Gauvin-Fournis et Silliau c. France

Résumé juridique
Septembre 2023

Gauvin-Fournis et Silliau c. France – 21424/16 et 45728/17

Arrêt 7.9.2023 [Section V]

Article 8
Obligations positives
Article 8-1
Respect de la vie privée

Refus d’autoriser des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur d’accéder aux informations sur lui en vertu de la règle de l’anonymat du don de gamètes : non-violation

En fait – La requérante et le requérant (les requérants), nés respectivement en 1980 et 1989 d’une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur, se sont vu refuser par les autorités nationales la communication de l’identité de leurs donneurs respectifs et des informations non identifiantes sur ces derniers, en raison du principe d’anonymat du don de gamètes.

Ce principe d’anonymat, introduit par la loi bioéthique du 29 juillet 1994, entraîne l’impossibilité absolue et définitive pour les personnes conçues par don de connaître l’identité de leur géniteur ou d’obtenir des informations non identifiantes sur ce dernier. Il ne connaît que deux exceptions, au profit d’un médecin, en cas de nécessité thérapeutique et lorsqu’est diagnostiquée une anomalie génétique grave chez le donneur.

La loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique a mis fin à ce secret absolu. À compter de son entrée en vigueur, le 1er septembre 2022, tout don de gamètes est subordonné au consentement exprès des donneurs à ce que leur identité et des informations non identifiantes soient recueillies et conservées (âge, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivations du don). Ces données sont communiquées aux personnes conçues par AMP si elles le demandent à la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD). Les enfants nés de dons antérieurs à cette date, comme les requérants, peuvent saisir la CAPADD qui est chargée de contacter les tiers donneurs afin de recueillir leur consentement à la communication des informations en question. Ces derniers peuvent aussi se manifester spontanément auprès d’elle pour consentir à la transmission des données.

En droit – Article 8 :

1) Qualité de victime – Il est vrai que les requérants peuvent saisir la CAPADD depuis le 1er septembre 2022 aux fins d’obtenir, le cas échéant, des informations sur leur géniteur. La requérante l’a fait et vient de se voir opposer une fin de non-recevoir définitive. Cette possibilité est intervenue cependant plus de douze ans après leur demande d’accès à leurs origines et bien après que les juridictions internes se furent prononcées sur la violation alléguée de la Convention. Ni dans la procédure interne, ni devant la Cour, les autorités nationales n’ont reconnu expressément qu’il y avait eu violation des droits des requérants au titre de la Convention pendant la période susmentionnée. Dès lors, la Cour estime qu’ils peuvent toujours se prétendre victimes au sens de l’article 34 de la Convention.

2) Sur l’applicabilité de l’article 8 – L’article 8 de la Convention protège le droit à la connaissance de ses origines. Le droit au respect de la décision de devenir ou de ne pas devenir parent relève aussi de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée et familiale. Cela étant, la Cour n’estime pas nécessaire dans les circonstances de l’espèce d’examiner le grief sous l’angle de la vie familiale, le volet vie privée de l’article 8 lui paraissant couvrir l’ensemble des doléances exprimées par le requérant.

Conclusion : article 8 applicable sous son volet « vie privée ».

3) Fond –

a) Sur la question de savoir si les affaires concernent une obligation négative ou une obligation positive – Au moment où les requérants ont saisi les juridictions internes puis la Cour, le droit interne ne permettait pas aux enfants conçus par don de gamètes de connaître l’identité du tiers donneur ou d’avoir accès à des informations non identifiantes sur ce dernier. Les requérants dénoncent les lacunes du système juridique national qui ont conduit au rejet de leurs demandes respectives. Dès lors, ce grief doit être examiné sous l’angle de la question de savoir s’il pesait sur l’État défendeur une obligation positive de garantir aux intéressés un droit d’accès à leurs origines.

b) Sur la marge d’appréciation – Une étude comparative menée dans vingt-cinq États par le Conseil de l’Europe montre que ces États sont partagés sur la question de l’accès aux origines des personnes conçues par don de gamètes et les modalités d’accès à celles-ci diffèrent sensiblement entre eux. Il n’y a donc pas de consensus européen en la matière. Ensuite, la présente espèce soulève des questions éthiques et morales délicates, et des intérêts publics sont en jeu. Ces éléments militent en faveur d’une ample marge d’appréciation.

Toutefois, un aspect essentiel de l’identité des personnes est au cœur des présentes affaires parce que le droit d’obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, comme l’identité de son géniteur, et à l’épanouissement personnel est un aspect fondamental du droit au respect de la vie privée. Dès les années 2000, la Cour a souligné l’importance du droit d’accès aux origines biologiques. En outre, le droit interne d’un certain nombre d’États membres, dont la France, a évolué et une tendance récente existe en faveur d’une levée de l’anonymat des donneurs de gamètes. Ceci est corroboré par les travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Comité européen de coopération juridique (CDCJ). Enfin, l’évolution de la science et de la technologie, et notamment le développement des tests génétiques « récréatifs » qui ne permettent plus de garantir l’anonymat des donneurs de gamètes doivent être pris en considération.

Il découle de ces constats que l’État défendeur jouit d’une ample marge d’appréciation en ce qui concerne les moyens à mettre en œuvre pour garantir aux requérants le respect effectif de leur vie privée. Elle se trouve néanmoins réduite par le fait qu’un aspect essentiel de l’identité des personnes se trouve au cœur-même des présentes requêtes.

c) Sur l’observation de l’article 8 – Le principe absolu de l’anonymat du don de gamètes introduit en 1994 a perduré jusqu’au 1er septembre 2022, date à laquelle le dispositif d’accès aux origines de la loi du 2 août 2021 est entré en vigueur. Les personnes nées de dons antérieurs à son entrée en vigueur peuvent en bénéficier, sous réserve du consentement des donneurs, de les retrouver ainsi que leurs dossiers et de disposer de moyens pour le faire.

La question se pose de savoir si, en rejetant les demandes des requérants d’accéder à l’identité du tiers donneur et à des informations non identifiantes sur ce dernier, sur le fondement du principe de l’anonymat du don de gamètes, l’État défendeur, compte-tenu de la marge d’appréciation dont il disposait, a ou non, méconnu son obligation positive de garantir le respect de la vie privée des requérants. À ce titre, la Cour doit vérifier si, au regard des motifs retenus par les juge internes et de ceux avancés par le Gouvernement, l’État défendeur a mis en balance de manière satisfaisante, l’intérêt général et les intérêts du requérant.

À titre liminaire, les juridictions ont à plusieurs reprises souligné que les demandes des requérants contenaient un appel à de profonds bouleversements juridiques du droit civil et du droit de la procréation et relevaient de la compétence du législateur avant tout. La Cour rappelle que lorsque des questions de politique générale sont en jeu, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans un État démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national. Il en va d’autant plus ainsi, lorsque, comme en l’espèce, il s’agit d’une question de société. Cette question impliquait aussi la prise en compte des circonstances propres à la situation des personnes comme les requérants du point de vue du droit au respect de leur vie privée et en particulier du droit d’accès aux origines protégé par la Convention en tant qu’intérêt vital à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle. La Cour examinera dès lors si les choix législatifs à l’origine de la violation alléguée et l’impact qu’ils ont eu sur les requérants sont constitutifs ou pas d’un manquement de l’État à son obligation positive de leur garantir le respect effectif de leur vie privée.

En premier lieu, la situation dénoncée par les requérants découle des choix du législateur résultant de débats extrêmement approfondis et qualitatifs, dont des débats publics ayant permis de considérer l’ensemble des points de vue et de peser au mieux les intérêts et droits en présence.

Dès 1994, l’État a encadré juridiquement les procréations médicalement assistées. Il a assimilé le don de gamètes à l’ensemble des dons d’éléments et de produits du corps dans le cadre d’un système juridique d’ensemble fondé sur les principes d’anonymat et de gratuité du don. Puis ces choix ont été réitérés en 2004 puis en 2011 au terme de consultations pré-législatives menées sur la compatibilité de l’anonymat du tiers donneur avec le droit d’accès aux origines.

Il n’existe pas de consensus européen sur la reconnaissance du droit d’accès aux origines des personnes nées de dons mais seulement une tendance récente en sa faveur, ce qui ne permet pas à la Cour de dire que les personnes dans la situation des requérants auraient dû, à l’instar, de celles nées sous X, se voir offrir plus tôt la possibilité de saisir une commission d’accès aux origines. En outre, elle a jugé dans l’arrêt Odièvre c. France [GC] que la possibilité de saisir un tel organe suffisait à la convaincre de l’absence de violation de l’article 8.

Enfin, les revendications des personnes conçues par don sont reconnues comme étant de plus en plus légitimes et sont confortées par la jurisprudence de la Cour selon laquelle un mécanisme d’accès aux origines doit permettre une pesée des droits et intérêts en présence. Il existe également une prise de conscience, à la fois du caractère infondé de la crainte d’une baisse des dons de gamètes mais aussi du caractère obsolète du maintien de l’anonymat du donneur au vu de l’évolution des technologies et de la nécessité de fixer en conséquence un cadre juridique à la communication des informations concernées. Or, des débats extrêmement tendus ont précédé l’adoption de la loi du 2 août 2021 et ont accompagné la recherche d’un consensus sur les modalités de mise en œuvre de la réforme et de la reconnaissance du droit d’accès aux origines. Le processus législatif a ainsi démontré la sensibilité et la complexité de la question de l’ouverture d’un tel droit.

La Cour déduit de ce qui précède que le législateur a bien pesé les intérêts et droits en présence au terme d’un processus de réflexion riche et évolutif sur la nécessité de lever l’anonymat du donneur. Le législateur a agi dans le cadre de sa marge d’appréciation, certes réduite par la mise en cause d’un aspect essentiel de la vie privée des requérants. On ne saurait dès lors reprocher à l’État défendeur son rythme d’adoption de la réforme et d’avoir tardé à consentir à une telle réforme.

En second lieu, les informations médicales non identifiantes, dont les requérants déplorent l’accès trop restrictif, sont également couvertes par le secret absolu du donneur et le secret médical, sous la réserve des dérogations prévues au profit du médecin.

Le respect du caractère confidentiel des informations relatives à la santé constitue un principe essentiel du système juridique de toutes les Parties contractantes à la Convention. Par ailleurs, si le droit à la santé n’est pas garanti en tant que tel par la Convention ou ses Protocoles, les États contractants ont une obligation positive de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes relevant de leur juridiction. De même, le droit à un accès effectif à des informations concernant la santé et la capacité à procréer présente un lien avec la vie privée et familiale au sens de l’article 8.

Cela étant, en l’espèce, le principe d’anonymat du don de gamète ne faisait pas obstacle, au moment de l’introduction des requêtes devant la Cour, à ce qu’un médecin accède à des informations médicales et qu’il les transmette à la personne née du don en cas de nécessité thérapeutique. Or, cette dernière couvre la prévention du risque de consanguinité principalement considéré par les requérants comme une atteinte au droit à leur santé. De même, en novembre 2015, le Conseil d’État a jugé que des informations médicales non identifiantes peuvent être obtenues à titre de prévention, en particulier dans le cas d’un couple de personnes issues l’un et l’autre d’un don de gamètes. En outre, l’ancienne législation prévoyait également la possibilité pour le donneur, en cas de maladie génétique, d’autoriser le médecin à saisir le centre responsable du don pour qu’il procède à l’information de l’enfant né du don.

Par ailleurs, il n’existe pas de consensus européen sur la communication des informations médicales et le droit d’être informé sur sa santé.

Compte tenu de ces éléments, et en l’absence de données suffisamment précise aux dossiers sur les retombées concrètes pour les intéressés de la préservation du secret médical, en particulier sur le lien allégué entre la souffrance résultant du secret avec la connaissance de leurs antécédents médicaux, l’État a maintenu un juste équilibre entre les intérêts concurrents en présence en ce qui concerne les informations médicales non identifiantes. D’ailleurs, cet aspect de l’anonymat du don de gamètes, sous réserve des questions liées à l’élargissement de l’accès aux informations concernées, n’a jamais été, contrairement au secret des origines, remis en cause dans son principe au cours des débats législatifs successifs. Partant, le rejet des demandes des requérants pour les raisons liées au respect du secret médical ne caractérise pas un manquement par l’État à son obligation positive de garantir le droit de ces derniers au respect de leur vie privée.

En troisième lieu, les requérants dénoncent les lacunes sur les modalités du système mis en place depuis le 1er septembre 2022 à savoir saisir la CAPADD afin de rechercher l’éventuel consentement du donneur à la communication de ses données. La Cour ne sous-estime pas les craintes des requérants que les donneurs ne soient pas retrouvés, compte tenu des difficultés à retrouver leurs dossiers, ou qu’ils ne consentent pas à la divulgation des informations les concernant puisqu’un anonymat absolu et définitif leur avait été garanti. Cette dernière hypothèse s’est d’ailleurs concrétisée dans le cas de la requérante. Cependant, la décision du législateur procède du souci de respecter les situations nées sous l’empire de textes antérieurs. La Cour ne voit pas comment il aurait pu régler la situation différemment. Elle ne considère pas dès lors que l’État défendeur a outrepassé la marge d’appréciation dont il disposait dans le choix qu’il a fait de ne donner l’accès aux origines que sous réserve du consentement du tiers donneur.

Au bénéfice de l’ensemble des considérations qui précèdent et eu égard à la marge d’appréciation de l’État, fusse-t-elle réduite, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas méconnu son obligation positive de garantir des requérants le respect effectif de leur vie privée.

Conclusion : non-violation (quatre voix contre trois).

(Voir aussi X, Y et Z c. Royaume-Uni, 21830/93, 22 avril 1997, Résumé juridique ; Odièvre c. France [GC], 42326/98, 13 février 2003, Résumé juridique)

Dernière mise à jour le septembre 7, 2023 par loisdumonde

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