AFFAIRE DRONIC c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA (Cour européenne des droits de l’homme) 28650/05

À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28650/05) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Constantin Dronic (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales


DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DRONIC c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
(Requête no 28650/05)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
22 novembre 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dronic c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comitécomposé de :
Branko Lubarda, président,
Jovan Ilievski,
Diana Sârcu, juges,
et de Dorothee von Arnim, greffière adjointede section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 octobre 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28650/05) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant de cet État, M. Constantin Dronic (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 16 février 2021 (« l’arrêt au principal »), la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de la non-exécution de deux arrêts définitifs rendus en faveur du requérant en 1999 et 2002 respectivement, ordonnant aux autorités de restituer à celui-ci un immeuble et d’en évacuer les occupants (Dronic c. République de Moldova [comité], no 28650/05, 16 février 2021). En application du Protocole 14, la requête a été attribuée à un Comité.

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une satisfaction équitable de 276 300 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il estimait avoir subi. Cette somme représentait, selon lui, la valeur de l’immeuble litigieux (une maison et le terrain sur lequel celle-ci était située) ainsi que les intérêts moratoires. Il demandait également un dédommagement moral.

4. Dans son arrêt au principal, la Cour a alloué 3 600 EUR au titre du dommage moral. En revanche, elle a estimé que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvait pas en état pour le dommage matériel et l’a réservée. Elle a dès lors invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 32, et point 4 du dispositif).

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN DROIT

I. exception préliminaire du gouvernement

6. Le Gouvernement fait remarquer que les observations du requérant n’ont pas été rédigées dans l’une des langues officielles de la Cour, comme l’exigeait l’article 34 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »). Il soutient que rien n’indique dans le dossier que le requérant ait été autorisé à employer la langue russe dans la procédure écrite devant la Cour. Par conséquent, il invite cette dernière à ne pas prendre en compte les prétentions du requérant au titre du préjudice matériel.

7. La Cour note que, en application de l’article 34 § 3 du règlement, le président de la section a autorisé le requérant à employer la langue russe dans la procédure écrite devant elle. Il s’ensuit que les arguments du Gouvernement à ce sujet doivent être rejetés (voir, par exemple, mutatis mutandis, ÖnerAktaş c. Turquie, no 59860/10, § 29, 29 octobre 2013, et Aymelek c. Turquie [comité], no 15069/05, § 26, 30 janvier 2018).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

8. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

9. Mettant en exergue le fait que les décisions rendues en sa faveur ne sont toujours pas exécutées, le requérant réclame 35 000 euros (EUR) pour la maison et le terrain qui devaient lui être restitués par les autorités en vertu de ces décisions. Il soutient ne pas avoir été en mesure d’effectuer une évaluation exacte du bien litigieux, car il n’en aurait pas accès. Il fonde son estimation sur les offres équivalentes figurant sur un site Internet spécialisé dans les annonces en ligne.

10. En outre, le requérant demande 122 500 EUR pour le manque à gagner prétendument subi par lui. Cette somme représenterait le loyer qu’il estime avoir pu toucher s’il avait donné à bail l’immeuble litigieux durant toute la période de non-exécution des arrêts définitifs en question. Il fonde son estimation sur les offres commerciales disponibles sur Internet.

11. Enfin et alternativement à sa deuxième prétention, le requérant réclame 138 413,64 EUR au titre des intérêts moratoires calculés jusqu’à la date à laquelle il a fourni ses observations à la Cour. Il présente à ce titre un tableau détaillé relativement au calcul de ces intérêts.

12. Le Gouvernement rétorque que la prétention de 35 000 EUR, constituant l’estimation du requérant quant à la valeur du bien litigieux, est fondée sur des spéculations. Il fournit une lettre d’une agence immobilière indiquant que le prix de l’immeuble en question en 2002-2003, c’est-à-dire la période pendant laquelle, selon le Gouvernement, les décisions favorables au requérant auraient dû être exécutées, était de 8 000 EUR. Il indique que ces décisions ne peuvent plus être exécutées en raison du fait que le bien du requérant a déjà été privatisé par d’autres particuliers. Le Gouvernement soutient que la valeur de 2002 du bien litigieux, soit 8 000 EUR, devrait être prise en compte pour les besoins de la présente affaire. Il admet que le requérant pourrait prétendre à des intérêts moratoires pour le retard dans le paiement de cette somme. Il fournit son propre calcul détaillé de ces intérêts pour la période 2002-2021, le montant global étant de 27 806,53 EUR.

13. En tout état de cause, le Gouvernement avance que les prétentions du requérant au titre du préjudice matériel sont non étayées et inexactes.

14. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle un arrêt constatant une violation entraîne de manière générale pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder à la partie lésée, s’il y a lieu, la satisfaction qui lui semble appropriée (Molla Sali c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no20452/14, § 32, 18 juin 2020). Elle redit également que le but des sommes allouées à titre de satisfaction équitable est uniquement d’accorder une réparation pour les dommages subis par les intéressés dans la mesure où ils constituent une conséquence de la violation ne pouvant pas, en tout cas, être effacée (Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan (recours en manquement) [GC], no 15172/13, § 156, 29 mai 2019).

15. En l’espèce, la Cour note que les parties s’accordent à dire que les décisions rendues en faveur du requérant ne peuvent pas être exécutées. Elle constate donc qu’une restitutio in integrum n’est pas possible dans la présente affaire et que le droit interne ne permet pas d’effacer intégralement les conséquences des violations constatées dans l’arrêt au principal.

16. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a certainement subi un préjudice matériel en raison de la violation de ses droits garantis par la Convention et qu’il convient de lui accorder une réparation à ce titre. Elle note, par ailleurs, que cela ne prête pas non plus à controverse entre les parties. Ces dernières sont toutefois en désaccord pour ce qui est notamment de la valeur du bien litigieux ainsi que du montant des intérêts moratoires. Sur ces points, il appartient à la Cour de se livrer à sa propre appréciation sur la base des informations dont elle dispose.

17. D’une part, la Cour relève que, s’il n’y avait pas le comportement illicite des autorités qui n’exécutent pas les décisions définitives rendues par les tribunaux, le requérant aurait eu à l’heure actuelle la possession du bien litigieux. C’est pourquoi, elle considère que la valeur marchande actuelle du bien doit être prise en compte (comparer avec Prodan c. Moldova, no 49806/99, § 76, CEDH 2004-III (extraits), et Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, §§ 90-101, 22 décembre 2009). En l’absence d’autres éléments, elle retient la valeur indiquée par le requérant, soit 35 000 EUR.

18. Pour ce qui est du manque à gagner demandé, la Cour remarque qu’il n’y a pas assez d’éléments dans le dossier pour accueillir cette prétention. Partant, elle la rejette.

19. Quant aux intérêts moratoires, elle estime que l’évaluation fournie par le Gouvernement offre une base de travail adaptée. En même temps, elle observe que le calcul du Gouvernement ne prend pas en compte la période d’inexécution de 1999 à 2002, et elle considère qu’un montant doit également être alloué pour cette période. Dans ces conditions et après s’être livrée à sa propre évaluation, la Cour accorde 30 000 EUR au titre des intérêts moratoires.

20. Au vu des considérations qui précèdent et des éléments fournis par les parties, elle alloue donc au requérant la somme globale de 65 000 EUR pour le préjudice matériel, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

21. Le requérant ne réclame aucune somme d’argent au titre des frais et dépens qu’il aurait engagés après l’adoption de l’arrêt au principal. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

22. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 65 000 EUR (soixante-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 novembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Dorothee von Arnim                      Branko Lubarda
Greffière adjointe                               Président

Dernière mise à jour le novembre 23, 2022 par loisdumonde

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *