AFFAIRE ROTARU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA (Cour européenne des droits de l’homme) Requête no 26764/12

INTRODUCTION. La requête porte sur le refus des autorités internes de renouveler le passeport du requérant en raison de la non-exécution de la décision de justice l’obligeant à rembourser une dette à un tiers. Elle soulève en particulier des questions relatives à la qualité de la loi ayant fondé l’ingérence alléguée dans le droit de l’intéressé à la liberté de circulation.

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ROTARU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
(Requête no 26764/12)
ARRÊT

Art 2 P4 • Liberté de circulation • Refus des autorités internes de renouveler le passeport du requérant en raison de la non-exécution de la décision de justice l’obligeant à rembourser une dette à un tiers • Impossibilité de quitter le territoire • Base légale rédigée d’une manière très générale et dépourvue de la protection nécessaire contre l’arbitraire • Absence de garanties procédurales suffisantes pour prévenir le risque d’abus de pouvoir de la part des autorités • Mesure de caractère automatique, sans limitation de durée et sans contrôle effectif et périodique • Mesure adoptée douze ans environ après la condamnation du requérant et en l’absence de toute procédure d’exécution pendante devant un huissier de justice • Contrôle de la proportionnalité des restrictions au droit à la liberté de circulation expressément exigé par la Cour constitutionnelle • Absence d’analyse de la situation individuelle du requérant et de la question de la proportionnalité de l’ingérence de la part des juridictions internes

STRASBOURG
8 décembre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Rotaru c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Marko Bošnjak,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni,
Saadet Yüksel, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Vu :

la requête (no 26764/12) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Victor Rotaru (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 24 avril 2012,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement ») le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 4 et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 novembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête porte sur le refus des autorités internes de renouveler le passeport du requérant en raison de la non-exécution de la décision de justice l’obligeant à rembourser une dette à un tiers. Elle soulève en particulier des questions relatives à la qualité de la loi ayant fondé l’ingérence alléguée dans le droit de l’intéressé à la liberté de circulation.

EN FAIT

2. Le requérant réside à Chișinău. Il est représenté par Me I. Cerga, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. L. Apostol.

4. Par un jugement du 11 juin 1998, le tribunal de Botanica (Chișinău) ordonna au requérant de payer à la banque E. 77 908,51 lei moldaves (environ 16 450 dollars américains selon le taux de change en vigueur à l’époque) au titre d’un crédit non remboursé et des pénalités de retard. Ce jugement passa en force de chose jugée.

5. En 2004, le requérant partit s’installer avec sa famille en Roumanie.

6. Par une lettre du 2 avril 2007, la banque E. invita l’autorité d’état civil à refuser toute demande éventuelle du requérant concernant la délivrance d’un document de voyage.

7. Le 22 avril 2009, l’office d’exécution des décisions de justice compétent informa la banque E. qu’aucune procédure d’exécution à l’encontre du requérant n’était pendante.

8. Le 14 janvier 2010, le requérant, de retour en Moldova, demanda le renouvellement de son passeport.

9. Le 6 avril 2010, l’autorité d’état civil rejeta la demande au motif que la dette envers la banque E. n’était pas remboursée. Elle fondait sa décision sur l’article 8 g) de la loi no 269 sur l’entrée et la sortie de la République de Moldova (« la loi no 269 ») (paragraphe 16 ci-dessous).

10. Le 19 avril 2010, le requérant contesta ce refus devant un tribunal. Il dénonçait une ingérence illégale dans son droit à la liberté de circulation. Il soutenait que le délai légal de trois ans pour demander l’exécution du jugement du 11 juin 1998 était échu en l’espèce. Il arguait dès lors que l’autorité d’état civil n’était pas en droit d’accéder à la demande de la banque E. du 2 avril 2007 (paragraphe 6 ci-dessus).

11. Le 1er septembre 2010, la banque E. demanda à un huissier de justice l’exécution du jugement du 11 juin 1998. Le 18 septembre 2010, celui-ci interdit à l’autorité d’état civil de délivrer un passeport au requérant.

12. Le 11 mars 2011, la cour d’appel de Chișinău rejeta l’action du requérant comme mal fondée. Elle jugeait que le refus de délivrer un passeport à l’intéressé était légal, car prévu par l’article 8 g) de la loi no 269, et que ce refus était pleinement justifié en raison du non-remboursement de la dette fixée par le jugement du 11 juin 1998.

13. Le 19 mars 2011, le requérant forma un recours. Il ajoutait un argument supplémentaire selon lequel, en vertu du droit en vigueur, seulement un huissier de justice aurait pu interdire la délivrance du passeport. Il précisait que, au moment où il avait demandé le renouvellement de son passeport, il n’y avait aucune interdiction mise en place par un huissier de justice et que la décision du 18 septembre 2010 (paragraphe 11 ci-dessus) était bien ultérieure à sa demande de renouvèlement de passeport. Il affirmait enfin que, en raison de la mesure contestée, il ne pouvait plus retourner sur son lieu de résidence en Roumanie et rejoindre sa famille, et qu’il avait également perdu son travail là-bas.

14. Par une décision du 23 novembre 2011, la Cour suprême de justice rejeta le recours et confirma l’arrêt de l’instance inférieure.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

15. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de l’exécution du 24 décembre 2004, telles qu’en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées :

« Article 18. Les délais de présentation des documents exécutoires en vue de leur exécution

1. Aux fins d’obtenir son exécution, la décision du tribunal peut être remise [à un huissier de justice] dans un délai de trois ans à partir de son passage en force de chose jugée (…).

(…)

Article 20. La levée de forclusion

1. Le créancier qui a omis le délai de présentation du document exécutoire en vue de son exécution peut être relevé de sa forclusion par le tribunal.

(…)

Article 54. La mise en mouvement de la procédure d’exécution

1. La procédure d’exécution est déclenchée à la demande du créancier ou du tribunal (…).

(…)

Article 57. Les mesures garantissant l’exécution du document exécutoire

1. Afin d’assurer l’exécution du document exécutoire, (…), l’huissier de justice peut :

(…)

c) interdire aux tiers (…) d’accomplir à l’égard du débiteur [certaines] obligations. »

16. L’article 8 de la loi no 269 du 9 novembre 1994 concernant l’entrée et la sortie de la République de Moldova (« la loi no 269 »), dans ses passages pertinents en l’espèce et tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, se lisait comme suit :

« La délivrance du passeport et du document de voyage ou la prolongation de leur délai de validité sont refusées si le demandeur :

(…)

g) a des obligations patrimoniales envers l’État, des personnes physiques et morales, établies par une décision de justice. »

17. La décision de la Cour constitutionnelle no 7 du 15 avril 2011 déclarant constitutionnel l’article 8 g) de la loi no 269, dans ses passages pertinents en l’espèce, est ainsi libellée :

« (…)

La Cour relève que toute limitation du droit à la libre circulation, manifestée soit par le refus de délivrer un document de voyage nécessaire pour l’exercice de ce droit, soit par l’interdiction de quitter le territoire, doit être conforme à certaines exigences d’ordre matériel et procédural, susceptibles de garantir sa proportionnalité avec le but poursuivi.

(…)

La possession du passeport et du document de voyage est une condition pour que la personne puisse sortir du pays. Le refus de les délivrer doit être motivé et subordonné au principe de la proportionnalité.

(…), la mesure restrictive doit être expressément prévue par la loi (…) et doit être appliquée seulement après l’expiration du délai d’exécution bénévole du titre exécutoire et après l’adoption de mesures raisonnables pour percevoir la créance par d’autres moyens, de sorte que la restriction soit le dernier recours afin d’influencer la conduite (…) des débiteurs (…). »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 du Protocole no 4 DE LA CONVENTION

18. Invoquant l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte illégale et disproportionné à sa liberté de circulation. Cette disposition, dans ses passages pertinents en l’espèce, est ainsi libellée :

« (…)

2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

3. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

(…) »

A. Sur la recevabilité

19. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

20. Le requérant met en exergue le fait que le refus des autorités de lui délivrer un passeport, pour dette, est survenu en dehors de toute procédure d’exécution et plus de dix ans après le jugement l’ayant condamné à rembourser cette dette. Il allègue qu’il y a eu ingérence dans son droit à la liberté de circulation qui n’était ni légale ni proportionnée. Il soutient également que, en raison de la mesure litigieuse, il ne pouvait plus regagner sa résidence en Roumanie, qu’il a perdu son travail dans ce pays et qu’il n’a pas la possibilité de rembourser la dette en restant en Moldova.

21. Le Gouvernement signale que le requérant n’a pas été interdit de quitter le territoire moldave. À ce sujet, il avance que, compte tenu du fait que le requérant avait résidé en Roumanie, l’on peut supposer que celui-ci détenait un passeport roumain qui lui aurait permis de circuler librement. D’autre part, le Gouvernement avance que le refus des autorités moldaves de délivrer un passeport au requérant était légal et proportionné au but poursuivi qui était celui de recouvrer la dette.

22. Dans la mesure où le Gouvernement semble contester qu’il y a eu ingérence en l’espèce au sens de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, la Cour note qu’il n’a pas été prouvé que le requérant détenait une autre nationalité que celle moldave. Il ne ressort pas non plus des éléments dont elle dispose que, après le refus des autorités de lui renouveler le passeport, l’intéressé a pu effectivement quitter le territoire de la République de Moldova. Par conséquent et compte tenu de sa jurisprudence constante en la matière, elle ne peut que conclure que la mesure contestée s’analyse en une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit de quitter le pays (Baumann c. France, no 33592/96, § 62, CEDH 2001‑V (extraits), Ignatov c. Bulgarie, no 50/02, § 33, 2 juillet 2009, et Kerimli c. Azerbaïdjan, no 3967/09, § 47, 16 juillet 2015). Pareille ingérence enfreint l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention, sauf si elle satisfait aux conditions du paragraphe 3 de cette disposition, c’est-à-dire si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou plusieurs buts légitimes et est « nécessaire », « dans une société démocratique », à la réalisation de ce ou ces buts.

23. La Cour rappelle d’emblée que la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux de toute société démocratique, est une notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Lekić c. Slovénie [GC], no 36480/07, § 94 in fine, 11 décembre 2018).

24. Elle renvoie également à sa jurisprudence constante relative à l’interprétation des mots « prévue par la loi » et aux exigences qualitatives d’accessibilité et de prévisibilité auxquelles doit répondre la législation interne (voir, sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 4, Olivieira c. Pays‑Bas, no 33129/96, §§ 47 et 52, CEDH 2002‑IV, et De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, §§ 106-109, 23 février 2017). La Cour redit en particulier qu’une norme est « prévisible » lorsqu’elle offre une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique. Une loi conférant un pouvoir d’appréciation doit en fixer la portée, bien que le détail des normes et procédures à observer n’ait pas besoin de figurer dans la législation elle-même (Khlyustov c. Russie, no 28975/05, § 70, 11 juillet 2013, et De Tommaso, précité, § 109). Afin d’être compatible avec la prééminence du droit et de protéger contre l’arbitraire, la loi applicable doit offrir des garanties procédurales minimales, en rapport avec l’importance du droit en jeu (voir, par exemple, sur le terrain de l’article 10 de la Convention, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, §§ 82 et 88, 14 septembre 2010, et, sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 96 et 97 in fine, 25 octobre 2012).

25. La Cour a déjà eu l’occasion d’affirmer qu’une ingérence de l’exécutif dans les droits garantis par l’article 2 du Protocole no 4 doit être soumise à un contrôle efficace que doit normalement assurer, au moins en dernier ressort, le pouvoir judiciaire, car il offre les meilleures garanties d’indépendance, d’impartialité et de procédure régulière (Sissanis c. Roumanie, no 23468/02, § 70, 25 janvier 2007, et Sarkizov et autres c. Bulgarie, nos 37981/06 et 3 autres, § 69, 17 avril 2012). Ce contrôle doit porter tant sur la légalité (Mursaliyev et autres c. Azerbaïdjan, nos 66650/13 et 10 autres, § 34, 13 décembre 2018) que sur la proportionnalité de la mesure litigieuse (voir, par exemple, Riener c. Bulgarie, no 46343/99, § 126, 23 mai 2006, Gochev c. Bulgarie, no 34383/03, § 50 in fine, 26 novembre 2009, et Popoviciu c. Roumanie, no 52942/09, §§ 92-93, 1er mars 2016 ; et comparer avec, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, Heino c. Finlande, no 56720/09, § 45, 15 février 2011, et DELTA PEKÁRNY a.s. c. République tchèque, no 97/11, § 87, 2 octobre 2014). De plus, les autorités internes ne peuvent prolonger longtemps des mesures restreignant la liberté de circulation d’une personne sans réexaminer périodiquement si celles-ci sont justifiées (voir, par exemple, Riener, précité, § 124, et Kerimli, précité, § 56)

26. En l’espèce, la Cour note que les autorités ont fondé la mesure litigieuse sur l’article 8 g) de la loi no 269 (paragraphe 16 ci-dessus), qui leur permettait de refuser la délivrance d’un passeport en cas de dette non remboursée, établie par une décision de justice. Elle constate qu’il n’y a aucune controverse entre les parties quant à la condition d’accessibilité de cette base légale.

27. Pour ce qui est de la prévisibilité de la loi interne et de sa compatibilité avec la prééminence du droit, la Cour observe que la disposition précitée était rédigée d’une manière concise et très générale. En effet, celle-ci ne précisait ni la procédure à suivre par l’autorité d’état civil, notamment pour ce qui était des sujets qui pouvaient demander ou imposer une interdiction de délivrance de passeport, ni si cette autorité disposait d’une marge de manœuvre quant à l’appréciation de la nécessité et de la durée d’une telle mesure. La disposition en question n’indiquait pas non plus dans quelle situation cette interdiction pouvait être levée.

28. Dans le cas présent, la Cour note que l’autorité d’état civil a refusé de délivrer le passeport au requérant sur simple demande du créancier et après avoir considéré que la seule condition imposée par l’article 8 g) de la loi no 269 était remplie, à savoir le non-remboursement de la dette par le requérant. La durée de l’interdiction d’obtenir un passeport n’a pas été précisée et il n’apparaît pas qu’un quelconque contrôle sur la proportionnalité de la mesure ait été effectué à cette étape-là. Dans ces conditions, la Cour conclut que le refus opposé au requérant par l’autorité administrative s’apparente à une mesure automatique, qui plus est d’une durée indéterminée. À ce sujet, elle rappelle qu’une interdiction automatique de voyager est contraire aux obligations pesant sur les autorités au sens de l’article 2 du Protocole no 4 (Riener, précité, § 128).

29. Cela étant, la Cour doit rechercher si, dans les circonstances particulières de l’affaire en cause, il y a eu un contrôle judiciaire effectif sur la légalité et la proportionnalité de la mesure litigieuse. Un tel contrôle était d’autant plus nécessaire que cette mesure a été adoptée douze ans environ après le prononcé du jugement ayant condamné le requérant à rembourser la dette et en l’absence de toute procédure d’exécution pendante devant un huissier de justice. De plus, un contrôle de proportionnalité pour toute restriction du droit à la liberté de circulation était expressément exigé par la Cour constitutionnelle (paragraphe 17 ci-dessus), dont la décision correspondante a été prononcée au moment où la présente affaire était encore sur le rôle de la Cour suprême de justice.

30. Sur ce point, la Cour relève que les tribunaux internes se sont contentés de valider la mesure litigieuse comme étant conforme à l’article 8 g) de la loi no 269. Cependant, ceux-ci ne se sont nullement penchés sur la question de savoir si le refus de délivrer un passeport se conciliait avec les dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice, notamment celles fixant à trois ans le délai de forclusion pour présenter le titre exécutoire (paragraphe 15 ci-dessus). La Cour ne perd pas de vue qu’une procédure d’exécution avait été déclenchée par un huissier de justice à la demande du créancier (paragraphe 11 ci-dessus). Elle observe toutefois que cela est bel et bien survenu après le refus de l’administration de renouveler le passeport du requérant et que la question de la compatibilité de cette mesure avec les dispositions du code de l’exécution restait entière, au moins pour ce qui était de la période précédant la mise en mouvement de la procédure d’exécution. Elle souligne également que le requérant a soulevé l’argument tiré de la forclusion du créancier à demander l’exécution et que les éléments dont elle dispose n’indiquent pas qu’il y avait un quelconque obstacle juridique empêchant les tribunaux nationaux d’examiner ce moyen (comparer avec Kerimli, précité, § 52).

31. En tout état de cause, la Cour fait remarquer que les juridictions internes n’ont pas analysé la situation individuelle du requérant et la question de la proportionnalité de l’ingérence (voir le rappel des éléments à prendre en compte dans Riener, précité, §§ 122-26, et Khlyustov, précité, § 91).

32. Quant à l’obligation des autorités de réexaminer régulièrement la mesure restreignant la liberté de circulation du requérant, elle note que ce dernier est vraisemblablement resté sous le coup de cette mesure durant plusieurs années. Elle constate que, après la confirmation par les tribunaux internes du refus initial des autorités de délivrer le passeport, il n’y a eu aucun réexamen de la justification de l’interdiction de voyager. Cela est dû au fait que le droit interne n’en offrait pas la possibilité (comparer avec Gochev, précité, § 55 et Kerimli, précité, § 56).

33. Eu égard à ces considérations, la Cour juge que le requérant a été soumis à une mesure de caractère automatique, sans limitation de durée et en l’absence d’un contrôle effectif et périodique (comparer avec Sarkizov et autres, précité, § 67). Ces éléments lui suffisent pour conclure que la législation interne, tel qu’appliquée en l’espèce, n’a pas offert à l’intéressé la possibilité de bénéficier de garanties procédurales suffisantes pour prévenir le risque d’abus de pouvoir de la part des autorités et que celui-ci a été donc privé de la protection nécessaire contre l’arbitraire que lui conférait le principe de la prééminence du droit dans une société démocratique.

34. Dans ces circonstances, la Cour considère que l’ingérence dans le droit à la liberté de circulation du requérant n’était pas « prévue par la loi ». Ce constat rend superflu l’examen du respect des autres exigences exposées dans l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention.

35. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

37. Le requérant demande 10 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

38. Le Gouvernement soutient que cette somme est excessive.

39. La Cour considère que le requérant a dû subir un préjudice en raison de la violation constatée ci-dessus. Statuant en équité, elle lui octroie 3 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Intérêts moratoires

40. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement,

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 décembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley Naismith                                    Jon Fridrik Kjølbro
Greffier                                                      Président

Dernière mise à jour le décembre 8, 2020 par loisdumonde

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