DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE N.M. c. BELGIQUE
(Requête no 43966/19)
ARRÊT
Art 5 § 1 f) • Détention du requérant en vue de son expulsion pour des raisons d’ordre public et de sécurité nationale • Voies légales • Délai raisonnable
Art 5 § 4 • Contrôle suffisant de la légalité de la détention
Art 3 (matériel) • Traitement inhumain et dégradant • Isolement cellulaire dans le centre fermé non constitutif de mauvais traitements
STRASBOURG
18 avril 2023
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire N.M. c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Arnfinn Bårdsen, président,
Jovan Ilievski,
Egidijus Kūris,
Pauliine Koskelo,
Frédéric Krenc,
Diana Sârcu,
Davor Derenčinović, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,
Vu :
la requête (no 43966/19) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de l’État algérien, M. N.M. (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 14 août 2019,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 3 et 5 §§ 1 f) et 4, ainsi que l’article 8 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mars 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne la détention du requérant en vue de son éloignement (article 5 § 1 f)), l’efficacité du contrôle de légalité de cette dernière (article 5 § 4) et les conditions de détention du requérant au centre fermé pour illégaux de Vottem (article 3).
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1949 et a été représenté par Me D. Alamat, avocate à Bruxelles. Il a élu domicile chez sa représentante.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.
I. Les faits présidant à l’introduction de la présente requête
A. Le contexte de l’affaire
4. Dans les années 1990, le requérant fut membre du parti du Front islamique du Salut. Il prétend avoir été arrêté par le Département du Renseignement et de la Sécurité algérien, puis torturé du fait de son appartenance à ce parti. En 1993, il fut condamné par un tribunal algérien à une peine d’emprisonnement de 30 mois en raison de la « récolte de matériels pour besoin criminel et de fonds pour le Front islamique du Salut ». Lorsqu’il fut libéré, il fuit l’Algérie pour l’Europe.
5. Entre 2002 et 2009, le requérant introduisit plusieurs demandes de protection internationale, notamment en Belgique. Le 11 mars 2003, le Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides rejeta une première demande. Cette décision fut confirmée le 28 avril 2005 par la Commission permanente de recours des réfugiés.
6. Le requérant retourna en Algérie.
7. Le 13 octobre 2008, le requérant introduisit une deuxième demande d’asile en Belgique qui fut rejetée le 9 juillet 2009. Le requérant partit alors vers l’Allemagne où il introduisit une demande d’asile. Il partit ensuite pour la Türkiye puis la Syrie qu’il quitta à nouveau pour l’Allemagne en 2014 avant d’être rapatrié vers la Belgique en application du règlement Dublin.
8. Le requérant se vit délivrer un ordre de quitter le territoire le 7 janvier 2013 non versé au dossier déposé devant la Cour.
9. Sous le coup d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités belges, en raison de suspicion de prosélytisme et de recrutement, le requérant fut arrêté en Allemagne et ensuite placé par les juridictions belges sous mandat d’arrêt le 8 octobre 2015 pour avoir, en 2014 et 2015, participé dans plusieurs pays aux activités d’un groupe terroriste. Le requérant fut placé en détention préventive à la prison de Hasselt à la section ‘De-Radex’ où des détenus fortement radicalisés sont isolés des autres sections.
10. Le requérant fut libéré sous conditions le 20 septembre 2017.
B. Les titres de détention et les procédures d’éloignement du requérant
1. Ordres de quitter le territoire des 20 et 27 septembre 2017
11. À la suite de cette libération sous conditions, l’Office des étrangers prit, le 20 septembre 2017, un ordre de quitter le territoire avec décision de maintien en vue de l’éloignement et interdiction d’entrée sur le territoire durant trois ans. Cet ordre se fondait sur articles 7 § 1 et 74/14, § 3, 1o et 3o de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »). Il y était mentionné que le requérant n’était pas en possession d’un titre de séjour valable au moment de son arrestation et qu’il avait été placé sous mandat d’arrêt le 8 octobre 2015 pour sa participation aux activités d’un groupe terroriste, et qu’il pourrait être condamné. Il était jugé nécessaire de le laisser à la disposition de l’Office des étrangers afin d’obtenir un laissez-passer de ses autorités nationales dans le cadre d’une demande de reprise par l’Algérie.
12. Constatant que le requérant ne pouvait pas être transféré immédiatement en centre fermé, l’Office des étrangers ordonna, en vertu de l’article 74/8 § 1, alinéa 4, de la loi sur les étrangers, le maintien du requérant à la prison de Hasselt jusqu’au 26 septembre 2017, date à laquelle il fut transféré au centre fermé pour illégaux de Vottem.
13. Dès le 22 septembre 2017, un vol fut réservé pour un éloignement le 9 octobre 2017.
14. Le 27 septembre 2017, le requérant se vit notifier un ordre de quitter le territoire avec décision de remise à la frontière et décision de maintien en détention à cette fin sur la même base légale, à savoir l’article 74/8, § 1, alinéa 4, de la loi sur les étrangers.
15. Le 6 octobre 2017, saisie par le requérant (requête no 17528/17), la Cour indiqua aux autorités belges de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers l’Algérie jusqu’au 20 octobre 2017. Le 7 octobre 2017, un laissez-passer pour l’Algérie fut délivré par l’ambassade d’Algérie.
16. Le 9 octobre 2017, le rapatriement fut annulé en raison de l’introduction d’une troisième demande d’asile par le requérant.
2. Introduction d’une (troisième) demande d’asile par le requérant
17. Le 6 octobre 2017, le requérant introduisit en effet une nouvelle demande d’asile devant les autorités belges. Il alléguait craindre d’être persécuté en Algérie du fait de soupçons d’appartenance à un groupe terroriste pesant contre lui.
3. Ordre de quitter le territoire du 9 octobre 2017
18. Le 9 octobre 2017, un ordre de quitter le territoire fut délivré avec maintien dans un lieu déterminé sur fondement de l’article 7, alinéa 1er, 1o de la loi sur les étrangers au motif que le requérant n’était pas en possession d’un passeport valable.
19. Le 19 octobre 2017, la mesure provisoire préalablement indiquée par la Cour (paragraphe 15 ci-dessus) fut levée et la requête rayée du rôle, au motif qu’entretemps, le requérant avait introduit une demande d’asile et qu’en cas de refus de sa demande d’asile, il pourrait bénéficier d’un recours suspensif.
4. Arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017
20. Le 8 décembre 2017, un arrêté ministériel de mise à disposition du Gouvernement jusqu’à ce qu’une décision définitive fût prise sur sa demande d’asile fut adopté à l’égard du requérant en application de l’article 52/4 alinéa 4 de la loi sur les étrangers (paragraphe 71 ci-dessous). La mesure, qui emporte la détention du requérant, était considérée comme nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité nationale. L’arrêté mentionnait une note de la Sûreté de l’État du 2 octobre 2017 qui indiquait que le requérant était connu « pour son implication dans les milieux algériens de l’islam radical » et était considéré comme « un djihadiste salafiste convaincu avec de nombreux contacts avec des personnes connues pour leur implication dans des dossiers terroristes ». Était également mentionnée une note de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace établie le 8 décembre 2017. Cette note classait le requérant au niveau 3 (grave) sur 4 (foreign terrorist fighter) en ce qui concerne la menace terroriste et extrémiste. Elle indiquait qu’il s’était rallié à un groupe terroriste djihadiste en Syrie et avait participé au combat armé.
5. Première requête de mise en liberté
21. Le 22 novembre 2017, le requérant introduisit une première requête de mise en liberté. Celle-ci fut rejetée le 28 novembre 2017 par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Hasselt. L’appel du requérant fut ensuite déclaré sans objet le 14 décembre 2017 par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers, au motif qu’une nouvelle décision de détention – l’arrêté ministériel de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 (paragraphe 20 ci-dessus) – avait été adoptée entre-temps et reposait sur de nouveaux éléments attestant de la dangerosité du requérant. Le pourvoi en cassation formé par le requérant fut rejeté le 23 janvier 2018.
6. Décision de refus du statut de réfugié assortie d’une clause de non‑reconduite
22. Entre-temps, le 27 décembre 2017, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides prit une décision de refus du statut de réfugié et d’exclusion du statut de protection subsidiaire. Le Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides eut toutefois recours à une clause de non‑reconduite, considérant qu’eu égard à la situation en Algérie, un éloignement du requérant l’exposerait à un risque de subir des actes contraires à l’article 3 de la Convention du fait d’être soupçonné d’entretenir des liens avec des organisations terroristes.
23. Le 31 janvier 2018, le recours introduit par le requérant contre la décision du Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides du 27 décembre 2017 devant le Conseil du contentieux des étrangers fut renvoyé au rôle dans l’attente d’une réponse à une question préjudicielle posée par le Conseil du contentieux des étrangers à la Cour de Justice de l’Union européenne dans une affaire relative à un recours introduit contre une décision de refus d’octroi du statut de réfugié en application de l’article 52/4 de la loi sur les étrangers.
7. Deuxième requête de mise en liberté
24. Dans une deuxième requête de mise en liberté du 20 février 2018, le requérant réitéra ses griefs. Cette requête fut rejetée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Hasselt le 27 février 2018. Cette décision fut confirmée le 20 mars 2018 par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers. Se référant à des informations fournies par l’Office des étrangers, celle-ci constata que l’éloignement du requérant était possible et que sa détention pendant la procédure d’asile était conforme à la loi vu le risque d’atteinte à l’ordre public et à la sécurité nationale. Le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté le 24 avril 2018.
8. Condamnation pénale du requérant
25. Le 20 avril 2018, le requérant fut condamné par le tribunal correctionnel de Bruxelles pour appartenance à un groupe terroriste en Syrie, à une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis pour ce qui excédait la détention préventive. Le requérant n’interjeta pas appel de sorte que la condamnation devint définitive.
9. Troisième requête de mise en liberté
26. Une troisième requête de mise en liberté introduite le 18 mai 2018 fut rejetée. Dans son arrêt du 14 juin 2018, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers rappela que la détention reposait sur l’arrêté de mise à disposition, que les motifs d’ordre public de l’arrêté étaient confortés par la condamnation du 20 avril 2018, qu’aucune décision définitive n’avait encore été adoptée à propos de la demande d’asile du 6 octobre 2017, et que le délai raisonnable n’était pas dépassé. Le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté le 11 juillet 2018.
10. Quatrième requête de mise en liberté
27. Dans une quatrième requête de mise en liberté introduite le 7 septembre 2018, le requérant réitéra ses griefs tirés de l’article 5 de la Convention et argua de la dégradation de son état psychologique en raison de son isolement, de son âge, du suivi mis en place, de l’absence de dangerosité, et de la durée de la procédure d’asile. Sa demande fut rejetée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Hasselt le 11 septembre 2018. Cette décision fut confirmée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers le 28 septembre 2018 dans les mêmes termes que ceux de l’arrêt du 14 juin 2018 (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour de cassation rejeta le 30 octobre 2018 le pourvoi du requérant.
11. Cinquième requête de mise en liberté
28. Le requérant introduisit une cinquième requête de mise en liberté le 20 décembre 2018. Elle fut rejetée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Hasselt le 27 décembre 2018. Par un arrêt du 10 janvier 2019, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers confirma cette décision dans les mêmes termes que ceux de ses deux précédents arrêts (paragraphes 26 et 27 ci-dessus). Le pourvoi en cassation du requérant contre cet arrêt fut rejeté le 19 février 2019.
12. Nouvelle note de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace du 13 mars 2019
29. En réponse à la Secrétaire d’État à l’asile et à la migration, l’Organe de coordination pour l’analyse de menace fit état, dans une note du 13 mars 2019, des éléments suivants : le requérant avait une implication idéologique importante, ses positions étant souvent perçues comme « extrêmes » même au sein du groupe d’extrémistes dont il faisait partie ; de son intégration au sein de l’État Islamique où il avait entretenu des contacts à haut niveau, il pouvait être raisonnablement déduit que l’usage de la violence était accepté pour atteindre ses objectifs idéologiques ; depuis son retour en Belgique, il s’était montré plus modéré, et il semblait moins probable qu’il se laisse aller à des actes de violence; par contre, il montrait l’intention de radicaliser les autres et de les conduire vers sa vision de l’islam, comme le démontrait l’évolution de son comportement pendant sa détention.
13. Décision d’exclusion
30. Après avoir réexaminé la situation générale en Algérie et les éléments produits par le requérant au regard des exigences de la jurisprudence dans l’affaire M.A. c. France (no 9373/15, 1er février 2018), le Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides conclut, cette fois, qu’un renvoi était compatible avec l’article 3 de la Convention en l’absence d’indications concrètes quant au caractère fondé de la crainte d’être considéré comme un terroriste par les autorités algériennes et d’être emprisonné en cas de retour en Algérie à cause de sa condamnation en Belgique. Le Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides retira dès lors sa décision du 27 décembre 2017 (paragraphe 22 ci-dessus) et adopta, le 28 mai 2019, une décision d’exclusion.
31. Le 26 juin 2019, le Conseil du contentieux des étrangers annula cette décision d’exclusion et sollicita des mesures d’instruction complémentaires au regard d’une possible application de la clause d’exclusion 1f de la Convention de Genève. Il estima en effet qu’il manquait au dossier soumis devant lui des éléments essentiels qui impliquent qu’il ne pouvait pas conclure à la confirmation ou à la réformation de la décision attaquée, sans qu’il fût procédé à des mesures d’instruction complémentaires.
32. Entretemps, le 14 mai 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne s’était prononcée (affaires jointes C‑391/16, C-77/17 et C-78/17). Dans cet arrêt, la Cour de Justice s’est prononcée sur la conformité de l’article 14 par. 4 et 5 de la directive 2004/83/CE du Conseil laquelle a, par la suite, été abrogée et remplacée par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 (directive dite « refonte »). Elle a estimé que, malgré la possibilité de ne pas reconnaître ou de retirer le statut de réfugié à une personne présentant une menace pour la sécurité nationale, la directive assurait un niveau de protection suffisant. La Cour de Justice a aussi précisé les droits des personnes exclues de la protection statutaire mais néanmoins non-expulsables, en raison du risque de persécution en cas de retour.
33. Le 14 août 2019, le requérant introduisit la présente requête devant la Cour.
II. Les faits postérieurs à l’introduction de la présente requête
A. Seconde décision d’exclusion
34. Le 20 août 2019, le Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides prit une nouvelle décision d’exclusion, réitérant qu’une reconduite à la frontière restait compatible avec l’article 3.
35. Cette décision fut confirmée par le Conseil du contentieux des étrangers le 16 septembre 2019.
36. Le pourvoi en cassation administrative dirigé contre cet arrêt du 16 septembre 2019 fut rejeté par le Conseil d’État le 13 septembre 2022.
B. Ordre de quitter le territoire du 26 septembre 2019 avec décision de maintien
37. Le 26 septembre 2019, à la suite de l’arrêt du 16 septembre 2019, l’Office des étrangers prit un nouvel ordre de quitter le territoire avec interdiction d’entrée sur le territoire pendant quinze ans.
38. Cet ordre de quitter le territoire était assorti d’une décision de maintien en vue de l’éloignement du requérant, au motif que le requérant pouvait compromettre l’ordre public et la sécurité nationale. Référence était faite à la condamnation du requérant, à la note de 2017 de la Sûreté de l’État, et à la note de 2019 de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace (paragraphes 20, 25 et 29 ci-dessus).
39. Le 1er octobre 2019, la police fédérale planifia une tentative de rapatriement pour le 11 octobre 2019. Saisie par le requérant le 9 octobre 2019, la Cour indiqua le 11 octobre 2019 aux autorités belges, sur la base de l’article 39 de son règlement, de ne pas procéder à l’expulsion du requérant jusqu’au 20 octobre 2019. Le rapatriement fut dès lors annulé.
40. Par un arrêt du 10 octobre 2019, le Conseil du contentieux des étrangers rejeta la demande de suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire du 26 septembre 2019. Le recours en cassation introduit par le requérant contre cet arrêt fut rejeté par le Conseil d’État par un arrêt du 13 septembre 2022.
41. Entretemps, le 25 octobre 2019, à la lumière des informations fournies par le requérant, la mesure provisoire indiquée par la Cour fut levée.
42. Le vol prévu le 1er novembre 2019 fut annulé à la suite d’un recours introduit par le requérant le 30 octobre 2019 devant le président du tribunal de première instance de Liège sur requête unilatérale en vue de faire interdire à l’État belge de l’expulser. Le jour même, l’interdiction fut prononcée sous peine d’astreinte. Le 21 février 2020, la cour d’appel de Liège confirma, au titre des articles 3 et 13 de la Convention, l’interdiction d’expulsion du requérant dans l’attente de l’arrêt du Conseil d’État dans le cadre du recours en cassation administrative contre l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 16 septembre 2019 (paragraphe 35 ci-dessus).
C. Prolongations des décisions de maintien en détention
43. La décision de maintien en détention dont était assorti l’ordre de quitter le territoire du 26 septembre 2019 fut prolongée à trois reprises. La première décision de prolongation, valable pour deux mois, fut prise le 25 novembre 2019. Une deuxième décision de prolongation d’une durée d’un mois fut adoptée le 24 janvier 2020. Une troisième décision de prolongation d’un mois fut prise le 21 février 2020.
44. Saisie par l’État belge en application de l’article 74 de la loi sur les étrangers (paragraphe 71 ci-dessous), la chambre du conseil du tribunal de première instance de Hasselt considéra, par une ordonnance du 31 janvier 2020, que la prolongation de la détention du requérant réussissait le « test de légalité » dès lors qu’après son incarcération, les mesures nécessaires avaient été prises en vue de son expulsion avec la diligence requise, et que l’expulsion effective dans un délai raisonnable était toujours possible.
45. Le requérant interjeta appel contre l’ordonnance du 31 janvier 2020. La chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers confirma l’ordonnance par un arrêt du 10 mars 2020, considérant que la procédure d’expulsion poursuivait son cours normal et que le Gouvernement agissait avec diligence. Le pourvoi introduit par le requérant contre cet arrêt fut rejeté par la Cour de cassation le 12 mai 2020.
D. Fin de la mesure de détention administrative
46. En mars 2020, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile informa les conseils du requérant qu’une place d’accueil s’était libérée. Le requérant sortit du centre fermé de Vottem le 20 mars 2020.
E. Nouvelle condamnation pénale du requérant
47. Le 20 août 2020, le requérant fut à nouveau écroué à la prison de Marche-en-Famenne à la suite de menaces proférées à l’encontre de la personne avec qui il partageait la chambre au centre fermé. Il fut condamné le 5 janvier 2021 par le tribunal correctionnel de Neufchâteau à une peine de huit mois d’emprisonnement. Le 1er avril 2021, la cour d’appel de Liège confirma tant la culpabilité du requérant que sa peine. Elle releva notamment la gravité des faits, le trouble causé à l’ordre public, la nécessité de faire prendre conscience au prévenu que le respect de l’intégrité psychique d’autrui constitue une norme sociale qu’il n’est pas permis d’enfreindre, les antécédents judiciaires du requérant et l’état de récidive légale ainsi que sa personnalité.
F. Ordre de quitter le territoire du 12 avril 2021
48. Le 12 avril 2021, le requérant se vit délivrer un ordre de quitter le territoire sans décision privative de liberté. Le 14 avril 2021, le requérant sortit de prison.
49. Le 12 janvier 2023, le Conseil du contentieux des étrangers annula cet ordre de quitter le territoire.
G. Ordre de quitter le territoire du 5 janvier 2023
50. Le 5 janvier 2023, l’Office des étrangers délivra un nouvel ordre de quitter le territoire, avec décision de remise à la frontière et décision privative de liberté à cette fin.
51. Statuant le 24 janvier 2023, le Conseil du contentieux des étrangers rejeta le recours en extrême urgence introduit par le requérant.
52. Une troisième requête no 5272/23 fut introduite par le requérant le 30 janvier 2023. Celui-ci demanda à la Cour, en application de l’article 39 de son règlement, de suspendre son éloignement vers l’Algérie. Par une décision du 6 février 2023, la Cour rejeta cette demande.
III. Conditions de détention du requérant
A. Détention au centre fermé de Vottem
1. Régime de chambre
53. Dès son arrivée au centre fermé de Vottem, le 26 septembre 2017, le requérant fut placé en régime de chambre à l’aile spéciale pour détenus considérés comme « dangereux » (paragraphe 73 ci-dessous). Il était soumis à un régime de deux préaux individuels par jour. Le requérant indique avoir refusé beaucoup de ces sorties car il se sentait méprisé par les gardiens.
54. Dans le cadre de ce régime de chambre, le requérant fit l’objet d’un contrôle visuel nocturne toutes les heures de 22 heures à 7 heures. Selon le requérant, ce contrôle s’effectuait toutes les heures de jour comme de nuit. Pour pallier l’inconvénient de ce contrôle la nuit, il lui fut proposé de porter un masque et de retirer son appareil auditif. Il bénéficia jusqu’au 19 janvier 2018 de la possibilité de rencontrer un autre détenu pendant une heure tous les deux ou trois jours.
55. À partir du 8 octobre 2017, le régime de chambre fut assoupli et le requérant fut admis à partager la vie de groupe quelques heures par jour.
56. Les représentants du requérant contactèrent l’Office des étrangers et le directeur du centre fermé en décembre 2017 pour obtenir la décision fondant ce régime de chambre. Ils demandèrent une évaluation de la nécessité d’un tel isolement au vu de la fragilité psychologique du requérant, de la dégradation de son état psychologique, de ses divers problèmes médicaux et de son âge. Ils demandaient un assouplissement accru ou la levée du régime de chambre.
57. En réponse, le directeur du centre indiqua dans un courrier du 19 décembre 2017 que le régime de chambre avait été imposé conformément à l’article 83 de l’arrêté royal du 2 octobre 2008 (paragraphe 73 ci-dessous) et était motivé par les raisons énoncées dans l’arrêté de mise à disposition du 8 décembre 2017 (paragraphe 20 ci-dessus). De plus, selon le directeur, aucune contre-indication médicale dans le dossier du requérant ne s’opposait au régime de chambre.
58. Plusieurs courriers adressés par la direction du centre fermé début 2018 aux représentants du requérant signalèrent que ce dernier montrait un comportement antisocial et prosélyte à l’égard des autres résidents. Il fut donc décidé de replacer le requérant dans une chambre isolée.
59. Le 24 janvier 2018, le requérant saisit la Commission des plaintes chargée du traitement des plaintes des personnes détenues en centre fermé afin de faire cesser le régime de chambre. La Commission rendit le 8 mars 2018 une décision de levée partielle du régime pour une durée d’essai de six mois vu l’âge et l’état de santé du requérant. Le requérant introduisit un recours contre cette décision d’abord devant le Conseil d’État qui se déclara incompétent, puis devant le Conseil du contentieux des étrangers. Le 20 décembre 2018, ce dernier rejeta le recours pour défaut d’intérêt, le requérant étant soumis, depuis le 21 mars 2018, à un régime de groupe (paragraphe 60 ci-dessous).
2. Régime de groupe intégral
60. Le 21 mars 2018, le requérant fut mis en régime de groupe intégral, avec pour conséquence que le requérant se trouva à partager une cellule avec de jeunes détenus. Il se plaignit à plusieurs reprises au directeur du centre de ne pas bénéficier d’un rythme et de plages de repos adaptés à son âge et à son état de santé, ni d’intimité.
61. À partir de février 2018, le requérant reçut la visite régulière d’un intervenant extérieur issu d’une association d’appui aux détenus avec qui il développa de bonnes relations ainsi que d’une association de prise en charge des personnes radicalisées. Le premier rapporta à plusieurs reprises sa préoccupation face à la fragilité psychologique et physique du requérant consécutive à sa détention prolongée et au régime d’isolement.
62. Tout au long de 2018, les représentants du requérant s’adressèrent à plusieurs reprises au directeur du centre fermé et à l’Office des étrangers pour faire état de la dégradation psychologique du requérant, résultat de sa fragilité psychique, de l’isolement, de la longueur de la détention, et de l’absence de perspective de libération.
63. Il ressort d’un courrier adressé le 31 octobre 2018 à la direction du centre par les représentants du requérant que ce dernier ayant créé quelques liens et ayant désormais ses repères dans le centre, un éventuel transfert dans un autre établissement serait fort déstabilisant.
64. En août 2019, le requérant fut déplacé, à sa demande, dans une chambre seul où il fut, contrairement à ses attentes, à nouveau totalement isolé des autres détenus.
B. Détention à la prison de Marche-en-Famenne
65. À son arrivée à la prison de Marche-en-Famenne le 20 août 2020 (paragraphe 47 ci-dessus), le requérant fut placé à l’isolement. La Commission d’appel du conseil centrale de surveillance pénitentiaire y mit fin après quatre mois vu l’âge du requérant, 71 ans à l’époque, et les effets néfastes sur sa santé.
IV. Accès aux soins et suivi médical
66. La note transmise le 2 octobre 2017 par la Sûreté de l’État à l’Office des étrangers (paragraphe 20 ci-dessus) faisait état du fait que durant les derniers mois à la prison de Hasselt, la santé mentale du requérant s’était gravement détériorée, bien qu’il n’ait fait montre d’aucun signe auprès des services de la prison.
67. Le dossier contient deux rapports médico-psychologiques dressés par un médecin de Médecins du Monde et une psychologue. Le premier rapport établi le 19 octobre 2017 attestait de divers problèmes médicaux (ulcère, troubles prostatiques et auditifs, et lombalgies chroniques), d’un état dépressif et de troubles de stress post-traumatique. Le second rapport établi le 6 décembre 2018 faisait état d’une dégradation mentale importante, progressive et continue due à l’isolement prolongé et d’un état de décompression psychiatrique. Il indiquait que paradoxalement le requérant préférait les conditions d’isolement tellement les conditions de cohabitation s’étaient révélées pénibles.
68. Courant 2018, le requérant reçut la visite quotidienne d’un infirmier. Il fut aussi vu, à sa demande, par les médecins du centre notamment pour le changement des piles de son appareil auditif, des troubles ORL et des douleurs. À la suite d’un transfert à l’hôpital que le requérant avait mal vécu en raison des conditions de sécurité renforcée, il refusa les transferts hors du centre pour effectuer des examens auprès de spécialistes.
69. Le requérant refusa début 2018 le suivi psychologique existant dans le centre malgré la demande formulée à cette fin par ses représentants. Un rendez-vous avec un psychiatre fut organisé, à la demande du requérant, à l’extérieur du centre le 23 avril 2018. Le requérant y mit fin au motif qu’il ne s’était pas senti en confiance pour s’exprimer sereinement notamment en raison de la présence du gardien chef.
70. Le 26 septembre 2019, le médecin conseil de l’Office des étrangers rendit un avis sur le point de savoir si l’état de santé du requérant empêchait sa détention ou un voyage vers l’Algérie et si le traitement médical mentionné était indispensable, disponible et accessible en Algérie. Selon le rapport du médecin conseil, aucun traitement médical n’étant en cours, il n’y avait aucune contre‑indication à voyager pour des raisons médicales et les problèmes médicaux évoqués n’étaient pas actuels.
DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
I. LA LOI SUR LES ÉTRANGERS
71. La procédure d’asile et la privation de liberté des demandeurs d’asile ainsi que la procédure applicable aux requêtes de mise en liberté sont régies par les dispositions pertinentes de la loi sur les étrangers. Celles‑ci sont en l’espèce les suivantes :
Article 7
« Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le ministre ou son délégué peut, ou, dans les cas visés aux 1o, 2o, 5o, 9o, 11o ou 12o, le ministre ou son délégué doit donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé :
1o s’il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l’article 2;
(…)
3o si, par son comportement, il est considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale; (…) »
Article 52/4
« Si l’étranger qui a introduit une demande d’asile conformément aux articles 50, 50bis, 50ter ou 51, constitue, ayant été condamné définitivement pour une infraction particulièrement grave, un danger pour la société ou lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme un danger pour la sécurité nationale, le ministre ou son délégué transmet sans délai tous les éléments en ce sens au Commissaire général.
Le Commissaire général peut refuser de reconnaître le statut de réfugié si l’étranger constitue un danger pour la société, ayant été condamné définitivement pour une infraction particulièrement grave, ou lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme un danger pour la sécurité nationale. Dans ce cas le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides émet un avis quant à la compatibilité d’une mesure d’éloignement avec les articles 48/3 et 48/4.
Le Ministre peut enjoindre à l’intéressé de résider en un lieu déterminé pendant que sa demande est à l’examen, s’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale.
Dans des circonstances exceptionnellement graves, le Ministre peut mettre l’intéressé à titre provisoire à la disposition du gouvernement, s’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité nationale. »
Article 71
« L’étranger qui fait l’objet d’une mesure privative de liberté prise en application des articles 7, 8bis, § 4, 25, 27, 29, alinéa 2, 51/5, § 1er, alinéa 2, et § 3, alinéa 4, 52/4, alinéa 4, 54, 57/32, § 2, alinéa 2 et 74/6 peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé.
L’étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l’article 74/5, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu où il est maintenu.
Sans préjudice de l’application des articles 74/5, § 3, alinéa 5 et 74/6, § 2, alinéa 5, l’intéressé peut réintroduire le recours visé aux alinéas précédents de mois en mois.
Toutefois, lorsque, conformément à l’article 74, le Ministre a saisi la chambre du conseil, l’étranger ne peut introduire le recours visé aux alinéas précédents contre la décision de prolongation du délai de la détention ou du maintien qu’à partir du trentième jour qui suit la prolongation. »
Article 72
« La chambre du conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l’intéressé ou son conseil le Ministre, son délégué ou son conseil en ses moyens et le ministère public en son avis.
Elle vérifie si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité.
Les ordonnances de la chambre du conseil sont susceptibles d’appel de la part de l’étranger, du ministère public et du Ministre ou son délégué.
Il est procédé conformément aux dispositions légales relatives à la détention préventive, sauf celles relatives au mandat d’arrêt, au juge d’instruction, à l’interdiction de communiquer, à l’ordonnance de prise de corps, à la mise en liberté provisoire ou sous caution, et au droit de prendre communication du dossier administratif.
Le conseil de l’étranger peut consulter le dossier au greffe du tribunal compétent pendant les deux jours ouvrables qui précèdent l’audience.
Le greffier en donnera avis au conseil par lettre recommandée. »
Article 73
« Si la chambre du conseil décide de ne pas maintenir l’arrestation, l’étranger est remis en liberté dès que la décision est coulée en force de chose jugée.
Le Ministre peut enjoindre à cet étranger de résider en un lieu déterminé soit jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement du territoire dont il fait l’objet, soit jusqu’au moment où il aura été statué sur son recours en annulation. »
Article 74
« Lorsque le Ministre décide de prolonger la détention ou le maintien de l’étranger en application des articles 7, alinéa 6, 29, alinéa 3, 44septies, § 1er, alinéa 3, 74/5, § 3, alinéa 2, et 74/6, § 1er, alinéa 6, il doit saisir par requête dans les cinq jours ouvrables de la prolongation, la chambre du conseil du lieu de la résidence de l’étranger dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé, afin que celle-ci se prononce sur la légalité de la prolongation.
À défaut de saisine de la chambre du conseil dans le délai fixé, l’étranger doit être remis en liberté.
Pour le surplus, il est procédé conformément aux articles 72 et 73. »
Article 74/8
« § 1er. Les dispositions nécessaires peuvent être prises afin d’assurer que l’intéressé ne quitte pas, sans l’autorisation requise, le lieu où il est détenu, mis à la disposition du Gouvernement ou maintenu en application des articles 7, (…)
(…)
Les étrangers qui sont détenus dans un établissement pénitentiaire et qui font l’objet d’une décision d’éloignement exécutoire sont, après avoir satisfait aux peines imposées par les cours et tribunaux, immédiatement éloignés ou transférés vers un lieu relevant de la compétence du ministre en vue de leur éloignement effectif.
Par dérogation à l’article 609 du Code d’instruction criminelle, et seulement si le ministre compétent pour l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement d’étrangers démontre être dans l’incapacité de procéder immédiatement à l’éloignement ou au transfert, celui qui fait l’objet d’une levée d’un mandat d’arrêt peut, conformément à une décision d’une autorité compétente et pour autant qu’il fasse l’objet soit d’un arrêté royal d’expulsion exécutoire, soit d’un arrêté ministériel de renvoi exécutoire, soit d’un ordre de quitter le territoire exécutoire avec preuve d’éloignement effectif, être maintenu en détention pour un maximum de sept jours en vue de son éloignement effectif, ou à défaut de cela, de son transfert vers un lieu qui relève de la compétence du ministre en vue de son éloignement effectif.
Cet étranger est isolé des détenus de droit commun. »
Article 74/14
« § 1er. La décision d’éloignement prévoit un délai de trente jours pour quitter le territoire.
Le ressortissant d’un pays tiers qui, conformément à l’article 6, n’est pas autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, bénéficie d’un délai de sept à trente jours.
Sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, le délai octroyé pour quitter le territoire, mentionné à l’alinéa 1er, est prolongé, sur production de la preuve que le retour volontaire ne peut se réaliser endéans le délai imparti.
Si nécessaire, ce délai peut être prolongé, sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, afin de tenir compte des circonstances propres à sa situation, comme la durée de séjour, l’existence d’enfants scolarisés, la finalisation de l’organisation du départ volontaire et d’autres liens familiaux et sociaux.
Le ministre ou son délégué informe par écrit le ressortissant d’un pays tiers que le délai de départ volontaire a été prolongé.
§ 2. Aussi longtemps que le délai pour le départ volontaire court, le ressortissant d’un pays tiers est protégé contre un éloignement forcé.
Pour éviter le risque de fuite pendant ce délai, le ressortissant d’un pays tiers peut être contraint à remplir des mesures préventives.
Le Roi définit ces mesures par un arrêté délibéré en Conseil des ministres.
§ 3. Il peut être dérogé au délai prévu au § 1er, quand :
1o il existe un risque de fuite, ou;
(…)
3o le ressortissant d’un pays tiers constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale ; (…) »
72. En ce qui concerne les pouvoirs des juridictions d’instruction (article 72, alinéa 2, précité, de la loi sur les étrangers), la Cour de cassation (Cass., 30 novembre 2016, P.16.1114.F) a précisé que :
« En vertu de [l’article 72, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers], les juridictions d’instruction vérifient si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité. Le contrôle de légalité pratiqué par ces juridictions portait sur la validité formelle de l’acte, notamment quant à l’existence de sa motivation et au point de vue de sa conformité tant aux règles de droit international ayant des effets directs dans l’ordre interne, qu’à la loi du 15 décembre 1980. Ce contrôle implique également la vérification de la réalité et de l’exactitude des faits invoqués par l’autorité administrative, le juge examinant si la décision s’appuie sur une motivation que n’entache aucune erreur manifeste d’appréciation ou de fait. L’article 237, alinéa 3, du code pénal ainsi que le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs interdisent à la juridiction d’instruction de censurer la mesure au point de vue de ses mérites, de sa pertinence ou de son efficacité. »
II. RÉGIME DE CHAMBRE ET DROIT DE PLAINTE EN CENTRE FERMÉ
73. L’article 83/1 de l’arrêté royal du 2 août 2002 fixant le régime et les règles de fonctionnement applicables aux lieux situés sur le territoire belge, gérés par l’Office des étrangers, où un étranger est détenu, mis à la disposition du Gouvernement ou maintenu, en application des dispositions citées dans l’article 74/8, § 1, de la loi sur les étrangers, prévoit un « régime de chambre ». Ce texte prévoit une exception au régime de la vie en groupe. Ce « régime en chambre » peut être adopté notamment pour des mesures d’ordre ou de sécurité et entraîner l’isolement d’un occupant qui mettrait en danger la sécurité et la tranquillité du groupe par son comportement. Cet article, tel qu’inséré par l’arrêté royal du 8 mai 2014, est ainsi rédigé :
« Art. 83/1. L’occupant qui, suite à son comportement avant la détention ou pendant le séjour dans un centre, ne peut séjourner dans un centre ou une section du centre réservé à un régime de groupe séjourne dans un régime de chambre sur base d’une décision prise par la direction du centre.
La décision de soustraire l’occupant au régime de groupe est portée à la connaissance de l’occupant.
Art. 83/2. L’occupant qui séjourne dans un régime de chambre a droit à un minimum de trois heures par jour d’activités, dont y compris la promenade.
Lorsque l’occupant met en danger par son comportement, sa sécurité, celle des autres occupants, des membres du personnel ou celle du centre ou le bon fonctionnement du centre, le directeur du centre ou son remplaçant peut exceptionnellement décider d’y déroger. Il en informe immédiatement le Directeur général.
Art. 83/3. Les chambres utilisées pour le régime de chambre comprennent au minimum, par occupant :
– un lit et la literie adaptée comprenant un matelas, un oreiller, un drap-housse et des draps et couvertures en suffisance, adaptées à la saison;
– un lavabo et une toilette;
– une armoire ou étagère;
– un système d’appel;
– de l’équipement de loisir à condition que l’occupant l’utilise avec soin. ».
74. En vertu de l’article 130 de l’arrêté royal précité, les personnes retenues peuvent déposer plainte auprès d’une Commission des plaintes.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 F) DE LA CONVENTION
75. Le requérant se plaint que sa détention n’a pas été conforme à l’article 5 § 1 f) de la Convention qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(…)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »
A. Sur la recevabilité
76. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
77. Le requérant se plaint que la privation de liberté ordonnée le 20 septembre 2017 ne visait pas à l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire puisqu’il s’y trouvait à la demande des autorités belges qui l’avaient incarcéré. Il n’a pas davantage pu être considéré comme un étranger contre lequel une procédure d’expulsion était en cours. Premièrement, il bénéficiait, en tant que demandeur d’asile, de la protection contre le refoulement, tant qu’a duré l’instruction de sa demande d’asile. De plus, il n’y avait pas de perspective raisonnable d’éloignement entre la mesure provisoire ordonnée par la Cour le 6 octobre 2017 et la décision du Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides du 28 mai 2019, ni après l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 21 février 2020 qui a interdit son éloignement du requérant dans l’attente de l’issue de la procédure d’asile devant le Conseil d’État. En réalité, le requérant a été détenu uniquement pour des motifs d’ordre public. Or l’affirmation selon laquelle il représentait une menace pour l’ordre public – fondée sur l’affirmation par l’Organe de coordination pour l’analyse de menace selon laquelle il était un terroriste très dangereux ayant notamment des contacts avec les cadres de l’État islamiste – était dépourvue de toute précision quant aux faits, aux discours ou aux comportements problématiques qu’aurait posés le requérant, et n’a pas été réévaluée pour vérifier si sa détention était raisonnablement nécessaire pour l’empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir.
78. Le requérant conteste le respect des voies légales à propos de trois périodes de détention. Premièrement, le titre fondant sa détention du 20 au 26 septembre 2017 n’a pas respecté l’article 74/8, § 1, alinéa 4, de la loi sur les étrangers qui permet une détention « supplémentaire » pour autant qu’il y ait un titre exécutoire de renvoi. Or en l’espèce, l’ordre de quitter le territoire du 7 janvier 2013 invoqué par le Gouvernement ne pouvait plus sortir d’effet juridique dès lors qu’en droit belge qu’une fois exécuté, un ordre de quitter le territoire perd sa force contraignante. Deuxièmement, le 6 octobre 2017, la Cour avait enjoint aux autorités belges de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers l’Algérie jusqu’au 20 octobre, de sorte que sa privation de liberté ne reposait sur aucune base légale jusqu’à cette date. Troisièmement, il est inexact d’affirmer que l’arrêté du 8 décembre 2017 a pu continuer à servir de base légale jusqu’au 16 octobre 2019 (paragraphe 82 ci-dessus). En effet, un ordre de quitter le territoire avec privation de liberté a été adopté le 26 septembre 2019 fondé sur l’article 7 de la loi sur les étrangers, ce qui signifie que le requérant n’était plus protégé contre l’éloignement et que la procédure d’asile était finie. Selon le requérant, il n’est pas cohérent d’argumenter en parallèle que le recours en cassation devant le Conseil d’État produit des effets juridiques tant qu’il n’a pas statué et soutenir que les tentatives d’expulsion postérieures au 16 septembre 2019 étaient justifiées.
79. Le requérant se plaint de la durée disproportionnée de sa détention par rapport aux objectifs poursuivis. Il reproche principalement aux autorités leur manque de diligence dans l’examen de sa troisième demande d’asile. Ainsi le renvoi au rôle, entre janvier 2018 et avril 2019, ne peut être considéré comme un traitement diligent, sachant que la décision de refus d’asile a finalement été retirée par le Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides avant qu’intervienne l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne le 14 mai 2019, et que le 26 juin 2019, le Conseil du contentieux des étrangers a annulé la décision subséquente du Commissaire général pour les réfugiés et les apatrides du 27 mai 2019. À cela s’ajoute que l’instruction de sa demande d’asile a duré jusqu’en 2022 alors que les faits et les documents ne présentaient pas de complexité significative.
80. Le requérant soutient enfin que la détention était inadaptée à son état de santé, physique et/ou mentale et que le lieu et les conditions de détention étaient inappropriées sous l’angle de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Le centre fermé de Vottem n’était pas adapté pour une détention de longue durée en particulier compte tenu de sa vulnérabilité liée à son âge et à son état de santé mentale. Il reproche aux autorités et aux juridictions de ne pas avoir tenu compte de ces éléments pour évaluer la nécessité de le placer et de le maintenir en centre fermé et de ne pas avoir envisagé des mesures moins restrictives que la détention.
b) Le Gouvernement
81. Le Gouvernement fait valoir que si la protection de l’ordre public a certainement joué un rôle dans les décisions prises par l’État, la dangerosité potentielle du requérant était corroborée par les rapports de la sûreté de l’État. L’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 a été pris sur base de ces rapports et a étayé les raisons qui ont conduit à considérer le requérant comme une menace. Cela étant, comme cela ressort de la motivation des décisions de détention et des mesures concrètes prises en vue de l’éloignement du requérant, son maintien en détention visait à l’éloigner dès qu’il serait légalement possible d’entamer et de poursuivre diligemment les démarches utiles dans le respect des buts autorisés par l’article 5 § 1 f) de la Convention.
82. En ce qui concerne le respect des voies légales, le Gouvernement explique que le requérant se trouvant toujours en situation illégale de séjour au moment de sa libération judiciaire, il a pu être détenu jusqu’au 26 septembre 2017 sur base de l’article 74/8, § 1, alinéa 4, de la loi sur les étrangers étant donné qu’il était sous le coup d’un ordre de quitter le territoire délivré le 7 janvier 2013. Le Gouvernement fait ensuite valoir que l’indication donnée par la Cour de ne pas expulser le requérant était provisoire et était sans incidence sur la conformité à l’article 5 § 1 de la Convention de la privation de liberté. L’arrêté de mise à disposition du 8 décembre 2017 a pu continuer à servir de base légale à la détention entre le 16 septembre 2019, date de l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers et le 16 octobre 2019, date de l’expiration du délai de recours contre cet arrêt. Comme dans l’affaire K.G. c. Belgique, no 52548/15, § 83, 6 novembre 2018, la détention répondait donc toujours aux exigences de l’article 5 § 1 f).
83. Selon le Gouvernement, la détention et les procédures y afférentes ont duré le temps nécessaire et n’ont pas excédé un délai raisonnable. Il en va de même pour la procédure d’asile, engagée par le requérant le 6 octobre 2017 et achevée le 16 septembre 2019, qui s’est poursuivie avec toute la diligence requise malgré les considérations particulièrement complexes de l’affaire en cause.
84. Le Gouvernement soutient enfin que l’état de santé du requérant a dûment été pris en compte par les autorités. Le requérant a toujours eu accès au service médical du centre fermé et n’a jamais souhaité faire appel à un soutien psychologique. De plus, le dossier ne contient aucun élément démontrant que la situation de santé du requérant s’opposait à sa détention.
2. Appréciation de la Cour
a) Poursuite d’un but autorisé par l’article 5 § 1 f)
i. Rappel des principes généraux
85. La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental, la protection de l’individu contre toute atteinte arbitraire de l’État à son droit à la liberté. Énoncée à l’alinéa f) de l’article 5 § 1, l’une des exceptions au droit à la liberté permet aux États de restreindre celle des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration (A. et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 3455/05, § 163, CEDH 2009, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, §§ 88‑89, CEDH 2016) dans deux types de cas.
86. Le premier volet de l’article 5 § 1 f) permet aux États d’arrêter et de détenir les demandeurs d’asile et les immigrés tant qu’il ne leur a pas accordé l’autorisation d’entrer sur son territoire. La détention d’un individu qui n’est pas encore « entré » sur le territoire et a introduit une demande d’asile à la frontière peut viser à « empêcher l’intéressé de pénétrer irrégulièrement » durant l’instruction de sa demande d’asile au sens de la première partie de l’article 5 § 1 f) (voir, parmi d’autres, Saadi c. Royaume‑Uni [GC], no 13229/03, CEDH 2008, et Thimothawes c. Belgique, no 39061/11, 4 avril 2017).
87. Le second volet de l’article 5 § 1 f) permet aux États de priver un individu de liberté aux fins de l’expulser ou l’extrader. Une privation de liberté fondée sur ce volet ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) (A. et autres, précité, § 164). L’article 5 § 1 f) n’exige pas que sa détention fût en outre considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal c. Royaume‑Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Saadi c. Royaume-Uni, précité, § 72).
88. La Cour a cependant jugé que la condition tenant à l’existence d’une « procédure d’expulsion en cours » n’est pas établie lorsque les autorités n’ont pas de perspective réaliste d’expulser les intéressés pendant la période où ils sont détenus sans les exposer à un risque réel de mauvais traitements contraires à l’article 3 et que la détention pour le seul motif de sécurité nationale sort des limites de l’alinéa f) de l’article 5 § 1 (A. et autres, précité, §§ 167 et 171, et M.S. c. Belgique, no 50012/08, § 150, 31 janvier 2012).
ii. En l’espèce
89. La Cour constate que le requérant ne peut être assimilé aux individus qui ne sont pas encore « entrés » sur le territoire au sens du premier volet de l’article 5 § 1 f). Bien que n’ayant pas été autorisé à résider en Belgique, il y a été incarcéré après avoir été arrêté et extradé en Belgique (paragraphe 9 ci‑dessus ; voir K.G., précité, §§ 79-80 et références citées).
90. Le requérant conteste également que sa détention ait pu entrer tout au long de sa durée dans les prescriptions du second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Il vise à cet égard sa détention initiale, la période d’examen de sa demande d’asile et la période qui a couru ensuite jusqu’à sa libération, le 20 mars 2020.
1) Détention initiale du 20 septembre 2017
91. La détention administrative du requérant a été ordonnée le 20 septembre 2017 alors qu’il n’avait pas été autorisé à résider en Belgique mais qu’il y avait été incarcéré (paragraphe 9 ci‑dessus). La Cour note qu’un éloignement vers l’Algérie avait été planifié et annulé en raison de l’introduction, par le requérant, d’une nouvelle demande d’asile le 6 octobre 2017 (paragraphe 16 ci-dessus). Durant cette période, la détention du requérant entrait donc dans les prévisions du second volet de l’article 5 § 1 f).
2) Détention entre le 6 octobre 2017 et le 16 septembre 2019
92. Le requérant fait valoir que durant l’instruction de sa nouvelle demande d’asile, il bénéficiait, en tant que demandeur d’asile, de la protection contre le refoulement, et que, par conséquent, sa détention est sortie des prévisions du second volet de l’article 5 § 1 f). La Cour ne peut suivre cette thèse. L’introduction d’une demande d’asile n’a pas, en soi, pour effet de rendre la détention administrative d’un demandeur d’asile incompatible avec l’article 5 § 1 f). Ce qui importe, c’est que les autorités internes aient poursuivi le dessein d’éloigner le requérant.
93. En l’espèce, la Cour observe que le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a rejeté la demande d’asile du requérant le 27 décembre 2017, mais a eu recours à une clause de non-reconduite vers l’Algérie en se fondant sur l’article 3 de la Convention. Alors que le recours du requérant contre cette décision devant le Conseil du contentieux des étrangers demeurait pendant, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a réexaminé la situation et a considéré le 28 mai 2019 que le renvoi vers l’Algérie s’avérait désormais compatible avec l’article 3. Le requérant a formé un recours contre cette décision auprès du Conseil du contentieux des étrangers qui l’a annulée en raison de la nécessité de disposer des éléments complémentaires et l’a renvoyée devant le Commissaire général aux réfugiés et apatrides afin qu’il réexaminât la demande d’asile. Celui-ci a pris une nouvelle décision d’exclusion le 20 août 2019. Le recours formé par le requérant contre cette décision a été rejeté par le Conseil du contentieux des étrangers le 16 septembre 2019.
94. Il ressort de ces éléments que les autorités belges ont constamment poursuivi, par le biais de mesures successives de détention et tout au long de celle-ci, le dessein d’éloigner le requérant vers l’Algérie en sorte que la détention du requérant entrait dans les prévisions de la seconde partie de l’article 5 § 1 f)) (voir, mutatis mutandis, K.G., précité, § 80, et références citées). À l’estime de la Cour, la présente affaire se distingue de l’affaire M.S. c. Belgique (précitée, §§ 154-156), dans la mesure où les autorités internes ont, tout au long de la procédure d’asile, envisagé sérieusement l’éloignement du requérant et qu’elles ont procédé à la réévaluation du risque que pouvait encourir le requérant en cas d’éloignement (voir, mutatis mutandis, K.G., précité, § 84).
95. De plus, la Cour constate que, à l’instar d’autres affaires dont elle a eu à connaître (voir mutatis mutandis, Chahal, précité, et K.G., précité), la présente affaire est marquée par des préoccupations pour l’ordre public et la sécurité nationale qui ont pesé lourdement dans le choix de maintenir le requérant en détention durant l’examen de sa demande d’asile. La Cour rappelle en particulier que, durant l’instruction de la demande d’asile, la détention du requérant reposait sur l’arrêté ministériel de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 (paragraphe 20 ci-dessus) qui a ordonné sa détention jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été prise sur sa demande d’asile, en raison de la dangerosité de son profil, laquelle était étayée par une note de la Sûreté de l’État ainsi que par une note de l’OCAM (paragraphes 20 et 29 ci-dessus). Elle note également que le requérant a été condamné pénalement pour appartenance à une organisation terroriste pendant l’instruction de la demande d’asile (paragraphe 25 ci-dessus).
96. Dans ces conditions, la Cour estime que le maintien en détention du requérant durant la procédure d’asile demeurait dans les prévisions du second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention.
3) Détention entre le 16 septembre 2019 et le 20 mars 2020
97. Il reste enfin à la Cour à examiner la période qui a couru jusqu’à ce que le requérant soit placé en centre d’accueil le 20 mars 2020 (paragraphe 46 ci-dessus). La Cour observe qu’avant l’introduction par le requérant de son pourvoi en cassation administrative contre l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 16 septembre 2019 (paragraphe 35 ci-dessus), l’Office des étrangers avait adopté, le 26 septembre 2019, un ordre de quitter le territoire en vue de procéder à l’éloignement du requérant (paragraphe 37 ci-dessus). Un rapatriement a été planifié pour le 11 octobre 2019 mais a été annulé en raison d’une mesure provisoire indiquée par la Cour (paragraphe 39 ci‑dessus). Un second vol a été planifié le 1er novembre 2019 qui a également dû être annulé en raison de l’interdiction judiciaire d’expulser le requérant ordonnée le 30 octobre 2019 et confirmée en appel le 21 février 2020 (paragraphe 42 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne peut considérer que, durant cette période également, les autorités belges n’ont pas fait preuve de diligence en vue de l’éloignement du requérant conformément aux prescriptions du second volet de l’article 5 § 1 f) de la Convention.
b) Respect des voies légales
98. La Cour rappelle que pour satisfaire à l’exigence de régularité, une détention doit avoir lieu « selon les voies légales », ce qui implique que toute arrestation ou détention ait une base légale en droit interne (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III). Si la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale, il y a également lieu de tenir compte, le cas échéant, d’autres normes juridiques applicables. Dans tous les cas, l’article 5 § 1 consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Paci c. Belgique, no 45597/09, § 64, 17 avril 2018, et références citées).
99. En l’espèce, la Cour constate que les périodes de détention contestées par le requérant ont reposé sur quatre titres de détention : la décision de maintien du 20 septembre 2017 (paragraphe 11 ci-dessus), la décision de maintien du 9 octobre 2017 (paragraphe 18 ci-dessus), l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 (paragraphe 20 ci-dessus) et la décision de maintien du 26 septembre 2019 (paragraphe 37 ci-dessus). Elle relève que, pour trois périodes de détention, le requérant conteste, dans ses observations, qu’elles ont une base légale en droit interne ou qu’elles respectent les règles de fond et de forme du droit interne.
i. Détention du 20 au 26 septembre 2017
100. Le requérant se trouvant en situation illégale de séjour au moment de sa libération de la prison de Hasselt, l’ordre de quitter le territoire du 20 septembre 2017 était assorti d’une privation de liberté pris en application de l’article 7, alinéa 1, 1o et 3o, de la loi sur les étrangers. Il était motivé par référence à l’article 74/8, § 1, alinéa 4, de la loi sur les étrangers qui permet une détention « supplémentaire » de sept jours si le ministre compétent démontre être dans l’incapacité de procéder immédiatement à l’éloignement et pour autant que l’intéressé soit sous le coup d’un titre exécutoire de renvoi. Ce titre de détention valait jusqu’au 26 septembre 2017. La Cour n’a pas de raisons de considérer que la détention du requérant du 20 au 26 septembre 2017 ne respectait pas les voies légales.
ii. Détention du 6 au 20 octobre 2017
101. Le requérant conteste la légalité de cette période de détention au motif que le 6 octobre 2017, la Cour avait indiqué aux autorités belges, en application de l’article 39 de son règlement, de ne pas procéder à l’expulsion du requérant vers l’Algérie jusqu’au 20 octobre 2017. La privation de liberté n’était donc plus justifiée, selon le requérant, par le déroulement de la procédure d’expulsion.
102. La Cour rappelle que la mise en œuvre d’une mesure provisoire est, en elle-même, sans incidence sur la conformité à l’article 5 § 1 de la Convention de la privation de liberté dont le requérant menacé d’expulsion fait, le cas échéant, l’objet (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 74, CEDH 2007‑II, S.P. c. Belgique (déc.), no 12572/08, 14 juin 2011, et Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, no 10486/10, § 120, 20 décembre 2011).
103. La Cour ne voit donc pas de raisons de considérer que la période de détention du 6 au 20 octobre 2017 ne respectait pas les voies légales.
iii. Détention du 16 septembre au 25 novembre 2019
104. Alors que selon le Gouvernement le maintien en détention du requérant entre le 16 septembre et le 16 octobre 2019 reposait sur l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 qui autorisait sa détention, le requérant estime que cette thèse ne peut être suivie puisque la procédure d’asile s’était achevée avec l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 16 septembre 2019 statuant sur le recours qu’il avait introduit contre cet arrêté.
105. La Cour note, à la suite du Gouvernement, que l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers du 16 septembre 2019 ne pouvait, en droit belge, devenir définitif qu’après l’expiration du délai de 30 jours prévus pour introduire un pourvoi en cassation administrative, délai durant lequel le requérant a introduit, le 2 octobre 2019, un tel pourvoi. Ce pourvoi n’étant pas suspensif, un nouvel ordre de quitter le territoire avec maintien en vue de l’éloignement a été adopté le 26 septembre 2019 pour une durée de deux mois, courant jusqu’au 25 novembre 2019. Ce quatrième titre de détention reposait sur l’article 74/14 § 3, 3o de la loi sur les étrangers. Il était motivé par le fait que le requérant se trouvait en situation irrégulière, ne disposait pas de titre de voyage et constituait une menace pour l’ordre public.
106. Eu égard à ce qui précède, la Cour n’aperçoit rien qui lui permette de douter que la détention du requérant entre le 16 septembre 2019 et 25 novembre 2019 respectait les voies légales.
c) Régularité de la détention
107. Selon une jurisprudence constante de la Cour, la poursuite d’un but autorisé et le respect des voies légales n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 de la Convention exige en outre que la détention se concilie avec la finalité générale de l’article 5 qui est de protéger le droit à la liberté et d’assurer que l’individu ne soit privé de sa liberté de manière arbitraire. Sur le terrain de l’article 5 § 1 f), la Cour a considéré que pour ne pas être taxée d’arbitraire, la mise en œuvre d’une mesure de détention doit se faire de bonne foi, elle doit être étroitement liée au but autorisé, les lieu et conditions de détention doivent être appropriés et la durée de la détention ne doit pas excéder le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi c. Royaume-Uni, précité, § 74).
108. La Cour a jugé que la notion d’arbitraire contenue à l’article 5 § 1 n’impliquait pas que la détention doive être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher l’intéressé de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal, précité, § 112). Dans des situations de vulnérabilité particulière, elle a également indiqué que des décisions de placement en détention des demandeurs d’asile sans appréciation individuelle des besoins spécifiques des intéressés pouvaient toutefois poser un problème au regard de l’article 5 § 1 f). Cette exigence vise à détecter si les intéressés présentent une vulnérabilité particulière qui s’oppose à la détention et, le cas échéant, à rechercher s’il est possible de leur substituer une autre mesure moins radicale (voir, K.G., précité, § 73, Thimothawes, précité, § 73, et Nikoghosyan et autres c. Pologne, no 14743/17, § 79, 3 mars 2022). Ainsi, par exemple, la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre (A.B. et autres c. France, no 11593/12, § 123, 12 juillet 2016).
109. En l’espèce, le requérant conteste la nécessité de sa détention et la durée exceptionnellement longue de celle-ci (paragraphes 79-80 ci-dessus).
i. Nécessité de la détention
110. La Cour relève que la situation du requérant ne pourrait être comparée avec celle d’autres requérants demandeurs d’asile qui présentaient une vulnérabilité particulière et à l’égard desquels la Cour a souligné la nécessité d’envisager une alternative à la détention (voir, en ce qui concerne les mineurs non accompagnés: Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, §§ 99-104, CEDH 2006-XI, Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 108-110, 5 avril 2011, et Housein c. Grèce, no 71825/11, § 76, 24 octobre 2013, et à propos des étrangers malades: Yoh-Ekale Mwanje, précité, § 124). Elle note par ailleurs que le requérant a eu accès aux soins médicaux (paragraphes 68-70 ci-dessus) et qu’il s’est vu proposer de recourir aux services de soutien psychologique du centre fermé mais qu’il n’a pas souhaité y donner suite (paragraphe 69 ci-dessus). Pour le surplus, le grief portant sur les conditions de détention du requérant sera examiné ci-après par la Cour (paragraphes 142-158 ci-dessous).
111. Eu égard à ce qui précède, il ne saurait être reproché aux autorités belges de ne pas avoir opté pour des alternatives à la détention du requérant (voir paragraphe 108 ci-dessus).
ii. Durée de la détention
112. La Cour a pour tâche de vérifier si la durée de la détention n’a pas excédé le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi (Saadi c. Royaume-Uni, précité, §§ 72-74). Ainsi, s’il y a eu des périodes d’inactivité de la part des autorités et, partant, un défaut de diligence, le maintien en détention cesse d’être justifié (Gallardo Sanchez c. Italie, no 11620/07, § 41, CEDH 2015).
113. En l’espèce, le requérant met en cause la durée totale de sa détention qui s’est étendue sur trente et un mois. Elle s’est ouverte le 20 septembre 2017 (paragraphe 11 ci-dessus) pour s’achever le 20 mars 2020 quand le requérant a été libéré (paragraphe 46 ci-dessus). Il pointe en particulier le manque de diligence des autorités dans l’examen de sa demande d’asile.
114. La Cour doit déterminer si la période considérée était excessive, et si les autorités internes ont poursuivi avec diligence les procédures internes afin de poursuivre leur but ultime d’éloignement du requérant. Elle aura pour cela égard à l’ensemble des procédures qui ont pu impacter la durée de la détention (voir, parmi d’autres, K.G., précité, §§ 82-87, E.K. c. Grèce, no 73700/13, § 97, 14 janvier 2021, et Komissarov c. République tchèque, no 20611/17, §§ 49-53, 3 février 2022).
115. La Cour est sensible au caractère particulièrement long de la détention administrative du requérant. Elle examinera attentivement cette durée au regard des circonstances concrètes de l’espèce et des justifications avancées par le Gouvernement.
116. S’agissant, tout d’abord, du déroulement de la procédure d’expulsion quand celle‑ci était possible, soit entre le 20 septembre 2017 et le 5 octobre 2017, la Cour a déjà constaté que les autorités belges avaient agi avec la diligence requise (paragraphes 93-95 ci-dessus).
117. En ce qui concerne, ensuite, l’examen de la (troisième) demande d’asile que le requérant a introduite le 6 octobre 2017, la Cour a déjà relevé les principales mesures prises quant à son instruction (paragraphe 95 ci‑dessus). La Cour admet que cette instruction était particulièrement complexe. Elle emportait des évaluations importantes liées à la clarification des risques effectivement encourus par le requérant en Algérie en raison de la situation générale dans ce pays mais aussi de sa situation personnelle. La Cour ne peut perdre de vue que ces évaluations sont dictées par l’article 3 de la Convention, tel qu’interprété dans sa jurisprudence (voir, en particulier, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, §§ 111-127, 23 mars 2016 et J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, §§ 77-105, 23 août 2016) et qui garantit un droit absolu (voir récemment et parmi d’autres, S. c. France, no 18207/21, §§ 96‑98, 6 octobre 2022, et références citées). Elle rappelle à cet égard que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter en veillant à l’harmonie et à la cohérence interne de ses différentes dispositions (voir, parmi d’autres, Mihalache c. Roumanie [GC], no 54012/10, § 92, 8 juillet 2019).
118. Parallèlement, la Cour relève que, tout au long de l’instruction de la demande d’asile, le cas du requérant impliquait des considérations tout aussi importantes liées à la sauvegarde de l’ordre et la sécurité publics, eu égard au profil dressé par les autorités belges, en l’occurrence les services de la Sûreté de l’État et de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace, et au risque de prosélytisme identifié par ces organes (paragraphes 20 et 29 ci-dessus). Au vu du risque réel de dangerosité présenté par le requérant mais aussi des condamnations pénales encourues (paragraphes 25 et 47), il n’appartient pas à la Cour de remettre en cause cette appréciation des autorités nationales qui n’apparaît ni arbitraire ni manifestement déraisonnable (voir notamment, mutatis mutandis, K.G., précité, § 74).
119. La Cour observe par ailleurs que saisies par le requérant à plusieurs reprises de demandes de remise en liberté (paragraphes 26-28 ci-dessus), les juridictions judicaires ont, à chaque fois, estimé que la détention du requérant était justifiée par des motifs tenant principalement à sa dangerosité et à la préservation de l’ordre public et de la sécurité nationale. Ces considérations ont été renforcées par la condamnation pénale intervenue le 20 avril 2018 pour appartenance à un groupe terroriste, le requérant n’ayant pas formé appel de cette décision (paragraphe 25 ci-dessus).
120. Compte tenu de ce qui précède la Cour estime que la durée de la détention du requérant n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, excédé le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi par les autorités belges, consistant en l’éloignement du requérant vers l’Algérie.
d) Conclusion
121. La Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION
122. Le requérant se plaint que le contrôle de sa détention opéré par les juridictions d’instruction et la Cour de cassation n’était pas d’une ampleur suffisante au sens de l’article 5 § 4 de la Convention pour s’étendre à chacune des conditions nécessaires à sa régularité. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »
A. Sur la recevabilité
123. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
124. Le requérant critique le contrôle exercé par le juge judiciaire sur sa privation de liberté qui, selon lui, était trop restrictif pour satisfaire aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Plus précisément, il se plaint que les juridictions judiciaires se sont limitées à un contrôle formel de la légalité de la détention sans examiner in concreto ni la réalité de sa dangerosité, ni les périodes pendant lesquelles il était impossible de l’éloigner, ni ensuite l’absence de perspective réaliste d’éloignement, ni ses conditions de détention. Il considère que la motivation des décisions des juridictions d’instruction ne fait apparaître aucune évolution dans la manière d’apprécier la détention du requérant malgré les changements ayant marqué les procédures d’asile et d’éloignement et le fait que l’évaluation de sa dangerosité n’a pas été réactualisée après l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017.
125. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a introduit des recours contre la majorité des décisions prises à son égard devant le juge administratif pour les mesures d’éloignement et devant le juge judiciaire pour les décisions de détention. En droit belge, si le juge administratif ne peut contrôler la légalité de la détention, le fait qu’il puisse annuler ou suspendre une décision d’expulsion entraîne de facto la fin de la détention qui avait pour but de l’exécuter. De son côté, le juge judiciaire vérifie si la détention a pour but l’expulsion, si les conditions légales d’une expulsion sont rencontrées et, dans la négative, ordonner la libération. En outre, tant le juge judiciaire qu’administratif exercent un contrôle au regard du droit interne et au regard de la Convention. Le Gouvernement estime que le contrôle pratiqué par les juridictions en l’espèce était suffisant, a contrario de A.M. c. France (no 56324/13, 12 juillet 2016). Le Gouvernement observe par ailleurs que la dernière saisine des juridictions d’instruction durant sa détention date du 20 décembre 2018.
126. S’agissant ensuite des conditions de détention, le Gouvernement souligne que le requérant s’en est plaint devant la Commission des plaintes, qui a répondu favorablement à sa requête.
127. Enfin, le Gouvernement estime que contrairement à d’autres arrêts concernant la Belgique (Firoz Muneer c. Belgique, no 56005/10, § 87, 11 avril 2013, M.D. c. Belgique, no 56028/10, § 46, 14 novembre 2013, Makdoudi c. Belgique, no 12848/15, §§ 68-74, 18 février 2020 et Muhammad Saqawat c. Belgique, no 54962/18, §§ 63-77, 30 juin 2020), la question de l’absence d’un contrôle juridictionnel effectif en raison d’un pourvoi déclaré sans objet ne se pose pas en l’espèce puisqu’aucun juge judiciaire n’a constaté l’illégalité de la détention du requérant et n’a ordonné sa libération.
2. Appréciation de la Cour
128. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 5 § 4 de la Convention, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire examiner par le juge le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté (A.M. c. France, précité, §§ 40-41, et références citées).
129. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard de l’article 5 § 1 (Chahal, précité, § 127). Le contrôle judiciaire exigé suppose que le juge puisse notamment contrôler que la détention est légale au regard du droit interne, qu’elle est conforme aux principes généraux consacrés par la Convention et qu’elle respecte la finalité de l’article 5 § 1 f) (A.M. c. France, précité, § 41).
130. La Cour note en l’espèce que le requérant a formé cinq demandes de remise en liberté devant les juridictions et que, postérieurement à celle introduite le 20 décembre 2018, il n’a plus par la suite introduit de nouvelle demande devant les juridictions d’instruction.
131. Elle note qu’en droit belge le contrôle de légalité pratiqué par les juridictions d’instruction porte sur la validité formelle de l’acte, notamment quant à l’existence de sa motivation et au point de vue de sa conformité tant aux règles de droit international ayant des effets directs dans l’ordre interne, qu’à la loi sur les étrangers. Ce contrôle implique également la vérification de la réalité et de l’exactitude des faits invoqués par l’autorité administrative, le juge examinant si la décision s’appuie sur une motivation que n’entache aucune erreur manifeste d’appréciation ou de fait (paragraphe 72 ci-dessus).
132. La Cour constate en l’espèce, à la lumière de la motivation retenue par les juridictions d’instruction (paragraphes 21, 24, 26-28 ci-dessus), que celles-ci ont systématiquement vérifié, tant au regard du droit interne que celui de la Convention, que la détention du requérant avait pour but son expulsion, que les autorités administratives se montraient diligentes sur ce terrain, que sa dangerosité avait été confirmée, et que la procédure d’asile poursuivait son cours.
133. En ce qui concerne les conditions de détention du requérant, la Cour observe que celui-ci ne les a jamais mises en cause devant les juridictions internes à proprement parler. Il s’est limité à mentionner dans le cadre de ses troisième, quatrième et cinquième requêtes de mise en liberté les effets sur sa santé physique et psychique de la durée de sa détention sans perspective de libération (paragraphes 26-28 ci-dessus). Á cet égard, la Cour note que le requérant a porté son grief tiré de ses conditions de détention devant la Commission des plaintes qui rendit le 8 mars 2018 une décision de levée partielle du régime appliqué au requérant (paragraphe 59 ci-dessus). Au moment où le requérant a introduit, le 18 mai 2018, la première de ces demandes de mise en liberté fondée sur les effets de sa détention sur sa santé, le régime de détention qu’il dénonçait avait donc déjà évolué.
134. Enfin, la Cour note que la présente affaire se distingue d’autres affaires concernant la Belgique dans lesquelles la Cour a constaté la violation de l’article 5 § 4 de la Convention du fait de l’application de la jurisprudence « sans objet » de la Cour de cassation (Muhammad Saqawat, précité, §§ 63‑77, et références citées). En effet, en l’espèce, aucune décision judiciaire n’a constaté l’illégalité de la détention (voir dans le même sens : Sabani c. Belgique, no 53069/15, §§ 67-68, 8 mars 2022).
135. Eu égard à ce qui précède, il ne peut être considéré que le contrôle de la détention du requérant opéré par les juridictions belges n’était pas d’une ampleur suffisante au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. La Cour estime dès lors qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
136. Le requérant se plaint que ses conditions de détention dans le centre fermé de Vottem étaient constitutives d’un traitement inhumain et dégradant. Il invoque l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
137. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
138. Le requérant se plaint principalement de son isolement pendant six mois au centre fermé de Vottem. Il fait valoir qu’il n’apparaît pas des pièces fournies par l’État qu’une décision de le placer en régime de chambre n’ait été formalisée ni qu’elle ait reposé sur une réévaluation du risque de prosélytisme mentionné par la Sûreté de l’État dans sa note de 2017. Selon le requérant, ce n’est, en tout état de cause, pas la note de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace de 2019 qui a pu justifier a posteriori une mesure prise en 2017. À cela s’ajoute qu’il n’a eu accès à aucun soin pendant les six premiers mois de sa détention en régime de chambre. Les rapports médico-psychologiques et les attestations du visiteur de l’association d’appui démontrent, selon lui, que les conditions de l’isolement et le manque de soins ont impacté son état de santé mentale ainsi que ses capacités cognitives et sociales.
139. Le Gouvernement fait valoir que le requérant n’a pas été placé à l’isolement mais qu’il a séjourné en « régime de chambre ». Le but des ailes avec un régime de chambre est d’accueillir en régime individualisé des résidents qui, par leur comportement, rendent difficile leur vie en groupe, d’éviter les cellules d’isolement pour les cas non disciplinaires et inadaptés au régime de groupe, de réduire les tensions dans les régimes collectifs, et d’adapter un régime « sur mesure » aux résidents qui ont des difficultés d’intégration. En ce qui concerne le requérant, les raisons tenaient au fait que, sortant du milieu carcéral où il venait de purger une peine pour actes de terrorisme, il était en outre considéré comme prosélyte extrémiste par l’Organe de coordination pour l’analyse de menace et impliqué successivement dans plusieurs groupes fondamentalistes violents qualifiés de terroristes. La crainte qu’il n’adopte une attitude prosélyte dans une aile classique à l’égard des autres résidents s’est d’ailleurs avérée, comme en atteste la note de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace de 2019.
140. Le Gouvernement souligne que pour faire suite aux plaintes du requérant, la direction a tenté de le faire rejoindre progressivement une aile normale. Toutefois, cela ne s’est pas avéré concluant compte tenu de son comportement asocial et prosélyte. Il a donc été décidé de déplacer le requérant dans une chambre isolée située loin des autres résidents et des lieux de vie. Quand le comportement du requérant a changé, il a été admis au régime ordinaire dans une chambre partagée dont il s’est également plaint.
141. Enfin, le Gouvernement estime qu’il n’est pas cohérent de se plaindre successivement d’être en régime de chambre où il bénéficiait de plus d’intimité et de ne pas avoir bénéficié d’une chambre individuelle.
2. Appréciation de la Cour
142. Le requérant se plaint du régime de chambre pendant les premiers mois de détention administrative au centre fermé de Vottem (paragraphes 53‑59).
143. La Cour rappelle que l’isolement cellulaire ne constitue pas, en soi, une violation de l’article 3 de la Convention. Si l’éloignement prolongé de toute relation avec autrui n’est pas souhaitable, la question de savoir si une telle mesure relève de l’article 3 dépend des conditions particulières, de la rigueur de la mesure, de sa durée, de l’objectif poursuivi et de ses effets sur la personne concernée (Rohde c. Danemark, no 69332/01, § 93, 21 juillet 2005, et Rzakhanov c. Azerbaïdjan, no 4242/07, § 64, 4 juillet 2013). Une interdiction de contact avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline ou de protection ne constitue pas en soi une peine ou un traitement inhumain (Ramirez Sanchez c. France ([GC], no 59450/00, § 123, CEDH 2006-IX). En revanche, un isolement sensoriel complet, couplé à un isolement social total, peut détruire la personnalité et constitue une forme de traitement inhumain qui ne peut être justifié par les exigences de la sécurité ou par toute autre raison (ibidem, § 120).
144. L’isolement cellulaire, même dans les cas n’entraînant qu’un isolement relatif, ne peut être imposé à un détenu indéfiniment et doit être fondé sur des motifs réels, ordonné seulement à titre exceptionnel avec les garanties procédurales nécessaires et après que toutes les précautions ont été prises (A.T. c. Estonie (no 2), no 70465/14, § 73, 13 novembre 2018). Afin d’éviter tout risque d’arbitraire, des raisons substantielles doivent être données lorsqu’une période prolongée d’isolement est prolongée. La décision doit ainsi permettre d’établir que les autorités ont procédé à une réévaluation qui tient compte de tout changement dans les circonstances, la situation ou le comportement du détenu (Csüllög c. Hongrie, no 30042/08, § 31, 7 juin 2011).
145. En l’espèce, le requérant a été placé au sein d’une aile spéciale pour détenus considérés comme « dangereux » pendant cinq mois et demi, soit du 26 septembre 2017 au 8 mars 2018 (paragraphes 53, 54 et 59 ci-dessus). La Cour constate qu’il y était soumis à un isolement partiel et relatif (voir notamment Ramirez Sanchez, précité, § 135) : il bénéficiait d’un régime de deux préaux individuels par jour, et faisait l’objet d’un contrôle visuel nocturne toutes les heures de 22 heures à 7 heures.
146. À partir du 8 octobre 2017, le requérant a été admis à partager la vie de groupe quelques heures par jour (paragraphe 55 ci-dessus). Toutefois, en raison d’incidents concrets attestant d’un comportement antisocial et prosélyte à l’égard des autres résidents, le requérant a à nouveau été placé en régime de chambre (paragraphe 58 ci-dessus). Un régime de groupe partiel a ensuite été instauré le 6 mars 2018 – peu avant la décision de la Commission des plaintes (paragraphe 59 ci-dessus) –, avant le passage à un régime de groupe ordinaire le 21 mars 2018 (paragraphe 60 ci-dessus).
147. Au vu de ce qui précède, la Cour peut donc suivre le Gouvernement lorsqu’il allègue que la détention du requérant a été réévaluée par la direction du centre en fonction du profil du requérant et de son comportement.
148. Le requérant se plaint qu’aucune décision autorisant le placement en régime de chambre ne lui a été fournie lors de son arrivée au centre fermé. Ce n’est que le 19 décembre 2017 que, par courrier, la direction du centre fermé, en réponse aux représentants du requérant, a indiqué que le régime de chambre avait été décidé en application de l’article 83/1 de l’arrêté royal du 2 octobre 2008 (paragraphe 57 ci-dessus). Ce courrier se référait aux motifs énoncés par l’arrêté de mise à disposition du Gouvernement du 8 décembre 2017 et au risque de prosélytisme qui en résultait. La Cour souligne que cette carence a légitimement participé à la perception par le requérant qu’il était soumis à une mesure arbitraire (paragraphe 144 ci-dessus). Toutefois, elle n’a pas privé la détention du requérant de sa base légale, et, en tout état de cause, elle ne pourrait conduire, en soi, à un constat de violation de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de détention subies par le requérant.
149. Le requérant allègue que les craintes des autorités belges au moment de son arrivée au centre pour le placer en régime de chambre étaient sans fondement. La Cour observe toutefois que la Sûreté de l’État a établi le 2 octobre 2017 une note soulignant que le requérant était connu pour sa radicalité et avait de nombreux contacts avec des personnes impliquées dans des dossiers terroristes (paragraphe 20 ci-dessus). La note de l’Organe de coordination pour l’analyse de menace établie le 8 décembre 2017 rappelait que le requérant était classé à un niveau 3 sur 4 sur l’échelle de gravité de la menace terroriste et extrémiste et qu’il s’était rallié activement à un groupe terroriste lors de son séjour en Syrie (idem). La Cour constate par ailleurs que la crainte que le requérant n’adopte une attitude asociale et prosélyte et procède à des recrutements dans une aile classique à l’égard des autres résidents s’est avérée par la suite (paragraphe 58 ci-dessus ; voir également paragraphe 47 ci-dessus).
150. La Cour note qu’aucun élément du dossier durant le maintien du requérant en régime de chambre n’a constaté de conséquences néfastes de l’isolement sur sa santé, que ce soit physique ou psychique. Sur ce point, la Cour relève que le requérant a eu accès aux services d’un médecin et a eu en 2018 la visite quotidienne d’un infirmier du centre et qu’il n’allègue pas que les soins qui lui ont été prodigués étaient inappropriés (paragraphes 66-70 ci‑dessus). Il a également refusé le suivi psychologique qui lui a été proposé, à sa demande, durant son isolement (paragraphe 69 ci-dessus).
151. Il apparaît enfin du rapport établi le 6 décembre 2018, plusieurs mois après la levée de l’isolement, que le requérant reconnaissait lui-même que le régime de chambre avait été plus adapté à sa situation (paragraphe 66 ci‑dessus).
152. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas été soumis, durant sa détention en régime de chambre au centre fermé de Vottem, à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
153. Partant, il n’y a pas eu de violation de l’article 3 de la Convention.
IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLEGUÉES
154. Le requérant soutient que si les mesures d’isolement en chambre au centre fermé de Vottem ne devaient pas être assimilables à un traitement contraire à l’article 3, elles peuvent toutefois tomber sous le coup de l’article 8 de la Convention.
155. La Cour constate que le requérant se limite à affirmer qu’en le maintenant à l’isolement, les autorités belges auraient manqué à leurs obligations de protéger son intégrité physique et morale au mépris de sa vie privée sans étayer plus avant ce grief (voir, a contrario, Wainwright c. Royaume-Uni, no 12350/04, § 43-49, CEDH 2006-X).
156. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint ensuite que ses conditions de détention à Vottem ne se sont pas améliorées à la suite du passage en régime de groupe et que dès son arrivée à la prison de Marche‑en-Famenne, il fut à nouveau placé à l’isolement sans qu’il n’ait été démontré qu’il remplissait les critères pour être isolé.
157. La Cour constate qu’outre le fait que ces griefs n’ont pas été soulevés devant les autorités internes, ils ne sont pas étayés.
158. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 f) et 4 et de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le régime de détention de chambre au centre fermé de Vottem recevables et les autres griefs irrecevables ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 avril 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier Président
Dernière mise à jour le avril 18, 2023 par loisdumonde
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