Vegotex International S.A. c. Belgique (Cour européenne des droits de l’homme)

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 245
Novembre 2020

Vegotex International S.A. c. Belgique49812/09

Arrêt 10.11.2020 [Section III]

Article 6
Procédure administrative
Article 6-1
Procès équitable

Dette fiscale éteinte par l’effet rétroactif d’une jurisprudence et ensuite rétablie, toujours en cours du litige et aux fins de la sécurité juridique, par une loi rétroactive mais prévisible: non-violation

En fait – En 1995, l’administration des impôts rectifia une déclaration fiscale de la société requérante et lui appliqua une majoration de 10 % sur le montant dû. La requérante s’engagea dans les voies de recours. En octobre 2000, l’administration lui signifia un commandement de payer, mentionnant explicitement que cet acte visait à interrompre la prescription de la créance fiscale.

Dans un arrêt du 10 octobre 2002 – alors que son affaire était pendante en première instance – la Cour de cassation adopta une jurisprudence nouvelle, selon laquelle ce type d’acte n’avait pas d’effet interruptif dans un cas comme le sien. Il en résultait que sa dette fiscale était prescrite depuis le 15 février 2001 (soit une date antérieure à l’apparition même de cette jurisprudence).

La requérante s’y référa pour la première fois en avril 2004, lorsqu’elle saisit la cour d’appel. Mais en juillet 2004, le législateur intervint pour contrer cette jurisprudence et conforter la pratique administrative antérieure, par une loi immédiatement applicable aux instances en cours. Cette loi lui fut appliquée par la Cour de cassation, qui rejeta donc son pourvoi.

En droit – Article 6 § 1 : Quand elle a introduit son appel, la requérante pouvait légitimement s’attendre à ce que sa dette fiscale se voie déclarée prescrite en application de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation. L’intervention du législateur a, au contraire, eu pour conséquence la poursuite du recouvrement de l’impôt dû et de la majoration y afférente dans les affaires où, selon cette nouvelle jurisprudence, la prescription était acquise, même si elle n’avait pas encore été constatée par une décision judiciaire. Tel était le cas de la requérante. C’est donc uniquement du fait de l’application rétroactive de la disposition litigieuse que sa dette fiscale de la requérante n’a pas été déclarée éteinte. L’intervention du législateur a donc orienté de manière décisive le dénouement judiciaire du litige auquel l’État était partie.

Lorsqu’une procédure fiscale concerne une majoration d’impôt, elle relève certes de la notion d’« accusation en matière pénale », selon le sens autonome donné à celle-ci par la Cour (critères Engel). Dans diverses affaires relatives à des questions de prescription pénale sous l’angle des articles 6 ou 7 de la Convention, la Cour a eu l’occasion de conclure à l’absence de violation de ces dispositions en relevant que les faits reprochés aux requérants n’étaient pas encore prescrits au moment de l’entrée en vigueur de la loi litigieuse. Dans la présente affaire, cependant, le délai de prescription applicable à la dette fiscale de la requérante était déjà expiré au moment où la loi nouvelle est entrée en vigueur. Cela étant, les majorations d’impôt ne faisant pas partie du noyau dur du droit pénal, les garanties offertes par l’article 6 ne doivent pas nécessairement s’appliquer dans toute leur rigueur.

Les arguments suivants convainquent la Cour que la rétroactivité litigieuse était éminemment justifiée. Il ne s’agissait pas simplement de préserver les intérêts financiers de l’État.

Ainsi qu’il ressort des arrêts rendus par la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation – qui n’ont rien trouvé de fallacieux dans l’intervention du législateur –, la sécurité juridique avait été mise à mal par l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2002. En confirmant la légalité de la pratique administrative antérieure, dont la légitimité n’avait pas sérieusement été mise en cause, la disposition rétroactive litigieuse visait à neutraliser l’effet lui-même rétroactif de cette jurisprudence. L’intervention n’était donc pas imprévisible, puisqu’il s’agissait ainsi de réaffirmer l’intention initiale de l’administration.

Par ailleurs, il s’agissait également d’assurer que les impôts soient payés par ceux qui en étaient redevables, pour éviter une discrimination arbitraire entre différents contribuables.

Ces intentions du législateur sont à comprendre à la lumière de la chronologie de la présente affaire. Devant le tribunal de première instance, la requérante n’invoquait aucunement une quelconque prescription de sa dette. Jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2002, elle semblait considérer elle-même – à l’instar des autres contribuables – que la prescription avait été interrompue par le commandement de payer. Ce n’est que postérieurement à cet arrêt que la requérante s’est mise à espérer, de manière inattendue, pouvoir bénéficier d’une jurisprudence nouvellement apparue. Par conséquent, la requérante ne pouvait pas être surprise par la réaction du législateur.

Ainsi, l’intervention litigieuse était bien dictée par un impérieux motif d’intérêt général : celui de rétablir l’interruption de la prescription par des commandements signifiés bien avant l’arrêt de la Cour de cassation de 2002, et de la sorte permettre la résolution des litiges pendants devant les tribunaux, sans pour autant préjuger des droits substantiels des contribuables.

Conclusion : non-violation (unanimité).

(Voir aussi OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France, 42219/98 et 54563/00, 27 mai 2004, Note d’information 64, et National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 21319/93 et al., 23 octobre 1997, Note d’information ; a contrario (violation) : Maggio et autres c. Italie, 46286/09 et al., 31 mai 2011, Note d’information 141, SCM Scanner de l’Ouest Lyonnais et autres c. France, 12106/03, 21 juin 2007, Note d’information 98, et Arnolin et autres c. France, 20127/03 et 24 autres, § 76, 9 janvier 2007, Note d’information 93).

La Cour a conclu, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 6 § 1 quant à  la substitution de motifs opérée d’office par la Cour de cassation, celle-ci n’ayant méconnu ni le droit à une procédure contradictoire ni le droit d’accès à un tribunal, puisque la requérante avait la faculté de répondre aux conclusions de l’avocat général invitant à la substitution litigieuse.

La Cour a en revanche conclu à la violation de l’article 6 § 1 à raison de la durée de la procédure (calculée à partir du moment où la requérant a été informée de l’intention de l’administration fiscale de rectifier sa déclaration et de lui imposer une majoration d’impôt).

Article 41 : constat de violation suffisant pour réparer le préjudice moral ; demande au titre du dommage matériel rejetée.

Dernière mise à jour le décembre 3, 2020 par loisdumonde

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