Terna c. Italie (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 247
Janvier 2021

Terna c. Italie21052/18

Arrêt 14.1.2021 [Section I]

Article 8
Article 8-1
Respect de la vie familiale

Placement en institut de la petite-fille rom de la requérante disposant de sa garde depuis sa naissance, et non-exécution du droit de visite : violation

Article 14
Discrimination

Absence de justification par l’origine ethnique de l’éloignement et la prise en charge par les services sociaux de la petite-fille rom de la requérante disposant de sa garde depuis sa naissance : non-violation

En fait – La requérante, ressortissante italienne, avait été condamnée pénalement pour différents crimes. Elle disposait de la garde de sa petite-fille appartenant à l’ethnie rom depuis sa naissance en 2010.

À partir de 2016, au moment où l’enfant a été placée dans un institut, la requérante n’a cessé de demander au tribunal l’organisation de rencontres, mais elle n’a pas pu exercer son droit de visite nonobstant les décisions rendues par cette juridiction. Par la suite, l’enfant a été déclarée adoptable et le droit de visite de la requérante a été suspendu.

En droit – Article 8 :

Les parents de l’enfant ont été déchus de leur autorité parentale, et même en l’absence d’une procédure officielle de prise en charge de l’enfant par la requérante, sa grand-mère, cette dernière s’est occupée d’elle depuis sa naissance, un lien interpersonnel étroit s’était développé et la requérante s’est comportée à tous égards comme sa mère. Par conséquent, les relations entre la requérante et sa petite-fille sont en principe de même nature que les autres relations familiales protégées par l’article 8.

La requérante n’a cessé de tenter de reprendre des contacts avec l’enfant depuis le placement de cette dernière en institut et malgré les différentes décisions du tribunal, elle n’a pas pu exercer son droit de visite.

Certes, les autorités étaient confrontées en l’espèce à une situation très difficile qui découlait notamment du risque d’enlèvement allégué, en particulier par la tutrice, et de ses implications pour les modalités de déroulement des rencontres. Toutefois, à deux reprises, le tribunal a demandé aux services sociaux d’organiser les rencontres selon des modalités visant à garantir l’anonymat du lieu de placement de l’enfant, mais que les services sociaux n’ont jamais donné suite à ses injonctions.

Les autorités n’ont pas fait preuve de la diligence qui s’imposait en l’espèce et elles sont restées en deçà de ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles. En particulier, les services sociaux n’ont pas pris les mesures appropriées pour créer les conditions nécessaires à la pleine réalisation du droit de visite de la requérante.

Les juridictions internes n’ont pas pris rapidement des mesures concrètes et utiles visant à l’instauration de contacts effectifs entre la requérante et l’enfant et elles ont ensuite « toléré », pendant un certain temps, que l’intéressée ne puisse pas voir la mineure. En particulier le tribunal a décidé de suspendre le droit de visite de la requérante dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise alors qu’aucune visite n’avait jamais été organisée.

Or, bien que l’arsenal juridique prévu par le droit italien semble suffisant, aux yeux de la Cour, pour permettre à l’État défendeur d’assurer le respect des obligations positives qui découlent pour lui de l’article 8, force est de constater que les autorités ont laissé se consolider, pendant un certain temps, une situation de fait mise en place au mépris des décisions judiciaires, sans prendre en compte les effets à long terme susceptibles d’être engendrés par une séparation permanente entre l’enfant concerné et la personne chargée de s’en occuper, en l’occurrence la requérante.

Eu égard à ce qui précède et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, les autorités nationales n’ont pas déployé les efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit de visite de la requérante en méconnaissant le droit de l’intéressée au respect de sa vie familiale.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 14 combiné avec l’article 8 :

Les juridictions internes ont procédé au placement de la petite-fille de la requérante en se basant sur les expertises qui avaient constaté l’incapacité de cette dernière à exercer son rôle parental et les difficultés de l’enfant qui grandissait dans un environnement criminel et présentait des troubles de l’attachement. À la suite du placement de la mineure en institut, le tribunal a ordonné à deux reprises le maintien des contacts entre la requérante et l’enfant.

En outre, la tutrice de l’enfant avait demandé au juge des tutelles la suspension des contacts en raison d’un risque d’enlèvement de l’enfant par la communauté rom, sa communauté d’appartenance. Si dans un premier temps le juge des tutelles, agissant à titre provisoire, a fait droit à la demande de la tutrice en ordonnant la suspension des rencontres et en prévoyant des mesures provisoires de nature à prévenir un enlèvement de la mineure, le tribunal, dans l’examen du fond de l’affaire, a modifié sa décision et a ordonné aux autorités compétentes de s’assurer que les rencontres avec l’enfant pussent se dérouler en veillant à la préservation de l’anonymat du lieu de placement de cette dernière.

Quant au fait que les contacts, même si ordonnés par le tribunal, n’ont pas eu lieu, il s’agit d’un défaut d’organisation des visites par les services sociaux ayant conduit la Cour à conclure à la violation de l’article 8 à raison de l’absence d’efforts adéquats et suffisants déployés par les autorités nationales pour faire respecter le droit de visite de la requérante. Ces retards, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, montrent l’existence d’un problème systémique en Italie.

La tierce partie s’est référé à une enquête de 2011 qui montrerait un nombre élevé d’enfants rom placés en Italie. Cependant aucune motivation liée à l’origine ethnique de l’enfant et de sa famille n’a été invoquée par les juridictions internes pour justifier son placement. Celui-ci a été motivé en raison de l’intérêt supérieur de la fillette d’être éloignée d’un milieu où elle était fortement pénalisée sous différents points de vue et également en raison de l’incapacité de la requérante à exercer un rôle parental.

Quant au rôle de la tutrice, si ses considérations sont le reflet de préjugés et ne peuvent passer pour une formulation malheureuse appelant des critiques sérieuses, elles sont en soi une base insuffisante pour conclure que les décisions de juridictions étaient motivées par l’origine ethnique de l’enfant et de sa famille. Et même si le juge des tutelles a fait provisoirement droit à la demande de la tutrice en ordonnant la suspension des rencontres et en prévoyant des mesures provisoires de nature à prévenir un enlèvement de la mineure, cette décision a été par la suite modifiée par le tribunal.

Conclusion : non-violation (unanimité).

Article 41 : 4 000 EUR pour préjudice moral.

(Voir aussi Jansen c. Norvège, 2822/16, 6 septembre 2018, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le février 11, 2021 par loisdumonde

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