AFFAIRE DE VINCENZO c. ITALIE (Cour européenne des droits de l’homme) 24085/11

À l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre l’Italie et dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE DE VINCENZO c. ITALIE
(Requête no 24085/11)
ARRET
STRASBOURG
15 décembre 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire De Vincenzo c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Krzysztof Wojtyczek, président,
Ivana Jelić,
Erik Wennerström, juges,
et de Viktoriya Maradudina, greffière adjointe de sectionf.f.,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 novembre 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête dirigée contre l’Italie et dont la Cour a été saisie en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me De Jorio Filippo, avocat à Rome.

3. La requête a été communiquée au gouvernement italien (« le Gouvernement »).

4. En ce qui concerne le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1, le Gouvernement s’oppose à l’examen de l’affaire par un comité. Après avoir examiné l’objection, la Cour la rejette (Ventorino c. Italie, no 357/07, 17 mai 2011).

EN FAIT

5. Les précisionspertinentes sur la requête figurent dans le tableau joint en annexe.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 du Protocole no 1

6. Invoquant les articles 1, 6, et 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, la requérante se plaint principalementde l’inexécution ou de l’exécution tardive de la décision de justice interne rendue en sa faveur.

7. L’article 6 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 sont ainsi libellés en leurs parties pertinentes :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…), qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (…) ».

A. Sur la recevabilité

8. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des vois de recours internes en raison du fait que la procédure d’exécution était encore pendante.

9. À cet égard, la Cour rappelle qu’il n’est pas opportun de demander à un individu qui a obtenu une créance contre l’État à l’issue d’une procédure judiciaire de devoir par la suite engager la procédure ultérieure afin d’obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 19, 27 mai 2004). Dès lors, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.

10. Ensuite, le Gouvernement demande à la Cour de déclarer la requête irrecevable pour abus du droit de recours. Il fournit à la Cour des documents supplémentaires relatifs au développement de la procédure d’exécution. Il fait remarquer que l’intéressé n’avait pas porté à la connaissance de la Cour ces pièces qui, de son point de vue, étaient pourtant essentielles à la résolution de l’affaire, à savoir le fait que la décision interne avait été entretemps exécutée.

11. La Cour rappelle que, en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention, une requête peut être déclarée abusive notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés (Gross c. Suisse [GC], no 67810/10, § 28, CEDH 2014,Kérétchachvili c. Géorgie (déc.),no 5667/02, 2 mai 2006, Miroļubovs et autres c. Lettonie, no 798/05, § 63, 15 septembre 2009, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 97, CEDH 2012). Une information incomplète et donc trompeuse peut également s’analyser en un abus du droit de recours individuel, particulièrement lorsqu’elle concerne le cœur de l’affaire et que le requérant n’explique pas de façon suffisante pourquoi il n’a pas divulgué les informations pertinentes (Hüttner c. Allemagne (déc.), no 23130/04, 9 juin 2006, Predescu c. Roumanie, no 21447/03, §§ 25-26, 2 décembre 2008, et Kowal c. Pologne (déc.), no 2912/11, 18 septembre 2012). Il en va de même lorsque des développements nouveaux importants surviennent au cours de la procédure suivie devant la Cour et que, en dépit de l’obligation expresse lui incombant d’après l’article 47 § 7 du règlement de la Cour, le requérant n’en informe pas celle-ci, l’empêchant ainsi de se prononcer sur l’affaire en pleine connaissance de cause (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 97, et Miroļubovs et autres, précité, § 63). Toutefois, même dans de tels cas, l’intention de l’intéressé d’induire la Cour en erreur doit toujours être établie avec suffisamment de certitude(Al‑Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 89, 20 juin 2002, Melnik c. Ukraine, no 72286/01, §§ 58-60, 28 mars 2006, Nold c. Allemagne, no 27250/02, § 87, 29 juin 2006, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 97).

12. En l’espèce, la Cour note que, dans son formulaire de requête, le requérant a fourni des informations complètes sur son grief. La Cour possède les éléments essentiels à l’examen de l’affaire et trouve que les informations fournies par le Gouvernement et non communiquées par le requérant ne concernent pas un aspect crucial de l’affaire. En effet, le fait de savoir que les autorités internes aient enfin exécuté la décision interne avec plus de onze ans de retard n’a pas un impact décisif sur l’examen de la violation alléguée. En effet, au moment de l’introduction de la requête, la décision interne demeurait inexécutée depuis presque neuf ans. On ne saurait conclure des pièces supplémentaires versées au dossier par le Gouvernement que le requérant a abusé de son droit de recours individuel en l’espèce. Dès lors, cette exception est aussi à rejeter.

13. Enfin, le Gouvernement considère que le requérant n’est plus
« victime » de la violation alléguée de la Convention car le retard litigieux a été compensé par l’octroi d’intérêts moratoires et de la réévaluation monétaire.

14. À l’appui, le Gouvernement avance des arguments que la Cour a déjà rejetés dans plusieurs arrêts (voir, parmi les nombreux, Belperio et Ciarmoli c. Italie, no 7932/04, 21 décembre 2010, Gagliardi c. Italie [comité], no 29385/03, 16 juillet 2013, et Therapic Center S.r.l. et autres c. Italie [comité], no 39186/11, 4 octobre 2018). En particulier, la Cour rappelle que le paiement des intérêts légaux et de la réévaluation monétaire, peut passer comme étant de nature à compenser les dommages patrimoniaux causés par les retards dans l’exécution de décisions internes définitives, mais qu’il n’est de toute évidence pas à même de réparer la détresse et la frustration subies par le requérant en raison de tels retards. Étant donné qu’en l’espèce la requérante n’a pas obtenu la réparation du dommage moral, la Cour considère que la requérante peut toujours se prétendre « victime », au sens de l’article 34 de la Convention (Gagliardi, précité, § 64, et Therapic Center S.r.l. et autres, précité, § 16). Dès lors, il y a lieu d’écarter également cette exception.

15. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

16. La Cour rappelle que l’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention. Elle renvoie par ailleurs à sa jurisprudence concernant l’inexécution ou l’exécution tardive de décisions de justice internes définitives (Hornsby c.Grèce, no. 18357/91, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II).

17. Dans les arrêts de principe Ventorino c. Italie (no 357/07, 17 mai 2011), De Trana c. Italie (no 64215/01, 16 octobre 2007), Nicola Silvestri c. Italie (no 16861/02, 9 juin 2009), et Antonetto c. Italie (no 15918/89, 20 juillet 2000), la Cour a conclu à la violation au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.

18. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant à la recevabilité et au bien-fondé des griefs en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce les autorités n’ont pas déployé tous les efforts nécessaires pour faire exécuter pleinement et en temps voulu la décision de justice rendue en faveur de la requérante. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la non‑exécution de la décision en question a privé de tout effet utile le droit d’accès à un tribunal de la requérante et a porté atteinte à son droit au respect de ses biens.

19. Il s’ensuit que ces griefs révèlent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.

20. Au vu de ce qui précède la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief formulé par la requérante sous l’angle des articles 1 et 13 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

21. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

22. Eu égard aux documents en sa possession et à sa jurisprudence (Ventorino, précité, De Trana, précité, Nicola Silvestri, précité, et Antonetto, précité), la Cour estime raisonnable d’allouer lessommes indiquées dans le tableau joint en annexe.

23. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’exécution tardive d’une décision de justice interne ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré des articles 1 et 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, les sommes indiquées dans le tableau joint en annexe ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 décembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Viktoriya Maradudina                         Krzysztof Wojtyczek
Greffière adjointe f.f.                                Président

____________

ANNEXE
Requête concernant des griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole n⸰ 1
(inexécution ou exécution tardive de décisions de justice internes)

Numéro et date d’introduction de la requête Nom du requérant et année de naissance Nom et ville du représentant Décision de justice interne pertinente Date de début de l’inexécution Date de fin de l’inexécution

Délai d’exécution

Montant alloué pour dommage moral par requérant

(en euros)[1]

Montant alloué pour frais et dépens par requête

(en euros)[2]

24085/11

06/04/2011

Caterina

DE VINCENZO

1938

De Jorio Filippo

Rome

Cour de comptes du Latium, décision no 2147/2002, 29/07/2002 29/07/2002

 

14/02/2014

11 année(s) et 6 mois et 17 jour(s)

8 700 1 000

[1] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.

[2] Plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la partie requérante.

Dernière mise à jour le décembre 15, 2022 par loisdumonde

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