑même qui rend une décision à la majorité simple des voix (article 65 § 3 du CPP).

33. L’instance d’appel est chargée du contrôle de la décision prise sur le fondement de l’article 65 du CPP. Si cette décision porte rejet de la demande de récusation, elle n’est pas susceptible d’appel interlocutoire ; elle peut toutefois faire l’objet d’un grief inclus dans l’appel interjeté contre la décision sur le fond prise à l’issue de la procédure principale (décisions de la Cour constitutionnelle russe no 550‑O du 5 mars 2014 et no 2084‑O du 29 septembre 2016). Si en revanche elle fait droit à la demande de récusation, elle peut faire l’objet d’un appel interlocutoire de la part des parties à la procédure.

34. Lorsque la décision prise sur le fondement de l’article 65 du CPP fait droit à la demande de récusation, l’affaire pénale est soumise à l’examen d’une autre formation judiciaire (article 65 § 5 du CPP).

D. Sur la contestation judiciaire des décisions et actes des autorités d’enquête et du procureur

35. Selon l’article 125 du CPP, les décisions portant refus d’ouvrir une enquête pénale ou toutes autres décisions ainsi que les actes (ou omissions) d’un enquêteur ou d’un procureur qui sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés constitutionnels des parties à la procédure pénale ou d’entraver l’exercice par les citoyens du droit d’accès à la justice peuvent faire l’objet d’une contestation auprès d’un tribunal (§ 1). À l’issue de l’examen de la contestation, le tribunal peut soit déclarer l’acte (ou l’omission) ou la décision attaquée illégal ou infondé et enjoindre à la personne concernée de remédier au défaut constaté, soit rejeter la contestation (§ 5).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

36. La requérante dénonce un manque d’indépendance et d’impartialité de la cour du district ayant rendu les décisions du 18 avril 2013. Elle invoque les articles 6 et 13 de la Convention.

37. Maîtresse de la qualification juridique des faits (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, 20 mars 2018), la Cour estime que le grief de la requérante se prête à un examen sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…)»

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

38. Le Gouvernement argue que dans son pourvoi en cassation introduit devant la Cour suprême la requérante n’a pas soutenu que l’examen de sa demande de récusation par la cour du district lors de l’audience du 18 avril 2013 était contraire au principe nemo judex in causa sua (nul ne peut être à la fois juge et partie).

39. La requérante conteste la thèse du Gouvernement. Elle soutient que dans le pourvoi en question elle s’est bien plainte d’un manque d’impartialité des juges de la cour du district.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’épuisement des voies de recours internes

40. La Cour constate que, dans le cadre du grief qu’elle formule sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante se plaint d’un manque d’indépendance et d’impartialité de la cour du district qui a siégé le 18 avril 2013 pour examiner l’appel interjeté par elle contre la décision du 27 décembre 2012. La Cour relève que, dans son second pourvoi en cassation introduit devant la Cour suprême, la requérante s’est appuyée sur les articles 61 § 2 et 63 § 1 du CPP (paragraphe 29 ci‑dessus) pour formuler ses craintes quant à l’impartialité des juges de l’instance d’appel compte tenu des agissements du président de la cour du district et qu’elle a indiqué que sa demande de récusation introduite à cet égard avait été rejetée (paragraphe 22 ci-dessus). Au vu de la base factuelle des griefs et du libellé des dispositions du droit interne invoquées par la requérante, la Cour considère que l’intéressée a avancé devant les tribunaux internes des arguments juridiques d’effet similaire à ceux qu’elle a soumis à sa juridiction sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, pour les principes applicables, Radomilja et autres, précité, § 117) et qu’elle a ainsi donné aux autorités nationales l’occasion de redresser la violation alléguée, à savoir un défaut d’indépendance et d’impartialité de la cour du district. La Cour estime qu’il appartenait aux instances nationales de répondre à l’argument de la requérante et de vérifier, le cas échéant, si la demande de récusation introduite par l’intéressée avait été examinée dans le cadre d’une procédure respectant le principe nemo judex in causa sua. Elle rejette donc l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

b) Sur le respect du délai de six mois

41. Bien que le Gouvernement n’ait pas argué d’une inobservation par la requérante de la règle des six mois, la Cour rappelle que rien ne l’empêche d’examiner proprio motu cette question, qui touche à sa compétence (Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 98, 6 novembre 2018).

42. La Cour rappelle à cet égard que les règles énoncées à l’article 35 § 1 concernant l’épuisement des voies de recours internes et le délai de six mois sont étroitement liées car non seulement elles figurent dans le même article mais, de plus, elles sont exprimées dans une même phrase dont la construction grammaticale implique une telle corrélation (Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, § 130, 19 décembre 2017). Ainsi, en règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes. L’article 35 § 1 ne saurait être interprété d’une manière qui exigerait qu’un requérant saisisse la Cour de son grief avant que la situation relative à la question en jeu n’ait fait l’objet d’une décision définitive au niveau interne, faute de quoi le principe de subsidiarité en serait atteint. Cependant, dans le cadre de cette disposition, seuls les recours normaux et effectifs peuvent être pris en compte car un requérant ne peut pas repousser le délai strict imposé par la Convention en cherchant à adresser des requêtes inopportunes ou abusives à des instances ou institutions qui n’ont pas le pouvoir ou la compétence nécessaires pour accorder une réparation effective concernant le grief tiré de la Convention (ibidem, §§ 131‑132).

43. La Cour rappelle aussi que, en ce qui concerne la procédure pénale existant avant le 1er janvier 2013, une décision interne « définitive » au sens de l’article 35 de la Convention était celle rendue par une juridiction statuant en appel (une juridiction de deuxième degré) (Berdzenishvili c. Russie (déc.), no 31697/03, 29 janvier 2004). Le 1er janvier 2013, une nouvelle procédure de cassation est venue compléter le CPP, ouvrant deux nouveaux recours consécutifs devant les présidiums des cours régionales (juridictions de troisième degré) et devant la Cour suprême russe (juridiction de quatrième degré), respectivement, et instaurant un délai d’un an pour l’introduction des recours susmentionnés (Kashlan c. Russie (déc.), no 60189/15, §§ 10 et 19, 19 avril 2016). Le 31 décembre 2014, le délai d’un an imparti précédemment pour l’exercice des recours en cassation a été aboli (ibidem, § 20). Dans la décision Kashlan précitée (§§ 24-27), la Cour a indiqué que la procédure de cassation devant les juridictions pénales telle qu’elle existait entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2014 était largement similaire à celle devant les juridictions civiles et dont l’effectivité au sens de l’article 35 § 1 de la Convention avait été reconnue dans la décision Abramyan et autres c. Russie ((déc.), nos 38951/13 et 59611/13, § 93, 12 mai 2015). La suppression après le 31 décembre 2014 du délai d’unan imparti pour saisir les juridictions du troisième et du quatrième degré a cependant fait obstacle à la reconnaissance par la Cour de la procédure de cassation telle qu’elle était en place après cette date en tant que recours à épuiser (Kashlan, décision précitée, § 27).

44. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note que, après avoir fait usage de l’appel ordinaire, la requérante s’est pourvue en cassation devant les juridictions pénales de troisième et de quatrième degré, qui ont rendu leurs décisions respectives le 10 octobre 2013 et le 4 mars 2014 (paragraphes 21 et 23 ci‑dessus). L’intéressée a donc eu recours à la procédure de cassation dans sa version existant avant la modification du 31 décembre 2014. Eu égard à ses considérations exposées aux paragraphes 42 et 43 ci‑dessus, la Cour estime que ces recours n’étaient pas voués à l’échec et que les instances saisies par la requérante avaient le pouvoir nécessaire d’accorder une réparation effective. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas soutenu le contraire et il a argué que la requérante n’avait pas soulevé son grief tiré de l’article 6 de la Convention devant la Cour suprême, privant ainsi celle-ci de la possibilité de remédier à la situation dénoncée (paragraphe 38 ci‑dessus), ce qui, pour la Cour, implique nécessairement l’effectivité du recours en question exercé par l’intéressée.

45. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la décision interne définitive au sens de l’article 35 § 1 de la Convention a été prise le 4 mars 2014, date à laquelle l’instance de quatrième degré a rejeté le second pourvoi en cassation interjeté par la requérante. Ayant introduit sa requête le 2 juin 2014, l’intéressée a respecté le délai de six mois imparti par l’article 35 § 1 de la Convention.

c) Conclusion quant à la recevabilité

46. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

47. La requérante soutient qu’elle pouvait raisonnablement craindre un manque d’impartialité de la part des juges de la cour du district eu égard aux pouvoirs du président de ladite cour de répartir les affaires parmi les juges, de décider la composition des formations judiciaires et de nommer leurs présidents, d’ordonner le paiement des primes et de procéder à l’appréciation des qualités professionnelles des juges lors de leur reconduction à leurs postes.

48. Le Gouvernement soutient que les juges qui ont siégé le 18 avril 2013 au sein de la formation judiciaire de la cour du district pour examiner l’appel de la requérante n’avaient pas pris part aux procédures pénales dirigées contre M. et S. et n’avaient pas eu de « relations quelconques » avec la requérante lorsqu’elle était présidente de la cour du district. Le Gouvernement argue que les juges de la cour du district n’ont pas subi de pressions quelconques et que les craintes de la requérante quant à un manque d’impartialité de leur part étaient des suppositions qui, selon lui, se sont avérées être sans fondement. Il renvoie à cet égard aux motifs de la décision de la Cour suprême du 4 mars 2014.

2. Appréciation de la Cour

49. La Cour relève que, soupçonnée d’avoir commis une négligence, infraction réprimée par l’article 293 § 1 du CP, la requérante a fait l’objet d’une vérification préliminaire menée sur la base de l’article 144 du CPP et a été amenée à déposer sur le fond à cet égard (paragraphe 9 ci‑dessus). La Cour estime que la requérante était donc « une personne soupçonnée, interrogée sur son implication dans des faits constitutifs d’une infraction pénale » au sens de l’article 6 de la Convention (voir, pour les principes applicables, Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, §§ 110‑111, 12 mai 2017). Elle constate qu’il y avait bien, au sens de la Convention, « accusation en matière pénale » dirigée contre l’intéressée, et ce nonobstant le fait qu’il n’existait pas d’enquête pénale ou de jugement de condamnation au sens du CPP en vigueur au moment des faits (voir, dans le même sens, Stirmanov c. Russie, no 31816/08, § 39, 29 janvier 2019).

50. La Cour note en même temps que la décision du 5 mai 2012 par laquelle il a été mis fin à cette accusation était susceptible d’appel par voie de contestation judiciaire et que la requérante a utilisé cette voie pour critiquer le bien‑fondé de la décision litigieuse, notamment en ce qui concerne les conclusions de l’enquêteur quant à la commission, par elle, d’une infraction visée à l’article 293 § 1 du CP (paragraphes 13‑15 ci‑dessus). Par conséquent, la Cour estime les juridictions saisies de cette contestation, y compris la cour du district, devaient présenter les garanties d’indépendance et d’impartialité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

51. La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon sa jurisprudence constante, aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est‑à‑dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel en telle occasion, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (Morice c. France [GC], no 29369/10, § 73, CEDH 2015).

52. Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier (voir, à titre d’exemple, Ramljak c. Croatie, no 5856/13, §§ 27‑42, 27 juin 2017, et Mitrov c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 45959/09, §§ 49‑52, 2 juin 2016).

53. La Cour rappelle ensuite que l’article 6 § 1 de la Convention implique pour toute juridiction nationale l’obligation de vérifier si, par sa composition, elle constitue « un tribunal impartial » au sens de cette disposition lorsque surgit sur ce point une contestation qui n’apparaît pas d’emblée manifestement dépourvue de sérieux (Farhi c. France, no 17070/05, § 25, 16 janvier 2007). Elle redit également que l’existence de procédures nationales destinées à garantir l’impartialité, à savoir des règles en matière de déport des juges, est un facteur pertinent. De telles règles expriment le souci du législateur national de supprimer tout doute raisonnable quant à l’impartialité du juge ou de la juridiction concernée et constituent une tentative d’assurer l’impartialité en éliminant la cause des préoccupations en la matière. En plus de garantir l’absence de véritable parti pris, elles visent à supprimer toute apparence de partialité et renforcent ainsi la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au public (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 99, CEDH 2009).

54. La Cour a également jugé que les craintes d’un requérant quant à l’impartialité des juges examinant son affaire étaient objectivement justifiées eu égard à la procédure que lesdits juges avaient suivie pour rejeter sa demande de récusation dirigée contre eux, tout en trouvant en même temps que les circonstances invoquées par l’intéressé à l’appui de sa demande n’étaient pas en elles-mêmes suffisantes pour mettre en doute l’impartialité du tribunal du point de vue objectif (A.K.c. Liechtenstein, no 38191/12, §§ 76‑84, 9 juillet 2015, et A.K. c. Liechtenstein (no 2), no 10722/13, § 66, 18 février 2016). En déterminant si la procédure suivie a entaché l’impartialité du juge, la Cour prend en compte les motifs invoqués dans la demande de récusation. En cas de demande fondée sur des motifs d’ordre général et abstrait, ou de demande abusive, le fait que le juge examine lui‑même pareille demande ne remet pas en cause son impartialité (Debled c. Belgique, 22 septembre 1994, série A no 292‑B, § 37, et A.K.c. Liechtenstein, précité, § 78).

55. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour relève que la requérante a demandé la récusation de tous les juges de la cour du district en se fondant sur plusieurs motifs (paragraphe 17 ci‑dessus). Elle estime que les circonstances mises en avant par la requérante à l’appui de sa demande de récusation pouvaient faire naître des craintes chez l’intéressée quant à l’impartialité objective de la formation judiciaire de la cour du district. Elle constate que les motifs invoqués par la requérante ont été suffisamment circonstanciés et faisaient état d’éléments concrets et que, dès lors, la demande tendant à la récusation des juges n’était pas abusive (Pastörs c. Allemagne, no 55225/14, § 63, 3 octobre 2019). La Cour note par ailleurs que la cour du district n’a pas non plus considéré ladite demande comme abusive et qu’elle l’a examinée au fond (paragraphe 18 ci‑dessus). Cette demande ne pouvait pas non plus paralyser l’ensemble du système judiciaire puisque l’autorité saisie n’était pas une instance de dernier degré ou une juridiction de petite taille devant laquelle des standards excessivement stricts relatifs à la récusation des juges auraient pu entraver l’administration de la justice (A.K. c. Liechtenstein, précité, §§ 82‑83). En effet, la Cour note que l’article 35 § 1 du CPP comportait un mécanisme susceptible de permettre, le cas échéant, le transfert de l’examen de l’appel de la requérante à un tribunal d’un ressort territorial différent (paragraphe 27 ci‑dessus).

56. La Cour note ensuite que, conformément à l’article 65 § 3 du CPP (paragraphe 32 ci‑dessus), la demande de récusation introduite par la requérante a été examinée par tous les membres de la formation judiciaire de la cour du district à laquelle l’appel de l’intéressée avait été attribué pour examen. Dans la mesure où la demande de récusation introduite par la requérante visait tous les juges de la cour du district, notamment quant à leurs relations avec le président de ladite cour, la Cour estime que les juges G., Ka., et S. ont examiné eux‑mêmes la demande de récusation les concernant. Elle constate ensuite que, dans leur décision du 18 avril 2013, les juges ont rejeté les arguments de la requérante d’une manière globale et sans les examiner individuellement, se limitant à indiquer qu’aucune des raisons invoquées par l’intéressée dans sa demande ne pouvait constituer un motif de récusation au sens de l’article 61 du CPP (paragraphe 18 ci‑dessus).

57. Par conséquent, la Cour estime que la procédure d’examen de la demande de récusation introduite par la requérante n’était pas conciliable avec le principe nemo judex in causa sua (nul ne peut être à la fois juge et partie) et ne pouvait, dès lors, faire dissiper les doutes raisonnables et objectifs de l’intéressée sur l’impartialité de la formation judiciaire de la cour du district (voir, à titre de comparaison, A.K.c. Liechtenstein, précité, §§ 81‑85, A.K. c. Liechtenstein (no 2), précité, §§ 66‑67, et,mutatis mutandis, Revtyuk c. Russie, no 31796/10, § 26, 9 janvier 2018).

58. La Cour rappelle qu’une juridiction supérieure peut, dans certains cas, effacer le vice dont était entachée la procédure devant le tribunal de première instance (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 134, CEDH 2005‑XIII). En l’occurrence, la Cour constate que la requérante a soulevé le grief tiré du manque allégué d’impartialité de la cour du district dans son pourvoi en cassation devant la Cour suprême (paragraphe 22 ci‑dessus). Or l’instance de cassation n’a pas effectué sa propre analyse des arguments de la requérante, mais a fait siennes les conclusions des juges de la cour du district auxquelles ces derniers étaient parvenus en décidant eux‑mêmes sur la récusation dirigée contre eux. Elle n’a donc pas remédié aux déficiences litigieuses en renvoyant, le cas échéant, l’examen de l’affaire à une juridiction dans un ressort territorial différent (Boyan Gospodinov c. Bulgarie, no 28417/07, §§ 57-58, 5 avril 2018).

59. Eu égard à ces éléments, la Cour estime que les instances nationales n’ont pas dissipé les doutes raisonnables de la requérante quant à l’impartialité de la cour du district. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

60. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, la requérante allègue que la motivation retenue par l’enquêteur N. dans les conclusions de sa décision du 5 mai 2012 quant à la commission, par elle, d’une infraction visée à l’article 293 § 1 du CP a porté atteinte au respect de la présomption d’innocence à son égard ainsi qu’à son honneur et à sa réputation. Elle soutient en outre que les juridictions nationales saisies de sa demande en annulation de la décision susmentionnée n’ont pas dûment motivé leurs décisions et qu’elles ont failli à redresser les violations alléguées de ses droits.

61. Au vu des faits de la cause et compte tenu de sa conclusion selon laquelle il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison d’un défaut d’indépendance et d’impartialité de la cour du district (paragraphe 59 ci‑dessus), la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur la recevabilité et sur le fond du reste des griefs formulés sur le terrain de cette disposition (voir, parmi d’autres précédents, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014, avec d’autres références, et Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 139, 25 septembre 2018).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

63. La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable pour dommages matériel et moral. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de sommes à ce titre.

B. Frais et dépens

64. La requérante réclame 500 000 roubles russes (RUB) au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Elle soumet à l’appui de sa demande une copie de la convention d’assistance juridique conclue avec Me V.I. Nifantyev, ainsi qu’une copie d’une attestation de paiement y afférente pour un montant de 40 000 RUB.

65. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur ce point.

66. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, mutatis mutandis, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000‑XI). Dans ce cas, la Cour tient compte des éléments fournis à l’appui des prétentions de remboursement des frais et dépens, notamment du nombre d’heures de travail que l’affaire soumise à son examen a nécessité et du tarif horaire indiqué (ibidem). En vertu de l’article 60 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour, le requérant doit soumettre des prétentions chiffrées et ventilées par rubriques et accompagnées des justificatifs pertinents, faute de quoi la Cour peut rejeter tout ou une partie de celles-ci (Mazelié c. France, no 5356/04, § 39, 27 juin 2006). En l’espèce, la Cour note que la requérante n’a ni soumis de décompte horaire du travail accompli par son représentant ni indiqué le tarif horaire correspondant. Compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 1 500 euros (EUR), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par l’intéressée à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

67. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief relatif au manque d’indépendance et d’impartialité de la cour du district ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison du manque d’indépendance et d’impartialité de la cour du district ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le fond du reste des griefs formulés sur le terrain de l’article 6 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par l’intéressée à titre d’impôt, pour frais et dépens,à convertir dans la monnaie de l’État défendeurau taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 mars 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga Chernishova                                             Paul Lemmens
Greffière adjointe                                                  Président

Dernière mise à jour le mars 2, 2021 par loisdumonde

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