Résumé juridique
Juillet 2023
G.I.E.M. S.r.l. et autres c. Italie (satisfaction équitable) [GC] – 1828/06, 34163/07 et 19029/11
Arrêt 12.7.2023 [GC]
Article 41
Satisfaction équitable
Évaluation des sommes allouées pour le dommage matériel causé par la confiscation automatique et intégrale de terrains illicitement lotis
En fait – Les requérants sont quatre sociétés, ainsi que le dirigeant de l’une d’entre elles (M. Gironda). Ils ont subi la confiscation automatique et intégrale des terrains illicitement lotis. Par un arrêt au principal rendu le 28 juin 2018 (voir le résumé juridique), la Grande Chambre de la Cour a conclu que cette mesure était contraire à l’article 1 du Protocole n° 1 à l’égard de tous les requérants ; contraire à l’article 7 de la Convention à l’égard des sociétés requérantes et non contraire à cette disposition à l’égard de M. Gironda ; et, enfin, contraire à l’article 6 § 2 de la Convention à l’égard de ce dernier. Elle a réservé la question de l’application de l’article 41. Les biens ont été restitués à tous les requérants.
En droit – Article 41 :
1) Dommage matériel –
a) Approche suivie par la Cour – La preuve du dommage matériel, de son montant ainsi que du lien de causalité rattachant le dommage aux violations constatées incombe en principe au requérant.
S’agissant d’un dommage matériel allégué résultant, comme en l’espèce, de mesures de confiscation de biens immobiliers prises en violation de l’article 1 du Protocole n° 1, les éléments pertinents à prendre en considération pour établir l’ampleur du dommage comprennent notamment la valeur des terrains et/ou des constructions avant leur confiscation, la nature constructible ou non des terrains à ce moment, la destination donnée aux biens en question par la législation pertinente et les plans d’urbanisme, la durée de leur indisponibilité et la perte de valeur résultant de la confiscation, sous déduction, le cas échéant, du coût de la destruction des constructions illégales.
Dans l’évaluation de la durée de l’indisponibilité des biens en question, la Cour prend comme point de départ la confiscation de ces derniers et non pas les saisies préalables dont ils ont pu faire l’objet. Cela résulte du fait que dans l’arrêt au fond, seules lesdites confiscations ont donné lieu aux violations constatées.
En l’espèce, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur le point de savoir si une violation de l’article 6 § 2 de la Convention peut donner lieu à un dommage matériel à réparer, car en tout état de cause, aucun des dommages matériels invoqués par M. Gironda ne présente un lien de causalité avec la violation de la présomption d’innocence. S’agissant des violations de l’article 7, à supposer même qu’elles puissent donner lieu à réparation d’un dommage matériel, celle-ci ne saurait accroître le montant à accorder au titre des violations constatées de l’article 1 du Protocole n° 1. Dès lors, la Cour peut se concentrer sur ces dernières.
Enfin, il existe certaines similarités entre la présente affaire et l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie. Cela étant, la nature des violations en question diffère sensiblement : alors que dans l’arrêt Sud Fondi S.r.l., les violations des articles 7 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 ont été constatées en raison de l’absence de base légale des confiscations en cause, ce qui les rendait arbitraires, en l’espèce les violations sont principalement procédurales, étant due au seul fait que les sociétés requérantes n’étaient pas parties aux procédures litigieuses. Dès lors, la présente affaire doit être distinguée de l’arrêt Sud Fondi S.r.l. à plusieurs égards.
b) Les chefs de dommage matériel à réparer – Les terrains et immeubles litigieux ayant déjà été restitués aux parties requérantes, la Cour prendra en considération les demandes de dédommagement uniquement en ce qui concerne les trois points suivants.
i) L’indisponibilité des terrains depuis la date de leur confiscation – Dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie (satisfaction équitable), l’indemnité due pour l’indisponibilité des terrains devait se baser sur la valeur probable des terrains au début de la situation litigieuse. Le préjudice découlant de cette indisponibilité pendant la période litigieuse pouvait être compensé par le versement d’une somme correspondant à l’intérêt légal pendant toute cette période appliqué sur la contre-valeur des terrains.
S’agissant du point de départ de la période litigieuse, il convient en l’espèce de calculer le préjudice à partir du moment de la confiscation des biens en question.
Il restera donc à rechercher, au cas par cas, si les terrains étaient constructibles, étant donné que cette qualité impacte fortement sur la valeur d’un terrain.
– G.I.E.M. S.r.l. – La preuve du caractère constructible du terrain litigieux n’ayant pas été apportée, la Cour alloue à la société requérante une indemnité s’élevant à 35 000 EUR.
– Falgest S.r.l. et M. Gironda – Les terrains litigieux étaient constructibles dans une mesure très limitée sur la base des dispositions légales en vigueur à l’époque de la construction. Toutefois, les requérants n’ont pas démontré que, en dépit de la réalisation sur leurs terrains de constructions dont la nature s’écartait de celle qui leur avait été attribuée dans les permis de construire, une revente desdits terrains aurait pu être réalisée. Il convient d’en tenir compte dans l’évaluation du préjudice. Dès lors, la Cour alloue aux requérants, conjointement, une indemnité s’élevant à 700 000 EUR.
– R.I.T.A. Sarda S.r.l. – Les tribunaux internes ont jugé non constructibles les terrains en question. Enfin, les immeubles ont été construits sur la base d’autorisations accordées par la mairie et la région qui, selon les juridictions pénales, avaient méconnu les interdictions prévues par la loi. La Cour alloue à la requérante 35 000 EUR.
ii) La détérioration des immeubles (Falgest S.r.l. et M. Gironda) – Les parties requérantes ont bâti les immeubles en contrevenant aux autorisations administratives. Aucune indemnisation ne doit donc être accordée de ce chef.
iii) La perte de valeur des biens à raison du changement du plan d’urbanisme avant la restitution et de l’effet des décisions des juridictions pénales établissant le caractère illégal des actes administratifs (G.I.E.M. S.r.l.) – Le changement de destination et la perte de la nature constructible des terrains n’ont pas fait l’objet de l’arrêt au fond et n’ont pas de lien avec les violations constatées. En l’absence de lien de causalité avec la confiscation, la perte de la valeur du terrain résultant du changement de sa destination et de la perte de sa nature constructible ne saurait entrer en ligne de compte dans le calcul de la réparation due.
Il en va de même de la perte de valeur du bien par l’effet des décisions des juridictions pénales établissant le caractère illégal des actes administratifs. En tout état de cause, une procédure est pendante devant les juridictions nationales.
2) Préjudice moral – L’on ne doit pas écarter de manière générale la possibilité d’octroyer une réparation pour le préjudice moral allégué par les personnes morales. Cela dépend des circonstances de chaque cas d’espèce. Dans la présente affaire, la situation litigieuse a dû causer, dans le chef des deux sociétés requérantes, de leurs administrateurs et associés, des désagréments considérables, ne serait-ce que dans la conduite des affaires courantes. La Cour alloue aux sociétés G.I.E.M. S.r.l. et Falgest S.r.l. et à M. Gironda 10 000 EUR chacun (la société R.I.T.A. Sarda S.r.l. n’ayant pas réclamé réparation pour préjudice moral).
La Cour alloue des sommes, au titre des frais et dépens, aux sociétés G.I.E.M., R.I.T.A. Sarda et Falgest S.r.l. et à M. Gironda.
La Cour raya du rôle la requête introduite par l’une des sociétés requérantes (Hotel Promotion Bureau S.r.l.) qui a cessé d’exister.
(Voir aussi Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie, 75909/01, 20 janvier 2009, Résumé juridique ; Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie (satisfaction équitable), 75909/01, 24 mai 2012)
Dernière mise à jour le juillet 18, 2023 par loisdumonde
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