AFFAIRE VAINIERI ET AUTRES c. ITALIE – Les requêtes concernent l’application de l’article 2, alinéa 503, de la loi no 244 de 2007 (« loi de finances ») alors que les procédures entamées par les requérants étaient pendantes.

Cour européenne des droits de l’homme (Requête no 15550/11 et 2 autres)

Le Gouvernement soutient que les requérants n’ont pas subi de préjudice important et que les requêtes doivent donc être rejetées en vertu de l’article 35 § 3 b) de la Convention en raison du fait que la Cour de cassation en 2009 avait considéré inapplicables les critères invoqués par les requérants, et ce même en l’absence de la loi de finances.

La Cour européenne des droits de l’homme considère que l’exception est étroitement liée à la substance du grief et qu’il y a lieu de la joindre au fond. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

Les principes généraux concernant la législation rétroactive visant à influencer le dénouement judiciaire d’un litige ont été résumés dans les affaires Vegotex International S.A. c. Belgique [GC], no 49812/09, 3 novembre 2022, D’Amico c. Italie, no 46586/14, 17 février 2022, et Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 9 autres, CEDH 1999‑VII.

Le Gouvernement considère, tout d’abord, que la loi de finances n’a pas influencé l’issue des procédures auxquelles les requérants étaient parties et ce car : a) selon les arrêts de 2009 des Chambres Réunies de la Cour de cassation en l’absence de la loi litigieuse les requérants n’auraient pas obtenu des sommes calculées sur la base des critères fixés par le D.R. de 1922 ; b) compte tenu du fait que ces critères sont moins favorables que ceux prévus par le D.M. de 1981 et que ceux prévus par l’INPS, en validant ces derniers la loi de finances a permis aux requérants d’obtenir des sommes plus importantes ; c) avant la promulgation de la loi de finances il n’y avait pas une jurisprudence bien établie en faveur des requérants et, par conséquent, il n’y aurait pas eu en l’espèce une atteinte à la protection de droits auparavant reconnus par le droit interne ; d) la loi de finances même avait fait l’objet d’un conflit de jurisprudence.

La Cour n’est pas convaincue par ces arguments. En premier lieu, l’existence d’une interférence n’est pas en question car, comme souligné par les requérants, en l’espèce, les juridictions internes ont tranché les litiges sur le seul fondement de la loi de finances.

En outre, avant la promulgation de la loi de finances la seule question faisant l’objet du débat jurisprudentiel était celle de savoir si les critères à adopter devaient avoir un fondement normatif au moins de nature règlementaire ou si un simple acte administratif de l’INPS pouvait suffire. Sur ce point, la jurisprudence interne majoritaire a souscrit à la première option. Cela a été ultérieurement confirmé après la promulgation de la loi de finances par les arrêts des Chambre Réunies de la Cour de cassation de 2009 et de 2014. À cet égard, le Gouvernement admet qu’un des buts de la loi de finances était celui de valider rétroactivement la pratique administrative de l’INPS. Ainsi, à l’époque, le différend ne concernait aucunement le choix entre les critères découlant de deux différentes normes de nature réglementaire – le D.M. de 1981 et le D.R. de 1922. Cela est par ailleurs confirmé, comme les requérants l’ont bien souligné, par le fait qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi de finances, de la jurisprudence de la Cour de cassation et des observations du Gouvernement, que le but de l’intervention était la protection de l’équilibre financier du « Fond Volo ». Ainsi, la Cour ne voit pas comment le législateur aurait pu intervenir afin de sauvegarder l’intérêt financier du « Fond Volo » tout en validant des critères plus favorables aux requérants.

Le fait qu’à la suite de la promulgation de la loi de finances la Cour de cassation ait opéré en 2009 un revirement de jurisprudence, en excluant l’application du D.M. de 1981 en faveur du D.R. de 1922, est sans pertinence pour l’examen du fond du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention. Et ce, non seulement en raison du fait que la Cour de cassation a ensuite remis en question cette approche en saisissant sur ce point les Chambre Réunies, mais surtout en raison de ce que la loi a eu pour effet de trancher définitivement l’issue des litiges en cours, auxquels l’État était partie, validant ainsi la position de ce dernier au détriment des requérants.

Enfin, quant au fait qu’il n’y avait pas une jurisprudence bien établie en faveur des requérants avant la promulgation de loi de finances, la Cour note que le droit à la protection contre l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige ne présuppose pas l’existence préalable d’un droit ayant une base suffisamment solide en droit interne.

Ainsi, l’intervention de la loi litigieuse a fait obstacle à ce que le juridictions internes puissent se prononcer sur les arguments avancés par les requérants. Partant, la Cour considère que cette intervention, destinée à sécuriser l’issue de la procédure, constitue bien une ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice.

Ensuite, le Gouvernement estime que l’ingérence repose sur des motifs impérieux d’intérêt général. Plus en particulier, il estime que la loi visait, d’une part, à protéger l’intérêt financier du « Fond Volo » et, d’autre part, compte tenu des incertitudes jurisprudentielles existantes sur le point, à clarifier le fondement normatif des critères applicables aux fins de la réévaluation du capital obtenu par les requérants comme liquidation immédiate d’une part de leur retraite.

Les requérants contestent ces thèses.

La Cour estime que les raisons avancées par le Gouvernement ne suffisent pas à justifier l’intervention législative en l’espèce.

Quant à l’intérêt financier du « Fond Volo », la Cour a jugé à plusieurs reprises que le seul intérêt financier de l’État ne permet en principe pas de justifier une intervention rétroactive du législateur. Le Gouvernement n’a pas non plus soutenu que l’impact de la jurisprudence litigieuse de la Cour de cassation aurait été d’une ampleur telle qu’elle aurait pu mettre en péril l’équilibre financier de l’État.

S’agissant des incertitudes jurisprudentielles au moment de la promulgation de la loi de finances, la Cour de cassation avait clairement identifié la solution au litige entre les retraités et l’INPS. Suite à son arrêt de 2007 et avant les arrêts de 2009 des Chambres Réunis, les juridictions du fond s’étaient conformées à cette jurisprudence. Il est vrai que les coefficients auxquels la loi de 1962 faisait référence n’existaient pas encore au moment de l’intervention législative de 2007 et que la Cour a admis que, dans des circonstances exceptionnelles, une intervention rétroactive du législateur puisse être justifiée, en vue notamment d’interpréter ou de clarifier une disposition législative plus ancienne, de combler un vide juridique. Toutefois, la Cour se doit de souligner que la lacune normative n’était pas due à une mauvaise rédaction de la loi, mais au fait que le Gouvernement n’avait pas fixé les critères spécifiques en application de ladite loi pour le « Fond Volo ». L’intervention du législateur en 2007 ne visait pas à combler cette lacune mais tendait à modifier la base légale des critères en attribuant à l’INPS le pouvoir de les établir autonomement. La Cour ne constate pas non plus l’existence d’autres motifs qui, lus à la lumière des critères rappelés par l’arrêt Vegotex International S.A., auraient pu justifier l’intervention litigieuse.

Partant, la Cour rejette l’exception du Gouvernement et estime qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

AFFAIRE VAINIERI ET AUTRES c. ITALIE (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 15550/11 et 2 autres. Texte intégral du document.

Dernière mise à jour le décembre 14, 2023 par loisdumonde

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