AFFAIRE A.C. ET M.C. c. FRANCE – 4289/21

CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE A.C. ET M.C. c. FRANCE
(Requête no 4289/21)

Art 3 (matériel) • Traitement inhumain et dégradant • Placement en rétention administrative durant neuf jours d’une mère et de son fils mineur, âgé de sept mois et demi, en vue de leur transfert vers l’Espagne • Conditions d’accueil au centre de rétention sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge dépassant le seuil de gravité de l’art 3 au regard de l’écoulement du temps
Art 5 § 1 • Arrestation ou détention régulières • Prolongation de vingt-huit jours de la rétention administrative sans vérification suffisante qu’elle constituait une mesure de dernier ressort sans substitution possible d’une autre moins restrictive
Art 5 § 4 • Absence de contrôle de la légalité de la prolongation de la rétention administrative

ARRÊT
STRASBOURG
4 mai 2023

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire A.C. et M.C. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Carlo Ranzoni,
Lado Chanturia,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 4289/21) contre la République française et dont deux ressortissants guinéens, Mme A.C. et M. M.C. (respectivement « la requérante » et « le requérant ») ont saisi la Cour le 20 janvier 2021 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs tirés des articles 3 (à l’égard des deux requérants), 5 § 1 (à l’égard du requérant), 5 § 4 (à l’égard du requérant) et 8 (à l’égard des deux requérants) et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus ,

la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérants,

la décision de traiter en priorité la requête (article 41 du règlement de la Cour (« le règlement »)),

la mesure provisoire indiquée au gouvernement défendeur en vertu de l’article 39 du règlement,

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérants,

les observations communiquées par le Défenseur des droits, dont la présidente de la section avait autorisé la tierce intervention,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mars 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne le placement en rétention administrative d’une mère et de son fils mineur, âgé de sept mois et demi au moment des faits, sur une période de neuf jours en vue de leur transfert vers l’Espagne en application du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013 (dit « règlement Dublin III »).

2. Les requérants soutiennent que leur placement et leur maintien en rétention administrative est contraire aux articles 3 et 8 de la Convention. Le requérant mineur invoque également la violation des articles 5 § 1 f) et 5 § 4 de la Convention.

EN FAIT

3. Les requérants sont nés en 1997 et en 2020 et ont été représentés par Me S. Airiau, avocat.

4. Le Gouvernement a été représenté par son agent, D. Colas, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

I. PÉRIODE ANTÉRIEURE AU PLACEMENT EN RÉTENTION

5. En juillet 2020, les requérants entrèrent en France afin d’y demander l’asile. Le 23 octobre 2020, la préfète du Bas-Rhin ordonna le transfert de la requérante aux autorités espagnoles, responsables de l’examen de la demande d’asile de la requérante. Le 9 novembre 2020, cette dernière qui refusa l’aide au transfert volontaire vers l’Espagne fit l’objet d’un arrêté d’assignation à résidence pour une durée de 45 jours. Par un jugement du 18 novembre 2020, le tribunal administratif de Nancy annula cet arrêté en tant seulement qu’il obligeait la requérante à se présenter au commissariat avec son enfant.

II. PÉRIODE POSTÉRIEURE AU PLACEMENT EN RÉTENTION

6. Par arrêté du 12 janvier 2021, la préfète ordonna le placement de la requérante en centre de rétention administrative pour une durée de 48 heures, dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure de transfert. Celle-ci et son fils furent placés au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu. Les principaux motifs de cet arrêté sont les suivants :

« (…) CONSIDÉRANT qu’il ressort des pièces du dossier de Mme A.C. que celle-ci ne présente pas les garanties propres à prévenir le risque qu’elle se soustraie à l’exécution de la décision de transfert dont elle fait l’objet, ceci dans la mesure où elle a dissimulé des éléments de son identité en déclarant plusieurs dates de naissance (article L 551-1 II 7o), et où elle a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de son transfert vers l’Espagne en refusant la proposition d’aide au transfert volontaire (article L 551-1 II 12o) ;

CONSIDÉRANT que Mme A.C. a été interpellée par les services de police lors de son pointage au commissariat de Mont-Saint-Martin ;

CONSIDÉRANT que l’intéressée déclare être célibataire, avoir un enfant mineur, M.C., qui l’accompagne, qu’il ne ressort ni des déclarations de l’intéressée, ni des pièces du dossier, un quelconque état de vulnérabilité susceptible de s’opposer à un placement en rétention ; que, toutefois, l’intéressée a la possibilité de demander une évaluation de son état de vulnérabilité au centre de rétention administrative ;

CONSIDÉRANT que le transfert de l’intéressée aux autorités espagnoles, lesquelles ont donné leur accord de prise en charge de l’intéressée en date du 31 juillet 2020, accord valable jusqu’au 18 mai 2021 en raison du recours déposé par l’intéressée, demeure une perspective raisonnable ;

CONSIDÉRANT que dans ces conditions, au regard du risque de soustraction à l’exécution de la décision de transfert tel qu’énoncé précédemment, des mesures de surveillance semblent indispensables ; qu’il convient de maintenir Mme A.C. dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pendant le temps strictement nécessaire à la mise en œuvre de son transfert vers l’Espagne, État responsable de sa demande d’asile ; (…) ».

7. Par deux ordonnances du 14 janvier 2021, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Metz, saisi par le préfet et par les requérants, rejeta les recours des requérants contre l’arrêté de placement en rétention et fit droit à la demande de prolongation de la rétention de la requérante pour une durée de 28 jours.

8. Les motifs de l’ordonnance relative à Mme A.C. et portant sur la légalité de l’arrêté sont les suivants :

« (…) I. Sur la contestation de l’arrêté de rétention

– Sur les moyens tirés de l’insuffisance de motivation en fait, en droit et au regard du risque non négligeable de fuite et de l’état de vulnérabilité

Attendu que A.C. fait valoir que l’arrêté de placement en rétention est insuffisamment motivé en droit en ce qu’il vise l’article L 551-1 du CESEDA sans préciser l’alinéa sur lequel se fonde le placement en rétention ;

(…)

Que [l’article] L 551-1 III bis dispose que « Les I et II du présent article ne sont pas applicables à l’étranger accompagné d’un mineur, sauf, notamment,

3o « Si en considération de l’intérêt du mineur, le placement en rétention de l’étranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve l’intéressé et le mineur qui l’accompagne des contraintes liées aux nécessités du transfert » ;

Que précisément en l’espèce le placement en rétention de l’intéressée en considération du vol vers l’Espagne sollicité pour elle et son enfant mineur le 1er décembre 2020 et obtenu pour le 14 janvier à 15 heures 20 soit dans les 48 heures du placement en rétention ;

Qu’au regard de la réservation de ce vol dont il est justifié au dossier, c’est sans erreur de droit que le préfet a pu fonder la décision de placement en rétention d’A.C. sur l’article L. 551-1 II, au regard du risque non négligeable de fuite caractérisé en fait ;

Que la situation familiale de l’intéressée, accompagnée de l’enfant mineur M.C., est mentionnée dans l’arrêté contesté ;

Que l’arrêté de placement en rétention précise qu’il ne ressort ni des déclarations de l’intéressée, ni des pièces du dossier, un quelconque état de vulnérabilité susceptible de s’opposer au placement en rétention ; qu’il rappelle que l’intéressée a la possibilité de demander une évaluation de son état de vulnérabilité au centre de rétention administrative ;

Qu’au demeurant, et au regard de l’article L 744-6 du CESEDA qui définit l’état de vulnérabilité, il y a lieu de constater qu’A.C. n’est pas mineure elle-même, qu’elle n’est pas non plus handicapée, qu’elle ne prétend pas avoir été victime de torture ou de viol ou de traite des êtres humains, qu’elle ne fait pas état de troubles mentaux et ne justifie d’aucune maladie grave ; qu’elle n’est pas non plus mutique ;

Que l’arrête contesté est suffisamment motivé en fait et en droit, tant au regard du risque non négligeable de fuite qu’au regard d’un éventuel état de vulnérabilité ;

(…)

– Sur les moyens tirés de l’erreur de droit et de l’erreur d’appréciation au regard du risque non négligeable de fuite

(…)

Qu’au regard des deux critères précisément visés par l’arrêté contesté, le risque non négligeable de fuite de l’intéressée est établi ; qu’en effet, il a été constaté à deux reprises son refus explicite de se conformer à la décision de transfert les 9 novembre 2020 et 12 janvier 2021 ;

Qu’il y a encore lieu de (illisible) précisément envisager une alternative à la rétention puisque la requérante a bénéficié d’une assignation à résidence concomitamment à la notification de l’arrêté de transfert et renouvelée dans l’attente de la disponibilité d’un moyen de transport ;

(…)

– Sur le moyen tiré de l’erreur d’appréciation au regard de l’état de vulnérabilité et de l’intérêt supérieur de l’enfant

Attendu qu’ainsi qu’il a déjà été relevé, A.C. ne prétend pas et ne justifie pas davantage d’un éventuel état de vulnérabilité qui s’opposerait au placement en rétention dont elle fait personnellement l’objet ;

Que la requérante ne saurait, pour éviter d’être elle-même placée en rétention, se retrancher derrière l’intérêt de l’enfant mineur M.C., né en Espagne ;

Sur les moyens tirés de la violation des articles 3 (traitement inhumain et dégradant), 8 (vie privée et familiale) et 5§1 (droit à la sûreté et à la liberté) de la Convention européenne de sauvegarde des droits l’homme (CESDH) :

Attendu que l’inadaptation invoquée du centre de rétention aux enfants mineurs est sans emport sur la validité de la mesure de rétention dont fait personnellement l’objet A.C. ;

Attendu, qu’au regard de l’article 5§1 de la CEDH, qu’il est à nouveau rappelé qu’A.C., bénéficiaire d’une assignation à résidence, a été placée en rétention 48 heures avant son départ programmé pour l’Espagne de sorte que le placement en rétention a été envisagé par le préfet comme devant être strictement limité dans le temps, et pour les seules contraintes du transfert ;

Attendu en outre que l’arrêté attaqué portant placement de l’intéressée en rétention administrative pour une durée de 48 heures ne porte, par lui-même, aucune atteinte au droit de la requérante à mener une vie familiale normale ; qu’au demeurant, il doit être observé qu’il a été placé en rétention avec sa compagne et son enfant,

(…)

– Sur le moyen tiré de l’irrégularité de son placement en rétention dans une zone accueillant d’autres personnes (femmes isolées)

(…)

Que force est de constater qu’A.C. ne rapporte la preuve de ce qu’elle-même et son fils n’ont pas bénéficié de chambre isolées et adaptées ; que la présence de femmes isolées dans le même bâtiment n’a pas pour effet de rendre leur séjour irrégulier ;

(…) ».

 

9. Les motifs de cette même ordonnance et portant sur la prolongation de la rétention administrative sont les suivants :

« II. Sur la demande de prolongation

Attendu que Mme A.C. a fait l’objet d’une décision de transfert vers l’Espagne, État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en application du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l’article L. 742-3 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile :

Que des contraintes matérielles ne permettent pas à la personne retenue de quitter le territoire dans les 48 heures suivant la notification de la décision de placement la concernant ;

Que son éloignement demeure néanmoins une perspective raisonnable dans la mesure où un vol à destination de l’Espagne a été obtenu ce jour à 15 heures 20 ;

Attendu par ailleurs que Mme A.C. ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de la voir se soustraire à son obligation consistant à quitter le territoire en ce qu’elle est en situation irrégulière sur le territoire français ;

Qu’elle ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage (passeport) en cours de validité ;

Qu’elle ne peut justifier d’une résidence effective ou d’un hébergement stable en France ;

Qu’elle ne satisfait donc pas aux conditions prévues par les articles L. 552-4 et L. 552-5 du Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile, de sorte qu’elle ne peut bénéficier d’une assignation à résidence judiciaire ;

Qu’elle a par ailleurs affirmé ne pas vouloir se conformer à la décision de transfert ;

Que dès lors, il est à craindre que Mme A.C. ne se soustraie à la mesure d’éloignement dont elle fait l’objet si elle devait être livrée à elle-même hors de tout cadre contraint ;

Qu’en tout état de cause, une mesure d’assignation à résidence serait manifestement insuffisante à prévenir ce risque de fuite ;

Qu’en conséquence, il y a lieu de faire droit à la demande en ordonnant la prolongation de la mesure de placement en rétention administrative pour une durée de 28 jours (…) ».

10. Les principaux motifs de l’ordonnance relative à M. M.C. sont les suivants :

« (…) – Sur le droit au recours pour son enfant mineur

Attendu qu’en application des dispositions de l’article L 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un étranger mineur de 18 ans ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire ou plus généralement d’une décision d’éloignement et donc d’une mesure de rétention ;

Attendu toutefois que dans certaines hypothèses limitativement prévues par la loi, un mineur peut de fait être placé en rétention lorsqu’il accompagne un majeur ;

Que nonobstant l’absence de décision de placement le concernant, un mineur dispose d’un droit propre à contester sa rétention ; qu’il doit donc pouvoir bénéficier d’un recours devant le Juge des Libertés et de la Détention ;

Attendu qu’en ce cas, il appartient au mineur de former un recours par l’intermédiaire de ses représentant légaux ;

Attendu qu’en l’espèce, A.C. ès qualité de représentante légale de son enfant mineur M.C. a formé un recours au nom et pour le compte de cet enfant ;

Que ce recours sera déclaré recevable ;

– Sur les moyens tirés de l’insuffisance de motivation, de l’erreur d’appréciation au regard du risque non négligeable de fuite et de l’état de vulnérabilité

Attendu que le droit au recours de l’enfant ne lui permet pas de contester la régularité de l’arrêté de placement, mais seulement le placement en rétention dont il a fait l’objet, en qualité de mineur accompagnant la personne majeure concernée par la décision de placement ;

Que, par conséquent, le mineur n’est pas recevable à soulever des moyens tirés de la légalité externe ou interne de l’arrêté de placement en rétention ;

Qu’il est en revanche recevable à contester son placement en rétention en faisant valoir son intérêt supérieur ;

– Sur le moyen tiré de l’intérêt supérieur de l’enfant

Attendu qu’un étranger accompagné d’un mineur peut être placé en rétention « Si, en considération de l’intérêt du mineur, le placement en rétention de l’étranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve l’intéressé et le mineur qui l’accompagne des contraintes liées au nécessité de transfert » ;

Qu’il est également prévu que dans les cas prévus aux 1o à 3o du III bis de l’article L. 551-1 du CESEDA, la durée du placement en rétention est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l’organisation du départ et que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale pour l’application du présent article ;

Attendu qu’en l’espèce, le placement en rétention d’A.C. et de son enfant mineur âgé de quelques mois, doit être d’une durée aussi brève que possible, un vol pour l’Espagne ayant été réservé dès le lendemain du placement en rétention ;

Que cette situation permet de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant ; ».

11. Le 14 janvier 2021 toujours, la requérante refusa d’embarquer à bord du vol à destination de l’Espagne. Elle et son fils furent alors reconduits au centre de rétention administrative de Metz.

12. Par deux ordonnances du 18 janvier 2021, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Metz confirma les ordonnances du 14 janvier 2021.

13. Les motifs pertinents de l’ordonnance relative à Mme A.C. et portant sur la légalité de l’arrêté sont les suivants :

« II- SUR L’ARRETE DE PLACEMENT EN RETENTION

Sur les moyens liés à l’insuffisance de motivation en fait et en droit et au défaut d’examen de la situation personnelle et de la vulnérabilité

(…)

La Cour considère que c’est par une analyse circonstanciée et des motifs particulièrement pertinents qu’il convient d’adopter que le premier juge a statué sur ces moyens repris à hauteur de Cour, en considérant que l’arrêté est suffisamment motivé en droit et en fait, tant au regard de la situation personnelle de l’intéressée que d’un éventuel état de vulnérabilité, lesquels ont fait l’objet d’un examen par le préfet préalablement à sa décision.

(…)

Sur l’état de vulnérabilité

Mme A.C. fait valoir que compte tenu de son placement en rétention avec son enfant mineur, elle présente un état de vulnérabilité, lequel n’a fait l’objet d’aucun examen.

En l’espèce, la décision de placement en rétention énonce que Mme A.C. déclare être célibataire et avoir un enfant mineur qui l’accompagne, tout en relevant que cette situation n’était pas un obstacle à la rétention administrative. Le préfet précise que lors de l’enregistrement de sa demande d’asile, l’intéressée a déclaré n’avoir aucun problème de santé tout comme son fils. Il en résulte qu’avant de prendre sa décision, le préfet a bien pris en compte l’état de vulnérabilité de l’étranger. L’intéressée a également été avisée de la possibilité de demander une évaluation de son état de vulnérabilité au centre de rétention administrative, ce qu’elle n’a pas fait.

Ce moyen ne peut donc pas être accueilli.

Sur l’erreur de droit quant à l’application de l’article L 551-1 du CESEDA

(…)

Dans tous les cas, la durée du placement en rétention est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à l’organisation du départ.

En l’espèce, tel est bien le cas, puisque l’arrêté de placement en rétention notifié à Mme A.C. le 12 janvier 2021 l’a été alors qu’un vol à destination de l’Espagne était prévu le 14 janvier 2021.

Sur le risque non négligeable de fuite

(…)

En l’espèce, s’il est exact que Mme A.C. a respecté les conditions de son assignation à résidence notifiée le 9 novembre 2020 et renouvelée le 17 décembre 2020, il n’est pas contesté d’une part, qu’elle a dissimulé des éléments de son identité en déclarant plusieurs dates de naissance et d’autre part, qu’elle a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de transfert en refusant la proposition d’aide au transfert volontaire lors de la notification de la décision de réadmission le 9 novembre 2020, puis en réaffirmant son refus lors de la notification du placement en rétention. Il sera d’ailleurs relevé que Mme A.C. a refusé d’embarquer sur le vol prévu à destination de l’Espagne le 14 janvier 2021. Le risque de fuite apparaît dès lors non négligeable, rendant nécessaire le placement en rétention administrative.

Sur l’erreur d’appréciation au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3 CIDE), l’erreur d’appréciation au regard de l’article 8 de la CEDH et la violation de l’article 5 § 1 de le CEDH

(…)

Tout d’abord, l’article 3 de la convention internationale des droits de l’enfant ne saurait être invoqué que concernant les mineurs eux-mêmes et non l’étranger qu’ils accompagnent.

La décision de placement en rétention qui concerne Mme A.C. accompagnée de son enfant mineur, et devait déboucher très rapidement sur un départ pour l’Espagne, ne constituait pas une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 CEDH), ni à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Par ailleurs la présence d’enfants n’est conforme à l’article 5 § 1 de la CEDH qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié qu’aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre et tel est bien le cas en l’espèce. »

14. Les motifs de cette même ordonnance et portant sur la prolongation de la rétention administrative sont les suivants :

« III. SUR LA PROLONGATION DE LA MESURE DE RETENTION

(…)

Sur la violation de l’article 3 de la CEDH

Compte tenu de ce que Mme A.C. est placée en rétention avec son enfant depuis le 12 janvier 2021, qu’elle devait embarquer à bord d’un avion pour l’Espagne le 14 janvier 2021 et qu’en raison de son refus d’embarquer, elle se trouve à nouveau en rétention, obligeant les autorités préfectorales à réorganiser un nouveau transfert, il n’est pas démontré l’existence d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. (…) »

15. Les motifs pertinents de l’ordonnance relative à M. M.C. sont les suivants :

« (…) II. SUR LA RECEVABILITE DU RECOURS

Conformément aux dispositions de l’article 5 § 4 de la CEDH, toute personne privée de sa liberté, par arrestation ou détention, a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

Si le mineur ne peut faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire, ni même d’une mesure d’expulsion, il peut être admis en rétention lorsqu’il accompagne ses parents ou ses représentants légaux qui font l’objet d’une telle mesure de contrainte.

Le mineur dispose dès lors, au besoin par l’intermédiaire de ses représentants ou accompagnants, d’un droit propre à contester sa rétention.

Le recours présenté par Monsieur M.C., représenté par sa mère, Mme A.C. apparaît dès lors recevable.

III. SUR LES MOYENS SOULEVES

Sur les moyens tirés de l’illégalité tant de l’arrêté de placement en rétention que de l’ordonnance de prolongation de la rétention

La Cour considère que c’est par une analyse circonstanciée et des motifs particulièrement pertinents qu’il convient d’adopter que le premier juge a statué sur ces moyens repris à hauteur de Cour, en considérant que l’intéressé n’est pas recevable à soulever les moyens tirés de la légalité externe ou interne de l’arrêté de placement en rétention, y ajoutant qu’il en va de même des moyens tirés de la légalité externe ou interne de l’ordonnance de prolongation de la rétention, l’enfant ne faisant pas l’objet de ces décisions administratives.

Sur l’erreur d’appréciation au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant (article 3 CIDE)

La décision de placement en rétention qui concerne Mme A.C. accompagnée de son enfant mineur, et devait déboucher très rapidement sur un départ pour l’Espagne, ne constituait pas une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Sur la régularité du placement en rétention quant à la zone d’accueil

Monsieur M.C. soutient que son lieu de rétention contrevient aux dispositions de l’article R 553-2 du CESEDA. Il sera toutefois rappelé que la contestation des conditions matérielles de rétention ne relève pas du contrôle du juge judiciaire, sauf en cas de voie de fait, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Sur la violation de l’article 3 de la CEDH

Compte tenu de ce que Madame A.C. est placée en rétention avec son enfant depuis le 12 janvier 2021, qu’elle devait embarquer à bord d’un avion pour l’Espagne le 14 janvier 2021 et qu’en raison de son refus d’embarquer, elle se trouve à nouveau en rétention, obligeant les autorités préfectorales à réorganiser un nouveau transfert, il n’est pas démontré l’existence d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. (…) »

16. Le 20 janvier 2021, la Cour, saisie par les requérants d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement, décida d’indiquer au Gouvernement de mettre fin à leur rétention administrative. La rétention des requérants prit fin le même jour.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

17. Le cadre juridique et la pratique pertinents en matière de rétention administrative de mineurs accompagnés ont été présentés dans l’arrêt N.B. et autres c. France, no 49775/20, §§ 20-36, 31 mars 2022.

18. S’agissant plus particulièrement du recours ouvert contre les ordonnances rendues par le premier président de la cour d’appel en matière de rétention administrative, l’article R. 552-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans sa version applicable aux faits de l’espèce, prévoit que :

« L’ordonnance du premier président de la cour d’appel ou de son délégué n’est pas susceptible d’opposition. Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé la rétention et au ministère public. »

19. Aux termes de l’article 1009 du code de procédure civile, figurant dans le titre VII relatif aux dispositions particulières à la Cour de cassation, dans sa version applicable aux faits de l’espèce :

« Le premier président, ou son délégué, à la demande d’une des parties ou d’office, peut réduire les délais prévus pour le dépôt des mémoires et des pièces.

À l’expiration de ces délais, le président de la formation compétente fixe la date de l’audience. »

20. L’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, dispose que :

« La Cour de cassation peut casser sans renvoi lorsque la cassation n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond.

Elle peut aussi, en matière civile, statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie.

(…). »

21. Dans les arrêts rendus en matière de rétention administrative, la Cour de cassation prononce, le cas échéant, des cassations sans renvoi, que les ordonnances frappées de pourvoi aient autorisé ou refusé la prolongation de la rétention. Elle considère en effet que la cassation prononcée, même au visa d’un article de la Convention, n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, « les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger » (Cass. 1ère civ., 1er juillet 2009, no 08‑17.085, Cass. 1ère civ., 8 juillet 2010, no 09-12.242, Cass. 1ère civ., 14 décembre 2022, no 21-19.715).

EN DROIT

I. L’Objet de l’affaire

22. À supposer que les requérants doivent être regardés comme ayant soulevé un nouveau grief relatif à leur droit au séjour et à l’asile en France, au cours des échanges contradictoires, la Cour considère que ce grief n’a pas de lien direct avec la présente affaire et ne relève dès lors pas de son périmètre.

II. SUR L’EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ SOULEVÉE PAR LE GOUVERNEMENT

A. Arguments des parties

1. Le Gouvernement

23. Le Gouvernement soulève, concernant l’ensemble de la requête, une exception d’irrecevabilité tenant au défaut d’épuisement des voies de recours internes, au motif que la requérante n’a pas introduit de pourvoi en cassation contre les deux ordonnances rendues le 18 janvier 2021 par le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Metz. Il fait valoir que les requérants auraient pu demander des délais raccourcis au titre de l’article 1009 du code de procédure civile.

2. Les requérants

24. Les requérants font valoir que le pourvoi en cassation, non suspensif, est une voie de recours extraordinaire dont l’issue interviendrait au-delà de la période légale de rétention. Ils soutiennent qu’ils ont épuisé tous les recours effectifs permettant de mettre fin à la privation de liberté, à savoir la saisine du juge des libertés et de la détention et du premier président de la cour d’appel.

B. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

25. La Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie, sauf exceptions, à la date d’introduction de la requête devant la Cour (Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) ([GC], no 14305/17, § 193, 22 décembre 2020). En outre, l’obligation d’épuiser les recours internes impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Gherghina c. Roumanie (déc), no 42219/07, § 85, 9 juillet 2015).

26. En matière de privation de liberté, s’agissant d’un grief tiré de l’article 3 de la Convention, si le requérant était toujours privé de liberté au moment de l’introduction de sa requête, le recours doit pouvoir empêcher la continuation de la violation alléguée pour être réputé avoir un caractère effectif (A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 52-53, 13 juin 2013, et Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, § 70, 25 novembre 2014). S’agissant d’un grief tiré de l’article 5 de la Convention, un recours visant la légalité d’une privation de liberté en cours doit, pour être effectif, offrir à son auteur une perspective de cessation de la privation de liberté contestée (Bilalova et autres c. Pologne, no 23685/14, § 64, 26 mars 2020).

27. En particulier, la Cour a déjà considéré que, dans certaines matières, le pourvoi en cassation n’était pas nécessairement un recours à épuiser, compte tenu du fait que la Cour de cassation ne statue qu’en droit et que, du fait des délais relatifs à son examen, le pourvoi en cassation peut manquer d’efficacité (voir par exemple, en matière de placement d’enfants, Schmidt c. France, no 35109/02, § 115, 26 juillet 2007).

2. Application au cas d’espèce

28. La Cour constate que, dans les arrêts rendus en matière de rétention administrative, la Cour de cassation prononce, le cas échéant, des cassations sans renvoi, que les ordonnances frappées de pourvoi aient autorisé ou refusé la prolongation de la rétention. Elle considère en effet que la cassation prononcée n’implique pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger (Cass. 1ère civ., 1er juillet 2009, no 08‑17.085, Cass. 1ère civ., 8 juillet 2010, no 09-12.242, Cass. 1ère civ., 14 décembre 2022, no 21-19.715). La Cour relève, pour sa part, que les arrêts précités ont été rendus plusieurs mois ou plusieurs années après la présentation des pourvois en cassation.

29. Dans les circonstances de l’espèce, l’écoulement du temps aurait ainsi fait obstacle, compte tenu de la chronologie de l’action administrative, à ce que l’intervention du juge de cassation puisse revêtir un effet utile, au regard du grief tiré de l’article 3 de la Convention, sur la situation des requérants. Dans ces conditions et à défaut de production, par le Gouvernement, de décisions établissant le caractère effectif du pourvoi en cassation en la matière, la Cour considère que le pourvoi en cassation n’était pas, dans cette mesure, un recours à épuiser dans le contentieux relatif au placement en rétention administrative.

30. Dans la mesure où la pratique de la cassation sans renvoi est la même dans l’hypothèse où la Cour de cassation est saisie d’un moyen tiré de la violation de l’article 5 de la Convention (voir les arrêts cités au paragraphe 21 ci-dessus), la Cour considère qu’il en va de même s’agissant du grief tiré, devant elle, de cette disposition.

31. Il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

32. Les requérants soutiennent que leur placement en rétention administrative est contraire à l’article 3 de la Convention aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

33. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

34. Les requérants font valoir qu’ils ont été retenus dans des conditions méconnaissant leurs besoins spécifiques de protection eu égard à leur vulnérabilité caractérisée par l’âge de M.C., âgé de sept mois et demi au moment des faits, et leur statut d’étrangers en France. Ils mettent en avant le caractère anxiogène du centre de rétention de Metz-Queuleu résultant du volume sonore des haut-parleurs, de la présence policière, de la proximité avec la zone de vie des hommes isolés, de l’absence de personnel formé à l’accompagnement des enfants. Ils ajoutent qu’à défaut de nourriture adaptée à un nourrisson, M.C. a rencontré des difficultés pour s’alimenter. Ils estiment que la durée de leur placement en rétention était excessive et n’a pris fin qu’avec la mesure provisoire indiquée par la Cour. Enfin, compte tenu des liens unissant une mère et son nourrisson, Mme A.C. soutient avoir également été soumise à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

b) Le Gouvernement

35. Le Gouvernement fait valoir que le refus d’embarquer de la requérante en date du 14 janvier 2021 a conduit à la prolongation de la durée de la rétention administrative. En second lieu, il souligne que le centre de Metz‑Queuleu, habilité à recevoir des familles avec enfants mineurs, dispose d’une zone de vie, adaptée et réservée à ce public, comprenant des jeux de plein air, deux chambres familles équipées de téléviseurs, ainsi que les équipements de puériculture nécessaires. Le linge de toilette et les produits d’hygiène y sont fournis. Cet espace fait l’objet d’un entretien quotidien et le volume sonore y est comparable à celui d’une voiture. L’unité médicale y est accessible sur demande. S’agissant de Mme A.C., le Gouvernement relève qu’elle n’a pas été séparée de son enfant et que son intimité était respectée au centre de rétention.

c) Tiers intervenant

36. Le Défenseur des droits fait valoir que la rétention administrative des enfants est susceptible de constituer un traitement contraire à l’article 3 de la Convention compte tenu de la jurisprudence de la Cour, des conditions matérielles de rétention et de leurs conséquences sur les enfants. Il se dit favorable à une condamnation de principe de la rétention administrative des enfants mineurs au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) telles qu’interprétée par le Comité des droits de l’enfant. Il rappelle les effets néfastes de la rétention des enfants sur leur santé et sur leur développement, même lorsqu’ils sont placés pour une courte durée ou avec leur famille.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

37. Les principes généraux concernant le placement en rétention administrative de mineurs accompagnés ont été résumés dans S.F. et autres c. Bulgarie (no 8138/16, §§ 78-83, 7 décembre 2017), M.D. et A.D. c. France (no 57035/18, § 63, 22 juillet 2021) et M.H. et autres c. Croatie (nos 15670/18 et 43115/18, §§ 183-186, 18 novembre 2021). En particulier, la Cour apprécie l’existence d’une violation de l’article 3 de la Convention en mobilisant les trois facteurs suivants : l’âge des enfants mineurs, le caractère adapté ou non des locaux au regard de leurs besoins spécifiques et la durée de leur rétention (voir M.D. et A.D. c. France, précité, § 63).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

38. La Cour constate qu’en l’espèce, le requérant mineur était accompagné de sa mère durant la période de rétention. Elle rappelle toutefois comme dans l’affaire A.B. et autres c. France (no 11593/12, § 110, 12 juillet 2016) que cette circonstance n’est pas de nature à exonérer les autorités de leur obligation de protéger l’enfant mineur et de prendre des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention. Il convient de garder à l’esprit que la situation de particulière vulnérabilité de l’enfant mineur est déterminante et prévaut sur la qualité d’étranger en séjour irrégulier de son parent.

39. S’agissant du critère relatif à l’âge de l’enfant, la Cour relève qu’il s’agissait d’un enfant mineur âgé de sept mois et demi à la date de la rétention administrative. Même si l’âge constitue l’un seulement des trois critères qu’il convient de combiner ensemble, elle rappelle que, dans les arrêts A.M. et autres c. France (no 24587/12, 12 juillet 2016) et M.D. et A.D c. France (précité), elle est parvenue à un constat de violation de l’article 3 s’agissant de nourrissons.

40. S’agissant du critère relatif aux conditions d’accueil, la Cour a déjà constaté que le centre de Metz-Queuleu est au nombre de ceux qui sont habilités à recevoir des familles (voir N.B. et autres c. France, précité, § 49). La Cour a aussi précédemment relevé que les annonces du centre diffusées par haut-parleur, exposent les personnes qui y sont retenues à de sérieuses nuisances sonores (A.M. et autres c. France, précité, § 50, et N.B. et autres c. France, précité, § 49). Elle avait, dans ces deux affaires, noté que la cour extérieure de la zone de vie dédiée aux familles est uniquement séparée par un simple grillage de la zone réservée aux autres retenus permettant ainsi de voir tout ce qui s’y passe. En outre, si des équipements pour enfants et bébés y sont disponibles, il ressort des constats du Contrôleur général des lieux de privation de liberté cité dans l’affaire N.B. et autres c. France que le centre de rétention de Metz-Queuleu, mitoyen du centre pénitentiaire, se caractérise par sa dimension sécuritaire omniprésente.

41. La Cour a déjà relevé que les conditions d’accueil au centre de rétention de Metz-Queuleu, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes à elles seules pour que soit atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 (A.M. et autres c. France, précité, § 51 et N.B. et autres c. France, précité, § 50). Elle réaffirme, en revanche, qu’au-delà d’une brève période de rétention, la répétition et l’accumulation des effets engendrés, en particulier sur le plan psychique et émotionnel, par une privation de liberté entraînent nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant alors le seuil de gravité précité. Il s’ensuit que l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance particulière.

42. Il reste à appliquer le critère relatif à la durée de la rétention. La Cour relève que même si, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, les autorités nationales ont, dans un premier temps, mis en œuvre toutes les diligences requises pour exécuter au plus vite la mesure de transfert et limiter ainsi la durée de la rétention autant que possible, le droit absolu protégé par l’article 3 interdit qu’un mineur accompagné soit maintenu en rétention dans les conditions précitées pendant une période dont la durée excessive a contribué au franchissement du seuil de gravité prohibé. La Cour rappelle que le comportement du parent, à savoir, dans la présente affaire, le refus de la première requérante d’embarquer, n’est pas déterminant quant à la question de savoir si le seuil de gravité prohibé est franchi à l’égard de l’enfant mineur (M.D. et A.D. c. France, précité, § 70).

43. Compte tenu du très jeune âge du second requérant, des conditions d’accueil dans le centre de rétention de Metz-Queuleu et de la durée du placement en rétention qui s’est déroulé sur neuf jours, la Cour considère que les autorités compétentes l’ont soumis, à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Eu égard aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé de sept mois et demi, ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent, la Cour estime qu’il en va de même, dans les circonstances particulières de l’espèce, s’agissant de la première requérante.

44. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à leur égard.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION S’AGISSANT DU REQUÉRANT MINEUR

45. Le requérant mineur, M.C. soutient que son placement en rétention administrative est contraire à l’article 5 § 1 de la Convention aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(…)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

A. Sur la recevabilité

46. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

47. Le requérant fait valoir que les différentes dates de naissance déclarées par Mme A.C., 12 décembre 1997 et 2 décembre 1997, sont dues à une erreur d’enregistrement, et non à une intention de dissimuler des éléments de son identité. Selon lui, le refus de l’aide au transfert volontaire ne constitue pas une obstruction à la mesure d’éloignement. De plus, l’arrêté de placement en rétention administrative, qui ne mentionne pas l’article relatif au placement en rétention administrative d’un mineur accompagnant, ne caractérise pas l’existence des conditions autorisant un tel placement. La requérante A.C. a toujours respecté les mesures d’assignation à résidence, n’a jamais pris la fuite, et n’a opposé aucun refus antérieur à la date de l’édiction de l’arrêté de placement en rétention. Cet arrêté ne fait pas davantage état d’un départ programmé pour le transfert vers l’Espagne. Le requérant soutient que ni l’autorité préfectorale, ni les juges judiciaires, n’ont vérifié si aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté pouvait être mise en œuvre.

b) Le Gouvernement

48. En premier lieu, le Gouvernement rappelle que si l’enfant M.C. a été placé en rétention, c’est uniquement en tant qu’accompagnant de Mme A.C., sa représentante légale, qui faisait elle-même l’objet d’une telle mesure, en vue de son transfert vers l’Espagne. Il précise que l’arrêté de placement en rétention mentionne expressément l’enfant mineur. Le placement en rétention de ce dernier était nécessaire pour assurer l’éloignement de la famille en maintenant l’unité de la cellule familiale.

49. En second lieu, le Gouvernement soutient que les autorités internes n’ont recouru à cette mesure qu’après avoir vérifié qu’aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté ne pouvait effectivement être mise en œuvre. L’autorité préfectorale a, en effet, identifié un risque non négligeable de fuite d’A.C. compte tenu de la dissimulation des éléments de son identité et de la manifestation, par le refus qu’elle a opposé à l’aide au transfert volontaire de son intention de ne pas se conformer à la procédure de transfert vers l’Espagne. Par ailleurs, la cour d’appel, dans son ordonnance du 18 janvier 2021, a également reconnu la nécessité de cette mesure, en relevant que le placement n’avait été décidé que 48 heures avant le vol réservé, puis maintenu le temps strictement nécessaire à l’organisation d’un nouveau transfert après le refus d’embarquement de Mme A.C.

c) Tiers intervenant

50. Le Défenseur des droits fait valoir que l’article 5 de la Convention – interprété à la lumière des dispositions de la CIDE – ne devrait plus être interprété de manière à permettre le placement en rétention administrative des enfants, accompagnés ou non.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

51. Les principes généraux concernant la conformité de la rétention d’un enfant mineur accompagnant ses parents avec l’article 5 § 1 de la Convention ont été rappelés dans l’affaire M.D. et A.D. c. France (précitée, §§ 85-86) et Minasian et autres c. République de Moldova (no 26879/17, §§ 40 et 42, 17 janvier 2023, non définitif). En particulier, le placement puis le maintien en rétention d’un enfant mineur accompagnant ses parents ne sont conformes aux exigences de l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à ces mesures en dernier ressort, seulement après avoir recherché effectivement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre.

b) Application de ces principes au cas d’espèce

52. En l’espèce, il ressort de l’arrêté du 12 janvier 2021 ordonnant le placement initial en rétention de la première requérante que l’autorité préfectorale a recherché, si, compte tenu de l’enfant mineur, un nourrisson, une mesure moins restrictive que le placement en rétention était possible (voir paragraphe 6 ci-dessus). Elle a, en effet, estimé que, dans le cadre de l’exécution à bref délai du transfert vers l’Espagne des requérants, il n’était plus envisageable de recourir aux mesures d’assignation à résidence qui avaient été mises en œuvre dans un premier temps, compte tenu du risque de fuite que révélait, à ses yeux, d’une part, l’intention de la requérante adulte de refuser d’exécuter la procédure de transfert manifestée par son refus de la proposition d’aide au transfert volontaire, et d’autre part, la dissimulation des éléments de son identité. L’autorité préfectorale a, en outre, considéré qu’il ne ressortait, ni des déclarations d’A.C., ni des pièces du dossier, un état de vulnérabilité susceptible de s’opposer à un placement en rétention tout en relevant la possibilité, pour celle-ci, de demander une évaluation de son état de vulnérabilité au centre de rétention administrative.

53. S’agissant de la prolongation de la rétention des requérants autorisée, le 14 janvier 2021, par le juge de la liberté et de la détention et confirmée en appel, le 18 janvier 2021, s’il ne lui appartient pas en principe, dans le cadre du contrôle du respect de l’article 5 § 1, de substituer son appréciation à celle des autorités nationales, la Cour doit vérifier, dès lors qu’un enfant mineur est ici en cause, si la mesure litigieuse était nécessaire pour atteindre le but qu’elle poursuit.

54. Or, la Cour estime disposer d’éléments suffisants, lesquels ont conduit, compte tenu des conditions de rétention, au constat d’une violation de l’article 3 de la Convention (voir paragraphes 43-44 ci-dessus), pour considérer que les autorités internes n’ont pas suffisamment vérifié, dans le cadre de la mise en œuvre du régime juridique applicable en France, que la prolongation du placement en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur pour une durée de 28 jours, alors qu’elle a été autorisée le 14 janvier 2021 dans la perspective d’un départ prévu pour le jour même, constituait une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée (voir paragraphes 9 et 14 ci-dessus).

55. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention dans le chef de M.C. s’agissant de la prolongation de la rétention administrative.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION S’AGISSANT DU REQUÉRANT MINEUR

56. Le requérant M.C. se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un recours effectif pour contester son placement en rétention administrative. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention aux termes duquel :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

57. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

58. Le requérant constate qu’il n’est nullement mentionné, en sa qualité d’enfant mineur, dans l’arrêté de placement en rétention. De plus, ni le juge des libertés et de la détention, ni le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel, ne se sont assurés de l’impossibilité de recourir à une mesure moins coercitive. En particulier, le juge des libertés et de la détention n’a pas recherché si le requérant et sa mère qu’il accompagnait remplissaient les conditions d’une assignation à résidence alors même qu’aucun vol à destination de l’Espagne n’était prévu à bref délai et que, jusqu’à leur placement en rétention, ils faisaient l’objet de telles mesures, qu’ils avaient respectées.

b) Le Gouvernement

59. Le Gouvernement indique que, tel que rappelé par les juridictions judiciaires, le mineur dispose d’un droit propre pour contester sa rétention et que M.C. a pu exercer ce recours devant le tribunal judiciaire puis devant la cour d’appel.

60. Le juge des libertés et de la détention a constaté qu’un vol pour l’Espagne étant prévu dans les 48 heures suivant le placement en rétention, le placement en rétention devait être extrêmement bref et préserver ainsi l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce même constat a été fait par la cour d’appel laquelle avait relevé que le refus d’embarquer d’A.C. avait contraint les autorités françaises à organiser un nouveau transfert. Par ailleurs, l’autorité préfectorale et les juges judiciaires ont relevé le risque de fuite de la requérante, l’absence de vulnérabilité s’opposant au placement en rétention. La cour d’appel a estimé que le placement en rétention n’avait été décidé que pour le temps strictement nécessaire au départ.

61. Selon le Gouvernement, il ressort ainsi de la lecture des ordonnances, du juge des libertés et de la détention et du magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel, que l’intérêt supérieur de l’enfant a dûment été pris en compte et que le recours à une mesure alternative à la rétention a effectivement été envisagé avant d’être finalement écarté.

c) Tiers intervenant

62. S’agissant des observations du tiers intervenant pour le grief tiré de l’article 5 § 4, il est renvoyé au paragraphe 50 ci-dessus.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

63. Pour apprécier le respect des exigences découlant de l’article 5 § 4 de la Convention, s’agissant du placement initial puis de la prolongation de la rétention administrative d’enfants mineurs accompagnant leurs parents, la Cour vérifie si les juridictions internes ont effectivement tenu compte dans l’exercice du contrôle juridictionnel qu’il leur appartient d’effectuer, de la présence des enfants mineurs et ont recherché de façon effective s’il était possible de recourir à une mesure alternative à leur placement puis à leur maintien en rétention (M.D. et A.D. c. France, précité, §§ 97-98, Minasian et autres c. République de Moldova, précité, § 51, non définitif).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

64. En l’espèce, s’agissant du contrôle judiciaire du placement initial de la requérante accompagnée de son enfant mineur, la Cour considère que tant le juge des libertés et de la détention que le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel, ont suffisamment pris en compte la présence de l’enfant mineur, dans les appréciations auxquelles il leur appartenait de se livrer pour contrôler la légalité du placement initial en rétention. Les ordonnances des 14 et 18 janvier 2021 mentionnent en effet que le placement en rétention d’A.C., accompagnée de M.C., enfant mineur âgé de quelques mois, devait être d’une durée aussi brève que possible, un vol pour l’Espagne ayant été réservé pour le surlendemain du placement en rétention et pour les seules contraintes du transfert (voir paragraphes 8 et 13 ci-dessus).

65. En revanche, s’agissant du contrôle judiciaire de la prolongation de la rétention, la Cour note, au vu de l’ensemble des motifs des ordonnances des 14 et 18 janvier 2021, qu’alors même que le droit français prévoit qu’en la matière « [l]’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » (N.B. et autres c. France, précité, § 20), que ni le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire ni le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel n’ont suffisamment tenu compte de la présence du requérant M.C. et de son statut d’enfant mineur, avant d’ordonner la prolongation de la rétention administrative pour une durée de vingt-huit jours dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il leur incombait d’exercer (voir paragraphes 9 et 14 ci-dessus).

66. La Cour a constaté ci-dessus une violation de l’article 5 § 1 au motif que les autorités internes n’avaient pas suffisamment vérifié, dans le cadre de la mise en œuvre du régime juridique applicable en France, que la prolongation du placement en rétention administrative de la première requérante accompagnée de son enfant mineur constituait une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre moins restrictive ne pouvait être substituée (voir paragraphes 54-55 ci-dessus). Cette absence de vérification effective des conditions qui concernent tant la légalité de la mesure de maintien en rétention en droit interne que le principe de légalité au sens de la Convention est particulièrement imputable aux juridictions internes auxquelles il incombait de s’assurer effectivement de la légalité du maintien en rétention de l’enfant mineur. Il s’ensuit que, s’agissant de la prolongation de la rétention administrative, le requérant M.C. n’a pas bénéficié d’un contrôle portant sur l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la régularité de la rétention au regard du paragraphe 1 de l’article 5.

67. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention dans le chef de M.C. s’agissant de la prolongation de la rétention administrative.

VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

68. Les requérants ont soulevé d’autres griefs sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Eu égard aux faits de l’espèce, aux arguments des parties et aux conclusions ci-dessus, la Cour considère qu’elle a statué sur les principales questions juridiques soulevées dans l’affaire et qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le fond des autres griefs (voir Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

VII. ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

69. La Cour considère que la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement est devenue sans objet.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

70. Les requérants demandent 20 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi et 9 000 euros (EUR) au titre au titre des frais et dépens qu’ils disent avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.

71. Le Gouvernement fait valoir que les requérants ne ventilent pas leurs prétentions par article, n’apportent pas d’éléments pour évaluer leur préjudice moral et demandent réparation d’un grief nouveau qui ne relève pas du périmètre de l’affaire. Il soutient que si la Cour devait conclure à une méconnaissance par la France de dispositions de la Convention, le constat de violation pourrait à lui seul, constituer une satisfaction suffisante. À titre subsidiaire, le Gouvernement juge excessif le montant demandé par les requérants et demande à la Cour d’évaluer le préjudice allégué à une plus juste proportion. Par ailleurs, le Gouvernement affirme que l’imprécision des factures présentées ne permet pas d’établir que les frais allégués seraient établis dans leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

72. Au vu des constats de violation auxquels elle est parvenue, la Cour octroie aux requérants 10 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

73. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérants la somme de 9 000 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare les griefs tirés des article 3 et 5 recevables ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef des requérants A.C. et M.C. ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention dans le chef du requérant M.C. s’agissant de la prolongation de la rétention administrative ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le bien-fondé du grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention ;

5. Dit que la mesure provisoire indiquée au Gouvernement en vertu de l’article 39 du règlement est devenue sans objet ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 4 mai 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik             Georges Ravarani
Greffier                                    Président

___________

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Elósegui.

G.R.
V.S.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ELÓSEGUI

J’ai voté avec tous les autres juges en faveur d’un constat de violation des articles invoqués, à savoir les articles 3 et 5 §§ 1 et 4. J’exprime la présente opinion concordante en raison de la nécessité de clarifier certains aspects de la formulation du paragraphe consacré à la violation de l’article 3 qui suscitent des doutes et de suggérer une amélioration de sa base juridique pour les affaires ultérieures, et pour une autre raison, qui est liée à la conduite illégale de la requérante :

« Compte tenu du très jeune âge du second requérant, des conditions d’accueil dans le centre de rétention de Metz-Queuleu et de la durée du placement en rétention qui s’est déroulé sur neuf jours, la Cour considère que les autorités compétentes l’ont soumis, à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention. Eu égard aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé de sept mois et demi, ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent, la Cour estime qu’il en va de même, dans les circonstances particulières de l’espèce, s’agissant de la première requérante » (paragraphe 43 de l’arrêt).

Un raisonnement améliorable sur la question de la violation de l’article 3 en ce qui concerne la mère (la requérante)

J’estime que le raisonnement portant sur la question de la violation de l’article 3 en ce qui concerne la mère est déficient. Pour constater une violation de l’interdiction des mauvais traitements prévue par l’article 3 qui résulterait du non-respect par l’État français des obligations positives qui lui incombaient à l’égard de la mère de l’enfant, il faut que ce constat soit fondé sur des motifs sérieux et graves, reposant sur des obligations légales. Dès lors, il ne me paraît pas opportun de fonder le constat de tels sévices graves uniquement sur les liens indissociables qui unissent la mère à son enfant et sur les émotions qu’ils partagent. Plus précisément, le terme « émotions » est un concept psychologique et anthropologique qu’il est très difficile de mesurer juridiquement, d’autant plus lorsqu’il est question d’une décision administrative ordonnant l’expulsion de la mère et de l’enfant vers l’Espagne sur la base d’un cadre pleinement légal établi, à savoir le système dit « Dublin III ».

Le raisonnement juridique devrait reposer davantage sur l’idée qu’en raison de l’intérêt supérieur de l’enfant, il serait inhumain ou mauvais de séparer une mère de son jeune enfant. Pour cela, il est beaucoup plus valable et fondé de s’appuyer sur un traité international contraignant pour la France, par exemple la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Dans cette norme internationale, de nombreux articles affirment qu’il est nécessaire de ne pas séparer un mineur de ses parents dans la mesure du possible. Dès son préambule même, il est rappelé que « l’enfance a droit à une aide et à une assistance spéciales » et que « la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté » et il est reconnu que « l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension » et que « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance ».

Le corps du texte de la Convention relative aux droits de l’enfant comporte plusieurs articles qui soulignent les obligations positives qu’ont les États d’assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui (article 3 § 2), de respecter les responsabilités, droits et devoirs des parents (article 5) et de veiller à ce que, dans la mesure du possible, les enfants connaissent leurs parents et soient élevés par eux (article 7). Il y est également affirmé que les États doivent veiller à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré (article 9 § 1).

En ce qui concerne l’éducation et le développement de l’enfant, l’intérêt supérieur du mineur implique que la responsabilité de l’élever incombe au premier chef à ses représentants légaux (article 18 § 1). L’État doit quant à lui mettre en place des institutions, des établissements et des services chargés de veiller au bien-être des enfants (article 18 § 2). Si la responsabilité du développement de l’enfant incombe au premier chef aux parents (article 27, mutatis mutandis), il va sans dire que les enfants ne doivent pas être séparés de leurs parents. En outre, l’État doit « [adopter] les mesures appropriées (…) pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et [offrir], en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, l’habillement et le logement » (article 27 § 3).

Le comportement illégal de la requérante

Cela dit, j’estime que la mère ne peut se plaindre en ce qui la concerne d’une violation de l’article 3. En effet, en tant qu’adulte qui, dans les circonstances de l’espèce, a désobéi à la loi et s’est mise par elle-même dans la situation où elle se trouve, elle ne peut pas exiger de l’État des conditions de rétention répondant à des normes élevées dans le centre de rétention. C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne la violation de l’article 3 de la Convention qu’elle allègue. Dans le cadre de l’application des principes généraux au cas d’espèce, la conduite obstructive de la requérante, qui a refusé d’embarquer sur le vol prévu à destination de l’Espagne le 14 janvier 2021, doit être prise en compte. Son placement en rétention administrative est le résultat de ses propres fautes. Dès lors, il ne me semble pas que l’on puisse imputer à l’État le placement de l’intéressée et de son enfant au centre de Metz-Queuleu. En l’espèce, les principes dégagés par la Grande Chambre dans l’affaire N.D. et N.T. c. Espagne ([GC], nos 8675/15 et 8697/15, §§ 209‑11, 13 février 2020) concernant les conséquences d’un mauvais comportement des demandeurs doivent être appliqués au comportement de la mère. À ce sujet, je souscris aux arguments suivants du gouvernement français :

« Le placement en rétention de ce dernier était nécessaire pour assurer l’éloignement de la famille en maintenant l’unité de la cellule familiale » (paragraphe 48 de l’arrêt)

et

« (…) [la cour d’appel a] relevé que le refus d’embarquer d’A.C. avait contraint les autorités françaises à organiser un nouveau transfert. Par ailleurs, l’autorité préfectorale et les juges judiciaires ont relevé le risque de fuite de la requérante, l’absence de vulnérabilité s’opposant au placement en rétention. La cour d’appel a estimé que le placement en rétention n’avait été décidé que pour le temps strictement nécessaire au départ » (paragraphe 60 de l’arrêt).

Cependant, je crains fort que la phrase suivante :

« La Cour rappelle que le comportement du parent, à savoir, dans la présente affaire, le refus de la première requérante d’embarquer, n’est pas déterminant quant à la question de savoir si le seuil de gravité prohibé est franchi à l’égard de l’enfant mineur (M.D. et A.D. c. France, précité, § 70) » (paragraphe 42 de l’arrêt)

ne soit susceptible de contribuer à terme au risque que la juge Mourou-Vikström évoquait dans une opinion dissidente jointe à un arrêt rendu dans une affaire similaire (M.D. et A.D. c. France, no 57035/18, 22 juillet 2021), et que je crains également :

« Il m’apparaît que, dans une telle affaire, constater des violations des articles 3 et 5 concourt à une érosion progressive du système dit « Dublin » tout en présentant un risque d’instrumentalisation des enfants pour contourner les règles européennes régissant le droit d’asile » (opinion dissidente de la juge Mourou-Vikström).

En l’espèce, il est avéré que la requérante a fait preuve d’une attitude de désobéissance à la loi, comme l’indique l’arrêt dans les phrases suivantes :

« Le 14 janvier 2021 toujours, la requérante refusa d’embarquer à bord du vol à destination de l’Espagne. Elle et son fils furent alors reconduits au centre de rétention administrative de Metz » (paragraphe 11 de l’arrêt)

et

« Par deux ordonnances du 18 janvier 2021, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Metz confirme les ordonnances du 14 janvier 2021 » (paragraphe 12 de l’arrêt) ;

de plus, les motifs avancés pour justifier l’arrêté sont le risque non négligeable de fuite (paragraphe 13 de l’arrêt) et la nécessité de la prolongation de la mesure de rétention (paragraphe 14 de l’arrêt) :

« En l’espèce, s’il est exact que Mme A.C. a respecté les conditions de son assignation à résidence notifiée le 9 novembre 2020 et renouvelée le 17 décembre 2020, il n’est pas contesté d’une part, qu’elle a dissimulé des éléments de son identité en déclarant plusieurs dates de naissance et d’autre part, qu’elle a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure de transfert en refusant la proposition d’aide au transfert volontaire lors de la notification de la décision de réadmission le 9 novembre 2020, puis en réaffirmant son refus lors de la notification du placement en rétention. Il sera d’ailleurs relevé que Mme A.C. a refusé d’embarquer sur le vol prévu à destination de l’Espagne le 14 janvier 2021. Le risque de fuite apparaît dès lors non négligeable, rendant nécessaire le placement en rétention administrative » (paragraphe 13 de l’arrêt).

Dès lors, il ne semble pas proportionné qu’alors que le reste des citoyens français sont contraints de respecter la loi, les autorités soient dans l’impossibilité d’exécuter l’arrêté d’expulsion en cause en l’espèce car elles n’auraient pas les moyens de le faire respecter et devraient se soumettre au refus de la requérante d’embarquer dans un avion à destination de l’Espagne, au mépris de l’issue d’une procédure judiciaire menée conformément à la loi. On constate le même refus d’embarquer dans l’avion dans l’affaire M.D. et A.D. c. France (arrêt précité). En outre, la requérante n’a indiqué aux autorités françaises aucune raison justifiant son refus de déposer sa demande d’asile en Espagne, État où elle aurait dû le faire en application du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (dit « règlement Dublin III »).

Mutatis mutandis, la seule différence avec la présente affaire étant que le transfert en cause en l’espèce avait pour destination l’Espagne et non l’Italie, je partage à nouveau l’avis exprimé par la juge Mourou-Vikström dans son opinion jointe à l’arrêt rendu dans une affaire antérieure semblable à la présente (M.D. et A.D. c. France, précité) :

« Ainsi, une condamnation de l’État français dans cette affaire revient à affaiblir fortement le système même mis en place des accords de Dublin, lequel organise les demandes d’asile en les soumettant à des règles claires et rationnelles. Que deviendrait le « système de Dublin » si chaque demandeur d’asile décidait de le contourner en se rendant clandestinement dans un État qui n’est pas le premier État d’arrivée et en refusant d’être transféré dans l’État d’examen de sa demande ? Pour que l’obstruction de la requérante à son transfert et à celui de son enfant soit considérée comme ne pouvant pas être retenue contre elle, il faudrait, à tout le moins, qu’elle argue de conditions inhumaines et dégradantes auxquelles elle serait exposée avec son enfant en Italie et qui seraient établies par des rapports internationaux » (opinion dissidente de la juge Mourou-Vikström).

Dernière mise à jour le mai 4, 2023 par loisdumonde

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