AFFAIRE BORNET c. SUISSE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 24412/16

INTRODUCTION. L’affaire concerne une procédure pénale à laquelle le requérant a participé en qualité de partie civile. Est en jeu l’article 6 § 1 de la Convention, en particulier sous l’angle du caractère raisonnable de la durée de la procédure.

TROISIÈME SECTION
AFFAIRE BORNET c. SUISSE
(Requête no 24412/16)
ARRÊT
STRASBOURG
22 décembre 2020

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bornet c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

Anja Seibert-Fohr, présidente,
Helen Keller,
Peeter Roosma, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointede section,

Vu :

la requête susmentionnée (no 24412/16) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant de cet État, M. Jacques Bornet (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 26 avril 2016,

les observations des parties,

Notant que le 4 juillet 2017, le grief tiré de l’article 6 de la Convention relatif à la durée de la procédure a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. L’affaire concerne une procédure pénale à laquelle le requérant a participé en qualité de partie civile. Est en jeu l’article 6 § 1 de la Convention, en particulier sous l’angle du caractère raisonnable de la durée de la procédure.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1941 et réside à Haute-Nendaz. Il a été représenté par Me S. Riand, avocat.

3. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice, représentant permanent de la Suisse auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

4. Le 23 août 2006, le requérant déposa plainte et dénonciation pénale contre R. B. auprès de l’office du juge d’instruction cantonal valaisan pour abus de confiance et gestion déloyale. Il reprocha à son ancien associé d’avoir retenu des commissions et de ne pas avoir partagé des bénéfices et intéressements divers durant plusieurs années.

5. À la demande du juge d’instruction de formuler des conclusions civiles approximatives, le requérant conclut, par courrier du 25 septembre 2006, au versement de dommages-intérêts à hauteur de 100’000 francs suisses (CHF) (environ 63’335 euros (EUR) à l’époque des faits).

6. Par écriture du 10 octobre 2006, le requérant compléta son argumentation et déclara accepter le transfert du dossier à une autorité de poursuite pénale du Valais central.

7. Le 5 septembre 2008, le requérant forma une plainte pour déni de justice. Par décision du 7 octobre 2008, le Tribunal cantonal du canton du Valais (« Tribunal cantonal ») admit la plainte et invita le juge d’instruction cantonal à donner suite à la procédure. Il mit les frais de procédure de 200 CHF à la charge de l’État du Valais et l’astreint au paiement d’une indemnité de dépens de 250 CHF en faveur du requérant. Le Tribunal cantonal constata que pendant les 25 mois qui s’étaient écoulés depuis le dépôt de la plainte pénale, aucun acte d’enquête n’avait été accompli, le démarrage de la procédure ayant buté sur la question de la compétence de l’office du juge d’instruction cantonal pour se saisir de la cause, au regard de la notion d’affaires importantes de criminalité économique.

8. Le 5 février 2009, le juge d’instruction pénal transmit la plainte et la dénonciation pénale à la police cantonale, chargée d’enquêter sur le cas et d’établir un rapport.

9. Le 14 avril 2010, la police rendit son rapport d’enquête, après avoir auditionné le requérant et R. B.

10. Le 31 janvier 2013, le requérant forma un recours pour retard injustifié devant le Tribunal cantonal.

11. Le 18 février 2013, le Tribunal cantonal jugea qu’un deuxième recours pour retard injustifié du requérant était devenu sans objet, suite à une lettre du procureur selon laquelle ce dernier entendait donner suite à la procédure. Cela étant, lorsqu’il statua sur les frais de procédure, le Tribunal cantonal constata une nouvelle violation du principe de célérité, mit les frais de procédure de 100 CHF à la charge de l’État du Valais et l’astreignit à verser au requérant un montant de 300 CHF pour ses dépens. Le Tribunal cantonal constata que le rapport d’enquête de la police du 14 avril 2010 constituait le seul acte d’instruction accompli depuis le dépôt de la plainte pénale, le 23 août 2006.

12. Le 8 janvier 2014, le procureur informa les parties de la fin de l’enquête.

13. Par ordonnance du 7 février 2014, le procureur refusa d’admettre le dépôt de pièces annexées à l’écriture du requérant du 22 janvier 2014 et rejeta toutes ses réquisitions de preuves.

14. Le même jour, le procureur rendit une ordonnance de classement de la procédure, constatant l’absence de soupçons suffisants justifiant la mise en accusation de R. B. pour abus de confiance.

15. Par ordonnance du 30 septembre 2014, le Tribunal cantonal rejeta le recours formé par le requérant contre les deux ordonnances du 7 février 2014.

16. Par arrêt du 8 octobre 2015 (6B_1059/2014), notifié au requérant le 27 octobre 2015, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant dans la mesure de sa recevabilité. Le Tribunal fédéral considéra que les griefs du requérant sur le fond de la cause étaient irrecevables au motif qu’il n’avait pas expliqué, dans son mémoire de recours, quelles prétentions civiles il entendait faire valoir contre l’intimé. Quant à la violation alléguée du principe de célérité, le Tribunal fédéral releva que la cour cantonale avait déjà constaté la violation dudit principe dans ses décisions du 7 octobre 2008 et du 18 février 2013 et qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur cette question. De surcroît, le Tribunal fédéral considéra que depuis cette dernière date, il s’était écoulé une année jusqu’au prononcé de l’ordonnance de classement le 7 février 2014, puis un peu plus de six mois jusqu’au prononcé de l’ordonnance attaquée du 30 septembre 2014. Il en conclut que ces délais étaient certes longs, mais qu’ils ne sauraient être qualifiés d’excessifs ou de choquants au vu du nombre d’infractions dénoncées.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION relative au non-respect du délai raisonnable

17. Le requérant se plaint de la durée excessive de la procédure devant les instances nationales. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

A. Sur la recevabilité

1. Incompatibilité ratione materiae

(a) Thèses des parties

18. Le Gouvernement soutient à titre principal que le grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention (article 35 § 3 de la Convention). Il affirme que le requérant n’a présenté aucun grief à caractère civil, sa volonté étant uniquement de poursuivre et de faire condamner son ancien associé. En particulier, la lettre du 25 septembre 2006 dans laquelle le requérant chiffre approximativement son dommage à 100 000 CHF ne saurait être interprétée comme présentant des conclusions civiles.

19. Le requérant rétorque qu’il s’est immédiatement constitué partie civile dans le cadre de la procédure pénale et a formulé des conclusions civiles par écrit le 25 septembre 2006. Selon lui, l’article 6 § 1 est applicable.

(b) Appréciation de la Cour

20. La Cour rappelle que l’article 6 § 1 est applicable aux procédures relatives aux plaintes avec constitution de partie civile, et ce y compris durant la phase d’instruction prise isolément (Perez c. France [GC], no 47287/99, § 66, CEDH 2004‑I), sauf dans les hypothèses de « vengeance privée », d’actio popularis ou de renonciation, établie de manière non équivoque, par la victime de l’exercice de son droit d’intenter l’action, par nature civile, offerte par le droit interne, ne serait-ce qu’en vue de l’obtention d’une réparation symbolique ou de la protection d’un droit à caractère civil (Schwarkmann c. France, no 52621/99, § 41, 8 février 2005, et Perez, précité, §§ 70-71). Cela vaut notamment lorsque le respect du délai raisonnable est en jeu (Ţăvîrlău c. Roumanie, no 43753/10, § 36, 2 février 2016, L.E. c. Grèce, no 71545/12, § 91, 21 janvier 2016, et Alexandrescu et autres c. Roumanie, no 56842/08 et 7 autres, § 22, 24 novembre 2015).

21. En l’occurrence, le requérant a formulé des prétentions civiles, dès le 25 septembre 2006, et le cas d’espèce ne relève d’aucune des exceptions citées ci-dessus, et en particulier ne s’assimile pas à une situation de « vengeance privée ». Si le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours du requérant s’agissant du fond de l’affaire, ce dernier n’ayant pas fourni d’explications sur ses prétentions civiles, le Tribunal fédéral a toutefois considéré que le requérant avait la qualité pour invoquer la violation du principe de célérité. Partant, la Cour est d’avis que l’irrecevabilité du recours du requérant auprès du Tribunal fédéral s’agissant du fond ne saurait signifier que le volet civil de l’article 6 n’est pas applicable à la présente procédure en tant qu’elle concerne le respect du délai raisonnable.

22. Dès lors, l’article 6 § 1 de la Convention est applicable en l’espèce dans son volet « civil ».

2. Qualité de victime

(a) Thèses des parties

23. Le Gouvernement considère que le requérant a perdu la qualité de victime suite aux constats de violation du principe de célérité par le Tribunal cantonal ainsi qu’à l’octroi d’indemnités pour ses dépens.

24. Le requérant soutient que ces constatations ainsi que l’allocation de faibles indemnités pour ses dépens ne sauraient suffire à réparer son préjudice et à lui faire perdre la qualité de victime.

(b) Appréciation de la Cour

25. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006‑V).

26. En l’occurrence, le Tribunal cantonal a constaté à deux reprises une violation du principe de la célérité, à savoir dans ses décisions du 7 octobre 2008 et du 18 février 2013 (voir ci-dessus §§ 7 et 11). Toutefois, ces constatations n’ont pas été suivies d’une réparation. À cet égard, les indemnités de dépens de 250 CHF, puis de 300 CHF, doivent être considérées comme une participation aux frais d’avocat engagés par le requérant lors de ses recours devant le Tribunal cantonal. Ces sommes sont insuffisantes pour réparer le dommage subi. En outre, il n’existe aucun constat de violation relatif à la période ultérieure au 18 février 2013, soit celle s’étendant jusqu’au 27 octobre 2015, date de la notification de l’arrêt du Tribunal fédéral au requérant.

27. Partant, la Cour considère que le requérant peut prétendre être victime de la violation alléguée.

3. Non-épuisement des voies de recours internes

(a) Thèses des parties

28. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, ce dernier n’ayant pas conclu, dans son recours devant le Tribunal fédéral, à l’octroi d’une indemnité à titre de réparation, ni intenté une action en responsabilité contre l’État en vue d’obtenir la réparation de son dommage.

29. Le requérant conteste la nécessité d’intenter une action en responsabilité contre l’État afin d’épuiser les voies de recours internes.

(b) Appréciation de la Cour

30. La Cour a affirmé à maintes reprises que l’article 6 § 1 astreint les États contractants à organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent remplir chacune de ses exigences, notamment quant au délai raisonnable. Lorsque le système judiciaire s’avère défaillant à cet égard, un recours permettant de faire accélérer la procédure afin d’empêcher la survenance d’une durée excessive constitue la solution la plus efficace. Un tel recours présente un avantage incontestable par rapport à un recours uniquement indemnitaire car il évite également d’avoir à constater des violations successives pour la même procédure et ne se limite pas à agir uniquement a posteriori comme le fait un recours indemnitaire (Scordino c. Italie[GC], no 36813/97, § 183, 23 mars 2006).

31. La Cour a de nombreuses fois reconnu à ce type de recours un caractère « effectif » dans la mesure où il permet de hâter la décision de la juridiction concernée (voir, parmi d’autres, les décisions Bacchini c. Suisse (déc.), no 62915/00, 21 juin 2005, Kunz c. Suisse (déc.), no 623/02, 21 juin 2005,Fehr et Lauterburg c. Suisse (déc.), nos 708/02 et 1095/02, 21 juin 2005).

32. En l’espèce, la Cour considère que le requérant a, à deux reprises, usé des voies de recours internes ordinaires pour faire constater la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et accélérer la procédure. Le fait qu’il n’ait pas conclu à l’octroi d’une indemnité à titre de réparation n’est pas déterminant. En outre, au vu de la jurisprudence précitée, la Cour considère que l’action en responsabilité contre l’État ne peut, eu égard à sa nature uniquement indemnitaire, être considérée comme un recours que le requérant aurait dû exercer aux fins de la règle d’épuisement des voies de recours internes consacrée par l’article 35 § 1 de la Convention.

33. La Cour rejette dès lors l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours internes.

4. Conclusion

34. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

35. Le Gouvernement relève que le Tribunal cantonal a déjà constaté la violation du principe de célérité pour la période précédant le 18 février 2013. Selon lui, il n’y a pas lieu de revenir sur cette question. En ce qui concerne la période après le 18 février 2013, il remarque qu’il s’est écoulé une année jusqu’au prononcé de l’ordonnance de classement le 7 février 2014 et, à partir de cette date, un peu plus de six mois jusqu’au prononcé par le Tribunal cantonal de l’ordonnance du 30 septembre 2014. A l’instar du Tribunal fédéral, le Gouvernement reconnaît que ces délais sont longs, mais estime que ceux-ci ne sauraient être qualifiés d’excessifs vu le nombre d’infractions dénoncées par le requérant.

36. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes et l’enjeu du litige pour les intéressés (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 128, CEDH 2006‑VII).

37. En l’espèce, la période à considérer a débuté le 23 août 2006, date du dépôt de la plainte du requérant. Elle a pris fin le 27 octobre 2015 avec la notification de l’arrêt du 8 octobre 2015 du Tribunal fédéral rejetant le recours formé contre l’arrêt du Tribunal cantonal (Tomasi c. France, 27 août 1992, § 124, série A no 241‑A, et Schwarkmann,précité, § 57). Elle s’étend donc sur plus de neuf ans et deux mois.

38. S’agissant de la complexité de l’affaire, la Cour observe qu’il ressort de l’ordonnance du Tribunal cantonal du 30 septembre 2014 que l’enquête de la police portait uniquement sur quatorze transactions considérées comme douteuses et non atteintes par la prescription. L’examen juridique se limitait à deux chefs d’inculpation. La Cour estime que la présente affaire ne présentait donc aucune complexité particulière tant aux faits qu’au droit. Quant au comportement du requérant, la Cour observe que le procureur a retourné au requérant ses réquisitions de preuves à deux reprises, considérant qu’elles étaient inconvenantes. Toutefois, l’allongement de la procédure par ce comportement semble négligeable, s’agissant d’environ deux semaines. Par contre, la Cour relève plusieurs périodes d’inactivités imputables aux autorités nationales. Il semble en particulier que le procureur n’a entrepris aucune démarche afin de donner suite à la procédure, entre le 23 août 2006 et le 5 février 2009, puis entre le 14 avril 2010 et le 8 janvier 2014. En outre, le Tribunal cantonal a lui-même constaté à deux reprises que le principe de célérité avait été violé.

39. Au vu de ce qui précède et eu égard notamment aux longues périodes de stagnation en l’espèce, ainsi qu’à la durée globale de la procédure en cause, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse était excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

40. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

41. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

42. Le requérant demande 150 500 CHF, soit environ 140 000 EUR, au titre du dommage matériel, montant correspondant aux prétentions qu’il aurait pu faire valoir contre son ancien associé si sa plainte pénale avait réellement été instruite. Il réclame en outre 50 000 CHF, soit environ 46 600 EUR, au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

43. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la prétention formulée au titre de dommage matériel. Il relève que la violation de l’article 6 § 1 de la Convention sous l’angle du délai raisonnable ne porte pas sur la légitimité des prétentions que le requérant a fait valoir à l’encontre de son ancien associé. Il conteste ainsi l’existence d’un lien de causalité entre la violation dénoncée et le préjudice allégué. S’agissant de la réparation morale, le Gouvernement rappelle que les autorités internes ont déjà reconnu la violation du principe de célérité. Il soutient que le constat d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention par la Cour constitue une satisfaction équitable supplémentaire suffisante pour tout tort moral dont le requérant aurait pu souffrir.

44. Entre en ligne de compte le préjudice qu’aurait entraîné le dépassement du délai raisonnable, soit la violation du principe de célérité de la procédure. Il faut donc un lien de causalité entre la violation alléguée et un hypothétique dommage matériel dûment étayé (voir, à titre d’exemple, Munari c. Suisse, no 7957/02, § 39, 12 juillet 2005).

45. En l’espèce, force est de constater que la présente procédure ne porte pas sur la légitimité ou le bien-fondé des conclusions civiles formulées par le requérant contre son ancien associé. Seule est en jeu la question de savoir si la durée de la procédure devant les instances internes était raisonnable.

46. Partant, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 6 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

47. Le requérant réclame 31 868 CHF, soit environ 29 600 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et de celle menée devant la Cour.

48. Le Gouvernement conteste ces prétentions en relevant qu’il ne ressort pas des documents produits par le requérant quelles sont celles qui ont été encourues en raison de la durée excessive. Il rappelle également que le Tribunal cantonal a déjà alloué au requérant des indemnités de 250 CHF et de 300 CHF pour les dépenses occasionnées par ses recours pour retard injustifié et qu’aucun frais de procédure n’a été mis à sa charge. Le Gouvernement invite la Cour à verser une somme de 4 000 CHF (environ 3 700 EUR) au requérant, comme ceci a déjà été le cas dans d’autres affaires suisses similaires.

49. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000‑XI).

50. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession, de sa jurisprudence ainsi que des sommes déjà allouées par les instances internes (voir ci-dessus §§ 7 et 11), la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 5 000 EUR pour ses frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

51. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 décembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga Chernishova                                Anja Seibert-Fohr
Greffière adjointe                                     Présidente

Dernière mise à jour le décembre 29, 2020 par loisdumonde

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