QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE NISTOR-MARTIN ET AUTRES c. ROUMANIE
(Requête no 29908/20 et 3 autres requêtes – voir liste en annexe)
ARRET
STRASBOURG
8 juin 2023
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Nistor-Martin et autres c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Tim Eicke, président,
Branko Lubarda,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Viktoriya Maradudina, greffière adjointe de section f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mai 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent des requêtes dirigées contre la Roumanie et dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux différentes dates indiquées dans le tableau joint en annexe.
2. Les requêtes ont été communiquées au gouvernement roumain (« le Gouvernement »).
EN FAIT
3. La liste des requérants et les précisions pertinentes sur les requêtes figurent dans le tableau joint en annexe.
4. Les requérants se trouvaient en détention lorsque sont survenus les décès des membres de leur famille proche (voir tableau joint en annexe). Ils demandèrent aux autorités pénitentiaires une autorisation de sortie de la prison afin d’assister aux funérailles. Il ressort des documents envoyés par l’Administration nationale des prisons que la « commission de récompenses » des prisons concernées a rejeté les demandes des requérants aux dates et pour les motifs indiqués dans le tableau joint en annexe.
EN DROIT
I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES
5. Compte tenu de la similitude des requêtes, la Cour estime approprié de les examiner conjointement en un seul arrêt.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 de la Convention
6. Les requérants dénoncent le refus opposé aux détenus d’assister aux funérailles des membres de leur famille proche. Ils invoquent l’article 8 de la Convention.
7. La Cour note que dans les requêtes nos 29908/20, 7171/21 et 12017/21, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes considérant que les requérants auraient dû contester la décision de la « commission de récompenses » devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté et, le cas échéant, devant le tribunal de première instance.
8. La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé dans des affaires similaires que ces voies de recours ne sauraient être considérées avec un degré suffisant de certitude comme des recours effectifs (Kanalas c. Roumanie, no 20323/14, § 44, 6 décembre 2016). Dès lors, la Cour estime que les requérants n’avaient aucune voie de recours à leur disposition au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
9. Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter les exceptions du Gouvernement et de déclarer les requêtes recevables.
10. Dans l’arrêt de principe Kanalas c. Roumanie, précité, la Cour a conclu à la violation de l’article 8 au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.
11. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant au bien-fondé des griefs en question.
12. En particulier, le Gouvernement allègue que, la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 justifiait le refus de sortie de la prison. Cependant, la Cour constate que dans aucune des requêtes, la crise sanitaire n’a pas été mentionnée parmi les motifs invoqués par la commission de récompenses pour justifier le rejet des demandes formulées par les requérants.
13. Des lors, la Cour estime que le contexte de la crise sanitaire invoqué par le Gouvernement ne saurait constituer un facteur à prendre en compte dans l’examen de l’ingérence dans la vie familiale des requérants.
14. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour considère que les raisons invoquées par les autorités nationales pour refuser aux requérants l’autorisation de sortie afin d’assister aux funérailles des membres de la famille proche ne suffisent pas à démontrer que l’ingérence dénoncée était « nécessaire dans une société démocratique ».
15. Il s’ensuit que ces requêtes révèlent une violation de l’article 8 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
16. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
17. Eu égard aux documents en sa possession et à sa jurisprudence (Császy c. Hongrie, no 14447/11, 21 octobre 2014), la Cour estime raisonnable d’allouer aux requérants les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes recevables ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison du refus au prisonnier d’assister aux funérailles des membres de la famille proche ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 juin 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Viktoriya Maradudina Tim Eicke
Greffière adjointe f.f. Président
_________
ANNEXE
Liste de requêtes concernant des griefs tirés de l’article 8 § 1 de la Convention
(refus au prisonnier d’assister aux funérailles de membres de famille proche)
No. | Numéro et date d’introduction de la requête | Nom du requérant et année de naissance | Nom et ville du représentant | Date du refus des autorités pénitentiaires d’autoriser la sortie et motifs invoqués, le cas échéant | Personne décédée | Procédure judiciaire, le cas échéant | Montant alloué pour dommage matériel et moral par requérant (en euros)[1] |
1. | 29908/20
08/09/2020 |
Mihai NISTOR-MARTIN
1980 |
|
26/06/2020
– les conditions prévues pour obtenir une récompense n’étaient pas réunies
|
père | Par une décision du 17/07/2020, le juge de l’application des peines de la prison de Giurgiu rejeta la contestation du requérant. Cette décision n’a pas été contestée devant le tribunal de première instance. | 3,000 |
2. | 48734/20
26/11/2020 |
Ilie-Paul MAILAT
1989 |
|
11/03/2020
– les conditions prévues pour obtenir une récompense n’étaient pas réunies
|
grand-mère | Par une décision du 07/10/2020, le juge de l’application des peines de la prison d’Arad rejeta la contestation du requérant. Cette décision fut confirmée par un jugement définitif du 04/11/2020 du tribunal de première instance. | 3,000 |
3. | 7171/21
18/01/2021 |
Ciprian Costel BĂSESCU
1988 |
|
15/10/2020
– les conditions prévues pour obtenir une récompense n’étaient pas réunies |
mère | Par une décision du 22/12/2020, le juge de l’application des peines de la prison de Giurgiu rejeta comme tardive la contestation du requérant. Cette décision n’a pas été contestée devant le tribunal de première instance. | 3,000 |
4. | 12017/21
16/03/2021 |
Marcel MARILICĂ
1962 |
Drugă Dan Florin
Iași |
12/02/2021
– les conditions prévues pour obtenir une récompense n’étaient pas réunies |
frère | 3,000 |
[1] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.
Dernière mise à jour le juin 13, 2023 par loisdumonde
Laisser un commentaire