Les requêtes concernent l’interdiction de l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement préalable dans les Régions flamande et wallonne et qui constituerait, selon les requérants, une violation des articles 9 et 14 de la Convention

Cour européenne des droits de l’homme (Requête no 16760/22 et 10 autres)

Les requérants estiment que les mesures litigieuses constituent une discrimination directe ou, à tout le moins, indirecte à deux titres : d’une part, au motif que la législation en cause exclut la chasse et la pêche et, d’autre part, parce qu’elle force les musulmans à consommer de la viande importée alors que la grande majorité des consommateurs pourraient consommer de la viande fraîche et locale.

En ce qui concerne la chasse et la pêche, les requérants expliquent que, du point de vue du bien-être animal, ces activités sont similaires à l’abattage rituel. Le traitement différent de ces situations sans raison objective constituerait dès lors une discrimination. De plus, la différence de traitement serait fondée exclusivement sur la religion : les mesures seraient destinées à la communauté musulmane et, en particulier, à la Fête du Sacrifice. Or, contrairement à la chasse et la pêche, l’exercice d’un rite religieux tel que l’abattage rituel est protégé par la Convention. Le Gouvernement devrait dès lors fournir des raisons plus fortes pour ne pas prévoir une exception à l’obligation d’étourdissement pour l’abattage rituel. Selon les requérants, le Gouvernement ne pourrait pas, d’un côté, accepter de faire l’impasse sur le bien-être animal pour des raisons pratiques liées à la chasse, et de l’autre côté, donner plus d’importance au bien-être animal qu’au droit de chacun d’exercer sa religion.

En ce qui concerne la différence de traitement fondée sur la religion entre les consommateurs de viande musulmans et les autres consommateurs de viande résultant du fait que les premiers seraient forcés d’importer de la viande d’autres pays dans lesquels l’abattage rituel est autorisé, les requérants se plaignent de ce que cela rend la viande halal plus rare et donc plus chère. De plus, ils s’en trouveraient forcés d’accepter l’interprétation faite, dans le pays d’export, des règles de la dhabiha sans pouvoir en contrôler le respect.

Premièrement, les requérants, en tant que juifs pratiquants, se plaignent d’être traités différemment des pêcheurs et des chasseurs alors qu’ils se trouveraient dans la même situation au regard de l’objet de la mesure litigieuse qui vise la préservation du bien-être animal. Or l’atteinte qui résulte de l’interdiction litigieuse serait bien plus radicale pour les personnes de confession juive – en ce qu’elle affecte la jouissance d’un élément essentiel de la liberté de religion – que pour les chasseurs et les pêcheurs dont le loisir ne relèverait pas directement d’un droit garanti par la Convention, mais qui bénéficient néanmoins d’une exception à l’obligation d’étourdissement préalable à l’abattage.

En second lieu, une discrimination résulterait également de l’application de l’interdiction litigieuse à tous, sans distinction du sort des pratiquants juifs, alors que ceux-ci sont distincts, d’une part, du reste de la population et, d’autre part, des pratiquants musulmans, dans la mesure où seuls les pratiquants juifs seraient tenus de mettre en œuvre la shehita, plus stricte que les prescriptions alimentaires de la religion musulmane.

Se référant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle, le Gouvernement fait valoir que les juifs et les musulmans ne se trouvent pas dans des situations fondamentalement différentes, de sorte que leur traitement identique ne pourrait pas constituer une violation du principe de non-discrimination. En ce qui concernent les juifs et les musulmans, d’une part, et le reste de la population, d’autre part, le Gouvernement soutient que, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, les croyants juifs et musulmans ne seraient pas traités de la même manière que le reste de la population. Les mesures litigieuses prévoiraient en effet une méthode d’étourdissement alternative lorsque la mise à mort fait l’objet de méthodes particulières d’abattage prescrites par les rites religieux.

En ce qui concerne la différence de traitement alléguée entre les croyants juifs et musulmans, d’une part, et les pêcheurs et les chasseurs, d’autre part, le Gouvernement soutient que l’exclusion de la chasse et de la pêche récréative du champ d’application de la réglementation litigieuse est justifiée par le fait que, de par leur nature, les activités de chasse et de pêche récréative ne peuvent techniquement pas être pratiquées sur des animaux préalablement étourdis. Ces activités sont exercées dans des circonstances différentes dans lesquelles les conditions de mise à mort sont très différentes de celles d’animaux d’élevage et font l’objet d’une législation spécifique. L’exclusion de ces activités de l’obligation d’étourdissement ressortirait d’ailleurs également du règlement de l’UE no 1099/2009. La chasse et la pêche, d’une part, et les croyants juifs et musulmans, d’autre part, ne se trouveraient donc pas dans des situations comparables.

En conclusion, le Gouvernement souligne qu’il n’y a aucune forme d’exclusion dans les dispositions litigieuses mais au contraire une volonté de ménager les conditions d’un vivre ensemble harmonieux. Il ne serait d’ailleurs nullement demandé aux requérants d’abandonner toute forme d’abattage rituel, mais seulement d’aménager l’un de ses aspects pour que ce rite perdure dans le respect de la sensibilité croissante pour le bien-être animal dans la société.

Le gouvernement danois indique qu’au Danemark, l’interdiction de l’abattage sans étourdissement préalable s’applique à toutes les formes d’abattage, sauf en ce qui concerne la chasse et la pêche, ainsi que l’abattage lors de manifestations culturelles ou sportives. Se référant à l’arrêt de la CJUE qu’il invite la Cour à suivre, le gouvernement danois estime que les situations auxquelles renvoient les requérants ne sont pas comparables et peuvent donc être traitées différemment. À supposer que les situations soient comparables, la différence de traitement tomberait en tout cas dans la marge d’appréciation dont disposent les États contractants, en tenant dûment compte de la portée limitée de cette différence de traitement qui n’empêche pas les requérants de manger de la viande d’animaux abattus conformément à leurs convictions religieuses. La différence de traitement serait donc objectivement et raisonnablement justifiée.

L’association GAIA considère que l’abattage rituel constitue une situation différente des activités de chasse et de pêche. Sauf à être vidées de leur substance, ces activités ne seraient pas susceptibles d’être pratiquées sur des animaux préalablement étourdis. De plus, GAIA fait valoir que les animaux mis à mort dans des abattoirs aux fins de consommation ne sont pas des res nullius, mais se trouvent « sous la garde de l’homme » et, de ce fait, la moralité publique et l’éthique exigeraient que des souffrances évitables soient interdites.

Dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Toutefois, seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable (« situation ») sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire au sens de l’article 14. En outre, toute différence de traitement n’emporte pas automatiquement violation de l’article 14. Une différence de traitement fondée sur un motif prohibé est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

L’obligation de démontrer l’existence d’une « situation analogue » n’implique pas que les catégories comparées doivent être identiques. Un requérant doit démontrer qu’il se trouvait dans une situation comparable à celle d’autres personnes ayant reçu un traitement différent, eu égard à la nature particulière de son grief. Les éléments qui caractérisent des situations différentes et déterminent leur comparabilité doivent être appréciés à la lumière du domaine concerné et de la finalité de la mesure qui opère la distinction en cause.

Par ailleurs, l’absence de distinction dans la façon dont des situations qui sont essentiellement différentes sont traitées peut également constituer un traitement injustifié incompatible avec l’article 14 de la Convention.

Les requérants se plaignent d’être traités différemment des chasseurs et des pêcheurs sans justification objective, dès lors que ceux-là sont exclus du champ d’application des législations en cause et n’ont pas l’obligation d’étourdir préalablement les animaux alors que leur activité impacterait également le bien-être animal.

La Cour note tout d’abord qu’il ne lui appartient pas en l’occurrence de se prononcer sur la compatibilité de la chasse et de la pêche avec le bien‑être animal, cette question dépassant le cadre de la présente affaire. Ensuite, à supposer que la différence de traitement dénoncée soit fondée sur un motif de discrimination prohibé par l’article 14 de la Convention, les requérants n’ont pas démontré être dans une situation analogue ou comparable aux chasseurs et aux pêcheurs. En effet, la situation des pratiquants juifs et musulmans qui souhaitent consommer de la viande issue de l’abattage rituel se distingue de celle des chasseurs et pêcheurs qui procèdent à la mise à mort d’animaux. En outre, ces conditions de mise à mort se révèlent sensiblement différentes. Tel que l’a relevé la CJUE, l’abattage rituel étant effectué sur des animaux d’élevage, leur mise à mort se déroule dans un contexte distinct de celui des animaux sauvages abattus dans le cadre de la chasse et de la pêche récréative. Il ne saurait en aller autrement de la pêche de poissons d’élevage qui s’effectue dans un milieu aquatique fondamentalement différent des abattoirs. Dès lors que les requérants ne se trouvent pas dans une situation analogue ou comparable à celle des chasseurs et des pêcheurs, il n’y a pas lieu de rechercher si la différence de traitement litigieuse repose sur une justification objective et raisonnable.

Tous les requérants se plaignent également d’être traités de la même manière que le reste de la population qui n’est pas soumis à des préceptes alimentaires religieux.

Contrairement à ce qu’allèguent les requérants, la Cour constate, avec le Gouvernement, que les pratiquants juifs et musulmans ne sont pas traités de la même manière que les personnes qui ne sont pas soumises à des préceptes alimentaires religieux. Les décrets litigieux prévoient précisément une méthode d’étourdissement alternative lorsque la mise à mort fait l’objet de méthodes particulières d’abattage prescrites par des rites religieux : les décrets disposent que le procédé d’étourdissement est alors réversible et ne peut entraîner la mort de l’animal. Il n’est donc pas question en l’espèce d’une absence de distinction dans la façon dont des situations différentes sont traitées.

Pour le surplus, dans la mesure où les arguments des requérants reviennent en fait à soutenir que l’obligation d’étourdissement préalable méconnaît leur liberté de religion, la Cour a déjà répondu à cette argumentation et a conclu à l’absence de violation de l’article 9 de la Convention.

Enfin, en ce qui concerne la situation des pratiquants juifs comparée à celle des pratiquants musulmans, il ne sied pas à la Cour, en tant que juridiction internationale, de se prononcer sur le contenu des préceptes alimentaires en matière religieuse, à plus forte raison lorsque ceux-ci sont discutés. En tout état de cause, la Cour estime, à l’instar de la Cour constitutionnelle, que la seule circonstance que les préceptes alimentaires de la communauté religieuse juive et ceux de la communauté religieuse musulmane sont de nature différente ne suffit pas pour considérer que les croyants juifs et les croyants musulmans se trouvent dans des situations sensiblement différentes par rapport à la mesure litigieuse au regard de la liberté religieuse. Les situations dénoncées ne pouvant être considérées comme sensiblement différentes, il n’y a pas lieu de rechercher si l’absence de différence litigieuse reposait sur une justification objective et raisonnable. Au vu de ce qui précède, il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9.

AFFAIRE EXECUTIEF VAN DE MOSLIMS VAN BELGIË ET AUTRES c. BELGIQUE (Cour européenne des droits de l’homme) 16760/22 et 10 autres. Texte intégral du document.

Dernière mise à jour le février 13, 2024 par loisdumonde

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