Les requérants se plaignent de l’inexécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice rendues contre des débiteurs privés, ainsi que de l’absence d’un recours effectif en droit interne.
Cour européenne des droits de l’homme
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE MEREACRE ET AUTRES c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
(Requête no 9353/13 et 7 autres requêtes – voir liste en annexe)
ARRET
STRASBOURG
18 janvier 2024
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Mereacre et autres c. République de Moldova,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Frédéric Krenc, président,
Diana Sârcu,
Davor Derenčinović, juges,
et de Viktoriya Maradudina, greffière adjointe de section f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 décembre 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent des requêtes dirigées contre la République de Moldova et dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux différentes dates indiquées dans le tableau joint en annexe.
2. Les requêtes ont été communiquées au gouvernement moldave (« le Gouvernement »).
EN FAIT
3. La liste des requérants et les précisions pertinentes sur les requêtes figurent dans le tableau joint en annexe.
4. Les requérants se plaignent de l’inexécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice rendues contre des débiteurs privés, ainsi que de l’absence d’un recours effectif en droit interne.
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
5. Le 1er septembre 2015, la Cour avait décidé, eu égard à la similitude quant aux faits et aux questions juridiques qu’elles posaient, de joindre les présentes affaires aux requêtes nos 16000/10 et autres (Ialtexgal Aurica S.A. c. République de Moldova et 60 autres requêtes (déc.), nos 16000/10 et 60 autres, 1er septembre 2015). Elle juge cependant qu’il est nécessaire de les disjoindre du groupe de requêtes mentionné. La Cour décide également, en application de l’article 42 § 1 de son règlement, de joindre les présentes requêtes afin de les examiner conjointement.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 ET DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
6. Les requérants se plaignent principalement de l’inexécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice rendues en leur faveur et de l’absence d’un recours interne effectif à cet égard. Ils invoquent, expressément ou en substance, l’article 6 § 1 et l’article 13 de la Convention, ainsi que l’article 1 du Protocole no 1.
7. Le Gouvernement excipe dans les présentes requêtes de la perte de la qualité de victime des requérants. À ce titre, il met en exergue l’issue des procédures en réparation engagées par ces derniers au niveau interne.
8. La Cour rappelle que les principes généraux applicables en matière de perte de la qualité de victime dans les affaires de non-exécution sont résumés dans l’affaire Cristea c. République de Moldova (no 35098/12, §§ 25 et 27‑31, 12 février 2019).
9. En l’espèce, elle note qu’à l’exception des requêtes nos 9353/13 et 42391/13, les tribunaux nationaux ont reconnu en substance la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 et ont alloué des dommages à titre de réparation morale (voir le tableau joint en annexe). Elle constate toutefois que ces montants sont largement inférieurs à ceux octroyés par la Cour dans des affaires similaires. En outre, la majorité des décisions finales rendues en faveur des requérants n’ont toujours pas été exécutées (voir le tableau joint en annexe). Pour cette raison, la Cour estime que le recours indemnitaire interne n’a pas offert aux requérants un redressement adéquat et qu’ils peuvent toujours se prétendre « victimes », au sens de l’article 34 de la Convention (Cristea, précité, § 34).
10. La Cour rappelle que l’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6. Elle renvoie par ailleurs à sa jurisprudence concernant l’inexécution ou l’exécution tardive de décisions de justice internes définitives (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II). À cet égard, il appartient à chaque État de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent (Fociac c. Roumanie, no 2577/02, § 69, 3 février 2005 ; Fouklev c. Ukraine, no 71186/01, § 84, 7 juin 2005).
11. Dans l’arrêt de principe Cebotari et autres c. République de Moldova (nos 37763/04 et 4 autres, 27 janvier 2009), la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison des manquements des autorités étatiques relativement à l’exécution d’une décision de justice délivrée, comme dans la présente affaire, contre un débiteur privé.
12. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant à la recevabilité et au bien-fondé des griefs en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime que, dans les présentes affaires, les autorités n’ont pas déployé tous les efforts nécessaires pour faire exécuter pleinement et en temps voulu les décisions de justice rendues en faveur des requérants.
13. Il s’ensuit que ces griefs révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.
14. Quant au grief tiré par les requérants sur le terrain de l’article 13 de la Convention, la Cour estime, au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue aux paragraphes 12 et 13 ci-dessus, qu’elle a statué sur les principales questions juridiques soulevées dans cette affaire, et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur ce point (voir, dans ce sens, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
15. La Cour constate que les procédures d’exécution sont toujours pendantes (à l’exception de la requête no 11785/13) et que les requérants ont toujours la possibilité d’obtenir l’exécution des décisions favorables dans le cadre des procédures internes. Elle considère donc que le Gouvernement doit assurer par les moyens appropriés l’exécution des décisions favorables aux requérants.
16. Eu égard aux documents en sa possession et à sa jurisprudence (Cebotari et autres, précité, § 55), la Cour estime raisonnable d’allouer les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de disjoindre les présentes requêtes des requêtes nos 16000/10 et autres ;
2. Décide de joindre les requêtes ;
3. Déclare les requêtes recevables ;
4. Dit que ces requêtes révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’inexécution des décisions de justice internes ;
5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief formulé sur le terrain de l’article 13 de la Convention ;
6. Dit que l’État défendeur doit assurer par les moyens appropriés l’exécution des décisions favorables aux requérants ;
7. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 janvier 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Viktoriya Maradudina Frédéric Krenc
Greffière adjointe f.f. Président
__________
ANNEXE
Liste de requêtes concernant des griefs tirés de l’article 6 § 1 et de l’article 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1
(inexécution ou exécution tardive de décisions de justice internes et absence de recours effectif à cet égard)
No. | Numéro et date d’introduction de la requête | Nom du requérant et année de naissance | Nom et ville du représentant | Nom de la juridiction interne
Titre exécutoire Date de la décision |
Date de début de l’inexécution | Date de fin de l’inexécution
Délai d’exécution |
Procédure de réparation
Nom de la juridiction interne Date de la décision Indemnisation octroyée (en euros) |
Montant alloué pour dommage matériel par requérant
(en euros) |
Montant alloué pour dommage moral par requérant
(en euros) |
Montant alloué pour frais et dépens par requête
(en euros)[3] |
1. | 9353/13
18/01/2013 |
Valeriu MEREACRE
1971 |
Daniliuc Nicolae
Chișinău |
Tribunal de Chișinău,
Obligation de paiement d’une somme par un débiteur privé, 07/12/2009 |
28/12/2009 | en cours
Plus de 13 ans et demi |
Cour d’appel de Chișinău
20/09/2012 Rejet de l’action comme mal-fondée |
– | 1 600 | 250 |
2. | 11785/13
26/01/2013 |
Veaceslav TOPALĂ
1978 |
Beruceaşvili Andrei
Chișinău |
Tribunal de Rîșcani
Obligation pour deux débiteurs privés de rembourser une créance, titres exécutoires du 12/10/2009 et 23/11/2009 |
23/11/2009 | 19/12/2017
8 ans et 27 jours |
Cour d’appel de Chișinău, 26/07/2012
Dommage matériel : rejeté |
1 500 | 1 600 | 250 |
3. | 18691/13
12/02/2013 |
CONSTRUCTORUL S.A.
1996 |
Duca Valerii
Orhei |
Tribunal économique de circonscription,
Obligation d’un particulier de rembourser une créance à la partie requérante, 26/09/2000 |
28/11/2000 | en cours
Plus de 22 ans et demi |
Cour d’appel de Chișinău, 28/11/2012
Dommage moral alloué : 500 EUR |
– | 1 100 | 250 |
4. | 30737/13
05/04/2013 |
Veaceslav BERESTEAN
1969 |
Osoian Lilian
Chisinau |
Tribunal de Basarabeasca
Obligation de paiement d’une créance par une société privée, 19/12/2007 |
19/03/2009 | en cours
Plus de 14 ans et demi |
Cour d’appel de Chișinău, 06/11/2012
Dommage matériel : rejeté ; Dommage moral : 300 EUR. |
– | 1 300 | 250 |
5. | 30784/13
05/04/2013 |
Maria BELOUSENCO
1953 |
Scrob Mihail
Chișinău |
Tribunal de Cahul
Obligation de paiement par un débiteur privé, 05/08/2004 |
09/08/2007
|
en cours
Plus de 16 ans |
Cour d’appel de Chișinău, 10/10/2012
Dommage moral alloué : 250 EUR ; |
– | 1 400 | 250 |
6. | 41136/13
24/05/2013 |
ROLF-BAC S.R.L.
1997 |
Vladimirov Natalia
Chișinău |
Cour d’appel de Chișinău
Obligation d’un débiteur privé de rembourser une dette, 20/02/2008 |
20/02/2008
|
en cours
Plus de 15 ans et demi
|
Cour d’appel de Chișinău, 01/11/2012
Dommage matériel : 400 EUR ; Dommage moral : rejeté ; |
– | 1 600 | 250 |
7. | 42391/13
20/05/2013 |
TIRAMISA S.R.L.
1999 |
Coşleţ Petru
Colonita |
Tribunal économique de circonscription Obligation d’un particulier de rembourser une créance à la société requérante,
06/04/2009 |
18/05/2009
|
en cours
(titre exécutoire partiellement exécutée) Plus de 14 ans et demi |
Cour d’appel de Chișinău, 21/11/2012
Action rejetée comme mal-fondée. |
– | 1 600 | 250 |
8. | 48098/13
18/04/2013 |
AUTO-MAR S.R.L.
1992 |
Osoianu Tudor
Ialoveni |
Cour suprême de justice
Obligation d’une société privée de rembourser une dette, 30/09/2004 |
30/09/2004
|
en cours
Plus de 19 ans
|
Cour d’appel de Chișinău, 22/11/2012
Dommage moral alloué : 600 EUR ; Dommage matériel : rejeté |
– | 1 000 | 250 |
[1] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
[2] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.
[3] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.
Dernière mise à jour le janvier 18, 2024 par loisdumonde
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