AFFAIRE AGGELIS A.E. c. GRÈCE (Cour européenne des droits de l’homme) 26334/14

La requête concerne la fixation des indemnités d’expropriation d’un terrain dont la société requérante était propriétaire. L’intéressée allègue une violation de ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE AGGELIS A.E. c. GRÈCE
(Requête no 26334/14)
ARRÊT
STRASBOURG
29 septembre 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Aggelis A.E. c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

Krzysztof Wojtyczek, président,
Erik Wennerström,
Ioannis Ktistakis, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu la requête (no 26334/14) dirigée contre la République hellénique et dont une société anonyme, Aggelis A.E. (« la société requérante ») a saisi la Cour le 28 mars 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») les griefs formulés sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention,

Vu les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 septembre 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la fixation des indemnités d’expropriation d’un terrain dont la société requérante était propriétaire. L’intéressée allègue une violation de ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

EN FAIT

2. La société requérante, une société anonyme ayant pour objet l’exploitation d’un supermarché, est représentée par Me G. Gesoulis, avocat au barreau de Thessalonique.

3. Le Gouvernement est représenté par le délégué de son agent, M. K. Georgiadis, conseiller juridique de l’État.

4. Par une décision commune du 31 décembre 2002, le ministre de l’Économie et le ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics engagèrent une procédure d’expropriation concernant des terrains d’une superficie totale de 627 992 m² en vue de l’amélioration de la route nationale Ioannina-Antirrio. Parmi les terrains expropriés se trouvait celui de la société requérante dont la superficie s’élevait à 739 m² et dont une partie, soit 249 m², fut considérée comme étant avantagée par la construction de l’ouvrage (loi no 653/1977) et en conséquence sujette à l’« auto-indemnisation » en vertu de l’acte d’expropriation.

5. Le 30 avril 2004, l’État saisit le tribunal de première instance de Arta d’une demande tendant à la fixation de l’indemnité provisoire d’expropriation pour les terrains expropriés et leurs dépendances. Le 1er octobre 2004, l’audience devant le tribunal eut lieu. Par un jugement no 798/2004 du 12 novembre 2004, le tribunal fixa le montant de l’indemnité.

6. Le 25 avril 2005, l’État saisit la cour d’appel de Ioannina d’une demande visant à la fixation de l’indemnité définitive d’expropriation. Il demanda en particulier à la cour d’appel de ne pas accorder une indemnité spéciale pour la partie non expropriée du terrain de la société requérante dans la mesure où l’ouvrage ne faisait pas obstacle à l’activité de l’entreprise (l’exploitation d’un supermarché) qui y était installée.

7. Le 13 septembre 2005, la société requérante introduisit une demande reconventionnelle dans laquelle elle priait, entre autres, la cour d’appel de ne pas lui reconnaître la qualité de propriétaire riverain avantagé par l’ouvrage et de lui accorder une indemnité pour la partie du terrain exproprié soumise à l’auto-indemnisation. Elle réclamait aussi l’octroi d’une indemnité spéciale pour la dépréciation du bâtiment situé sur la partie non expropriée du terrain, y compris pour le manque à gagner subi par l’entreprise qui y était installée, qui serait causé par la construction de l’ouvrage.

8. Le 21 septembre 2005, la cour d’appel examina l’affaire, et le 19 janvier 2006, par un jugement avant dire droit no 33/2006, elle rejeta les demandes visant à l’octroi d’une indemnité pour le manque à gagner résultant de la cessation de l’activité des entreprises situées sur les terrains expropriés, au motif qu’un tel manque à gagner n’était pas couvert au sens de la Constitution par le droit à une indemnisation complète. Elle ordonna, par ailleurs, une expertise sur la valeur des terrains expropriés et la dépréciation des parties non expropriées et nomma des experts.

9. À l’issue de l’expertise, le 5 novembre 2008, la cour d’appel examina de nouveau l’affaire. Par un jugement no 225/2009 du 29 juin 2009, elle déclara la demande reconventionnelle irrecevable, au motif que celle-ci soulevait des questions distinctes de celles figurant dans la demande initiale de l’État, qui portait uniquement sur la fixation de l’indemnité définitive d’expropriation. Elle estima, en outre, que la date critique à laquelle le montant de l’indemnité définitive devait être déterminé était celle de l’audience du tribunal de première instance (1er octobre 2004), puisqu’un an ne s’était pas encore écoulé entre cette date et celle de la première audience de la cour d’appel (21 septembre 2005). Enfin, elle fixa le montant définitif de l’indemnité d’expropriation pour la partie expropriée du terrain qui n’était pas sujette à l’auto-indemnisation (490 m2 x 70 euros (EUR)) et accorda aussi une indemnité spéciale de 10 000 EUR pour compenser la dépréciation du bâtiment situé sur la partie non expropriée. Elle releva en particulier que la valeur du bâtiment en question, estimée à 1 million d’EUR, avait subi une dépréciation substantielle du fait qu’il n’avait plus un accès direct à l’ouvrage (la route nationale) et qu’il était exposé à la pollution atmosphérique et sonore résultant de son fonctionnement.

10. Le 17 juin 2010, la société requérante se pourvut en cassation. Premièrement, elle soutint que la date critique (soit le 1er octobre 2004) retenue par la cour d’appel pour le calcul du montant définitif de l’indemnité ne correspondait pas à la valeur des biens expropriés au jour de l’audience sur le fond de l’affaire ayant eu lieu devant elle (soit le 5 novembre 2008). Deuxièmement, elle estima que la juridiction d’appel, qui avait déclaré irrecevable sa demande reconventionnelle, avait retenu une interprétation très formaliste de l’article 20 § 5 du code des expropriations. Troisièmement, elle souligna que la cour d’appel n’avait pas tenu compte de l’activité de l’entreprise située sur la partie non expropriée du terrain lors du calcul de l’indemnité spéciale due pour le bâtiment abritant l’entreprise. Elle releva une contradiction entre le constat par cette juridiction de la dépréciation substantielle du bâtiment et l’octroi d’une indemnité spéciale équivalant uniquement à 1% de sa valeur. Elle estima enfin que la cour d’appel avait écarté sans motiver sa décision les rapports des experts nommés par elle.

11. Par un arrêt no 1061/2013 du 30 mai 2013, la Cour de cassation cassa partiellement l’arrêt de la cour d’appel pour un motif ne faisant pas l’objet de la présente instance, et rejeta le pourvoi de la société requérante pour le surplus. Elle confirma essentiellement les motifs retenus par la cour d’appel à propos de la date critique, du rejet de la demande reconventionnelle et du grief tiré de l’absence alléguée de la prise en compte de l’activité de l’entreprise sur la partie non expropriée du terrain. Sur ce dernier point, elle précisa que si la perte de la valeur d’une entreprise exerçant son activité sur un terrain exproprié n’était pas en tant que telle couverte au sens de la Constitution par le droit à une indemnisation complète, elle était prise en compte dans le calcul de la valeur du bien exproprié en tant que revenu y afférent. S’agissant de la date critique, la Cour de cassation, se référant à son arrêt no 14/2011 du 29 septembre 2011, rappela que pour vérifier si un an s’était écoulé depuis l’audience sur la fixation de l’indemnité provisoire, la date de référence était celle de l’audience à laquelle la cour d’appel appelait l’affaire et non celle à laquelle elle l’examinait au fond. Enfin, elle rejeta le moyen selon lequel la cour d’appel aurait fixé une indemnité spéciale insignifiante pour compenser la dépréciation du bâtiment situé sur la partie non expropriée du terrain sans tenir compte des rapports d’expertise, précisant qu’elle ne saurait remettre en cause l’appréciation souveraine des faits par cette juridiction.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

12. L’article 17 § 2 de la Constitution se lit ainsi :

« Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur du bien exproprié à la date de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal. Dans le cas d’une demande visant à la fixation immédiate de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur du bien à la date de l’audience du tribunal sur cette demande. Si l’audience portant sur la fixation de l’indemnité définitive a lieu plus d’un an après celle concernant la fixation de l’indemnité provisoire, est prise en considération la valeur du bien à la date de l’audience du tribunal sur la demande visant à la fixation de l’indemnité définitive (…) »

13. Les dispositions pertinentes du code des expropriations (loi no 2882/2001), dans leur version applicable à l’époque des faits, disposaient :

Article 13

« 1. L’indemnité doit être complète. Elle doit correspondre à la valeur du terrain exproprié à la date de l’audience sur l’affaire concernant la fixation provisoire de l’indemnité par le tribunal. Dans le cas d’une demande visant à la fixation immédiate de l’indemnité définitive, est prise en considération la valeur du terrain exproprié à la date de l’audience du tribunal sur cette demande. Si l’audience portant sur la fixation de l’indemnité définitive a lieu plus d’un an après celle concernant la fixation de l’indemnité provisoire, est prise en considération la valeur du terrain exproprié de l’audience du tribunal sur la demande visant à la fixation de l’indemnité définitive.

Sont notamment pris en compte comme critères pour l’appréciation de la valeur du terrain exproprié, la valeur, à la date critique, des terrains adjacents et similaires à celui-ci, telle qu’elle ressort de leur valeur objective et des prix apparaissant dans des contrats de vente immobilière établis au moment de l’annonce de l’expropriation, ainsi que les revenus résultant de l’exploitation du terrain exproprié.

2. Le changement éventuel de la valeur du terrain exproprié, survenu après la publication de l’acte annonçant l’expropriation et dû exclusivement à celle-ci, n’est pas pris en compte. En outre, n’est pas prise en compte une revalorisation due à des travaux effectués par le propriétaire sur le terrain exproprié qui ont eu lieu après l’acte annonçant l’expropriation et due exclusivement à celui-ci.

(…)

4. Dans le cas d’une expropriation d’une partie d’un terrain ayant pour conséquence que la partie restant au propriétaire subit une dépréciation ou devient inutilisable pour le but auquel il est destiné, la décision fixant l’indemnité due pour la partie expropriée du terrain détermine aussi l’indemnité spéciale pour la partie restant au propriétaire. Cette indemnité est versée avec celle due pour la partie expropriée. »

Article 20

« 5. Lorsqu’une action est introduite et est recevable, le défendeur peut déposer, dans les cinq jours avant les débats et sous peine d’irrecevabilité, une demande reconventionnelle pour les biens concernés par l’action visant à la fixation de l’indemnité définitive. »

14. Dans un arrêt rendu postérieurement à l’introduction de la présente requête, la Cour de cassation, s’alignant sur la jurisprudence de la Cour, a jugé qu’une demande reconventionnelle introduite en vertu de l’article 20 § 5 du code des expropriations est recevable à condition qu’elle porte sur le bien visé par demande principale de l’État, sans qu’il soit nécessaire qu’elle concerne les mêmes « chapitres » (questions) que ceux figurant dans ladite demande. Elle a précisé que toute interprétation contraire de cette disposition se heurterait au droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention (arrêt no 877/2015, 19 juin 2015).

15. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil dispose ce qui suit :

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actions ou omissions illégales commises par ses organes dans l’exercice de la puissance publique, sauf dans le cas où l’action ou l’omission en cause a méconnu une disposition existante dans le but de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

16. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, la société requérante reproche aux tribunaux internes de lui avoir imposé une « auto‑indemnisation » pour une partie de son terrain exproprié (249 m2) en déclarant irrecevable sa demande reconventionnelle tendant à la non‑reconnaissance de sa qualité de propriétaire riverain présumé avantagé par la percée d’une route nationale. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour considère qu’il y a lieu d’examiner ce grief uniquement sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (Radomilja et autres c. Croatie [GC], no 37685/10 et 22768/10, § 124, 20 mars 2018). La société requérante se plaint d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention dont la partie pertinente en l’espèce dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

A. Sur la recevabilité

17. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

18. La société requérante soutient que pour rejeter sa demande reconventionnelle les tribunaux internes ont retenu une interprétation extrêmement formaliste de l’article 20 § 5 du code des expropriations. Elle se réfère à l’affaire Anastasakis c. Grèce (no 41959/08, 6 décembre 2011) où la Cour avait déjà sanctionné pareille interprétation.

19. Le Gouvernement se réfère à l’arrêt no 877/2015 de la Cour de cassation, rendu postérieurement à l’introduction de la présente requête, qui s’aligne sur la jurisprudence de la Cour concernant l’interprétation de l’article 20 § 5 (paragraphe 14 ci-dessus).

20. La Cour rappelle les principes généraux relatifs au droit d’accès à un tribunal en matière civile (Naït‑Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, §§ 112‑116, 15 mars 2018, et Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, §§ 76‑79, 5 avril 2018). Elle rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il appartient d’interpréter le droit interne. Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, sa tâche se limite à déterminer si ses effets sont compatibles avec la Convention (Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018). Cela est vrai notamment s’agissant de l’interprétation par les tribunaux de règles de nature procédurale (voir, parmi d’autres, Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97 et 9 autres, § 33, CEDH 2000‑I). En outre, la réglementation relative aux formes à respecter pour introduire un recours vise certainement à assurer une bonne administration de la justice et les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. La Cour réaffirme toutefois que la réglementation en question ou l’application qui en est faite ne devrait pas empêcher les justiciables de se prévaloir d’une voie de recours disponible (Anastasakis, précité, §§ 23-24).

21. En l’espèce, la Cour a déjà eu l’occasion de se pencher sur l’article 20 § 5 du code des expropriations. Dans l’affaire Anastasakis, qui concernait une situation similaire à celle des requérants, elle a précisé que la règle appliquée par les juridictions internes pour se prononcer sur la recevabilité d’une demande reconventionnelle était une construction jurisprudentielle résultant de l’interprétation de l’article 20 § 5. Elle a observé toutefois que cette disposition imposait une condition de recevabilité, à savoir que la demande reconventionnelle devait être déposée dans les cinq jours avant les débats et devait porter sur le même bien que celui visé par la demande de fixation de l’indemnité définitive. La Cour a relevé que le refus par les juridictions internes d’examiner la demande du requérant (tendant à l’octroi d’une indemnité supplémentaire pour la perte due à la cessation de son activité commerciale) qui concernait un aspect de l’indemnité ayant pu lui être accordée à la suite de l’expropriation de son terrain, au motif que cette question ne figurait pas dans l’acte introductif d’instance alors que celui-ci avait été introduit par l’État, soulevait un problème au regard du droit de l’intéressé à l’accès à un tribunal. Se référant à l’arrêt Azas c. Grèce (no 50824/99, § 48, 19 septembre 2002) où elle avait consacré la nécessité d’avoir une procédure garantissant l’appréciation globale des conséquences d’une expropriation au regard de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour a estimé que des raisons d’économie procédurale justifiaient aussi, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, l’examen de la demande du requérant par la cour d’appel. Elle a ainsi conclu qu’en interprétant de la sorte l’article 20 § 5 du code des expropriations, les juridictions nationales avaient fait preuve d’un excès de formalisme qui avait méconnu le rapport raisonnable de proportionnalité devant exister entre le but visé et les moyens employés (Anastasakis, précité, §§ 26-31).

22. La Cour note avec satisfaction que, depuis que la Cour de cassation a rendu son arrêt no 877/2015, la jurisprudence de celle-ci s’est alignée sur celle de la Cour, issue de l’affaire Anastasakis (paragraphe 14 ci-dessus). Cela étant, cette nouvelle jurisprudence n’a aucune incidence sur la situation des requérants dont le cas a été tranché de manière définitive sous l’empire de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation (voir, mutatis mutandis, Molla Sali, précité, § 160). La Cour ne voit dès lors aucune raison de s’écarter de son approche dans ladite affaire.

23. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 CONCERNANT LA DATE CRITIQUE

24. La société requérante se plaint aussi que la cour d’appel ait calculé le montant des indemnités d’expropriation à une date antérieure (soit le 1er octobre 2004) à celle de l’audience sur le fond de l’affaire ayant eu lieu devant elle (soit le 5 novembre 2008). Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

25. Le Gouvernement excipe à titre principal du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que, dès lors que la société requérante n’a pas introduit une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la question factuelle de l’impact de l’écoulement d’une période de quatre ans sur le montant des indemnités et donc l’éventuelle perte financière subie par l’intéressée, n’a pas été examinée par les tribunaux compétents. Il soutient en outre que la société requérante ne peut pas se prétendre victime de la violation alléguée. Il explique que, pour qu’un dommage et donc une violation de l’article 1 du Protocole no 1 puissent être constatés, il doit être prouvé qu’il y a eu une différence substantielle entre la valeur de la propriété et partant le montant des indemnités à la date critique défendue par la société requérante (soit le 5 novembre 2008) et celle retenue par les tribunaux internes (soit le 1er octobre 2004). Or il fait valoir que les tribunaux nationaux n’ont jamais examiné cette question et considère que la Cour ne peut se substituer à cet égard aux autorités nationales.

26. La société requérante rétorque que l’exception doit être rejetée car la question de la détermination de la date critique, qui est une question juridique et non pas factuelle, a été dûment soumise aux juridictions nationales compétentes.

27. La Cour relève que le grief de la société requérante porte sur la date à la laquelle la valeur des biens affectés par l’expropriation et partant le montant des indemnités ont été calculés. Elle considère qu’en saisissant la cour d’appel, puis la Cour de cassation, d’un moyen relatif à la date critique, la société requérante a usé normalement des recours qui s’offraient à elle et qui concernaient en substance les faits dénoncés devant elle. En revanche, l’action sur le fondement de l’article 105 susmentionné, qui doit être introduite devant les juridictions administratives et non civiles, vise à réparer le dommage causé par les actions illégales commises par la puissance publique et ne saurait être exercée pour la réévaluation d’une indemnité d’expropriation dont le montant ne correspond pas, de l’avis du propriétaire, à la valeur réelle de ses biens le jour de l’audience sur la fixation de l’indemnité définitive d’expropriation (voir, mutatis mutandis, Poulimenos et autres c. Grèce, no 41230/12, §§ 31-33, 20 juillet 2017, et Tsigaras c. Grèce, no 12576/12, §§ 22-23, 14 novembre 2019.

28. Il s’ensuit que la requête ne saurait être écartée pour non-épuisement des voies de recours internes et qu’il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception formulée par le Gouvernement.

29. Quant à l’autre branche de l’exception du Gouvernement, tirée du défaut de qualité de victime de la société requérante, la Cour estime qu’elle est étroitement liée à la substance du grief soulevé par la société requérante sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Partant, elle décide de la joindre au fond.

30. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

31. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 et se référant à l’arrêt de la Cour rendu dans l’affaire Poulimenos, précitée, la société requérante soutient que la date critique retenue par les tribunaux grecs, sans tenir compte de l’écoulement du temps et de l’indexation des prix, a eu pour résultat d’aboutir à la fixation d’une indemnité dépréciée de 13,8 % par rapport à la valeur de ses biens le jour de l’audience sur le fond de l’affaire ayant eu lieu devant la cour d’appel.

32. Le Gouvernement reprend pour l’essentiel les arguments qu’il a avancés au titre de l’exception préliminaire (paragraphe 26 ci-dessus). Il nie l’existence d’une différence substantielle entre les indemnités accordées par la cour d’appel et celles qui auraient prétendument dû être octroyées à la société requérante si la date critique avait été celle défendue par elle. Il souligne aussi que les faits de la présente affaire diffèrent de ceux en cause dans l’affaire Poulimenos où la période écoulée entre la fixation de l’indemnité provisoire et la fixation de l’indemnité définitive était de plus de douze ans et non pas d’environ quatre ans comme en l’espèce.

33. La Cour rappelle les principes généraux découlant de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 60, 5 septembre 2017, et Tsigaras, précité, § 32). Elle note que, dans la mesure où la société requérante se plaint que la date critique retenue par la cour d’appel pour apprécier la valeur de ses biens a entrainé une dépréciation de son indemnité, la situation litigieuse relève de la première phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, qui énonce de manière générale le principe du respect des biens. Dès lors, la Cour doit rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si elle ne fait pas peser sur la société requérante une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. En particulier, le caractère adéquat de l’indemnité se trouverait diminué si son paiement faisait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur, tel l’écoulement d’un laps de temps que l’on ne saurait qualifier de raisonnable. Dans pareil cas, la Cour recherche principalement si l’administration a procédé à la réactualisation de la somme due pour compenser sa dépréciation en raison de l’écoulement du temps (voir, Tsigaras, précité, §§ 33-34, Poulimenos, précité, §§ 43-45, et les affaires qui y sont citées).

34. En l’occurrence, la Cour note d’emblée que, d’après l’article 17 § 2 de la Constitution, si l’audience concernant la fixation de l’indemnité définitive a lieu plus d’un an après l’audience sur la fixation de l’indemnité provisoire, il convient de prendre en compte la valeur du bien à la date de l’audience portant sur la fixation de l’indemnité définitive. La Cour a déjà pu en déduire que le but de cette disposition est de faire en sorte que la date critique pour la fixation de l’indemnité soit la date la plus proche de celle de son versement aux ayants droit, afin que la compensation soit « intégrale » comme l’exige ce même article (Tsigaras, précité, § 35, et Poulimenos, précité, § 46).

35. La Cour rappelle qu’en l’espèce le tribunal de première instance a procédé à la fixation de l’indemnité provisoire à la date de l’audience ayant eu lieu devant lui, c’est-à-dire le 1er octobre 2004. L’audience pour la fixation de l’indemnité définitive s’est tenue le 21 septembre 2005 devant la cour d’appel. Cependant, lors de cette audience, la cour d’appel a rendu un jugement avant dire droit no 33/2006 ajournant l’examen au fond de l’affaire et ordonnant une expertise. L’affaire n’a été examinée au fond que le 5 novembre 2008. Par un arrêt du 29 juin 2009, la cour d’appel a retenu comme date critique pour la détermination de la valeur des biens affectés par l’expropriation la date du 1er octobre 2004 au motif que la première audience sur la fixation de l’indemnité définitive s’était tenue le 21 septembre 2005, soit moins d’un an après l’audience sur la fixation de l’indemnité provisoire.

36. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de s’exprimer sur le montant exact de l’indemnité définitive que la société requérante devait percevoir en fonction des fluctuations des prix du marché, de l’inflation ou de toute autre éventuelle cause. Toutefois, eu égard au fait que plus de quatre ans s’étaient écoulés entre la date retenue pour l’évaluation du montant de l’indemnité définitive et la date à laquelle avait eu lieu l’audience au fond, la Cour note que les autorités internes ont fait abstraction des circonstances qui auraient pu faire en sorte que l’indemnité ne corresponde plus à la valeur du bien à cette dernière date (Tsigaras, précité, § 37, et Poulimenos, précité, §§ 51-52).

37. La Cour prend également note de l’argument du Gouvernement selon lequel les circonstances de la présente affaire diffèrent de celles de l’affaire Poulimenos, dans laquelle elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 parce que douze ans s’étaient écoulés entre la date qui avait été retenue pour la fixation de l’indemnité et la date à laquelle cette dernière avait été accordée. Elle rappelle avoir déjà rejeté un argument similaire dans l’affaire Tsigaras, estimant que nonobstant le fait que, dans une affaire, l’écart entre les deux dates avait été sensiblement plus long, les faits des deux affaires restaient similaires, car les juridictions internes n’avaient pas tenu compte de l’incidence que l’écoulement du temps aurait pu avoir sur la valeur du bien exproprié (Tsigaras, précité, § 38). La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de cette conclusion dans la présente espèce.

38. La Cour considère ainsi que la société requérante a dû supporter une charge disproportionnée et excessive qui a rompu le juste équilibre devant régner entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l’intérêt général (Tsigaras, précité, § 39, et Poulimenos, précité, § 53).

39. Partant, elle rejette l’exception du Gouvernement tirée du défaut de qualité de victime de la société requérante et constate qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

40. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 et l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante allègue en premier lieu que la cour d’appel n’a pas motivé sa décision de lui allouer une indemnité spéciale correspondant à 1% (c’est-à-dire 10 000 EUR) de la valeur du bâtiment situé sur la partie non expropriée du terrain en cause. Selon elle, le montant de cette indemnité tranche avec la reconnaissance par la cour d’appel de la dépréciation substantielle du bâtiment en question et s’éloigne entièrement de la conclusion des experts nommés par elle, qui avaient estimé que le dommage subi correspondait à 30 % de la valeur du bâtiment (c’est-à-dire 725 159 EUR).

41. La société requérante se plaint en second lieu que la cour d’appel, ayant fixé le montant de l’indemnité d’expropriation à un montant identique à celui accordé pour les terrains agricoles voisins et, surtout, lui ayant octroyé une indemnité spéciale équivalant seulement à 1% de la valeur du bâtiment en cause, n’a pas pris en considération l’activité de son entreprise et le manque à gagner causé par la construction de l’ouvrage. À l’appui de son grief, elle invoque l’affaire Lallement où la Cour a estimé que nonobstant la marge d’appréciation de l’État, lorsque le bien exproprié est l’outil de travail de l’exproprié, l’indemnité versée n’est pas raisonnablement en rapport avec la valeur du bien si, d’une manière ou d’une autre, elle ne couvre pas cette perte spécifique (Lallement c. France, no 46044/99, § 18, 11 avril 2002).

42. Le Gouvernement rétorque que la cour d’appel apprécie librement les moyens de preuve, y compris les rapports d’expertise qui ne revêtent aucune valeur probante supérieure. Selon lui, il est clair que cette juridiction, après avoir dûment examiné tous les éléments de preuve, a considéré que les estimations des experts étaient en l’espèce excessives. Il ajoute que le manque à gagner résultant de la cessation de l’activité d’une entreprise n’est pas au sens du droit national une composante distincte du droit à une indemnisation complète, mais qu’il est pris en compte lors de l’appréciation de la valeur du bien exproprié et donc de la fixation de l’indemnité.

43. La Cour relève d’emblée que, bien que présentés séparément dans la requête, ces deux griefs sont étroitement liés, comme le concède la société requérante dans ses observations. Maîtresse de la qualification juridique des faits, elle considère dès lors qu’il y a lieu de les examiner uniquement sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (Radomilja et autres, précité, § 124).

44. La Cour rappelle que l’État ne doit pas se trouver dans l’obligation d’indemniser un individu ou une société chaque fois que l’expropriation entraîne la cessation provisoire ou définitive de son activité, mais il ne semble pas déraisonnable que les juridictions internes tiennent compte de cet élément dans l’évaluation globale des effets de l’expropriation. Elle rappelle que l’article 13 du code des expropriations prévoit explicitement que les profits tirés de l’exploitation du terrain exproprié sont considérés comme des critères pour l’appréciation de la valeur du bien exproprié (Choromidis c. Grèce, no 54932/08, § 68, 26 juillet 2011, Anastasakis, précité, § 35, Lido AE c. Grèce (déc.), no 41407/06, 8 janvier 2009, Axioglou et autres c. Grèce (déc.), no 45145/06, 12 mars 2009, et Xypolias et Xypolia c. Grèce (déc.), no 48159/07, 2 juillet 2009).

45. En l’espèce, la Cour est confrontée à une situation différente dès lors que, ne prétendant pas que l’expropriation a eu pour effet de l’empêcher de poursuivre son activité, la société requérante continue de l’exercer sur la partie non expropriée du terrain. Après avoir pris en compte les différentes pièces qui lui avaient été soumises, la cour d’appel a constaté que dès l’instant où le bâtiment abritant l’entreprise n’avait plus un accès direct à la route nationale, la valeur de celui-ci avait subi une dépréciation substantielle, et de ce fait elle a accordé l’indemnité spéciale qui lui semblait la plus appropriée. Elle a en revanche fixé le montant de l’indemnité d’expropriation à un montant identique à celui accordé pour les terrains voisins.

46. La Cour ne saurait toutefois se substituer aux tribunaux grecs pour déterminer le montant de l’indemnité spéciale pour compenser la dépréciation du bâtiment situé sur la partie non expropriée du terrain ou de l’indemnité d’expropriation accordée pour la partie expropriée. Pour autant que la société requérante conteste le montant qui lui a été alloué, la Cour rappelle les circonstances d’une affaire où une entreprise, installée sur la partie expropriée d’un terrain, avait cessé de fonctionner et où l’indemnité spéciale accordée représentait 3% de la valeur de la partie non expropriée. Dans cette affaire, la Cour a jugé que si l’article 13 § 4 du décret-loi no 797/1971 relatif aux expropriations, applicable à l’époque, indiquait que la dépréciation devait être « substantielle » pour qu’une indemnité spéciale fût versée, il ne prévoyait pas de mode de calcul pour cette indemnité. Elle a ajouté que ce mode de calcul – et le montant de l’indemnité qui en découlait – relevait de l’appréciation souveraine des tribunaux (Choromidis, précité, § 66). Dès lors, il doit en aller a fortiori de même dans la présente espèce où la condition de la dépréciation « substantielle » n’avait pas été reprise par la loi no 2882/2001 dans sa version applicable à l’époque des faits (paragraphe 13 ci-dessus).

47. En tout état de cause, il n’y a aucun indice dans le dossier donnant à penser que les juridictions saisies ont fait preuve d’arbitraire dans la fixation des indemnités. Eu égard à la marge d’appréciation que l’article 1 du Protocole no 1 laisse aux autorités nationales (voir, mutatis mutandis, Choromidis, précité, § 69, Antonopoulou et autres c. Grèce, no 49000/06, § 41, 16 avril 2009, et Sampsonidis et autres c. Grèce, no 2834/05, § 47, 6 décembre 2007), la Cour considère que les montants alloués sont raisonnables au regard de la dépréciation réelle des biens en cause, notamment compte tenu du fait que l’entreprise située sur la partie non expropriée du terrain a continué de poursuivre son activité.

48. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

50. La société requérante réclame plusieurs sommes au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi du fait des violations alléguées. Elle demande en outre 15 000 euros (EUR) pour son préjudice moral.

51. Le Gouvernement considère que les sommes réclamées sont excessives et entièrement injustifiées.

52. La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du rejet par les tribunaux internes de la demande reconventionnelle de la société requérante portant sur l’auto-indemnisation et à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de la date critique retenue par les tribunaux internes. Certes, elle ne saurait spéculer sur ce qu’eût été le montant que la société requérante aurait reçu si les tribunaux internes avaient examiné sa demande reconventionnelle au fond ou retenu la date critique défendue par elle. Elle estime, toutefois, que l’intéressée a subi une perte de chances réelles de voir statuer sur ses prétentions et que la date critique retenue par les tribunaux nationaux lui a fait subir un préjudice matériel certain.

53. Considérant qu’il est impossible de quantifier précisément le préjudice subi par la société requérante, sur la base des pièces fournies par les parties, la Cour décide de statuer en équité (Kanaginis c. Grèce (satisfaction équitable), no 27662/09, § 26, 8 mars 2018).

54. À la lumière de ces considérations, la Cour juge raisonnable d’octroyer à la société requérante 10 000 EUR, tous chefs de préjudice confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B. Frais et dépens

55. La société requérante demande 3 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Elle précise que la rémunération de son conseil dépendra de l’issue de l’affaire et estime que la somme proposée est équitable au regard du taux de facturation horaire pratiqué en Grèce, c’est-à-dire 80 EUR.

56. Le Gouvernement considère que les conditions requises pour allouer cette somme ne sont pas remplies. En tout cas, la somme éventuellement octroyée au titre des frais et dépens ne saurait dépasser 500 EUR.

57. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, 19 octobre 2000).

58. En l’espèce, la Cour note que la société requérante n’a produit aucune facture ou note d’honoraires. Elle affirme qu’elle a conclu avec son conseil un accord qui semble s’apparenter à un accord de quota litis, à savoir un accord par lequel le client d’un avocat s’engage à verser à ce dernier, en tant qu’honoraires, un certain pourcentage de la somme qu’une juridiction pourrait lui octroyer (Iatridis, précité, § 55).

59. Il s’ensuit que, au vu du caractère futur des honoraires en question, la demande de la société requérante porte sur des frais et dépens hypothétiques dont la réalité ne peut pas être établie (Georgoulis et autres c. Grèce, no 38752/04, § 35, 21 juin 2007). Il convient donc de l’écarter.

C. Intérêts moratoires

60. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire tirée du défaut de qualité de victime soulevée par le Gouvernement et la rejette ;

2. Déclare recevables les griefs tirés du droit d’accès à un tribunal concernant le rejet de la demande reconventionnelle et de la date critique pour le calcul de l’indemnité d’expropriation, et le surplus de la requête irrecevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention concernant le rejet de la demande reconventionnelle ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention concernant de la date critique pour le calcul de l’indemnité d’expropriation ;

5. Dit,

a) que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans un délai de trois mois, 10 000 EUR (dix mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, tous chefs de préjudice confondus ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 septembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Liv Tigerstedt                           Krzysztof Wojtyczek
Greffière adjointe                          Président

Dernière mise à jour le septembre 29, 2022 par loisdumonde

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