AFFAIRE POMUL S.R.L. ET SUBERVIN S.R.L. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA – 14323/13 et 47663/13

Les requêtes concernent la responsabilité de l’État pour le défaut d’exécution des décisions de justice rendues en faveur des sociétés requérantes contre une société dont l’actionnaire majoritaire était l’État.


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE POMUL S.R.L. ET SUBERVIN S.R.L. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
(Requêtes nos 14323/13 et 47663/13)
ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Accès à un tribunal • Art 1 P1• Respect des biens • Inexécution des jugements définitifs en faveur des sociétés requérantes contre une société ayant pour actionnaire majoritaire l’État dans un délai raisonnable soit environ quatorze ans et six mois
Art 13 (+ Art 6 § 1 + Art 1 P1) • Ineffectivité du recours n’ayant pas offert un redressement suffisant

STRASBOURG
24 octobre 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Pomul S.R.L. et Subervin S.R.L. c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Arnfinn Bårdsen, président,
Egidijus Kūris,
Pauliine Koskelo,
Saadet Yüksel,
Lorraine Schembri Orland,
Frédéric Krenc,
Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,
Vu :

les requêtes (nos 14323/13 et 47663/13) dirigées contre la République de Moldova et dont deux sociétés, « Pomul » S.R.L. et « Subervin » S.R.L. (« les sociétés requérantes »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 21 janvier 2013 et le 19 juillet 2013 respectivement,

la décision partielle du 1er septembre 2015 de joindre les deux présentes requêtes aux requêtes nos 16000/10 et autres et de porter à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement ») les griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, ainsi que l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, et d’en déclarer irrecevable le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requêtes concernent la responsabilité de l’État pour le défaut d’exécution des décisions de justice rendues en faveur des sociétés requérantes contre une société dont l’actionnaire majoritaire était l’État. Les sociétés requérantes se plaignent de la violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

EN FAIT

2. La requérante dans la requête no 14323/13 (« la première requérante ») et la requérante dans la requête no 47663/13 (« la seconde requérante ») sont deux sociétés à responsabilité limitée de droit moldave ayant leur siège à Țibirica, Călărași. Elles ont été représentées devant la Cour par Me A. Chiriac, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par ses anciens agents, MM. M. Gurin et O. Rotari, ainsi que par son ancienne agente ad interim, Mme R. Revencu.

4. La société Vinuri-Ialoveni S.A. est une société par actions créée en 1996 par le ministère de la Privatisation et de la Gestion de la propriété publique, suite à la réorganisation d’une entreprise publique. La production et le commerce du vin et de boissons spiritueuses constituent son activité principale. Depuis sa création, la participation de l’État dans cette dernière société s’élève autour de 60% du total de ses actions.

5. En 2005, les sociétés requérantes signèrent avec Vinuri-Ialoveni S.A. deux contrats relatifs à la vente de marchandises, mais cette dernière échoua d’honorer les paiements convenus.

6. Par deux jugements rendus respectivement le 20 novembre 2008 et le 8 décembre 2008, le tribunal économique de circonscription reconnut les créances des sociétés requérantes à l’encontre de Vinuri-Ialoveni S.A. découlant des contrats conclus en 2005, pour un montant de 335 302,31 lei moldaves (MDL) (environ 16 919 euros (EUR)) pour la première requérante et de 692 089,04 MDL (environ 34 922 EUR) pour la seconde requérante.

7. En février 2009, dès que les jugements ont été rendus exécutoires, les sociétés requérantes saisirent un huissier de justice. Celui-ci procéda à la mise sous séquestre de biens immobiliers appartenant à la société débitrice, à savoir deux constructions et un terrain d’une valeur estimée à 6 204 064 MDL (environ 310 203 EUR).

8. Le 26 août 2009, l’huissier de justice se dessaisit de la vente aux enchères au profit du ministère de l’Économie et du Commerce, en tant qu’autorité publique habilitée par l’article 7 § 4 de la loi relative à la gestion et la privatisation de la propriété publique pour la vente des biens appartenant à la société débitrice (voir paragraphe 15 ci-dessous). Malgré plusieurs relances de la part des huissiers, cette vente n’eut finalement pas lieu.

9. Le 1er octobre 2010, la société débitrice est entrée en procédure d’insolvabilité. L’huissier de justice suspendit la procédure d’exécution. Les deux sociétés requérantes se sont constituées créancières dans la procédure pour des montants équivalents à leurs créances.

10. En novembre 2011, les deux requérantes introduisirent devant les juridictions internes deux actions parallèles contre le ministère des Finances fondées sur la loi no 87 du 21 avril 2011 (voir paragraphe 17 ci-dessous) pour la réparation par l’État du préjudice causé par la violation du droit à l’exécution d’une décision de justice dans un délai raisonnable. Les requérantes réclamèrent les montants des créances détenues contre la société débitrice, alléguant la responsabilité de l’État pour les dettes de cette dernière. Elles demandèrent également la réparation du préjudice matériel découlant des majorations et des pénalités pendant la période de non-exécution et des montants à titre de réparation morale.

11. Dans la procédure entamée par la première requérante, le tribunal de première instance statua en sa faveur et ordonna à l’État de rembourser la dette, les intérêts et les pénalités pour la non-exécution de la décision définitive, ainsi que de réparer le préjudice moral causé. Cependant, le 1er novembre 2012, la Cour d’appel de Chișinău annula le jugement rendu en première instance et rejeta l’action pour absence de fondement, au vu des mesures prises par l’huissier de justice dans la procédure d’exécution et compte tenu de l’entrée de la société débitrice en procédure d’insolvabilité.

12. En ce qui concerne la procédure engagée par la seconde requérante sur le fond de la même loi, le tribunal de première instance accueillit partiellement l’action le 6 avril 2012, constatant que le retard dans l’exécution ne pouvait être justifié par l’absence de fonds d’une organisation publique. Il octroya 15 000 MDL (environ 970 EUR) à titre de réparation morale et rejeta l’action pour le surplus. Le 11 juillet 2013, la Cour suprême de justice confirma ce jugement.

13. À ce jour, la procédure d’insolvabilité de la société débitrice est toujours pendante.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

14. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil du 6 juin 2002, telles qu’elles étaient en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :

Article 156

Dispositions générales relatives à la société par actions

« (1) La société par actions représente une société commerciale dont le capital social est divisé en actions et dont les obligations sont garanties par le patrimoine de la société. (…)

(3) Les actionnaires ne sont pas responsables des obligations de la société, mais supportent le risque de pertes dans la limite de leur participation au capital social. »

15. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 121 du 4 mai 2007 relative à la gestion et la privatisation de la propriété publique, telles qu’elles étaient en vigueur à l’époque où la procédure d’exécution fut lancée, se lisaient comme suit :

Article 2

Notions principales

« Au sens de la présente loi, les notions principales se définissent comme il suit :

(…)

société commerciale à capital majoritairement public – société commerciale dans laquelle l’État détient une participation en actions ou en parts sociales qui lui accorde, lors de l’assemblée générale, plus de 50% de tous les votes des actionnaires (associés) ou une autre proportion qui assure une majorité simple des votes (…) »

Article 7

Les fonctions de l’organe habilité de la gestion et la privatisation de la propriété publique

« (4) Dans le domaine de la privatisation, l’organe habilité [l’Agence de la propriété publique] détient les compétences suivantes : (…)

e) l’organisation (…) et la mise en œuvre du processus de commercialisation des actifs saisis des entreprises d’État et des sociétés commerciales dans lesquelles la part de l’État n’est pas inférieure à 25%, non incluses dans la liste des actifs non privatisables ; (…) »

Conformément à l’article 12, la gestion de la propriété publique comprend, entre autres, les opérations commerciales visant les actifs « non-utilisés dans le processus technologique » des sociétés commerciales à capital majoritairement public, telles que la location, le bail, le bail gratuit et la vente, ainsi que la restructuration de ces sociétés, la promotion d’investissements privés ou, le cas échéant, leur liquidation. Aux termes des articles 17 et 18, les actifs non‑utilisés des sociétés commerciales à capital majoritairement public peuvent être loués ou vendus uniquement avec l’accord préalable des autorités de l’administration publique centrale et locale. Les revenus ainsi générés peuvent servir prioritairement au paiement des dettes des sociétés au budget public. Conformément à l’article 21, l’activité des sociétés commerciales à capital publique ou majoritairement public est soumise à la surveillance financière du ministère des Finances.

16. L’article 69 de la loi no 1134 du 2 avril 1997 relative aux sociétés par actions en vigueur à l’époque des faits, se lisait comme suit :

« (6) L’organe exécutif de la société présente aux autorités de l’administration publique centrale ou locale fondatrice les rapports sur l’activité économique et financière de la société, dans lesquels la part de l’État représente 50% plus une action, et, le cas échéant, les résultats de l’audit indépendant des rapports financiers annuels. »

17. Les dispositions de la loi no 87 de 21 avril 2011 sur la réparation par l’État des dommages causés par la violation du droit à un jugement de l’affaire dans un délai raisonnable ou du droit à l’exécution de la décision de justice dans un délai raisonnable sont résumées dans l’affaire Balan c. République de Moldova ((déc.), no 44746/08, § 9, 24 janvier 2012), Cristea c. République de Moldova (no 35098/12, § 21, 12 février 2019), et Titan Total Group S.R.L. c. République de Moldova (no 61458/08, § 43, 6 juillet 2021).

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

18. Le 1er septembre 2015, la Cour avait décidé de joindre les deux présentes requêtes aux soixante-et-une autres requêtes (Ialtexgal Aurica S.A. c. République de Moldova et 60 autres requêtes (déc.), nos 16000/10 et autres, 1er septembre 2015). Elle estime qu’il est nécessaire maintenant de les disjoindre de ce groupe de requêtes.

19. Cependant, compte tenu des similitudes factuelles et juridiques entre les deux présentes requêtes, la Cour estime approprié de les examiner conjointement en un seul arrêt (article 42 § 1 du règlement de la Cour).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION, DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No1 À LA CONVENTION et de l’article 13 de la Convention

20. Les sociétés requérantes se plaignent de la non-exécution des jugements rendus en leur faveur. Elles invoquent l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, seuls et combinés avec l’article 13 de la Convention, qui sont ainsi libellés :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

21. Le Gouvernement soutient que les sociétés requérantes ont eu accès à un recours indemnitaire pour la durée de non-exécution alléguée et qu’elles ne peuvent plus se prévaloir de la qualité de victime au titre des articles invoqués, car les tribunaux internes appelés à statuer sur la responsabilité de l’État dans les procédures d’exécution litigieuses auraient alloué des réparations adéquates aux circonstances des deux affaires. Il fait valoir également la qualité de débiteur privé de la société Vinuri-Ialoveni S.A. et la complexité de la procédure d’insolvabilité qui est toujours en cours. Invité à commenter au sujet de l’indépendance de l’entreprise débitrice par rapport aux autorités publiques, le Gouvernement s’est limité à fournir des informations quant à la forme juridique de la société et à la proportion de participation de l’État dans son capital social (voir paragraphe 4 ci-dessus). Il indique, par ailleurs, que les créances seront satisfaites dans la procédure d’insolvabilité selon l’ordre de priorité.

22. Les sociétés requérantes rétorquent qu’elles n’ont pas bénéficié d’un redressement adéquat, car les tribunaux internes ont refusé d’engager la responsabilité de l’État pour les dettes de la société Vinuri-Ialoveni S.A. Elles soutiennent que, malgré l’écoulement d’une nouvelle période de non‑exécution après l’exercice du recours indemnitaire, elles n’ont toujours pas bénéficié du paiement de leurs créances. Elles contestent ensuite l’efficacité du recours interne compte tenu des délais d’examen des actions en réparation engagées par les requérantes.

23. La Cour observe que les exceptions préliminaires soulevées par le Gouvernement en l’espèce portent, d’une part, sur la question de responsabilité de l’État défendeur pour les dettes de la société débitrice et, d’autre part, sur la question de savoir si, eu égard aux recours indemnitaires exercés au niveau interne, les requérantes peuvent se prétendre toujours victimes des violations alléguées. Par conséquent, la Cour va se pencher sur l’examen de ces questions.

1. La responsabilité de l’État pour les dettes de la société débitrice (compatibilité ratione personae)

a) La jurisprudence de la Cour

24. La Cour rappelle que lorsqu’un requérant se plaint de l’impossibilité d’exécuter une décision de justice rendue en sa faveur, l’étendue des obligations de l’État au titre des articles 6 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention varie selon que le débiteur soit ou non un État (Mikhaïlenki et autres c. Ukraine, nos 35091/02 et 9 autres, § 43, CEDH 2004‑XII, et Anokhin c. Russie (dec.), no 25867/02, 31 mai 2007). Lorsque le jugement est rendu contre l’État même, ce dernier doit prendre l’initiative de l’exécuter intégralement et en temps voulu (voir parmi beaucoup d’autres Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 75, CEDH 2004-III (extraits), et Liseytseva et Maslov c. Russie, nos 39483/05 et 40527/10, § 183, 9 octobre 2014).

25. Lorsque le débiteur est un particulier ou une entreprise privée, la situation est différente, car l’État n’est pas, en règle générale, directement responsable des dettes des personnes physiques ou des entreprises. Dans de tels cas, la tâche de la Cour est d’examiner si les mesures prises par les autorités étaient adéquates et suffisantes. La responsabilité de l’État se limite à l’implication de ses autorités dans les procédures d’exécution (voir Ciocodeică c. Roumanie, no 27413/09, §§ 84-85, 16 janvier 2018).

26. La Cour rappelle que la responsabilité d’un État peut être engagée en ce qui concerne les dettes contractées par une société, même si elle est dotée d’une personnalité juridique autonome, dès lors qu’elle ne jouit pas vis-à-vis de l’État d’une indépendance institutionnelle et opérationnelle suffisante pour que l’État puisse se trouver exonéré de sa responsabilité au regard de la Convention (voir Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 114, CEDH 2014, avec les références qui y sont citées). Les critères-clés pour déterminer si l’État était effectivement responsable de telles dettes sont le statut juridique de la société (de droit public ou privé), la nature de son activité (fonction publique ou entreprise commerciale ordinaire), le contexte de son fonctionnement (tel qu’un monopole ou une entreprise fortement réglementée), son indépendance institutionnelle (le degré de propriété de l’État) et son indépendance opérationnelle (le degré de surveillance et de contrôle de l’État) (ibidem, § 114, in fine). D’autres facteurs à prendre en considération sont de savoir si l’État était directement responsable des difficultés financières de la société, s’il a détourné les fonds de la société au détriment de cette dernière et de ses parties prenantes et s’il avait porté atteinte à son indépendance ou abusé d’une autre manière de sa personnalité morale (Anokhin, décision précitée, et Khachatryan c. Arménie, no 31761/04, §§ 51-53, 1er décembre 2009). Aucun de ces facteurs n’est déterminant en soi et leur effet sur l’indépendance institutionnelle et opérationnelle devrait s’analyser conjointement (Liseytseva et Maslov, précité, § 187).

b) Application en l’espèce

27. La Cour note que le Gouvernement s’est limité à fournir des informations concernant la participation de l’État au capital social de la société Vinuri-Ialoveni S.A., sans offrir une information plus détaillée au sujet de son modèle de gouvernance et de son activité économique. La Cour est amenée donc à examiner la question de l’indépendance institutionnelle et opérationnelle de la société débitrice à la lumière des dispositions du droit interne et des circonstances révélées dans les procédures internes engagées par les deux sociétés requérantes.

i. Le statut juridique de la société débitrice

28. Dans un premier temps, la Cour observe que la société débitrice était constituée en tant que société par actions, ce qui lui conférait une personnalité juridique distincte, et donc des droits et des obligations distinctes de celles de ses actionnaires. Constituée sous la forme d’une société par actions, la société débitrice se démarque de l’entreprise publique ou municipale, qui représente des formes juridiques historiques pour des personnes morales constituées et dirigées par le biais des autorités de l’État au sujet desquelles la Cour s’est déjà prononcée (voir Cooperativa Agricola Slobozia-Hanesei c. Moldova, no 39745/02, § 19, 3 avril 2007, Clionov c. Moldova, no 13229/04, § 29, 9 octobre 2007).

29. Par ailleurs, les informations fournies par les parties indiquent également que cette société évoluait dans un secteur économique ouvert à la concurrence, sans bénéficier d’un monopole d’État ou d’une position privilégiée sur le marché ou exercer des activités associées à un service ou une fonction publique (comparer avec Cooperativa Agricola Slobozia‑Hanesei, précité, § 17, 3 avril 2007, Dimitar Yordanov c. Bulgarie, no 3401/09, § 60, 6 septembre 2018, ou Libert c. France, no 588/13, § 38, 22 février 2018).

30. La Cour note que dans les recours indemnitaires exercés par les sociétés requérantes, les conclusions des tribunaux internes divergent quant au statut de la société débitrice dans le droit interne. Dans une procédure, la Cour d’appel a considéré que Vinuri-Ialoveni S.A. était un sujet de droit privé, tandis que dans l’autre procédure, les tribunaux ont estimé qu’il s’agissait d’un débiteur public (voir les paragraphes 11-12 ci-dessus).

31. En toute hypothèse, la Cour rappelle que la qualification juridique d’une personne morale en droit interne n’est pas déterminante pour l’examen de la responsabilité de l’État pour les dettes contractées par une entreprise. En effet, les circonstances spécifiques de chaque affaire peuvent conduire à engager la responsabilité de l’État indépendamment de cette qualification formelle dans le droit interne (voir, entre autres, Tokel c. Turquie, no 23662/08, § 60, 9 février 2021).

32. La Cour constate, cependant, que la loi no 121 du 4 mai 2007 sur la gestion et la privatisation de la propriété publique impose une réglementation spécifique aux sociétés commerciales majoritairement détenues par l’État (voir paragraphe 15 ci-dessus). Par conséquent, malgré la personnalité juridique distincte et son activité commerciale selon le droit commun, il convient d’examiner si, conformément à cette législation et à la lumière de la manière dont elle fut appliquée en l’espèce, la société débitrice avait disposé d’une indépendance institutionnelle et opérationnelle suffisante pour écarter la responsabilité de l’État par rapport à ses dettes.

ii. Le contrôle exercé par l’État sur les actifs de la société débitrice

33. La Cour constate d’emblée que l’actionnaire majoritaire de la société débitrice est l’État, avec une participation d’environ 60% d’actions. Les sociétés requérantes affirment que cet élément est suffisant pour engager la responsabilité directe de l’État pour les dettes de la société débitrice. Toutefois, la Cour rappelle qu’elle fait la distinction entre l’exercice par l’État de ses droits d’actionnaire, qui reste responsable des dettes de l’entreprise dans la mesure de son investissement dans la société, et le contrôle exercé par l’État sur la société dans son rôle de puissance publique qui touche à l’indépendance institutionnelle et opérationnelle de celle-ci (comparer, sur ce point, avec Compagnie maritime de la République islamique d’Iran c. Turquie, no 40998/98, § 81, CEDH 2007‑XIV, et Khachatryan, précité, § 51).

34. La Cour révèle ainsi que, selon le droit interne, lorsque l’État détient une participation majoritaire dans le capital social de la société, il est habilité par la loi no 121 du 4 mai 2007 sur la gestion et la privatisation de la propriété publique à exercer un certain degré de contrôle sur la gestion des actifs de la société en dehors des organes statutaires de la société. Elle note, en particulier, les dispositions spécifiques à la location et à la vente d’actifs non‑utilisés appartenant à des sociétés publiques ou majoritairement détenues par l’État (voir paragraphe 15 ci-dessus). Ces dispositions prévoient que les transactions ayant pour objet ces actifs doivent être soumises à l’accord préalable des autorités de l’État et les revenus ainsi générés doivent être utilisés en priorité pour rembourser les dettes au budget de l’État.

35. La Cour constate ainsi que l’État dispose d’un contrôle des actifs non‑utilisés par la société débitrice qui peut s’avérer en principe significatif, en fonction notamment de la structure des actifs de la société et de l’impact d’une telle intervention sur sa solvabilité (voir, mutatis mutandis, Khachatryan, précité, § 51). Toutefois, elle ne dispose pas en l’espèce d’éléments montrant que l’État aurait agi de la sorte avec la société débitrice et aurait ainsi exercé une influence significative sur la gestion de ses actifs.

iii. Le contrôle de l’État sur la vente des biens saisis par les huissiers

36. La Cour observe ensuite qu’aux termes de la loi no 121 du 4 mai 2007 sur la gestion et la privatisation de la propriété publique, les biens saisis qui appartiennent à une société dans laquelle la participation de l’État s’élève à 25% au minimum, peuvent être vendus uniquement par l’Agence pour la propriété publique (voir paragraphe 15 ci-dessus). En l’espèce, les huissiers de justice ont invoqué cette disposition devant les tribunaux internes pour justifier l’échec de mise en œuvre de la vente aux enchères des biens saisis de la société débitrice.

37. La Cour constate qu’aucune des parties n’a contesté ces faits. Or, cette situation a certainement empêché les sociétés requérantes de récupérer les créances détenues contre l’entreprise débitrice, vu que la valeur des immeubles saisis aurait couvert ces créances (voir paragraphe 7 ci-dessus). En outre, bien que l’huissier de justice se soit désisté en faveur de l’autorité publique compétente, aucun élément en l’espèce ne montre que cette dernière avait pris les dispositions nécessaires pour effectuer la vente et assurer le paiement des dettes de l’entreprise débitrice. La façon dont l’État s’est trouvé en position d’exercer de manière exclusive cette vente et le fait qu’il ne l’a pas mis en œuvre constituent la preuve d’un degré de contrôle significatif sur les biens de l’entreprise, bien que ce contrôle ne soit pas exercé au détriment des organes statutaires de l’entreprise, mais de l’huissier responsable de l’exécution.

38. La Cour constate que le Gouvernement n’a pas fourni d’éléments quant aux motifs ayant empêché les autorités de mettre en œuvre la vente des biens saisis et permettre le recouvrement des créances en faveur des sociétés requérantes grâce aux moyens obtenus. En conséquence, la Cour estime que l’intervention de l’Agence pour la propriété publique comme seule autorité compétente pour procéder à la vente des biens saisis de la société débitrice et son omission à ce titre se sont révélées déterminantes pour l’échec de la procédure d’exécution en faveur des sociétés requérantes.

39. La Cour conclut donc que l’État doit être tenu responsable pour la non‑exécution des créances en faveur des société requérantes. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement quant à l’incompatibilité ratione personae.

2. La qualité de victime des sociétés requérantes

40. La Cour rappelle que les principes selon lesquels une personne peut toujours se prétendre victime pour le défaut d’exécution d’une décision de justice qui lui est favorable, lorsqu’il existe au niveau interne un recours indemnitaire, ont été rappelés dans son arrêt dans l’affaire Cristea (précité, §§ 25-31).

41. Dès lors, il incombe à la Cour de vérifier si les autorités ont implicitement ou explicitement reconnu la violation d’un droit protégé par la Convention et de déterminer si la réparation accordée peut être considérée comme adéquate et suffisante.

a) La première société requérante

42. La Cour constate que lorsque la première requérante a porté devant les tribunaux internes les griefs tirés de la durée de la non-exécution, elle s’est vue déboutée de sa demande (voir paragraphe 11 ci-dessus). Cette exonération de responsabilité semble avoir été fondée sur l’appréciation des démarches qui ont été effectuées par l’huissier de justice, notamment la mise sous séquestre des biens de la société débitrice et son incapacité de paiement, menant au déclenchement de la procédure d’insolvabilité. Les tribunaux ont éludé la question de la responsabilité de l’État pour les dettes de l’entreprise.

43. Dès lors, la Cour estime que l’absence de reconnaissance par les autorités de la violation des droits de la première requérante ne permet pas d’écarter sa qualité de victime et rend inutile l’examen subséquent de l’efficacité du recours interne.

b) La seconde société requérante

44. Quant à la seconde requérante, la Cour constate que les tribunaux internes ont reconnu la violation du droit à l’exécution d’une décision définitive dans un délai raisonnable (voir paragraphe 12 ci-dessus). Cette constatation équivaut à une reconnaissance explicite des violations alléguées par la seconde requérante. Il convient donc d’analyser les caractéristiques du redressement dont la seconde requérante a bénéficié en l’espèce.

45. La Cour rappelle que les critères fondamentaux permettant d’évaluer l’effectivité d’un recours indemnitaire ont été énoncés dans sa jurisprudence constante dans les affaires de non-exécution (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99, CEDH 2009, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 195-207, CEDH 2006-V, et Cristea, précité, § 28). Dans l’affaire Cristea (précité, § 35), la Cour a constaté, entre autres, que malgré une condamnation de l’État à verser des indemnités pour la non-exécution d’une décision en sa faveur, le requérant a été confronté à une nouvelle période de non-exécution, ce qui a conduit la Cour à considérer que le recours indemnitaire n’a pas été effectif.

46. La Cour fait remarquer qu’une nouvelle période d’inexécution d’environ onze ans s’est écoulée après l’épuisement du recours interne par la seconde requérante et le constat de violation initial. Compte tenu de cet échec persistant des autorités moldaves d’exécuter la décision initiale en faveur de la seconde requérante, la Cour estime que le recours indemnitaire fondé sur la loi no 87/2011 n’a pas offert à la requérante un redressement adéquat de ses droits. Par ailleurs, arrivant à cette conclusion, la Cour estime qu’une évaluation de l’effectivité du recours interne ne se justifie plus en l’espèce.

47. En conséquence, la Cour constate que les sociétés requérantes peuvent toujours se prétendre victimes de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Dès lors, la Cour rejette l’exception du Gouvernement concernant la perte de la qualité de victime pour les sociétés requérantes.

3. Conclusion sur la recevabilité

48. Après avoir rejeté les exceptions du Gouvernement (voir paragraphes 39 et 47 ci-dessus) et constatant par ailleurs que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

49. Les sociétés requérantes soutiennent qu’elles sont victimes d’un défaut d’exécution des créances détenues contre une société à capital majoritairement d’État pour une durée déraisonnable.

50. Le Gouvernement argue que la société Vinuri-Ialoveni S.A. serait une société privée et que les tribunaux internes appelés à statuer sur la responsabilité de l’État dans les procédures d’exécution litigieuses auraient alloué des réparations adéquates aux circonstances des deux affaires.

1. Période de non-exécution à prendre en considération

51. La Cour observe que les périodes de non-exécution alléguées par les requérantes en l’espèce ont débuté aux dates où les arrêts rendus en la première instance devinrent définitifs. En absence d’informations plus précises, ces dates correspondent, au plus tard, au mois de février 2009. Les tribunaux internes appelés à se prononcer sur les actions en réparation pour un délai excessif de non-exécution ont retenu la période de non-exécution d’environ une année et dix mois qui s’était écoulée à l’époque des faits.

52. Toutefois, la Cour rappelle son approche dans les affaires de non‑exécution dans lesquelles le recours indemnitaire s’est avéré ineffectif, où elle a statué qu’il convenait de prendre en compte la période globale de non‑exécution qui s’est écoulée jusqu’à la date du prononcé de son jugement, et pas seulement la période examinée par les tribunaux internes. En l’espèce, cette période s’élève actuellement à environ quatorze ans et six mois.

2. Caractère raisonnable de la durée de la procédure d’exécution

53. La Cour constate que les périodes de non-exécution subies par les requérantes en l’espèce sont, à l’égard de la jurisprudence constante de la Cour, incompatibles avec les exigences de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, parmi de nombreux autres précédents, Prodan, précité, § 54, et Cooperativa Agricola Slobozia-Hanesei, précité, § 26).

54. Par ailleurs, si une procédure de liquidation peut objectivement justifier certains retards limités dans l’exécution, la non-exécution persistante des jugements en faveur des requérants pendant plusieurs années ne saurait en aucun cas se justifier (voir, mutatis mutandis, Liseytseva et Maslov, précité, § 222).

55. La Cour estime que les circonstances qui se présentent en l’espèce indiquent que les autorités de l’État ne se sont pas considérées liées par une obligation d’honorer les dettes envers les sociétés requérantes, mais se sont bornées à la poursuite d’une procédure d’insolvabilité qui laissait entrevoir peu de chances à l’exécution dans un délai raisonnable des créances des sociétés requérantes.

56. Or, la Cour renvoie à la conclusion à laquelle elle est parvenue aux paragraphes 37-39 ci-dessus à l’égard de la responsabilité de l’État pour l’exécution des créances détenues par les requérantes. Dans l’exercice des compétences attribuées par la loi no 121 du 4 mai 2007, les autorités avaient la possibilité de procéder à la vente des biens saisis par les huissiers de justice afin de permettre l’obtention des fonds destinés au recouvrement des créances des requérantes, mais elles sont restées en défaut de le faire. Malgré la saisie des actifs suffisants pour rembourser les créances des sociétés requérantes (voir paragraphe 7 ci-dessus), les autorités ne se sont pas acquittées de leur rôle dans la procédure et ont, dès lors, endossé la responsabilité pour l’inexécution des arrêts définitifs au compte de la société débitrice. Elles ont porté ainsi atteinte au droit des requérantes à un tribunal et les ont empêchées de satisfaire les créances dont elles disposaient, ce qui constitue une ingérence disproportionnée dans la jouissance de leurs biens.

57. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention du fait de l’inexécution des jugements définitifs en faveur des requérantes dans un délai raisonnable.

58. Pour les mêmes raisons qui l’ont amenée à considérer que le recours exercé par les requérantes ne leur a pas offert un redressement suffisant (paragraphes 43 et 46 ci-dessus), la Cour estime qu’il y a également eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention et avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

60. Les sociétés requérantes demandent à titre de dommage matériel le montant des créances dont elles disposent contre la société débitrice, soit 16 919 euros (EUR) pour la première requérante et 34 922 EUR pour la seconde requérante. Elles réclament aussi le montant des intérêts de retard pour la période qui s’est écoulée depuis la date de l’entrée en vigueur des décisions de justice jusqu’à la date à laquelle elles ont présenté leurs demandes de satisfaction équitable, soit le 4 juillet 2016. Ces montants, appuyés par des rapports d’expert montrant un calcul fondé sur les dispositions du code civil concernant les intérêts de retard, représentent 19 945 EUR pour la première requérante et 41 238 EUR pour la seconde requérante.

61. Elles demandent ensuite chacune 3 000 EUR au titre du dommage moral qu’elles estiment avoir subi.

62. Le Gouvernement conteste l’ensemble de ces montants comme excessifs. Pour autant, il ne propose pas une autre méthode de calcul ou des montants qu’il estime appropriés en l’espèce.

63. La Cour estime que les sociétés requérantes ont certainement subi un préjudice découlant de l’impossibilité d’obtenir le paiement des créances détenues contre la société débitrice. Même si cette dernière est visée par une procédure d’insolvabilité en cours et les requérantes y participent en tant que créancières, la Cour constate que cette procédure s’est prolongée pendant les treize dernières années sans qu’aucun paiement soit effectué pour l’effacement des créances détenues par les requérantes. Elle estime, par conséquent, que l’exécution de ces créances n’est pas véritablement envisageable dans cette procédure et décide qu’il y a lieu d’allouer aux requérantes les montants des créances détenues contre la société débitrice. En outre, compte tenu de l’impossibilité des sociétés requérantes d’utiliser l’argent qui était le leur, ainsi que de la législation nationale concernant le calcul des intérêts de retard, la Cour estime qu’il y a lieu d’indemniser le retard dans l’exécution. Elle estime qu’il y a lieu d’octroyer respectivement aux requérantes les montants réclamés à ce titre. Dans ces circonstances, la Cour juge raisonnable d’allouer à titre de dommage matériel le montant des créances assorties des intérêts réclamés par les sociétés requérantes, soit 36 864 EUR à la première requérante et 76 160 EUR à la seconde requérante (voir, mutatis mutandis, Arnaboldi c. Italie, no 43422/07, § 74, 14 mars 2019, Oferta Plus S.R.L c. Moldova (satisfaction équitable), no 14385/04, § 71, 12 février 2008).

64. Quant aux demandes formulées au titre du dommage moral, la Cour note que compte tenu des violations constatées dans ces affaires pour la non‑exécution prolongée des décisions de justice favorables pour une période de plus de quatorze ans (voir paragraphes 57-58 ci-dessus), il convient d’accorder aux requérantes le montant qui résulte de la période globale de non-exécution qui s’est écoulée jusqu’à présent, moins le montant qui fut octroyé à ce titre à la seconde requérante dans la procédure interne. La Cour octroie donc à titre de dommage moral 1 600 EUR à la première requérante, et 600 EUR à la seconde requérante, plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

65. Les sociétés requérantes réclament chacune 186,20 EUR au titre de frais et dépens qu’elles ont engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Ces montants correspondent aux honoraires de l’expert ayant rendu les rapports relatifs aux intérêts applicables aux créances en l’espèce. Elles produisent à cet égard des factures attestant le paiement des honoraires pour les montants réclamés.

66. Le Gouvernement n’a pas commenté ces montants.

67. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi beaucoup d’autres, Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 189, 17 mai 2016). En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à chacune des sociétés requérantes la somme de 186,20 EUR pour les frais et dépens engagés pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de disjoindre les présentes requêtes du groupe des requêtes nos 16000/10 et autres ;

2. Décide de joindre les deux présentes requêtes ;

3. Déclare les requêtes recevables ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux sociétés requérantes, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 36 864 EUR (trente-six mille huit cent soixante-quatre euros) à la première société requérante et 76 160 EUR (soixante‑seize mille cent soixante euros) à la seconde société requérante, plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 1 600 EUR (mille six cents euros) à la première société requérante et 600 EUR (six cents euros) à la seconde société requérante, plus tout montant pouvant être dû sur ces sommes à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii. 186,20 EUR (cent quatre-vingt-six euros vingt centimes) à chacune des sociétés requérantes, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette le surplus des demandes de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Hasan Bakırcı                 Arnfinn Bårdsen
Greffier                              Président

Dernière mise à jour le octobre 24, 2023 par loisdumonde

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