AFFAIRE ASSOCIATIONS DE COPROPRIÉTÉ FORESTIÈRE PORCENI PLEȘA ET PICIORUL BĂTRÂN BANCIU c. ROUMANIE – 46201/16 et 47379/18

Dans les présentes requêtes, les associations requérantes, propriétaires de forêts, se plaignent sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention de n’avoir pas obtenu de dédommagement, en dépit d’un droit reconnu par la loi, pour compenser l’impossibilité pour elles d’exploiter leurs forêts en raison du classement de celles-ci en zones naturelles protégées relevant du réseau européen « Natura 2000 ».

La Cour européenne des droits de l’homme constate qu’à ce jour, soit plus de dix ans après la décision de la Commission européenne validant les propositions du gouvernement quant au calcul desdits dédommagements, le projet de décision contenant les normes méthodologiques n’a toujours pas été publié et aucun versement n’a été réalisé en faveur de la première requérante pour l’année 2013, ni au profit de la seconde requérante pour la période allant de 2010 à 2014, en dépit du fait que les associations requérantes, tout en étant frappées de l’interdiction légale d’exploiter leurs forêts en raison du classement de celles-ci en zone naturelle protégée, ont assuré à leur frais, pendant ces périodes, leur entretien obligatoire. Or, même si certains retards peuvent être justifiés dans des circonstances exceptionnelles (Ališić et autres, précité, § 124), le Gouvernement n’a avancé en l’espèce aucune explication quant à l’omission de la publication des normes méthodologiques.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que l’inaction prolongée de l’État concernant l’adoption et la publication des normes méthodologiques pour l’octroi des aides d’État destinées à compenser le coût de la gestion durable des terrains forestiers appartenant aux requérantes ainsi que la valeur du bois non récolté sur ceux-ci par les intéressées en raison des exigences de protection posées par la réglementation administrative forestière a fait échec à la mise en œuvre du règlement no 14 du 29 janvier 2010 sur les mesures financières relatives aux aides d’État accordées aux producteurs agricoles à partir de 2010 et à l’article 99 de la loi no 46/2008 sur le code des forêts (comparer avec Volokitin et autres c. Russie, nos 74087/10 et 13 autres, §§ 24-27, 3 juillet 2018). Dès lors, elle en conclut que le principe de légalité n’a pas été respecté. Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas soutenu que l’omission de publier les normes méthodologiques et l’omission de payer les dédommagements qui en résulte auraient poursuivi un quelconque but légitime et la Cour ne voit pas en quoi un tel but aurait pu consister. Ayant constaté que l’ingérence litigieuse n’était pas « légale » au sens de sa jurisprudence citée au paragraphe 69 ci-dessus et qu’elle ne poursuivait pas de but légitime, la Cour ne doit pas rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.


Texte intégral du document.

Cour européenne des droits de l’homme
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ASSOCIATIONS DE COPROPRIÉTÉ FORESTIÈRE
PORCENI PLEȘA
ET PICIORUL BĂTRÂN BANCIU
(OBȘTEA DE PĂDURE PORCENI PLEȘA
ŞI COMPOSESORATUL PICIORUL BĂTRÂN BANCIU)
c. ROUMANIE
(Requêtes nos 46201/16 et 47379/18)
ARRÊT

Art 1 P1 • Respect des biens • Absence de dédommagement, des associations requérantes, propriétaires de forêts, en dépit d’un droit reconnu par la loi, pour compenser leur impossibilité d’exploiter leurs forêts classées en zones naturelles protégées relevant du réseau européen « Natura 2000 » • Inaction prolongée de l’État concernant l’adoption et la publication des normes méthodologiques pour l’octroi des aides d’État destinées à compenser le coût de la gestion durable des terrains forestiers appartenant aux requérantes ainsi que la valeur du bois non récolté sur ceux-ci par les intéressées en raison des exigences de protection posées par la réglementation administrative forestière ayant fait échec à la mise en œuvre du règlement no 14 du 29 janvier 2010 sur les mesures financières relatives aux aides d’État accordées aux producteurs agricoles à partir de 2010 et à l’article 99 de la loi no 46/2008 sur le code des forêts • Ingérence litigieuse non « légale » au sens de la jurisprudence de la Cour • Absence de but légitime

STRASBOURG
28 novembre 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Associations de copropriété forestière Porceni Pleșa et Piciorul Bătrân Banciu (Obștea de Pădure Porceni Pleșa și Composesoratul Piciorul Bătrân Banciu) c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Tim Eicke,
Branko Lubarda,
Anja Seibert-Fohr,
Ana Maria Guerra Martins,
Anne Louise Bormann,
Sebastian Răduleţu, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,
Vu les requêtes (nos 46201/16 et 47379/18) dirigées contre la Roumanie et dont deux personnes morales de droit roumain, associations de copropriétaires indivis de forêts de montagne situées à Pleșa et à Recea, Obștea de Pădure Porceni Pleșa (également dénommée dans certains documents Obștea de Pădure Porceni Bîrnici Pleșa) et Composesoratul Piciorul Bătrân Banciu (« les requérantes »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») les 22 juillet 2016 et 24 août 2018 respectivement,

Vu les décisions de porter les requêtes à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »),

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novembre 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Dans les présentes requêtes, les associations requérantes, propriétaires de forêts, se plaignent sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention de n’avoir pas obtenu de dédommagement, en dépit d’un droit reconnu par la loi, pour compenser l’impossibilité pour elles d’exploiter leurs forêts en raison du classement de celles-ci en zones naturelles protégées relevant du réseau européen « Natura 2000 ».

EN FAIT

2. Les requérantes sont deux associations de droit roumain. La première requérante, Obștea de Pădure Porceni Pleșa, a été créée en 2000 et a son siège social à Pleșa, dans le département de Gorj. Elle a été représentée par Me Cristina Duvlea, avocate à Târgu-Jiu. La deuxième requérante, Composesoratul Piciorul Bătrân Banciu, a été créée en 2002 et a son siège social à Recea, dans le département de Brașov. Elle a été représentée par Me Carol Vlad Gyergyai, avocat à Bucarest.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme O.-F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.

4. La première requérante détient un titre de propriété sur une forêt de 3 636,43 ha se trouvant à Pleșa, dans le massif des Carpates, et dont 2 407,43 ha, situés dans les gorges du Jiu et faisant partie du Parc national Defileul Jiului, furent classés en 2005 en zone naturelle protégée.

5. La seconde requérante détient un titre de propriété sur une forêt de 429 ha également située dans les Carpates, à Recea, et dont 258,4 ha, puis par la suite une superficie plus large de 358,7 ha, furent classés respectivement en 2005 et en 2008 en zone naturelle protégée.

6. Selon les informations fournies par le Gouvernement, les terrains des deux requérantes furent inclus dans le réseau « Natura 2000 », lequel rassemble à travers les États membres de l’Union européenne des sites présentant une grande valeur du point de vue du patrimoine naturel du fait de la faune et de la flore exceptionnelles qu’ils contiennent (paragraphe 26 ci‑dessous).

7. En vertu des dispositions applicables aux zones forestières classées, les propriétaires de celles-ci ont l’obligation d’entretenir les forêts en question, mais ils ne peuvent les exploiter de quelque manière que ce soit. Selon la loi no 46/2008 sur le code des forêts (Legea nr. 46/2008 privind Codul Silvic ; paragraphe 18 ci-dessous), ils ont droit, en compensation, à des dédommagements.

8. Depuis le classement des terrains forestiers leur appartenant, les deux associations requérantes ont conclu avec les offices régionaux des forêts des contrats d’entretien, à leur frais, pour leurs forêts respectives.

I. La procedure engagée par la première requérante

9. Avant d’engager la procédure qui fait l’objet de la présente requête, la première requérante avait introduit une première action en justice, qui donna lieu le 8 novembre 2013 à une décision définitive de la cour d’appel de Craiova par laquelle elle avait obtenu un dédommagement d’un montant de 1 112 924,3 lei roumains (RON), lequel était dû par l’État au titre de l’année 2012. Le ministère chargé de l’Environnement, qui était partie défenderesse dans cette procédure, ne s’était pas pourvu en cassation contre ladite décision.

10. La première requérante avait entamé par ailleurs une procédure administrative préalable, dans le cadre de laquelle il avait été porté à sa connaissance, par le biais d’un document intitulé « décompte justificatif » délivré par l’Inspection territoriale des forêts (Inspectoratul Teritorial de Regim Silvic şi de Vânătoare) de Râmnicu Vâlcea, qui était subordonnée au ministère chargé de l’Environnement, qu’elle avait droit au titre de l’année 2013 à un dédommagement d’un montant de 1 306 174 RON correspondant principalement à la valeur de la récolte de bois qu’elle ne pouvait produire pour l’année 2013.

11. Le 14 mai 2014, la première requérante introduisit contre le ministère chargé de l’Environnement une action en contentieux administratif par laquelle elle réclamait ladite somme de 1 306 174 RON au titre de l’indemnité lui étant due pour 2013 en compensation du classement des terrains forestiers lui appartenant. Le ministère s’y opposa, au motif que le gouvernement n’avait pas encore adopté la décision administrative « relative aux normes méthodologiques » fixant les modalités de mise en œuvre des dispositions relatives aux dédommagements prévues par la loi no 46/2008.

12. Par un arrêt du 5 septembre 2014, la cour d’appel de Craiova fit droit à l’action de la requérante, estimant que la non-adoption de ladite décision par le gouvernement n’était pas de nature à justifier le refus d’octroyer à l’intéressée l’indemnité réclamée.

13. Le ministère se pourvut en cassation. Par un arrêt définitif du 3 février 2016, la Haute Cour de cassation et de justice accueillit le pourvoi et rejeta la demande de la requérante. Elle constata qu’en vertu de la loi no 46/2008, l’intéressée avait droit à des indemnités, que la Commission européenne avait validé le système de dédommagement proposé par le gouvernement mais que celui-ci n’avait pas encore adopté le projet de décision élaboré à cette fin. La Haute Cour jugea par conséquent que la requérante ne pouvait pas encore bénéficier de l’indemnisation prévue par la loi no 46/2008, ajoutant qu’il existait « un autre remède judiciaire » propre à réparer l’atteinte portée aux droits des propriétaires des forêts classées, sans toutefois indiquer lequel. L’arrêt de la Haute Cour se lit ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Il convient de relever que le point 11 de la décision de la Commission européenne indique que « le régime, qui expirera le 31 décembre 2013, n’entrera en vigueur qu’après son approbation par la Commission et sa publication au Journal officiel de la Roumanie (…) ».

Il s’ensuit que le régime d’aides d’État prévu par le projet de décision du gouvernement sur les normes méthodologiques, qui a reçu un avis favorable de la Commission européenne, ne peut produire des effets juridiques qu’après l’adoption de cet acte normatif de droit interne.

(…)

Or, il est constaté que la procédure interne d’octroi des aides d’État visée par la décision de la Commission européenne n’a pas été finalisée, car la décision du gouvernement approuvant les normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle des dédommagements représentant la valeur du volume de bois que les propriétaires ne peuvent récolter en raison des exigences de protection [découlant de la réglementation administrative de l’usage des forêts (protecţia amenajărilor forestiere)], [et étant également considérés comme] nécessaires pour couvrir les coûts de gestion durable des forêts faisant partie des sites d’importance communautaire Natura 2000 [(cf. paragraphe 18 du présent arrêt)], n’a pas été adoptée et publiée au Journal officiel.

Il en résulte qu’il n’existe pas actuellement de base légale pour l’octroi des dédommagements demandés.

(…)

Par ailleurs, il est certain que la situation découlant du manquement en question (situaţia juridică determinată de neîndeplinirea acestei condiţii suspensive), à savoir la non-adoption de la décision du gouvernement, est de nature à léser le droit à indemnisation dont disposent les propriétaires des forêts en question, classées en catégories T1 et T2 et relevant du réseau Natura 2000, mais il existe un autre remède judiciaire à cet effet. »

II. La procédure engagée par la seconde requérante

14. La seconde requérante entama une procédure administrative préalable, dans le cadre de laquelle, le 30 septembre 2015, il fut porté à sa connaissance, par le biais d’un document « centralisateur » (centralizator) établi par la régie autonome locale de l’office des forêts de Făgăraș (Regia publică locală Ocolul Silvic Pădurile Făgărașului R.A.), qu’elle avait droit, à titre de compensation correspondant principalement à la valeur des récoltes de bois non produites, aux dédommagements suivants :

– deux montants de 60 499,05 RON et de 17 689,03 RON se rapportant, respectivement, aux périodes allant du 1er janvier au 30 septembre 2010, d’une part, et de cette dernière date à la fin de l’année 2010, d’autre part, et calculés en fonction du prix du mètre cube de bois fixé par arrêté ministériel à un niveau différent pour chacune des deux périodes ;

– deux montants de 63 257,50 RON et 6 641,18 RON se rapportant respectivement à deux périodes distinctes de l’année 2011 ;

– un montant de 69 837,26 RON pour l’année 2012 ;

– un montant de 80 611,35 RON pour l’année 2013,

– et un montant de 80 611,35 RON pour l’année 2014.

15. Par une action introduite le 17 novembre 2015, la seconde requérante demanda donc, entre autres, la somme de 379 146,72 RON, correspondant au total desdites indemnités lui étant dues, pour les années 2010 à 2014, en compensation du classement des parcelles de forêt dont elle était propriétaire.

16. Par un arrêt du 8 décembre 2017, notifié le 27 février 2018, la cour d’appel de Brașov, confirmant le jugement qui avait été rendu en première instance, le 13 avril 2017, par le tribunal départemental de Brașov, rejeta la demande au motif que malgré l’accord de la Commission européenne du 19 juillet 2012 validant le système de dédommagement, le gouvernement n’avait toujours pas adopté les normes méthodologiques régissant l’octroi des dédommagements.

17. L’arrêt précité de la cour d’appel de Brașov se lit ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce :

« La seconde critique vise le rejet, qui aurait été prononcé à tort, de l’action en justice comme étant prématurée pour ce qui est des [dédommagements pour les] années 2010‑2014, motif fondé sur l’article 488 para, (8) du Code de procédure civile. Ce motif est également mal fondé.

La cour note que par la décision « C(2012)5166 final » du 19 juillet 2012, la Commission européenne a rendu un avis favorable concernant la proposition visant les aides d’État pour les personnes physiques et morales pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2013.

Par la décision C(2013)9369, ce régime d’aides a été prolongé jusqu’au 30 juin 2014.

(…)

Dans ce contexte, il apparaît que les aides d’État pour les personnes physiques et morales peuvent, à partir de l’année 2010, être octroyées, sur le fondement des décisions C(2012)5166 final/19.07.2012 et C(2013)9369 final/18.12.2013, seulement après la publication du projet de décision du gouvernement approuvant les normes méthodologiques, acte qui n’a pas encore été publié au Journal officiel.

La cour valide le raisonnement de la première instance, notant qu’il ressort du contenu même des décisions précitées qu’elles n’ont pas d’effet direct et qu’elles constituent des avis de conformité visant des aides d’État, dans le sens de leur compatibilité avec le marché intérieur. Toutefois, le projet de décision du gouvernement approuvant les normes méthodologiques pour l’octroi des aides d’État n’est pas entré en vigueur car il n’a pas été publié au Journal officiel, condition explicitement mentionnée dans les décisions invoquées [par la demanderesse].

Par la décision C(2012)5166 final du 19 juillet 2012, la Commission européenne a émis un avis favorable concernant l’octroi d’aides aux personnes physiques et morales pour les forêts relevant des catégories T1 et T2 [qui font] parties des sites Natura 2000. Cette décision donne un avis favorable concernant le régime d’aides d’État proposé par l’État roumain, via l’autorité centrale compétente, en faveur des personnes qui ont vu l’usage de leurs terrains restreint par des [réglementations administratives]. La proposition ayant reçu un avis positif produit des effets seulement après la publication de l’acte normatif en question (la décision du gouvernement) au Journal officiel de la Roumanie.

Après réception de la décision [de la Commission européenne] précitée, le ministère compétent a élaboré un projet de décision du gouvernement sur les normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle de ces dédommagements, mais ledit projet n’a pas été publié au Journal officiel de la Roumanie, ayant été retiré de la publication pour des raisons sans rapport avec la présente affaire.

Il s’ensuit qu’à la date de l’assignation en justice il n’existait, pas plus qu’il n’en existe à présent, de normes méthodologiques [donnant suite à] la décision favorable de la Commission européenne, pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle desdits dédommagements, telles que celles qui avaient été proposées, via l’autorité centrale compétente, par l’État roumain et approuvées par la Commission européenne.

Le fait pour les requérants de se trouver dans une situation qui les prive de l’exercice, de quelque manière que ce soit, des attributs de leur droit de propriété, pendant un intervalle de temps considérable du fait que l’État roumain, à travers les autorités compétentes, n’a pas fait droit à leur demande, ne peut, même en l’absence de preuve que le processus approche de sa finalisation, justifier sur le fondement des normes spéciales invoquées leur présente démarche judiciaire, laquelle peut seulement être fondée éventuellement sur le droit commun.

(…)

En troisième lieu, la requérante critique le rejet, qu’elle considère avoir été prononcé à tort, de son grief tendant à l’engagement de la responsabilité de l’État roumain solidairement avec le ministère des Eaux et Forêts, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil et des articles 288 para. 1 et 291 TFUE, en raison de l’obligation de l’État roumain d’adopter et de publier au Journal officiel les normes méthodologiques, en application des décisions C(2012)5166 final/19.07.2012 et C(2013)9369 final/18.12.2013.

La première instance a rejeté ce grief à bon droit en considérant que le manquement invoqué par la requérante n’était pas suffisamment grave et que celle-ci avait la possibilité de formuler ultérieurement une nouvelle demande de dédommagement, après l’adoption des normes méthodologiques.

(…)

Cependant, il convient de constater que la procédure interne nécessaire aux fins de l’octroi des aides d’État visées par la décision de la Commission européenne n’a pas été finalisée, puisque la décision du gouvernement approuvant les normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle des dédommagements représentant la valeur du volume de bois que les propriétaires ne peuvent récolter en raison des exigences de protection découlant de la réglementation administrative de l’usage des forêts, et étant également considérés comme nécessaires pour couvrir les coûts de gestion durable des forêts faisant partie des sites d’importance communautaire Natura 2000, n’a pas été publiée au Journal officiel. »

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

I. Le droit et la pratique interne pertinents

A. Le droit en vigueur à la date de l’introduction des requêtes

18. La loi no 46/2008 sur le code des forêts entré en vigueur le 30 mars 2008 après sa publication au Journal officiel no 238 du 27 mars 2008 est ainsi libellée en ses passages pertinents en l’espèce :

Article 97

« (1) Aux fins de la gestion durable des fonds forestiers relevant de la propriété privée de personnes physiques et morales ou de la propriété publique et privée des unités administratives territoriales, l’État alloue annuellement sur son budget, via le budget de l’autorité publique centrale chargée des forêts, des crédits pour :

(…)

b) l’octroi de dédommagements correspondant à la valeur des produits que les propriétaires ne récoltent pas en raison des mesures de protection établies par la réglementation administrative de l’usage des forêts qui fixent les restrictions à la récolte du bois ;

(…) »

Article 98

« Les crédits visés à l’article 97 (1) (a), (c), (d) et (e) sont mis à disposition de l’office régional des forêts qui assure l’administration/les services forestiers (la dispoziţia ocolului silvic care asigură administrarea/serviciile silvice) et, selon le cas, les montants visés à l’article 97 (1) (b), (f) et (g) et (21)-(22) sont mis à disposition des propriétaires (…) »

Article 99

« (1) Les normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle des crédits prévus à l’article 98 sont approuvées par décision du gouvernement, sur proposition des autorités dont relève la sylviculture, dans un délai de 90 jours à partir de la date d’entrée en vigueur du présent code. »

19. L’arrêté ministériel no 1964/2007 établissant un régime de zones naturelles protégées de sites d’importance communautaire étant partie intégrante du réseau Natura 2000 (paragraphe 26 ci-dessous) en Roumanie entra en vigueur à la date de sa publication au Journal officiel no 98, le 7 février 2008. Cet arrêté inclut en son annexe no 1, sous la référence ROSCI0063, les gorges du Jiu (Defileul Jiului), dans le département de Gorj, et sous la référence ROSCI0122, les monts Făgăraş (Munţii Făgăraş), qui comprennent un territoire relevant de la commune de Recea, dans le département de Brașov.

20. Selon le règlement d’urgence du gouvernement no 57/2007 sur le régime des zones naturelles protégées et la conservation des habitats naturels, de la flore et de la faune sauvage, approuvé avec des modifications par la loi no 49/2011, toute forme d’exploitation et d’utilisation des ressources naturelles est interdite dans les zones naturelles en question, ainsi que toute forme d’utilisation des terrains qui serait incompatible avec le but de conservation qui leur est assigné.

21. Le règlement du gouvernement no 14/2010 du 29 janvier 2010 sur les mesures financières relatives aux aides d’État accordées aux producteurs agricoles à partir de 2010 est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

Article 4

« (1) Le gouvernement est habilité à accorder sous formes d’aides d’État autorisées en vertu de l’article 1er, dans les domaines suivants :

(…)

s) les activités de développement rural (…),

1. (…)

4. des paiements Natura 2000 et des paiements liés à la directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 (…) ;

(…) »

Article 5

« (1) Les normes méthodologiques relatives aux modalités d’octroi des aides d’État prévues à l’article 4 sont approuvées par décision du gouvernement, conformément aux dispositions communautaires et nationales dans le domaine des aides d’État, et déterminent le but, l’objectif, la durée, le montant de l’aide exprimé en pourcentage des dépenses éligibles ainsi que sa valeur en lei, les flux financiers des aides d’État, les critères d’éligibilité et les procédures de mise en œuvre, de supervision et de contrôle.

(2) Le ministère de l’Agriculture et du Développement rural notifie à la Commission européenne les (…) aides d’État prévues à l’article 4, conformément aux dispositions du Règlement (CE) no 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 mettant en œuvre le Règlement (CE) no 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article 93 du Traité CE. »

Article 6

« Les aides d’État pouvant être accordées d’après la liste prévue à l’article 4 et le montant total destiné à chaque forme d’aide d’État sont approuvés chaque année par décision du gouvernement, qui sera communiquée à la Commission européenne (…). »

22. La décision du gouvernement no 861/2009 du 22 juillet 2009 sur les normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle des montants annuels des dédommagements destinés à la gestion durable du fonds forestier détenu en propriété privée par des personnes physiques et morales et du fonds forestier détenu en propriété publique et privée par des unités administratives territoriales ainsi que sur la procédure de prestation des services sylvicoles et des contrôles de fond se lit ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce :

Article 6

« (1) Les formes de soutien prévues à l’article 97 (1) (a), à l’article 97 (1) (b) concernant les personnes morales et à l’article 97 (1) (c) de la loi no 46/2008 sur le code des forêts, telles qu’elles ont été modifiées ultérieurement, ne seront financées qu’après réception de la décision favorable de la Commission européenne sur les aides d’État.

(2) Toutes les formes de soutien prévues par la loi no 46/2008, telles qu’elles ont été modifiées ultérieurement, ne seront reconduites [pour une période postérieure au] 1er janvier 2010 qu’après réception de la décision favorable de la Commission européenne sur les aides d’État. »

B. La pratique juridictionnelle interne

23. Dans un arrêt d’interprétation no 36 du 23 novembre 2015, la Haute Cour de cassation et de justice, siégeant dans sa formation compétente pour statuer sur des questions de droit, a jugé que l’octroi des dédommagements prévus par l’article 97 (1) (b) de la loi no 46/2008 sur le code des forêts (paragraphe 18 ci-dessus) et par le point 4 de l’article 4 (s) du règlement du gouvernement no 14/2010 sur les mesures financières relatives aux aides d’État accordées aux producteurs agricoles à partir de 2010 (paragraphe 21 ci-dessus) était subordonné à une décision favorable de la Commission européenne sur les aides d’État et à l’adoption ultérieure de normes méthodologiques, dans les conditions de l’article 5 du règlement du Gouvernement no 14/2010.

24. Ledit arrêt de la Haute Cour fait en outre état de l’existence de deux orientations opposées dans la pratique des juridictions nationales, et notamment des cours d’appel, concernant les dédommagements en question. Les passages pertinents de l’arrêt se lisent ainsi :

« V. La pratique des juridictions nationales

43. La Haute Cour a demandé aux cours d’appel de lui indiquer la pratique judiciaire identifiée au sujet de la question qui fait objet de la présente saisine.

44. De l’analyse de la pratique judiciaire exposée par les cours d’appel, il ressort que :

45. Selon une première orientation de la pratique judiciaire, les juridictions ont ordonné aux parties défenderesses, à savoir le ministère de l’Environnement, son département pour les Eaux, les Forêts et la Pisciculture et/ou l’Inspection territoriale des forêts de payer les dédommagements dus à partir du 1er janvier 2010 [et] représentant la valeur du volume de bois que les propriétaires ne pouvaient récolter du fait des exigences de protection [de la réglementation administrative forestière].

46. Les motifs que les juridictions ont retenus à l’appui de ces décisions de justice sont les suivants :

– un avis favorable à l’octroi des dédommagements a été rendu par décision de la Commission européenne ;

– le fait que l’État n’ait pas adopté les normes méthodologiques prévues à l’article 5 (1) du règlement du gouvernement no 14/2010 n’est pas de nature à justifier le non‑versement d’un dédommagement, alors que les personnes y ayant droit ne peuvent exercer leur droit de propriété pendant un intervalle de temps considérable ;

– le non-versement des dédommagements n’est pas justifiable par le défaut d’adoption des normes méthodologiques ou par l’absence des fonds budgétaires, car la loi n’a pas établi un droit affecté d’une condition potestative. Par ailleurs, au niveau national, des normes méthodologiques ont été adoptées par la décision du gouvernement no 861/2009 ;

– le droit à des dédommagements équivaut à un droit de propriété et les requérants subissent une atteinte à l’exercice de leur droit de propriété au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

47. Selon une autre orientation de la pratique judiciaire, les juridictions ont rejeté la demande de dédommagements au motif que :

– il ressort de la décision de la Commission européenne, dans son chapitre « Durée et budget », que le régime n’entrera en vigueur qu’après son approbation par la Commission et sa publication au Journal officiel de la Roumanie. Partant, avec la décision de la Commission, la condition préalable prévue par la décision du gouvernement no 861/2009 et tenant à la réception d’une décision favorable de la Commission concernant les aides d’État a été remplie. Par suite, les autres conditions doivent également être remplies.

L’article 6 de la décision du gouvernement no 861/2009 ne prévoit pas l’octroi de plano des dédommagements au moment de la réception de la décision favorable de la Commission européenne ;

(…)

– la circonstance que le régime d’aides d’État établi par le projet de décision du gouvernement n’a pas été publié au Journal officiel de la Roumanie fait que l’aide d’État consistant en paiements Natura 2000 ne peut pas être accordée, car les conditions prévues par la loi et par la décision de la Commission européenne n’ont pas été remplies.

(…)

Par ailleurs, il est certain que la situation découlant du manquement en question (situaţia juridică determinată de neîndeplinirea acestei condiţii suspensive), à savoir la non-adoption de la décision du gouvernement, est de nature à léser le droit à indemnisation dont disposent les propriétaires des forêts en question, classées en catégories T1 et T2 et relevant du réseau Natura 2000, mais il existe un autre remède judiciaire à cet effet. »

C. Dernières évolutions du droit interne pertinent

25. La décision du Gouvernement no 447/2017 du 30 juin 2017 sur l’adoption des normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle des dédommagements destinés à compenser la valeur des produits non récoltés par les propriétaires en raison des exigences de protection de la réglementation administrative forestière qui impose les restrictions à la récolte de masse de bois (pentru aprobarea Normelor metodologice de acordare, utilizare şi control al compensaţiilor reprezentând contravaloarea produselor pe care proprietarii nu le recoltează, datorită funcţiilor de protecţie stabilite prin amenajamente silvice care determină restricţii în recoltarea de masă lemnoasă) concerne les paiements pour la période à partir de son entrée en vigueur en juillet 2017. Selon son article 17, cette décision abroge la décision du gouvernement no 861/2009 du 22 juillet 2009 (paragraphe 22 ci-dessus).

II. Le droit de l’Union européenne

A. La Directive « Habitats »

26. La directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages est partiellement citée dans les arrêts Karin Andersson et autres c. Suède (no 29878/09, § 33, 25 septembre 2014) et O’Sullivan McCarthy Mussel Development Ltd c. Irlande (no 44460/16, § 66, 7 juin 2018).

La partie de la directive relative à la mise en place du réseau Natura 2000 est ainsi libellée en ses passages pertinents en l’espèce :

Définitions – Article premier

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

(…)

k) site d’importance communautaire: un site qui, dans la ou les régions biogéographiques auxquelles il appartient, contribue de manière significative à maintenir ou à rétablir un type d’habitat naturel de l’annexe I ou une espèce de l’annexe II dans un état de conservation favorable et peut aussi contribuer de manière significative à la cohérence de « Natura 2000″ visé à l’article 3, et/ou contribue de manière significative au maintien de la diversité biologique dans la ou les régions biogéographiques concernées. »

Article 2

« 1. La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

2. Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

3. Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

Article 3

« 1. Un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé « Natura 2000″, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.

Le réseau Natura 2000 comprend également les zones de protection spéciale classées par les États membres en vertu des dispositions de la directive 79/409/CEE.

2. Chaque État membre contribue à la constitution de Natura 2000 en fonction de la représentation, sur son territoire, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces visés au paragraphe 1. Il désigne à cet effet, conformément à l’article 4, des sites en tant que zones spéciales de conservation, et tenant compte des objectifs visés au paragraphe 1.

(…) »

Article 6

« 1. Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2. Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive. »

B. Les décisions de la Commission européenne

27. Par la décision de la Commission européenne C(2012) 5166 final/19.07.2012, publiée au Journal officiel de l’Union européenne no C/276/2012 du 13 septembre 2012, le ministère roumain chargé de l’Environnement a reçu un avis favorable à l’octroi d’aides d’État à des personnes physiques ou morales possédant des forêts de catégories TI et T2 au sein des sites Natura 2000. Selon cette décision, les aides d’État ne pouvaient être accordées qu’après la publication au Journal officiel de la Roumanie des normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle des aides d’État, pour ces dédommagements.

« Objet : Aide d’État/Roumanie

(…)

Octroi d’aides destinées à compenser la valeur du bois non récolté par [les] propriétaires en raison [des exigences de protection] de [la réglementation administrative forestière], ainsi que le coût [supporté par eux aux fins] de la gestion durable des forêts.

Monsieur le [M]inistre,

1. Par [un] courriel du 29 août 2011, la Représentation permanente de la Roumanie auprès de l’Union européenne a notifié le régime en objet à la Commission, en vertu de l’article 108, paragraphe 3 du [T]raité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

(…)

3. J’ai l’honneur de vous informer que la Commission n’a aucune objection à formuler à l’égard du régime en objet.

4. Pour prendre cette décision, la Commission s’est fondée sur les considérations suivantes :

Base juridique

5. La base juridique du régime est le projet de décision gouvernementale établissant les normes méthodologiques pour l’octroi d’aides d’État destinées à compenser la valeur du bois non récolté par [les propriétaires] en raison des [exigences de protection] de [la réglementation administrative forestière], ainsi que le coût [supporté aux fins] de la gestion durable des forêts.

Forme et modalités d’octroi de l’aide

6. L’aide compensatoire envisagée varie de 40 à 200 [euros] par hectare et par an. Elle est calculée sur la base des paramètres suivants : superficie (en hectares) pour laquelle une compensation est demandée, prix du mètre cube [de] bois sur pied, indice de croissance des arbres, indice de correction du prix selon le type d’arbre (le hêtre servant de référence) et indice de correction de la compensation selon [le type de fonction protectrice] de la forêt. Ces données proviennent des travaux réalisés par l’[i]nstitut national des statistiques [et] le centre de recherche et d’aménagement sylvicole de Bucarest [et] sont tirées plus particulièrement de l’ouvrage « Statistiques sur les activités sylvicoles en 2010 ».

7. L’aide s’applique aux superficies forestières à fonction protectrice de type T1 ou T2 situées entièrement en zone Natura 2000 (si une superficie forestière de type T1 ou T2 se trouve en dehors d’une zone Natura 2000, [l’aide la concernant] est accordée dans le cadre d’un régime de minimis conforme aux dispositions du règlement (CE) no 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006, concernant l’application des articles 87 et 88 du traité aux aides de minimis ; elle [est] également accordée sous ce même régime de minimis lorsque les bénéficiaires sont des entités administratives ou territoriales).

Bénéficiaires de l’aide

8. Les bénéficiaires, dont le nombre est estimé à plus de 1000, sont les propriétaires forestiers (personnes physiques et morales), leurs associations inscrites dans le registre les concernant, ainsi que les unités [administratives territoriales], qui possèdent, en propriété publique ou privée, des superficies forestières à fonction protectrice de type T1 ou T2 et qui ne peuvent y récolter du bois pour cette raison.

(…)

Durée et budget

11. Le régime, qui expirera le 31 décembre 2013, n’entrera en vigueur qu’après son approbation par la Commission et sa publication au Journal officiel de la Roumanie. Il sera financé par un budget total de 258 millions de RON (environ 60 millions d’euros).

(…)

19. Dans le règlement (CE) no 1698/2005, les paiements Natura 2000 pour le secteur forestier sont régis par les dispositions de l’article 46, qui prévoit l’octroi d’une aide à des particuliers ou à des associations propriétaires de forêts afin de compenser les coûts supportés et les pertes de revenus subies en raison des restrictions à l’utilisation des forêts et autres superficies boisées qui résultent de la mise en œuvre des directives 79/409/CEE et 92/43/CEE dans la zone concernée. Cette aide est comprise dans une fourchette de 40 à 200 euros par hectare et est payée annuellement.

20. La Commission constate que l’aide envisagée s’inscrit dans la fourchette précitée, puisque, comme indiqué au point 6, elle variera de 40 à 200 euros par hectare en fonction de l’application des paramètres évoqués au même point, et sera accordée par an.

(…) En conséquence, la Commission peut conclure que les aides envisagées dans le cadre du régime notifié remplissent les conditions pertinentes pour pouvoir bénéficier de la dérogation prévue à l’article 107, paragraphe 3, point c) du TFUE en tant qu’aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques sans altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

Décision

25. Compte tenu de l’analyse ci-dessus, la Commission a décidé de considérer les aides envisagées dans le cadre du régime notifié comme compatibles avec le marché intérieur.

(…) »

28. Par la décision de la Commission européenne C(2013) 9369 final/18.12.2013, le régime visé par la décision de la Commission C(2012) 5166 final/19.07.2012, précitée, qui devait expirer le 31 décembre 2013, fut prolongé jusqu’au 30 juin 2014.

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

29. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les joindre et de les examiner ensemble dans un arrêt unique (article 42 § 1 du Règlement de la Cour).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 du Protocole no 1 À LA CONVENTION

30. Les requérantes se plaignent d’une atteinte à leur droit de propriété. Sans contester le classement des terrains forestiers leur appartenant en zone naturelle protégée, elles considèrent qu’en l’absence de compensation du fait de la non-adoption par le gouvernement des normes méthodologiques pour l’octroi des dédommagements, l’interdiction de toute forme d’exploitation assortie de l’obligation d’entretenir la forêt à leurs frais constitue pour elles une charge disproportionnée. Elles invoquent l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention

31. La Cour note qu’en l’espèce, le Gouvernement n’ayant pas soulevé d’exception relative à l’applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, les parties ont estimé implicitement que cette disposition était applicable aux faits à l’origine des présentes requêtes.

32. La Cour rappelle que la question de l’applicabilité relève de sa compétence ratione materiae, et elle considère qu’il convient en l’espèce de l’examiner d’office (Studio Monitori et autres c. Géorgie, nos 44920/09 et 8942/10, § 32, 30 janvier 2020).

33. La Cour rappelle que la notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance puisse être considérée comme une « valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no 1, il faut que le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit interne. Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espérance légitime » (Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 63, CEDH 2005‑IX, et Agrati et autres c. Italie, nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, §§ 73-74, 7 juin 2011).

34. En l’espèce, le Gouvernement ne conteste pas le droit de propriété des requérantes sur les terrains forestiers classés en zone naturelle protégée, ni le droit correspondant qu’elles avaient à se voir octroyer, sur la base des articles 97 à 99 de la loi no 46/2008 sur le code des forêts et du règlement du gouvernement no 14/2010 (paragraphes 18 et 21 ci-dessus et 63, ci-dessous), des dédommagements représentant la valeur du bois qu’elles n’avaient pu récolter en raison du classement des forêts leur appartenant en zone protégée Natura 2000 et des coûts supportés par elles pour la gestion durable des forêts en question. Qui plus est, les tribunaux internes, à savoir la Haute Cour de cassation et de justice dans le cas de la première requérante (paragraphe 13 ci-dessus) et la cour d’appel de Brașov dans le cas de la seconde requérante (paragraphe 17 ci-dessus), ont aussi reconnu le droit à indemnisation des intéressées mais ont considéré qu’elles ne pouvaient pas encore bénéficier des dédommagements en cause faute de publication au Journal officiel des normes méthodologiques régissant leur versement.

35. La Cour note, enfin, que les montants des dédommagements dus aux requérantes avaient été portés à la connaissance de celles-ci par le truchement de documents administratifs non-contestés établis, dans le cas de la première requérante, par l’Inspection territoriale des forêts de Râmnicu Vâlcea, subordonnée au ministère chargé de l’Environnement (paragraphe 10 ci‑dessus) et, dans le cas de la seconde, par l’office local des forêts de Făgăraș (paragraphe 14 ci-dessus).

36. Compte tenu de ces éléments, la Cour considère que ce n’est pas le droit des requérantes à recevoir des dédommagements, en lui-même, qui est mis en cause par le Gouvernement – pas plus qu’il ne l’a été par les tribunaux nationaux – mais uniquement les modalités pratiques de versement de ces dédommagements, qui restaient encore à être fixées par décision du Gouvernement. Il s’ensuit que ce droit à dédommagement peut être qualifié de « bien » étant donné qu’il fait l’objet d’une créance certaine, ayant une base légale (paragraphes 18 et 21 ci-dessus), que son montant a été déterminé par les autorités administratives compétentes (paragraphes 10 et 14 ci-dessus) et qu’il n’a été contesté, ni quant à son existence, ni quant à son étendue, lors des procédures judiciaires internes relatives à la cause (voir, mutatis mutandis, Văleanu et autres c. Roumanie, nos 59012/17 et 27 autres, § 230, 8 novembre 2022, et, a contrario, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 137, 25 septembre 2018, et Marčan c. Croatie, (déc.), no 67390/10, §§ 32‑42, 20 octobre 2016).

37. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les requérantes pouvaient à tout le moins se prévaloir d’une espérance légitime, fondée sur lesdites dispositions législatives et sur les décisions rendues par les tribunaux internes dans leurs affaires respectives, à se voir verser des dédommagements en raison de l’impossibilité pour elles d’exploiter leurs terrains forestiers (voir, mutatis mutandis, Archidiocèse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie, no 33003/03, § 88, 25 septembre 2012).

38. Il s’ensuit que l’article 1 du Protocole no 1 est applicable en l’espèce.

2. Sur l’épuisement des voies de recours internes

a) Les arguments des parties

i. Le Gouvernement

39. Le Gouvernement plaide le non-épuisement des voies de recours internes. Il considère que les requérantes auraient dû introduire un recours devant les juridictions civiles, sur le fondement des dispositions régissant la responsabilité civile délictuelle, aux fins d’obtention d’une condamnation des autorités défaillantes à la réparation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi et représentant la valeur de la récolte de bois qu’elles ne pouvaient produire. Sur ce point, le Gouvernement précise, citant le dernier paragraphe de l’arrêt d’interprétation no 36 du 23 novembre 2015 de la Haute Cour de cassation et de justice (paragraphe 24 ci-dessus), ainsi que le dernier paragraphe de l’arrêt du 3 février 2016 de la Haute Cour de cassation et de justice rendu à l’égard de la première requérante (paragraphe 13 ci‑dessus) qu’il fait référence à l’« autre remède judiciaire » dont les plaignantes pouvaient bénéficier selon ladite juridiction.

40. Le Gouvernement se réfère, en outre, à un arrêt rendu le 22 mai 2019 par la Haute Cour de cassation et de justice dans une affaire analogue. Il indique que dans cet arrêt la Haute juridiction a estimé que les griefs relatifs à la protection de la propriété privée étaient de nature civile et qu’ils ne pouvaient être soulevés dans le cadre d’une action en contentieux administratif fondée sur le caractère injustifié du refus par l’autorité administrative d’accueillir la demande.

41. Le Gouvernement soutient que la pratique interne comporte des exemples démontrant que ce recours présentait des perspectives raisonnables de succès. À cet égard, il renvoie, d’une part, à une décision du 6 juin 2017 par laquelle le tribunal départemental d’Argeş a accueilli l’action formée par une personne propriétaire de terrains forestiers au motif qu’elle n’avait pas obtenu de compensation représentant la valeur des produits qu’elle n’avait pu récolter, pour l’année 2007, du fait des dispositions protectrices de la réglementation administrative forestière et, d’autre part, une décision du 13 juin 2017 par laquelle la cour d’appel de Suceava a ordonné au ministère chargé de l’Environnement de payer à une personne qui se trouvait dans une situation analogue à celle des requérantes un montant de 140 941,78 RON correspondant à l’année 2009 et représentant la valeur du bois que ladite personne n’avait pu récolter dans une forêt dont elle était propriétaire dans une zone protégée Natura 2000.

42. Selon le Gouvernement, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a également consacré la différence de nature juridique entre les aides d’État et le dédommagement, au sens civil, de restrictions au droit de propriété. À cet égard, le Gouvernement fait valoir que la CJUE a dit pour droit que « les aides publiques, constituant des mesures de l’autorité publique favorisant certaines entreprises ou certains produits, revêtent une nature juridique fondamentalement différente des dommages‑intérêts que les autorités nationales seraient, éventuellement, condamnées à verser à des particuliers, en réparation d’un préjudice qu’elles leur auraient causé » (voir les affaires jointes 106/87-120/87 Asteris AE contre Grèce, du 26 avril 1988).

ii. Les requérantes

43. Les requérantes invitent la Cour à rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement et contestent la thèse selon laquelle une action civile de droit commun aurait eu des chances de succès concernant leurs griefs spécifiques relatifs à l’octroi de dédommagements en conséquence du classement de leurs terrains forestiers en zone protégée.

44. La première requérante argue qu’elle a saisi la juridiction de contentieux administratif sur indication du tribunal départemental de Gorj, lequel, par une décision du 5 novembre 2009, a considéré que c’était cette voie, et non celle de l’action civile, qui était appropriée. À cet égard, la requérante explique avoir engagé en 2009 une procédure civile pour obtenir de la part de l’État les dédommagements correspondant au classement de sa forêt en zone protégée pour les années 2008 et 2009, action qui, expose-t-elle a donné lieu à ladite décision du 5 novembre 2009 par laquelle le tribunal départemental de Gorj a décliné sa compétence en faveur de la section de contentieux administratif et fiscal de la cour d’appel de Craiova.

45. Dans le même sens, la requérante indique que plusieurs décisions de justice favorables ont été rendues par la cour d’appel de Craiova dans le cadre d’actions en contentieux administratif dont l’objet était similaire à l’action introduite par elle en l’espèce. Certaines de ces décisions sont devenues définitives en absence d’appel et les autres ont été confirmées par la Haute Cour de cassation et de justice. Elle en cite cinq en particulier, à savoir, d’une part, les arrêts de la Haute Cour de Cassation et de Justice des 13 septembre 2013, 24 juin et 21 octobre 2014, concernant l’Association de copropriété forestière (Obştea) Bumbeşti et, d’autre part, ceux des 31 octobre et 12 novembre 2014 qui ont été rendus en sa faveur.

46. Elle ajoute que plus récemment encore, dans le cadre d’un recours en contentieux administratif formé par elle, la cour d’appel de Craiova, par un arrêt du 18 mai 2020, a fait droit à sa demande d’octroi de dédommagements correspondant, pour l’année 2019, au classement de sa forêt en zone protégée. Elle argue que, dans cette procédure, le ministère chargé de l’Environnement n’a soulevé aucune exception d’incompétence, mais qu’il a fait valoir qu’il ne disposait pas des fonds nécessaires au paiement des dédommagements en question.

47. Par conséquent, la première requérante soutient que sa créance contre l’État n’est pas de nature civile et que, par suite, une action civile ne constituait pas une voie de recours appropriée. En outre, elle est d’avis que l’arrêt no 36 de la Haute Cour de cassation et de justice du 23 novembre 2015 que le Gouvernement invoque, et selon lequel aucun dédommagement ne peut être octroyé tant que les autorités nationales n’ont pas adopté les normes méthodologiques pertinentes, s’impose même aux juridictions civiles, et non pas seulement aux juges administratifs, faisant ainsi échec à toute action quelle que soit sa nature.

48. La seconde requérante, expliquant les raisons pour lesquelles elle a estimé que la loi no 554/2004 du contentieux administratif était applicable en l’espèce, indique notamment qu’elle a formé un recours en contentieux administratif parce qu’elle se considérait lésée par un manquement à agir contraire à la loi et imputable à une autorité administrative.

49. En outre, elle argue que dans le cadre des voies de recours qu’elle a exercées dans la procédure à l’origine de sa requête, elle a également invoqué l’article 1357 du code civil sur la responsabilité délictuelle, conjointement avec la loi spéciale prévoyant un droit à dédommagement correspondant au classement de ses terrains forestiers en zone protégée, et qu’elle n’a pas pour autant obtenu gain de cause.

50. Enfin, elle soutient que dès lors qu’elle a exercé la voie de recours expressément indiquée dans la loi spéciale, on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir utilisé en sus les autres recours qui lui étaient ouverts en théorie.

b) Appréciation de la Cour

51. La Cour rappelle les principes généraux relatifs à l’épuisement des voies de recours internes tels qu’ils sont exposés dans l’arrêt Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014).

52. Le Gouvernement soutient, notamment, que les requérantes auraient dû introduire une action en responsabilité civile délictuelle pour obtenir réparation du préjudice qu’elles estimaient avoir subi. La Cour observe tout d’abord que l’État défendeur se prévaut de décisions de justice qui sont dépourvues de pertinence en l’espèce dans la mesure où, alors que la présente cause porte sur des indemnités relevant du régime en vigueur après 2010, les décisions en question visent des dédommagements relatifs aux années 2007 et 2009 (paragraphe 41 ci-dessus). En outre, ayant pris connaissance de ces décisions, la Cour note qu’elles ont été prononcées dans le cadre d’actions en contentieux administratif et non pas de recours de droit commun fondés sur la responsabilité délictuelle régie par le code civil. À cet égard, la Cour relève d’ailleurs, à l’instar de la seconde requérante, que celle-ci a invoqué lesdits principes de la responsabilité civile délictuelle à l’appui des recours formés au niveau interne sans pour autant que ceux-ci aient abouti (paragraphe 17 ci‑dessus). Quant à l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice cité par l’État défendeur (paragraphe 40 ci-dessus), elle constate qu’il date de 2019 et qu’il a donc été rendu après l’introduction des présentes requêtes (voir, mutatis mutandis, Brudan c. Roumanie, no 75717/14, §§ 89-90, 10 avril 2018).

53. La Cour prend note par ailleurs qu’en introduisant des actions en contentieux administratif, les requérantes ont utilisé un recours qui au moment de son introduction n’était pas dépourvu de chances de succès, étant donné qu’elles ont introduit leurs actions avant l’arrêt d’interprétation no 36 du 23 novembre 2015 (paragraphes 23-24 ci-dessus). De plus, la première requérante avait obtenu auparavant des dédommagements, pour l’année 2012, à la suite d’une première action du même type (paragraphe 9 ci-dessus). Quant à la seconde requérante, elle a invoqué également lesdites dispositions du droit civil aux fins d’engagement de la responsabilité de l’État du fait de son manquement à adopter et à publier les normes méthodologiques en question, sans pour autant obtenir gain de cause, étant donné que la cour d’appel de Brașov a considéré que ledit manquement n’était pas suffisamment grave et que l’intéressée avait la possibilité de formuler ultérieurement une nouvelle demande d’indemnisation, après l’adoption des normes méthodologiques (paragraphe 17 ci-dessus).

54. En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que l’action en responsabilité civile délictuelle fût un recours effectif à l’époque des faits. Il s’ensuit que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

3. Conclusion

55. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Les requérantes

56. Les requérantes considèrent que la situation dénoncée constitue une atteinte injustifiée et disproportionnée à leur droit au respect de leurs biens, tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

57. Elles ne contestent pas la légalité du classement de leurs terrains forestiers en zones protégées Natura 2000 et reconnaissent la nécessité de celui-ci aux fins de la conservation et de la protection des zones représentatives de tous les types d’écosystèmes forestiers et présentant un intérêt écologique spécifique. Elles critiquent en revanche la passivité du gouvernement concernant les dédommagements auxquels elles avaient droit par suite de l’impossibilité pour elles d’exploiter des forêts dont elles sont propriétaires.

58. Elles soutiennent que le défaut de versement, qui a perduré pendant de nombreuses années, des dédommagements auxquels elles avaient droit en vertu de la loi no 46/2008 et qui représentaient la valeur du volume de bois qu’elles n’avaient pu récolter du fait des exigences de protection nécessaires à la gestion durable des forêts faisant partie des sites Natura 2000, a imposé dans leur chef des limitations excessives à la libre jouissance et à la libre disposition de leurs biens. Elles estiment que leur droit de propriété s’en est trouvé vidé de sa substance.

59. Elles ajoutent qu’après la décision de la Commission européenne (paragraphe 27 ci-dessus) validant les modalités de calcul des dédommagements qu’elles auraient dû percevoir, neuf ans au moins se sont écoulés sans que le gouvernement ait effectivement procédé au paiement des montants dus, et elles considèrent qu’une aussi longue période ne peut être assimilée à une simple restriction temporaire de leur droit au respect de leurs biens.

60. La première requérante argue que le Gouvernement ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, et que la passivité de l’État, laquelle a été reconnue mais non sanctionnée par la Haute Cour de cassation et de justice dans sa décision d’interprétation du 23 novembre 2015 (paragraphe 24 ci‑dessus), à prendre une décision concernant certaines normes méthodologiques règlementant la procédure d’indemnisation ne peut être imputée à la personne titulaire du droit à indemnisation. Elle soutient que l’incertitude prolongée quant à la date de publication du projet de décision du gouvernement relatif aux normes méthodologiques, qui selon les dires de celui-ci avait bien été rédigé, était de nature à mettre en échec tout exercice par elle de son droit de propriété, alors même que le Gouvernement ne contestait pas que les terrains litigieux étaient situés en zone protégée et que leur exploitation s’en trouvait dès lors interdite. Elle indique enfin qu’elle s’est effectivement acquittée de son obligation d’assurer l’entretien et la protection de la forêt en question et qu’elle a avancé à cette fin les fonds nécessaires, lesquels représentaient un montant élevé qu’elle a peiné à couvrir (à savoir 103 864 RON[1] pour l’année 2013).

61. La seconde requérante estime quant à elle que l’inertie du Gouvernement est d’autant plus inexplicable qu’il a adopté des normes méthodologiques pour l’octroi des compensations relativement à la période 2017-2020 (paragraphe 25 ci-dessus), alors même que la période litigieuse, pour laquelle il ne s’est pas acquitté de son obligation d’adopter de telles normes, lui était antérieure.

b) Le Gouvernement

62. D’après le Gouvernement, les mesures litigieuses s’apparentent à une « règlementation de l’usage » des biens, décidée dans l’intérêt général de la protection de l’environnement, lequel occupe une place prééminente, et il y a donc lieu de reconnaître aux autorités nationales une ample marge d’appréciation tant au regard du choix des modalités de mise en œuvre des mesures jugées nécessaires que dans l’appréciation du caractère justifié ou non des conséquences de celles-ci.

63. Le Gouvernement fait valoir que la loi prévoyait une compensation, sous la forme d’une aide d’État, pour la limitation apportée au droit de propriété des requérantes et il argue que le non-versement des indemnités dénoncé par les intéressées est seulement temporaire. Il expose à cet égard que l’octroi des dédommagements en question était soumis à deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, une décision favorable de la Commission européenne autorisant les aides d’État et, d’autre part, l’adoption de la décision du gouvernement approuvant les normes méthodologiques requises et sa publication au Journal officiel roumain. Il ajoute que, ainsi que l’ont relevé les juridictions ayant rendu les décisions internes définitives dans la présente cause, la seconde condition n’était pas remplie en l’espèce.

64. Le Gouvernement se réfère au règlement no 14/2010 établissant, conformément aux lignes directrices communautaires sur les aides d’État dans le secteur agricole et forestier 2007-2013, le cadre juridique des conditions générales d’octroi des aides d’État dans le secteur agricole roumain, et il indique qu’en vertu de cet acte normatif, le gouvernement est compétent pour accorder ces aides d’État, y compris les paiements Natura 2000. Il explique que, s’agissant des compensations correspondant aux manque à gagner et coûts découlant du classement de terrains en sites Natura 2000, le projet de décision du gouvernement sur les normes méthodologiques pour l’octroi, l’utilisation et le contrôle des aides d’État a été élaboré sur la base des dispositions normatives susmentionnées, et qu’il a été par la suite notifié à la Commission européenne par la Représentation permanente de la Roumanie auprès de l’Union européenne. Il ajoute que la Commission européenne, par la décision C(2012) 5166 final du 19 juillet 2012, a rendu un avis favorable relativement au régime d’aides d’État présenté dans ledit projet de décision, considérant que l’aide prévue était compatible avec le marché intérieur.

65. Le Gouvernement confirme en outre que, eu égard au point 11 de ladite décision, l’octroi des aides d’État pour l’année 2013 a reçu l’approbation de la Commission européenne.

66. Il soutient cependant que les normes méthodologiques, qui dans les circonstances de la cause devaient encore être adoptées, jouent un rôle déterminant dans l’individualisation du droit à compensation pour chaque bénéficiaire, étant donné qu’elles ont pour objet de réglementer à la fois la méthode de calcul et les critères d’éligibilité. Il affirme qu’en l’espèce, le projet de décision du gouvernement sur les normes méthodologiques pertinentes dans la présente affaire ayant été rédigé, les procédures nationales d’approbation le concernant ont bien été entamées.

67. Quant à l’issue des procédures judiciaires engagées par les requérantes, le Gouvernement fait observer qu’au « vu de la divergence de position des juridictions nationales sur la question de savoir si le paiement desdites compensations était ou non conditionné par l’adoption des normes méthodologiques », les juridictions qui ont rendu les décisions définitives dans la présente affaire ont aligné leur jurisprudence sur la décision no 36 du 23 novembre 2015 de la Haute Cour de cassation et de justice (paragraphe 24 ci-dessus).

68. Enfin, le Gouvernement invite la Cour à reconnaître l’importance des objectifs qui étaient poursuivis en l’espèce, ainsi que l’intérêt, pour l’ensemble de la société, du respect des obligations de protection nées de la législation environnementale de l’Union européenne et des normes législatives internes. Il estime à cet égard qu’un juste équilibre a été ménagé entre les exigences de l’intérêt général de la collectivité et les impératifs de la protection des droits des requérantes.

2. Appréciation de la Cour

69. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». Il s’ensuit que la nécessité de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu ne peut se faire sentir que lorsqu’il s’est avéré que l’ingérence litigieuse a respecté le principe de la légalité et n’était pas arbitraire (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II, et Spasov c. Roumanie, no 27122/14, § 115, 6 décembre 2022).

70. La Cour constate que les requérantes se plaignent non pas d’un acte de l’État, mais de son inaction, notamment la non-adoption des normes méthodologiques pour l’octroi des dédommagements auxquels elles ont droit (paragraphe 36 ci-dessus). Dans les circonstances de l’espèce, elle estime devoir examiner l’affaire à la lumière de la norme générale contenue dans la première phrase du premier alinéa, qui énonce le droit au respect de la propriété. À cet égard, la Cour réaffirme le principe selon lequel l’exercice réel et efficace du droit que cette disposition garantit ne saurait dépendre uniquement du devoir de l’État de s’abstenir de toute ingérence, et qu’il peut également exiger des mesures positives de protection, notamment là où il existe un lien direct entre les mesures qu’un requérant pourrait légitimement attendre des autorités et la jouissance effective de ses biens par celui-ci (Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, § 134, CEDH 2004-XII).

71. Dans la présente affaire, l’existence d’un lien de causalité entre le retard à légiférer imputable à l’État et l’absence de dédommagement des requérantes à raison de l’impossibilité pour elles d’exploiter leurs forêts classées en zones protégées Natura 2000 ne fait aucun doute. Les parties n’ont pas exprimé d’opinions tranchées quant à la question de savoir si l’atteinte qui en résulte s’analyse en une « ingérence », ou en une méconnaissance d’une obligation positive découlant de ce que les autorités de l’État n’ont pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour sauvegarder les intérêts patrimoniaux des requérantes (voir, mutatis mutandis, Öneryıldız, précité, § 135).

72. Comme la Cour l’a déjà indiqué, la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 1 du Protocole no 1 ne se prête pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables dans l’un ou l’autre cas. Autrement dit, que l’on analyse l’affaire sous l’angle d’une obligation positive à la charge de l’État ou sous celui d’une ingérence des pouvoirs publics demandant une justification, les critères à appliquer ne sont pas différents en substance (Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 144, CEDH 2004-V, et les références qui s’y trouvent citées, Ališić et autres c. Bosnie‑Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, §§ 101, CEDH 2014, et Zelenchuk et Tsytsyura c. Ukraine, nos 846/16 et 1075/16, § 104, 22 mai 2018).

73. En l’espèce l’absence d’adoption et de publication par le Gouvernement des normes méthodologiques nécessaires à l’octroi des dédommagements auxquels les requérantes ont droit, qui a été reconnue par le Gouvernement (paragraphe 66 ci-dessus), peut être considérée comme une entrave à l’exercice effectif du droit protégé par l’article 1 du Protocole no 1 ou comme un défaut de mise en œuvre de ce droit. La Cour recherchera donc si la conduite de l’État défendeur – que cette conduite puisse être caractérisée comme une ingérence ou comme une inaction – est justifiée au regard des principes de légalité, de légitimité du but poursuivi et, si nécessaire, de proportionnalité (Broniowski, précité, § 146, et Ališić et autres, précité, § 102).

74. La Cour observe tout d’abord que la loi no 46/2008 sur le code des forêts et le règlement du gouvernement no 14 du 29 janvier 2010 sur les mesures financières relatives aux aides d’État accordées aux producteurs agricoles à partir de 2010, toujours en vigueur à ce jour, imposent d’accorder des « aides d’État autorisées » dans le domaine des paiements liés au classement des sites Natura 2000 (paragraphes 18 et 21 ci-dessus).

75. Ainsi qu’il ressort des observations du Gouvernement (paragraphe 65 ci-dessus) et de la décision de la Commission européenne C(2012) 5166 final/19.07.2012 (paragraphe 27 ci-dessus), un projet de décision gouvernementale établissant les normes méthodologiques pour l’octroi des aides d’État destinées à compenser la valeur du bois non récolté par les propriétaires en raison des exigences de protection de la réglementation administrative forestière ainsi que le coût de la gestion durable des forêts a été présenté à la Commission européenne et validé par celle-ci. Aux termes de ce projet, les aides en question devaient être comprises dans une fourchette de 40 à 200 euros (EUR) par hectare et devaient être payées annuellement. En dépit de sa validation par la Commission européenne, ledit projet de décision n’a pas été publié au Journal officiel en raison, selon la cour d’appel de Brașov, de son retrait de la publication (paragraphe 17 ci-dessus).

76. La Cour constate qu’à ce jour, soit plus de dix ans après la décision de la Commission européenne validant les propositions du gouvernement quant au calcul desdits dédommagements, le projet de décision contenant les normes méthodologiques n’a toujours pas été publié et aucun versement n’a été réalisé en faveur de la première requérante pour l’année 2013, ni au profit de la seconde requérante pour la période allant de 2010 à 2014, en dépit du fait que les associations requérantes, tout en étant frappées de l’interdiction légale d’exploiter leurs forêts en raison du classement de celles-ci en zone naturelle protégée, ont assuré à leur frais, pendant ces périodes, leur entretien obligatoire. Or, même si certains retards peuvent être justifiés dans des circonstances exceptionnelles (Ališić et autres, précité, § 124), le Gouvernement n’a avancé en l’espèce aucune explication quant à l’omission de la publication des normes méthodologiques.

77. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que l’inaction prolongée de l’État concernant l’adoption et la publication des normes méthodologiques pour l’octroi des aides d’État destinées à compenser le coût de la gestion durable des terrains forestiers appartenant aux requérantes ainsi que la valeur du bois non récolté sur ceux-ci par les intéressées en raison des exigences de protection posées par la réglementation administrative forestière a fait échec à la mise en œuvre du règlement no 14 du 29 janvier 2010 sur les mesures financières relatives aux aides d’État accordées aux producteurs agricoles à partir de 2010 et à l’article 99 de la loi no 46/2008 sur le code des forêts (comparer avec Volokitin et autres c. Russie, nos 74087/10 et 13 autres, §§ 24-27, 3 juillet 2018). Dès lors, elle en conclut que le principe de légalité n’a pas été respecté. Par ailleurs, le Gouvernement n’a pas soutenu que l’omission de publier les normes méthodologiques et l’omission de payer les dédommagements qui en résulte auraient poursuivi un quelconque but légitime et la Cour ne voit pas en quoi un tel but aurait pu consister. Ayant constaté que l’ingérence litigieuse n’était pas « légale » au sens de sa jurisprudence citée au paragraphe 69 ci-dessus et qu’elle ne poursuivait pas de but légitime, la Cour ne doit pas rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels.

78. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

79. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

80. La première requérante demande 282 000 euros (EUR) en réparation du dommage matériel qu’elle estime avoir subi, somme qu’elle ventile comme suit : (i) 250 000 EUR représentant le montant des dédommagements dus relativement au bois non récolté en 2013 concernant la forêt située dans la zone de protection Natura 2000 de catégorie T1 (soit 1 247 469 lei roumains (RON), selon l’office régional des forêts), (ii) 11 000 EUR (soit 58 704 RON) représentant le montant des indemnités se rapportant au bois non récolté en 2013 dans la forêt située dans la zone de protection Natura 2000 de catégorie T2 – les montants visés aux lettres (i) et (ii) résultant du calcul effectué par l’autorité administrative compétente (paragraphe 10 ci‑dessus) – et (iii) 21 000 EUR (103 864 RON) correspondant au montant payé par l’intéressée à l’office régional des forêts au titre des services de sécurité et de protection des forêts pour 2013.

81. La seconde requérante réclame 85 393 EUR (soit 379 146,72 RON) pour dommage matériel, cette somme correspondant, selon elle, au montant découlant du calcul fait par l’autorité administrative compétente (paragraphe 14 ci-dessus) concernant les dédommagements dus pour le bois non récolté, pendant la période allant de 2010-2014, dans la forêt lui appartenant située dans la zone de protection Natura 2000 de catégorie T1.

82. La première requérante sollicite en outre 2 000 EUR au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi du fait des inconvénients résultant des multiples démarches entreprises par elle en vain pendant des années auprès des autorités.

83. La seconde requérante demande également 10 000 EUR pour dommage moral.

84. Le Gouvernement s’oppose à ce que la Cour alloue aux requérantes des montants pour dommage matériel, arguant qu’en l’espèce les défauts d’indemnisation sur lesquels portent les requêtes n’étaient que temporaires, et que l’octroi des indemnités en question était en tout état de cause soumis à des conditions.

85. Pour le Gouvernement, il est en outre évident qu’une association ne peut prétendre qu’exceptionnellement à des dommages moraux, et qu’elle doit toujours démontrer le préjudice qu’elle dit avoir subi. Il estime in fine qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral éventuellement subi par les requérantes.

86. Pour ce qui concerne les demandes formulées pour dommage matériel, la Cour note que les sommes de 250 000 EUR et 11 000 EUR réclamées par la première requérante et la somme de 85 393 EUR sollicitée par la seconde requérante n’ont pas été contestées après avoir été établies par les autorités administratives compétentes dans des communications adressées aux requérantes (paragraphe 76 ci-dessus). Ces sommes correspondent aux montants des dédommagements prévus pour l’année 2013, dans le cas de la première requérante, et pour la période allant de 2010 à 2014, dans le cas de la seconde requérante.

87. Elle observe que les requérantes ont incontestablement subi un préjudice matériel en relation directe avec la violation de l’article 1 du Protocole no 1 et des conséquences que celle-ci a engendrées pour la jouissance de leur droit de propriété (Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, § 91, 2 mars 2004).

88. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI).

89. Aussi, eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour estime raisonnable d’accorder à la première requérante la somme de 261 000 EUR et à la seconde requérante la somme de 85 393 EUR pour dommage matériel.

Pour ce qui concerne le montant de 21 000 EUR (103 864 RON) correspondant à la somme payée par la première requérante à l’office régional des forêts au titre des services de sécurité et de protection des forêts pour 2013, la Cour estime qu’il est couvert par les dédommagements dus relativement au bois non récolté en 2013 et elle ne saurait par conséquent accueillir ce volet des prétentions.

90. En l’espèce, l’incertitude subie par les requérantes pendant de nombreuses années a dû causer dans leur chef de forts désagréments, étant donné notamment l’implication en faveur de la protection de l’environnement européen dont elles ont fait preuve en entretenant à leurs frais les forêts en question. À la lumière de ce qui précède, statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue à chacune des requérantes les montants qu’elles ont demandés au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

91. La première requérante réclame 5 900 EUR au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes, soit le montant des droits de timbre (à savoir 29 048 RON) qu’elle a payés le 8 octobre 2009 auprès du tribunal civil saisi de son action aux fins d’obtention des dédommagements. Elle sollicite en outre 1 000 EUR en remboursement des honoraires d’avocat qu’elle dit avoir exposés aux fins de la procédure menée devant la Cour.

92. La seconde requérante demande 2 680 EUR (soit 13 200 RON) pour les frais et dépens qu’elle dit avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

93. Le Gouvernement conteste les prétentions des requérantes, estimant que la réalité et la nécessité des frais et dépens qu’elles affirment avoir exposés ne sont pas démontrées.

94. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la première requérante la somme de 1 000 EUR pour les frais exposés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par la première requérante.

95. La Cour juge également raisonnable d’allouer à la seconde requérante la somme de 2 680 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par la seconde requérante.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes et de les déclarer recevables ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la première requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 261 000 EUR (deux cent soixante et un mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, au titre du préjudice matériel ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, au titre du préjudice moral ;

iii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par la première requérante, pour frais et dépens ;

b) que l’État défendeur doit verser à la seconde requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 85 393 EUR (quatre-vingt-cinq mille trois cent quatre-vingt-treize euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, au titre du préjudice matériel ;

ii. 10 000 EUR (dix mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, au titre du préjudice moral ;

iii. 2 680 EUR (deux mille six cent quatre-vingts euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme par la seconde requérante, pour frais et dépens ;

c) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable de la première requérante pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 novembre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea Tamietti                 Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffier                                     Présidente

______________

ANNEXE

Liste des requêtes

No. Requête No Nom de l’affaire Introduite le Requérante
Année de création
Siège social
Représenté par
1. 46201/16 Association de copropriété forestière (Obștea de Pădure) Porceni Pleșa c. Roumanie 22/07/2016 OBȘTEA DE PĂDURE PORCENI PLEȘA
2000
Pleșa (Gorj)Roumanie
Association de droit roumain
Cristina DUVLEA
2. 47379/18 Association de copropriété forestière

(Composesoratul)

Piciorul Bătrân Banciu c. Roumanie

24/08/2018 COMPOSESORATUL PICIORUL BĂTRÂN BANCIU
2002
Recea (Brașov)
Association de droit roumain
Carol Vlad GYERGYAI

[1] Soit environ 21 000 EUR.

Dernière mise à jour le novembre 28, 2023 par loisdumonde

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