Note d’information sur la jurisprudence de la Cour
Novembre 2022
I.M. et autres c. Italie – 25426/20
Arrêt 10.11.2022 [Section I]
Article 8
Obligations positives
Article 8-1
Respect de la vie familiale
Enfants contraints, pendant trois ans, aux rencontres avec leur père violent dans un environnement non protecteur et suspension de l’autorité parentale de la mère hostile à celles-ci : violation
En fait – En juillet 2014, la mère (la première requérante) quitta le domicile familial avec ses deux enfants (les deuxième et troisième requérant) en raison des violences que lui faisait subir le père, toxicomane et alcoolique. Elle déposa une plainte pénale contre lui et la procédure pénale pour mauvais traitements est toujours pendante.
En février 2015, le tribunal pour enfants constata que le père ne voyait plus ses enfants et l’autorisa à les rencontrer dans des conditions de « stricte protection » une fois par semaine, en présence d’un psychologue. Ces rencontres furent finalement organisées dans des lieux inadaptés à des conditions de « stricte protection » tels que dans la bibliothèque, sur la place principale et dans une salle de la mairie d’une commune et sans la présence d’un psychologue. À partir de mars 2016, les rencontres ont été marquées par une forte agressivité du père. La mère ayant pris le parti de ne pas conduire ses enfants aux rencontres prévues, le tribunal a décidé en mai 2016 de la considérer comme un parent hostile au rétablissement d’un rapport père-enfants et de suspendre son autorité parentale, ainsi que celle du père. Les rencontres ont été maintenues et les enfants avaient été laissé seuls avec le père, sans qu’aucune amélioration de la situation ne fût intervenue entre-temps et malgré les différents signalements de l’accroissement de son agressivité adressés à l’autorité judiciaire. Le tribunal n’a suspendu les rencontres qu’en novembre 2018, soit un an et neuf mois après le premier signalement. En 2019, le tribunal réintégra la mère dans son autorité parentale et déchut le père de la sienne.
En droit – Article 8 :
a) Sur la violation alléguée de l’article 8 dans le chef des enfants – Se pose la question de savoir si, compte tenu de l’ample marge d’appréciation dont il disposait, l’État défendeur a ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, étant entendu que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer.
Les rencontres entre les enfants et leur père n’ont pas eu lieu selon la décision du tribunal les autorisant dans des conditions de stricte protection. De plus, le psychologue n’a été désigné que tardivement (en décembre 2015). Tout au long de cette période, les enfants ont été contraints de rencontrer leur père dans des conditions qui n’étaient pas rassurantes et ne garantissaient pas leur tranquillité et leur épanouissement, alors même que le tribunal avait été averti que le père ne suivait plus son programme de désintoxication, et que la procédure pénale ouverte contre lui pour mauvais traitements était pendante. Le tribunal avait aussi été informé que les enfants avaient besoin de suivre un parcours de soutien psychologique, mais il ne semble pas avoir tenu compte de leur bien-être d’autant plus que ces rencontres les ont exposés à la fois à être témoins des violences commises à l’encontre de la mère et à celles qu’ils ont subies directement du fait de l’agressivité de leur père.
Ces rencontres (pendant environ trois ans) ont perturbé l’équilibre psychologique et émotionnel des enfants. La Cour ne comprend alors pas pourquoi le tribunal, auquel des signalements avaient été adressés dès 2015, a décidé de les maintenir. Il n’a à aucun moment évalué le risque auquel les enfants étaient exposés et n’a pas mis en balance les intérêts en présence en faisant apparaître que l’intérêt supérieur des enfants devaient l’emporter sur l’intérêt de leur père à maintenir des contacts avec eux et à poursuivre les rencontres. Ainsi, nonobstant les efforts déployés par les autorités pour maintenir le lien entre les enfants et leur père, leur intérêt supérieur à ne pas être contraints à des rencontres se déroulant dans des conditions ne garantissant pas un environnement protecteur a été méconnu.
Conclusion : violation (unanimité).
b) Sur la violation alléguée de l’article 8 dans le chef de la mère – La décision de suspendre la mère de son autorité parentale constitue une ingérence dans son exercice de son droit au respect de la vie familiale, prévue par la loi, et poursuivant les buts légitimes de la « protection de la santé » et « des droits et libertés » des enfants.
Les décisions des juridictions internes en l’espèce n’ont pas tenu compte : des difficultés ayant marqué le déroulement des rencontres, du manque de sécurité signalé à plusieurs reprises par les divers intervenants, de la situation de violence vécue par la mère et ses enfants, et de la procédure pénale pendante contre le père pour mauvais traitements.
La suspension de l’autorité parentale n’a pas provoqué un changement de domicile des enfants, qui sont restés chez leur mère. Toutefois, elle entraîne, en droit italien, la privation du droit de prendre des décisions dans l’intérêt des enfants, de les représenter légalement et d’influer de la sorte sur leur développement personnel, même si le parent dont l’autorité parentale a été suspendue cohabite avec eux.
La Cour partage les inquiétudes du GREVIO quant à l’existence d’une pratique, très répandue parmi les tribunaux civils, consistant à considérer les femmes qui invoquent des faits de violence domestique pour refuser de prendre part aux rencontres de leurs enfants avec leur ex-conjoint et s’opposer au partage de la garde avec lui ou à ce qu’il bénéficie d’un droit de visite comme des parents « non coopératifs » et donc des « mères inaptes » méritant une sanction.
La Cour n’est pas convaincue que les autorités internes aient justifié par des motifs pertinents et suffisants la suspension pendant trois ans de l’autorité parentale de la mère. Les juridictions n’ont pas examiné avec soin sa situation. Elles ont pris leur décision en se fondant sur son comportement prétendument hostile aux rencontres et à l’exercice de la coparentalité par le père, sans tenir compte de tous les éléments pertinents de l’affaire.
Conclusion : violation (unanimité).
Article 41 : 7 000 EUR pour préjudice moral conjointement aux enfants (deuxième et troisième requérants).
(Voir aussi Eremia c. République de Moldova, 3564/11, 28 mai 2013, Résumé juridique)
Dernière mise à jour le novembre 10, 2022 par loisdumonde
Laisser un commentaire