Les requérants reprochent à la mairie l’exécution incomplète de l’arrêt du 23 mai 2003 rendu par la cour d’appel de Bucarest en leur faveur. Ils soutiennent que le refus par les autorités locales de leur verser l’intégralité de la somme qui leur a été octroyée par la cour d’appel les a privés du droit à un tribunal, au sens de l’article 6 de la Convention, et du droit au respect de leur bien garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE PAULESCU c. ROUMANIE
(Requête no 21700/15)
ARRÊT
STRASBOURG
5 juillet 2022
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Paulescu c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête (no 21700/15) contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État Mme Valeria Paulescu et M. Ioan Paulescu (« les requérants ») nés en 1940 et 1927 et résidant à Bucarest, représentés par Me D. Dragomir, avocate à Bucarest, ont saisi la Cour le 23 avril 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). À la suite du décès du second requérant, le 14 décembre 2019, la fille de celui-ci, Mme Paulescu Brânduşa-Florenţa a exprimé, le 22 avril 2021, le souhait de continuer l’instance. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’appeler Mme Valeria Paulescu et M. Ioan Paulescu « les requérants » bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à Mme Valeria Paulescu et Mme Paulescu Brânduşa-Florenţa (voir, mutatis mutandis, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 1, CEDH 1999-VI).
Vu la décision de porter les griefs concernant le défaut d’exécution par les autorités internes d’une décision définitive rendue en faveur des requérants, à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agent, Mme O. Ezer, du ministère des Affaires étrangères, et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 juin 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. Par un arrêt définitif du 23 mai 2003, la cour d’appel de Bucarest condamna la mairie de Bucarest et l’entreprise publique qui administrait le patrimoine immobilier locatif de la collectivité à rembourser aux requérants le prix payé en 1996, soit 29 783 085 lei roumains (ROL), pour l’achat d’un appartement nationalisé que les requérants avaient ensuite dû restituer aux anciens propriétaires. La cour d’appel jugea que la somme susmentionnée devait être actualisée selon le taux d’inflation depuis 1996 et jusqu’à la date du remboursement de ladite somme.
2. La mairie remboursa la moitié de la somme aux requérants, alors que l’entreprise refusa de verser l’autre moitié au motif que pour la vente de l’appartement elle avait agi en tant que mandataire de la mairie.
3. Les requérants reprochent à la mairie l’exécution incomplète de l’arrêt du 23 mai 2003 rendu par la cour d’appel de Bucarest en leur faveur. Ils soutiennent que le refus par les autorités locales de leur verser l’intégralité de la somme qui leur a été octroyée par la cour d’appel les a privés du droit à un tribunal, au sens de l’article 6 de la Convention, et du droit au respect de leur bien garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
L’APPRÉCIATION DE LA COUR
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1 à LA CONVENTION
4. Les requérants déplorent le refus opposé par les autorités locales à l’exécution complète de l’arrêt définitif du 23 mai 2003 prononcé par la cour d’appel de Bucarest.
5. Le Gouvernement admet qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire ne saurait rester inopérante au détriment d’une partie.
6. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
7. Les principes généraux concernant le défaut d’exécution par les autorités de décisions de justice contraignantes et exécutoires ont été résumés dans l’arrêt Fondation Foyers des élèves de l’Église réformée et Stanomirescu c. Roumanie (nos 2699/03 et 43597/07, §§ 55-60, 7 janvier 2014.
8. En l’espèce, après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente quant au bien-fondé des griefs en question.
9. Elle note que, par l’arrêt définitif du 23 mai 2003, la cour d’appel a condamné, solidairement, les deux parties défenderesses à rembourser le prix de l’appartement. Par ailleurs, elle constate que l’appartement a été vendu par une entreprise publique qui agissait, sous le contrôle de la mairie, au nom et pour le compte de cette dernière. Dès lors, les autorités locales ne sauraient s’opposer depuis plus de dix-sept ans à l’exécution complète de l’arrêt au motif que la mairie n’avait pas été la seule partie défenderesse dans la procédure interne.
10. Partant, il y a eu violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention.
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
11. Les requérants demandent 146 425 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’ils estiment avoir subi. Ils précisent que cette somme correspond à la valeur marchande de l’appartement. Ils réclament en outre 30 000 EUR pour dommage moral, ainsi que la somme de 8 269 EUR au titre des frais et dépens engagés dans la procédure interne et dans celle menée devant la Cour, justifiés par des quittances, dont des honoraires d’avocat d’un montant de 5 891 lei roumains (RON), soit environ 1 120 EUR, pour la procédure interne et 29 020 RON, soit environ 5 860 EUR, pour la procédure devant la Cour.
12. Le Gouvernement estime que les sommes demandées sont excessives. Il soutient que les frais réclamés pour la procédure interne ne concernent pas la procédure dont les requérants se sont plaints devant la Cour et que leur avocat n’a pas indiqué le nombre d’heures de travail fournies.
13. La Cour rappelle qu’elle vient de constater la violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention en raison de l’omission par les autorités locales de Bucarest de verser aux requérants l’intégralité de la somme qui leur a été octroyée par la cour d’appel de Bucarest. Dès lors, elle ne saurait condamner l’État à rembourser la valeur marchande de l’appartement.
14. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose et aux dispositions de l’arrêt de la cour d’appel, la Cour octroie aux requérants 20 000 EUR pour préjudice matériel. Compte tenu de la nature de la violation constatée et des circonstances en l’espèce, elle alloue également aux requérants 1 000 EUR au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
15. S’agissant de la demande de remboursement des frais et dépens, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour accorde aux requérants 3 000 EUR tous frais confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
16. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
3. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 20 000 EUR (vingt mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage matériel,
ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,
iii. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juillet 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président
Dernière mise à jour le juillet 5, 2022 par loisdumonde
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