Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 267
Octobre 2022
Arrêt 13.10.2022 [Section V]
Article 14
Discrimination
Modalités d’accès à la nationalité française distinctes selon que les personnes nées en France, de parents d’origine algérienne nés français, sont nées avant ou après l’indépendance de l’Algérie : non-violation
En fait – Jusqu’à l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, les personnes nées sur le territoire français de l’Algérie possédaient tous la nationalité française. Il existait deux statuts juridiques distincts. La quasi‑totalité de la population avait un statut civil de droit local (loi musulmane). Relevaient du statut civil de droit commun (code civil français) ceux qui avaient fait une requête spécifique en ce sens auprès d’un tribunal.
En application de l’ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962, les personnes relevant du statut civil de droit local originaires d’Algérie et leurs enfants ont eu la possibilité, en France, de se faire reconnaître la nationalité française en souscrivant une déclaration de reconnaissance de la nationalité française jusqu’au 23 mars 1967.
Par ailleurs, la loi du 9 janvier 1973 a prévu que les enfants d’Algériens nés en France après le 1er janvier 1963 pouvaient bénéficier de la règle d’attribution de la nationalité française par la double naissance en France de l’enfant et de l’un de ses parents.
Le requérant, né en France, avant l’indépendance de l’Algérie de parents nés français en territoire français d’Algérie relevant du statut de droit local, ayant vécu sans discontinuité en France et ayant été titulaire d’une carte d’identité française et d’une carte d’électeur, a vu rejetée sa demande de certificat de nationalité française par la greffière en chef du tribunal d’instance en décembre 2011. Mineur lors de l’indépendance de l’Algérie, il a perdu la nationalité française après l’indépendance faute pour son père d’avoir souscrit une déclaration de reconnaissance de la nationalité française. Ses frères et sœurs nés après l’indépendance de l’Algérie, sont français.
Les recours du requérant contre cette décision n’aboutirent pas.
Le requérant se plaint d’être victime d’une discrimination fondée sur la date de naissance, au sein d’une même fratrie, entre les personnes nées en France, avant l’indépendance de l’Algérie, de parents nés Français, et les personnes nées en France, après l’indépendance de l’Algérie, de parents nés Français.
En droit – Article 14 combiné avec l’article 8 :
a) Applicabilité – Bien que le droit à la nationalité ne soit pas en tant que tel garanti par la Convention ou par ses Protocoles, une déchéance arbitraire de nationalité peut poser un problème au regard de l’article 8. La nationalité est un élément de l’identité des individus. Ainsi les faits de l’espèce tombent sous l’empire de l’article 8, de sorte que l’article 14 peut être invoqué en combinaison avec cette disposition.
Conclusion : Article 14 combiné avec l’article 8 applicable.
b) Fond – La différence de traitement dénoncée par le requérant concerne des personnes dont les parents sont nés Français sur le territoire français d’Algérie, relevaient du statut civil de droit local, et ont perdu la nationalité française après l’indépendance de l’Algérie faute d’avoir souscrit une déclaration de reconnaissance de la nationalité française, selon que ces personnes sont nées avant ou après l’indépendance de l’Algérie. Le critère de différenciation dont se plaint le requérant se rattache donc aux circonstances de la naissance et plus précisément à la date de celle-ci. Il s’agit ainsi principalement d’un critère temporel qui renvoie directement à celui de la « naissance », qui est un motif de discrimination expressément prohibé par l’article 14.
Ceci étant, hormis le fait qu’il est né avant l’indépendance de l’Algérie alors que ses frères et sœurs sont nés après cette date et que leurs parents n’avaient plus la nationalité française à la naissance de ces derniers, le requérant se trouve quant aux circonstances de sa naissance dans une situation analogue à la leur : tous sont nés en France métropolitaine des mêmes parents, nés Français sur le territoire français d’Algérie. Les similitudes entre la situation du requérant et celle de ses frères et sœurs apparaissent ainsi prédominantes par rapport aux différences.
Quant au but de la différence de traitement entre l’un et les autres, il s’agissait, dans le contexte de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, de maintenir l’unité familiale au moment du transfert de souveraineté en faisant en sorte que les enfants mineurs suivent la condition de leurs parents au regard de la nationalité française.
La légitimité de ce but est d’autant moins contestable qu’il est lié à la décision souveraine de la France de laisser aux personnes qui relevaient du statut civil de droit local et qui étaient donc éligibles à la nationalité algérienne au moment de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, le choix de conserver ou non la nationalité française, plutôt que de leur imposer de la garder. Des considérations de sécurité juridique justifiaient en outre que le dispositif soit temporaire.
Concernant le rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but légitime visé, la France disposait d’une large marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure il était justifié d’opérer une distinction, s’agissant des modalités d’accès à la nationalité française, entre les enfants mineurs de personnes qui relevaient du statut civil de droit local selon la date de leur naissance, avant ou après l’accession de l’Algérie à l’indépendance. Cette distinction était à l’époque en adéquation avec le but légitime poursuivi dès lors que la question du maintien de leurs parents dans la nationalité française se posait précisément en raison et dans le contexte de l’accession de l’Algérie à l’indépendance.
Concernant l’impact sur la situation du requérant, le droit français lui offrait plusieurs moyens pour recouvrer la nationalité française : par voie de déclaration, sur le fondement de la possession d’état de Français, par voie de naturalisation, et par voie de réintégration. La troisième option, sur laquelle le ministre de la Justice, le ministre de l’Intérieur et la cour d’appel ont attiré l’attention du requérant, semble spécialement appropriée à sa situation.
Au vu des pièces du dossier, la Cour, qui relève que l’issue de cette procédure n’est pas susceptible de se heurter à une tardiveté, ne doute pas, si le requérant décidait de solliciter sa réintégration dans la nationalité française, de la particulière célérité avec laquelle les autorités nationales donneront suite à sa demande.
Certes, la possibilité de recouvrer la nationalité française ne répond pas entièrement au grief du requérant, au cœur duquel se trouve ce qu’il perçoit comme une négation rétroactive d’un élément de son identité, résultant de ce que, bien qu’il soit né Français en France et qu’il y ait été durablement identifié comme tel puisqu’il disposait d’une carte d’identité française et d’une carte d’électeur, les juridictions françaises ont retenu alors qu’il avait soixante-deux ans qu’il avait cessé d’être français à partir de l’âge de six ans.
Néanmoins, la différence de traitement entre le requérant et ses frères et sœurs ne porte pas sur le principe même de l’accès à la nationalité française mais sur les modalités de l’accès à celle-ci, ce qui relativise significativement son impact sur son droit au respect de la vie privée.
Si l’État défendeur a commis une erreur en délivrant une carte d’identité et une carte électorale à une personne qui n’avait plus la nationalité française, cette circonstance, aussi regrettable soit‑elle, et quelles qu’aient pu être ses conséquences sur le droit au respect de la vie privée du requérant, est sans incidence sur la seule question soumise à l’examen de la Cour, relative au caractère discriminatoire ou non de la différence de traitement dénoncée.
Dans ces conditions, et compte-tenu de la large marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur, les moyens employés étaient proportionnés au but légitime visé. La différence de traitement dénoncée par le requérant, dans la jouissance du droit au respect de la vie privée, repose donc sur une justification objective et raisonnable.
Conclusion : non-violation (unanimité).
Dernière mise à jour le octobre 14, 2022 par loisdumonde
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