La requête concerne les modalités de répartition de l’excédent de revenus d’une fondation, qui reposent sur une distinction fondée sur le sexe des ayants droits.
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE DİMİCİ c. TURQUIE
(Requête no 70133/16)
ARRÊT
Art 14 (+ Art 1 P1) • Discrimination • Obligations positives • Tribunaux appliquant, au détriment d’une femme et de ses héritiers, le statut d’une fondation privée du 16e siècle réservant un revenu aux descendants masculins du fondateur • Acte constitutif de la fondation appliqué par les tribunaux sans vérifier sa conformité à la Convention, à la Constitution ou aux lois
STRASBOURG
5 juillet 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Dimici c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Jon Fridrik Kjølbro, président,
Egidijus Kūris,
Branko Lubarda,
Pauliine Koskelo,
Jovan Ilievski,
Saadet Yüksel,
Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,
Vu :
la requête (no 70133/16) dirigée contre la République de Turquie et dont quatre ressortissants de cet État, Mmes Emine et Necla Dimici et MM. Ahmet et Şaban Yıldırım Dimici (« les requérants ») ont saisi la Cour le 22 octobre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 juin 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne les modalités de répartition de l’excédent de revenus d’une fondation, qui reposent sur une distinction fondée sur le sexe des ayants droits.
EN FAIT
2. Les dates de naissance et lieux de résidence des requérants figurent en annexe. Ces derniers ont été représentés par Me M. Gürcan, avocate à Istanbul.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, chef du service des droits de l’homme du ministère de la Justice, co-agent de la Turquie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.
I. La fondation Örfioğlu
4. La fondation Sadeddin Cübbavi Örfizade Eşşeyh Esseyyid Elhüseyni El Amidi Abdurrahman Bin Numan, également appelée fondation Örfioğlu (« la fondation »), fut créée à Diyarbakır en l’an 942 de l’Hégire (lequel correspond à l’année 1536 du calendrier grégorien).
5. Cette fondation, qui fut instituée à l’époque ottomane, jouit aujourd’hui de la qualité de fondation de droit turc (vakıf) et relève de la catégorie des fondations mülhak, c’est-à-dire gérée par les descendants du fondateur.
6. Les revenus de la fondation sont affectés à certaines œuvres de charité. L’excédent de revenu (galle) est versé aux « descendants du fondateur » (vakıf evladı) par degré de parenté en ligne directe (ordre générationnel) (batın tertibi).
7. D’après les requérants, le patrimoine de la fondation était estimé au 31 décembre 2015 à environ 660 millions de livres turques (TRY) (soit 207 millions d’euros (EUR) à cette date). Ses revenus annuels à la même époque étaient d’environ 12 millions de TRY (soit environ 3,7 millions d’euros).
8. Necmiye Dimici (« la de cujus »), était l’épouse du requérant Ahmet Dimici et la mère des trois autres requérants.
9. Le père de cette dernière, Şeyh Mehmet Ürfioğlu, fut administrateur de la fondation (vakıf mutevellisi) jusqu’à son décès en 1982. La fonction d’administrateur (tevliyet) fut plus tard confiée au fils du défunt, H.G., qui décéda à son tour en 2010.
II. L’enregistrement de l’acte constitutif original
10. Le 8 avril 2010, l’administrateur adjoint de la fondation requit de la direction générale des fondations (« DGF ») – l’autorité publique de contrôle et de tutelle des fondations – l’enregistrement de l’original de l’acte constitutif de la fondation (vakıf senedi). Il s’agissait d’un document en rouleau rédigé en alphabet arabe et daté du 11 Shawwal 942 (3 avril 1536).
11. Le représentant de la fondation précisa que c’était une copie (istinsah), qui avait initialement servi de fondement à l’enregistrement initial dans le cahier des constitutions (livre 580 page 38 ligne no 19) et non l’original.
12. Le service des affaires culturelles et du registre décida d’établir une commission chargée d’examiner la demande.
13. Le rapport conclut que le document présenté était effectivement l’original de l’acte constitutif et précisa qu’il existait des différences entre les dispositions de celui-ci et celles de la copie qui avait été enregistrée dans le cahier des constitutions. Les points suivants qui figuraient dans l’original avaient été omis dans la copie : « il convient de verser aux filles des descendants de sexe masculin une part sous forme de pension alimentaire (nafaka) et d’aide vestimentaire. Les fils des descendants de sexe féminin n’auront pas de parts ».
14. Le Conseil des Fondations de la DGF adopta les mêmes conclusions que ce rapport et accepta la demande d’enregistrement de l’acte constitutif.
III. La première procédure initiée par Necmiye Dimici et ses consorts
15. Le 16 septembre 2010, Necmiye Dimici et un certain nombre d’autres parents engagèrent une « action en reconnaissance de leur qualité de descendants du fondateur ayant droit à l’excédent de revenu » (galleye müstehak vakıf evlatlığının tespiti davası). L’action était dirigée contre l’administrateur de la fondation ainsi que contre la DGF, laquelle avait la qualité de partie défenderesse désignée par la loi (yasal hasım).
16. Le 23 décembre 2010, le tribunal de grande instance de Diyarbakır (« le TGI ») requit de la DGF qu’elle produise l’original et les copies enregistrées et non enregistrées de l’acte constitutif de la fondation Örfioğlu.
17. Dans son rapport du 15 août 2011, l’expert mandaté par le TGI pour examiner les documents en question rendit les conclusions suivantes :
– Le document en rouleau présenté à la DGF par la fondation était bien l’acte constitutif original et la décision du Conseil des Fondations de le reconnaître comme tel reposait sur des éléments scientifiques pertinents ;
– Cet acte avait été rédigé d’une manière qui présentait des répétitions, des redondances et des éléments qui pouvaient paraître contradictoires ;
– Il prévoyait que l’excédent de revenu devait être réparti entre les descendants de sexe masculin ;
– Il ajoutait qu’une part de l’excédent devait être versée aux filles des descendants de sexe masculin en guise d’aide vestimentaire et de pension alimentaire ;
– Il ressortait de cet acte que la part revenant aux femmes au titre de l’aide et de la pension susmentionnées devait être équivalente à celles revenant aux hommes ;
– L’acte disposait que les fils des descendants de sexe féminin n’avaient pas droit à l’excédent de revenus.
18. Tant l’administration de la fondation que la DGF contestèrent ces conclusions. Ils firent notamment valoir que l’expert s’était livré à une interprétation erronée du texte et qu’il avait présenté les éléments issus de son interprétation comme étant des dispositions de l’acte constitutif. Ils affirmèrent que le texte indiquait que les revenus devaient en premier lieu être affectés à l’entretien des bâtiments, en second lieu à une œuvre de charité (en l’occurrence la distribution aux nécessiteux de « 3 batmans[1] de halva au miel pendant les trois mois sacrés »), en troisième lieu à la pension alimentaire et à l’aide vestimentaire des filles des descendants de sexe masculin, et qu’ensuite seulement l’excédent devait être réparti. Il s’ensuivait selon eux que l’affirmation selon laquelle le montant versé aux femmes devait être équivalent à la part versée aux hommes était erronée.
19. À l’audience du 24 novembre 2011, le TGI requit d’un panel de trois experts qu’il présente un nouveau rapport qui examinerait les arguments des parties défenderesses. Par ailleurs, il fixa un délai de deux semaines pour le paiement par les parties demanderesses des frais de procédure.
20. Le 14 décembre 2011, la DGF présenta une nouvelle traduction de l’acte constitutif ainsi qu’un rapport, dont les parties demanderesses contestèrent la teneur.
21. Tant les documents présentés par la DGF que le mémoire des requérants furent transmis aux experts par le TGI.
22. Le 17 janvier 2012, le TGI rejeta l’action pour défaut de paiement des frais malgré l’avertissement émis le 24 novembre. Cette décision devint définitive le 15 février 2012, faute de pourvoi.
IV. La seconde procédure
23. Le 2 mars 2012, Necmiye Dimici et ses consorts introduisirent une nouvelle instance devant le TGI de Diyarbakır en vue de se faire reconnaitre la qualité de « descendants du fondateur ayant droit à l’excédent de revenu ».
24. Après avoir recueilli l’ensemble des documents pertinents, dont le dossier de la première procédure, le TGI requit d’un panel d’experts constitué de deux traducteurs assermentés maîtrisant l’arabe et le turc ottoman et d’un spécialiste en droit des fondations qu’ils traduisent l’acte constitutif et qu’ils établissent les droits que les dispositions de celui-ci entendaient accorder aux uns et aux autres.
25. Dans leur rapport du 15 janvier 2013, les experts confirmèrent qu’en vertu de l’acte constitutif les revenus de la fondation devaient être utilisés, dans l’ordre, pour les travaux d’entretien des bâtiments, pour une activité charitable et enfin pour la pension alimentaire et l’aide vestimentaire destinées aux filles des descendants de sexe masculin.
26. L’excédent devait être réparti en parts égales entre les descendants de sexe masculin. Les enfants des descendants de sexe féminin n’avaient quant à eux droit à rien, et ce quel que soit leur sexe.
27. En conclusion, les experts indiquèrent que les parties demanderesses ne pouvaient être considérées comme des « descendantes du fondateur ayant droit à l’excèdent de revenu ».
28. Les parties demanderesses contestèrent ces conclusions, en vain.
29. Le 25 avril 2013, le TGI rejeta l’action en se fondant sur les conclusions de l’expertise.
30. Le 5 novembre 2013, la Cour de cassation infirma partiellement la décision rendue en première instance dans la mesure où les parties demanderesses devaient être reconnues comme ayant la qualité de descendantes de la fondation même si elles ne pouvaient pas prétendre à celle d’ayants droits à l’excédent de revenu.
31. Le 9 juin 2014, elle rejeta la demande en rectification d’arrêt formée par les parties demanderesses.
32. Le 23 octobre 2014, le TGI se conforma à l’arrêt de cassation partielle.
33. Le 24 février 2015, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la DGF qui portait sur les frais de procédure puis, le 17 mai 2016, écarta sa demande en rectification d’arrêt.
V. La saisine de la Cour constitutionnelle
34. Après l’arrêt du 9 juin 2014, la requérante Necmiye Dimici et ses consorts introduisirent, le 15 août 2014, plusieurs requêtes individuelles devant la Cour constitutionnelle. Elles se plaignirent du fait que les juridictions ordinaires avaient estimé que seuls les descendants de sexe masculin pouvaient bénéficier des revenus de la fondation selon l’ordre générationnel, et alléguèrent que cette situation portait atteinte à leur droit au respect de leurs biens, à leur droit à un procès équitable ainsi qu’au principe d’égalité. En outre, elles affirmèrent que des décisions en sens contraire avaient été rendues par la Cour de cassation dans des affaires similaires.
35. Necmiye Dimici décéda le 1er novembre 2014.
36. Le 16 juin 2016, la Cour constitutionnelle déclara la requête irrecevable.
37. En ce qui concerne le droit à un procès équitable, elle estima qu’il ne lui appartenait pas de se livrer elle-même à une appréciation des preuves ou à une interprétation du droit ; cette mission relevait de la compétence des juridictions ordinaires, lesquelles n’avaient pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.
38. Elle précisa en outre que l’existence d’interprétations divergentes sur un même sujet n’était pas en soi contraire au droit à un procès équitable.
39. S’agissant du droit au respect des biens, la haute juridiction considéra que les requérantes ne pouvaient pas se prévaloir d’un bien ou d’une espérance légitime au sens de la Constitution.
VI. L’exécution du jugement du 23 octobre 2014
40. L’époux de Necmiye Dimici ayant perdu la vie en juillet 2018, la somme qui, en vertu du jugement du 23 octobre 2014, revenait à la de cujus des requérants au titre de la pension alimentaire et de l’aide vestimentaire en raison de sa qualité de descendante de la fondation (20 000 TRY, soit environ 3 600 EUR à cette époque) fut versée aux trois autres requérants, qui se trouvent être ses héritiers.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
I. Le droit interne pertinent
A. Les fondations
41. L’article 101 § 1 du code civil définit la fondation comme une personne morale créée par l’affectation, par une personne physique ou morale, dans un but défini et continu, de biens et de droits en quantité suffisante.
42. Cette affectation est irrévocable et perpétuelle.
43. Ce même article dispose :
« Il ne peut être créée de fondation méconnaissant les caractéristiques de la République qui sont définies dans la Constitution, les principes fondamentaux de la Constitution, le droit, la morale, l’unité nationale ou les intérêts nationaux ou visant à soutenir les membres d’une race ou d’une communauté déterminée. »
44. Le droit turc distingue plusieurs types de fondations.
45. Les fondations dites « mülhak » (terme qui signifie littéralement « additionnel ») sont celles qui ont été créées avant l’entrée en vigueur du code civil de 1926 et qui sont administrées par les « descendants de la fondation ».
46. Les fondations régulières (« mazbut vakıf ») sont celles dont l’administration est assurée par la DGF.
47. L’article 3 de la loi relative aux fondations définit l’excédent de revenu (galle fazlası) comme étant les sommes qui restent à la disposition de la fondation après la réalisation des œuvres de charité prévues dans l’acte constitutif et l’entretien des biens immeubles (akar) et des installations ouvertes gracieusement à l’usage du public (hayrat).
48. Le règlement sur les fondations du 27 septembre 2008, en son article 53 consacré à l’excédent de revenu, dispose que le descendant de la fondation devra, pour pouvoir obtenir les sommes qui lui reviennent, présenter une demande à la direction de la fondation, muni d’une décision judiciaire lui reconnaissant la qualité d’ayant droit à l’excédent de revenu.
49. Il indique également que lorsque l’acte constitutif contient une condition relative à l’ordre générationnel, le respect de cette condition devra lui aussi être prouvé par une décision de justice.
50. Enfin, l’article 55 de ce règlement prévoit que le droit de bénéficier du surplus s’acquiert à la date de la décision de justice et que le paiement est effectué une fois celle-ci devenue définitive.
B. Les faits antérieurs au code civil
51. En vertu de la loi no 4722 du 3 décembre 2001 relative à l’entrée en vigueur et à la mise en œuvre du code civil, la légalité et les conséquences des actes juridiques accomplis antérieurement au nouveau code civil doivent être examinées au regard des lois qui étaient en vigueur à l’époque où ces actes ont été accomplis.
52. Cette disposition reprend l’article 1 de la loi no 864 relative à l’entrée en vigueur et à la mise en œuvre du code civil de 1926.
53. L’article 2 du la loi no 4722 précise toutefois que, sauf disposition contraire, les règles du code civil visant à assurer l’ordre public et les bonnes mœurs s’appliquent dans tous les cas. Le texte dispose en outre :
« À cet effet, les règles du droit antérieur enfreignant l’ordre public et les bonnes mœurs au sens du code civil ne peuvent en aucun cas être appliquées. »
C. La liberté contractuelle
54. En vertu de l’article 26 du code des obligations, le contenu d’un contrat est librement déterminé par les parties, dans les limites de la loi.
55. Aux termes de l’article 27 du même code,
« Le contrat est frappé de nullité absolue s’il est contraire à une norme impérative, à la morale, à l’ordre public ou aux droits de la personnalité ou lorsqu’il a pour objet une chose impossible.
Si le contrat n’est vicié que dans certaines de ses clauses, seules ces clauses sont frappées de nullité. Toutefois le contrat est entièrement nul s’il y a lieu d’admettre qu’il n’aurait pas été conclu sans elles. »
D. Le principe d’égalité
56. L’article 10 de la Constitution dispose :
« Tous les individus sont égaux devant la loi sans distinction fondée sur la langue, la race, la couleur, le sexe, les opinions politiques, les croyances philosophiques, la religion, le culte ou d’autres considérations similaires.
Les hommes et les femmes disposent de droits égaux. L’État est tenu d’assurer la mise en pratique de cette égalité. Les mesures adoptées dans ce but ne peuvent être interprétées comme étant contraire au principe d’égalité.
(…)
Les organes d’État et les instances administratives sont tenus d’agir de manière conforme au principe de l’égalité de tous devant la loi. »
II. Le droit et la pratique international
57. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1979. Elle dispose notamment :
« Notant que la Charte des Nations Unies réaffirme la foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine et dans l’égalité des droits de l’homme et de la femme,
Notant que la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme le principe de la non-discrimination et proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit, et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune, notamment de sexe,
Notant que les États parties aux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme ont l’obligation d’assurer l’égalité des droits de l’homme et de la femme dans l’exercice de tous les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques,
(…)
Préoccupés toutefois de constater qu’en dépit de ces divers instruments les femmes continuent de faire l’objet d’importantes discriminations,
(…) »
Article 2
« Les États parties condamnent la discrimination à l’égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes et, à cette fin, s’engagent à :
a) Inscrire dans leur constitution nationale ou toute autre disposition législative appropriée le principe de l’égalité des hommes et des femmes, si ce n’est déjà fait, et assurer par voie de législation ou par d’autres moyens appropriés l’application effective dudit principe ;
b) Adopter des mesures législatives et d’autres mesures appropriées assorties, y compris des sanctions en cas de besoin, interdisant toute discrimination à l’égard des femmes ;
c) Instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire ;
d) S’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et faire en sorte que les autorités publiques et les institutions publiques se conforment à cette obligation ;
e) Prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination pratiquée à l’égard des femmes par une personne, une organisation ou une entreprise quelconque ;
f) Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes ; (…) »
58. L’égalité entre les femmes et les hommes est un objectif politique important du Conseil de l’Europe, dont les travaux ont permis l’adoption d’un ensemble de normes juridiques et d’orientations politiques visant à assurer la promotion et l’émancipation des femmes, et à parvenir à une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les États membres de l’Organisation. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté un nombre significatif de recommandations relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes et portant sur diverses problématiques.
59. Ainsi, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adressé aux États membres notamment les recommandations suivantes :
– la recommandation R (85) 2 relative à la protection juridique contre la discrimination fondée sur le sexe,
– la recommandation R (98) 14 relative à l’approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, et
– la recommandation Rec(2007)17 sur les normes et mécanismes d’égalité entre les femmes et les hommes.
60. Outre ces recommandations générales, le Comité des Ministres a également adopté des recommandations thématiques concernant, entre autres, l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’éducation (Rec (2007)13), la santé (Rec(2008)1), le sport (Rec(2015)2), les médias (Rec(2013)1) ou encore dans le secteur audiovisuel (Rec(2017)9).
61. Les domaines d’intervention prioritaires du Conseil de l’Europe en la matière sont définis par sa stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2018-2023.
EN DROIT
I. Question préliminaire
62. La Cour observe que les requérants sont les héritiers de Necmiye Dimici, en l’occurrence son époux (Ahmet Dimici) et ses enfants, et que les faits dénoncés concernent le refus des autorités judiciaires de reconnaître à la défunte la qualité d’ayant droit à l’excédent de revenu de la fondation.
63. Elle relève que chacun des requérants a présenté un formulaire de requête en son nom propre et que ces formulaires sont parfaitement identiques.
64. Elle observe que ni ces formulaires ni les observations présentées n’indiquent de façon explicite si les requérants agissent en tant que « descendants du fondateur » ou en tant qu’héritiers de Necmiye Dimici. Le Gouvernement ne s’est pas prononcé explicitement sur ce point même si ses arguments, notamment ceux avancés sur la recevabilité, visent les deux cas.
65. La Cour constate qu’il ressort clairement de la manière dont les faits et griefs sont exposés dans les formulaires de requête que les requérants agissent en qualité d’héritiers de Necmiye Dimici et non de descendants de la fondation, d’autant plus que la requête introduite par Ahmet Dimici, qui n’est pourtant pas un « descendant du fondateur », ne présente aucune différence avec celles de ses enfants.
66. Ainsi, la Cour relève que le terme « requérant » employé dans la partie de la requête consacrée à la description des faits désigne de manière non équivoque Necmiye Dimici et non l’auteur de la requête.
67. Elle estime par conséquent que les requérants agissent en qualité d’héritiers de Necmiye Dimici ; étant entendu que la question de savoir s’ils sont recevables à le faire relève de la compatibilité ratione personae de la requête et sera examinée plus loin.
II. Sur la qualité à agir des héritiers d’Ahmet Dİmİcİ
68. Le requérant Ahmet Dimici est décédé le 7 juillet 2018. Ses trois héritiers, qui sont les autres requérants, ont fait savoir qu’ils entendaient, en leur qualité d’héritiers, maintenir devant la Cour la partie de la requête concernant leur père.
69. La Cour rappelle que, dans plusieurs affaires où un requérant était décédé pendant la procédure, elle a pris en compte la volonté exprimée par des héritiers ou des parents proches de poursuivre celle-ci.
70. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière (Elif Kızıl c. Turquie, no 4601/06, §§ 50 à 52, 24 mars 2020), la Cour reconnaît aux intéressés qualité pour se substituer au requérant dans la présente instance.
71. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera de désigner Ahmet Dimici comme l’un des requérants.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 14 DE LA CONVENTION
72. Les requérants se plaignent d’une violation de leur droit au respect de leurs biens, au sens de l’article 1 du Protocole no1, et de l’interdiction de la discrimination, au sens de l’article 14 de la Convention.
Ces dispositions se lisent comme suit :
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
1. Les exceptions formulées par le Gouvernement
73. Le Gouvernement soulève plusieurs exceptions d’irrecevabilité.
a) Incompatibilité ratione temporis
74. Le Gouvernement indique que la fondation a été créée il y a près de cinq siècles, que depuis sa création les biens affectés ne sont plus la propriété du fondateur et que celui-ci ne peut plus modifier l’objet de l’affectation. Il ajoute que la création de la fondation et les dispositions de son acte constitutif étaient parfaitement conformes au droit en vigueur à l’époque et il en déduit que les faits échappent à la compétence ratione temporis de la Cour.
b) Incompatibilité ratione materiae
75. Le Gouvernement estime que la requête est également incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. A cet égard, faisant référence à la jurisprudence Kopecký c. Slovaquie ([GC], no 44912/98, CEDH 2004‑IX), il rappelle que l’« espérance légitime » protégée par la Convention doit reposer sur une base suffisante en droit interne.
76. Il souligne que le simple fait d’être un descendant du fondateur ne permet pas de bénéficier des revenus d’une fondation, que seules les personnes réunissant les conditions précisées dans l’acte constitutif peuvent bénéficier desdits revenus et que ces personnes ne sont pas toujours nécessairement les descendants du fondateur. Ainsi, il serait parfaitement loisible au fondateur de désigner d’autres ayants droits que ses propres descendants.
77. Le Gouvernement précise également que le respect des conditions prévues par l’acte constitutif pour être reconnu comme ayant droit doit être vérifié par un tribunal et que la décision de celui-ci revêt un caractère constitutif et non simplement constatatoire.
78. Il relève que les tribunaux ont estimé que Necmiye Dimici ne satisfaisait pas aux exigences de l’acte constitutif de la fondation pour bénéficier des revenus de celles-ci. Dès lors, l’espoir de l’intéressée n’aurait pas reposé sur une base légale suffisante en droit interne, de sorte qu’elle ne pouvait prétendre à une espérance légitime au sens de la jurisprudence de la Cour.
79. Il précise par ailleurs, que les seuls droits financiers dont l’intéressée avait été reconnue bénéficiaire (pension alimentaire et aide vestimentaire) ont été acquittés à ses héritiers.
80. Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement estime que le grief, pour autant qu’il concerne la requérante Necmiye Dimici, est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
81. S’agissant des autres requérants, il relève que le TGI a établi que les seuls les descendants de sexe masculin pouvaient bénéficier des revenus de la fondation en fonction de l’ordre générationnel et que les enfants des descendants de sexe féminin ne pouvaient en aucun cas y prétendre. Il rappelle qu’Ahmet Dimici est l’époux décédé de la défunte Necmiye Dimici et que les autres requérants sont leurs enfants communs. Il s’ensuit selon lui que ces derniers ne satisfont pas aux conditions prévues pour bénéficier des revenus de la fondation.
82. Il en conclut que le grief est incompatible ratione materiae également en ce qui les concerne.
c) Autres exceptions d’irrecevabilité
83. Considérant que les requérants ne pouvaient légalement prétendre à une part des revenus de la fondation, le Gouvernement estime que leur grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention.
84. Il considère en outre que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Il affirme que la circonstance que Necmiye Dimici a été reconnue comme descendante de la fondation ne signifie pas ipso facto que ses enfants le sont aussi et affirme que les intéressés devaient intenter une action visant à se faire reconnaître cette qualité. Or, il constate qu’ils ne l’ont pas fait.
85. Enfin, le Gouvernement soutient que le grief est manifestement mal fondé. À cet égard, il observe que les autorités judiciaires nationales, y compris la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle, ont dûment examiné l’affaire et qu’elles ont estimé que Necmiye Dimici ne pouvait bénéficier des revenus de la fondation.
86. Il fait valoir que la Cour dispose d’une compétence limitée s’agissant de vérifier si le droit national a été correctement interprété et appliqué, et qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux, sauf si les décisions de ces derniers sont entachées d’arbitraire ou d’irrationalité manifeste (Basa c. Turquie, nos 18740/05 et 19507/05, § 97, 15 janvier 2019), ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.
2. Thèses des requérants
87. Les requérants s’opposent aux exceptions du Gouvernement.
B. Appréciation de la Cour
1. Sur la compatibilité ratione personae
88. La Cour rappelle que pour pouvoir introduire une requête en vertu de l’article 34, une personne physique, une organisation non gouvernementale ou un groupe de particuliers doit pouvoir se prétendre « victime d’une violation (…) des droits reconnus dans la Convention (…) », c’est-à dire avoir subi directement les effets de la mesure litigieuse (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 33, CEDH 2008).
89. Ce critère ne saurait être appliqué de façon rigide, mécanique et inflexible. La Cour a reconnu que les affaires portées devant elle présentent généralement aussi une dimension morale, et les proches d’un requérant peuvent donc avoir un intérêt légitime à veiller à ce que justice soit rendue, même après le décès du requérant. Tel est a fortiori le cas lorsque la question centrale soulevée par la cause dépasse la personne et les intérêts du requérant et de ses héritiers, dans la mesure où elle peut toucher d’autres personnes (voir Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 45, CEDH 2009, et pour une description détaillée de la jurisprudence en la matière Akbay et autres c. Allemagne, nos 40495/15 et 2 autres, §§ 67-77, 15 octobre 2020).
90. En l’espèce, la Cour observe qu’en tant qu’héritiers de Necmiye Dimici, les requérants ont un intérêt matériel évident à l’introduction de la requête à raison de ses conséquences directes sur leurs droits patrimoniaux. En effet, la succession de leur de cujus se trouve amoindrie des sommes auxquelles celle-ci prétendait et dont elle estimait avoir été privée en raison de son sexe.
91. Par ailleurs, le refus de reconnaître à leur de cujus la qualité d’« ayant-droit à l’excèdent de revenu » a également une incidence directe sur la situation des requérants, à l’exception d’Ahmet Dimici. En effet, compte tenu du refus opposé à leur mère, les requérants ne peuvent manifestement prétendre à bénéficier eux-mêmes de l’excédent de revenus en se fondant sur la circonstance qu’ils sont descendants du fondateur. Toute tentative en ce sens semble vouée à l’échec.
92. Ces éléments suffisent à la Cour pour estimer que les requérants ont qualité à agir et pour rejeter l’exception du Gouvernement, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se pencher par ailleurs sur la question de l’existence d’un intérêt général.
2. Sur la compatibilité ratione temporis
93. La Cour observe que le grief des requérants est tiré d’un traitement discriminatoire dans la répartition des revenus de la fondation et en substance d’une absence de protection adéquate de la part des autorités.
94. Si les modalités de répartition de l’excédent de revenu de la fondation entre les descendants du fondateur et notamment les conditions pour avoir droit à une part sont fixées dans un texte qui date du début du 16e siècle, ces règles ont été appliquées et opposées à la de cujus des requérants par les tribunaux à une date bien postérieure au 28 janvier 1987, qui marque la prise d’effet de la reconnaissance du droit de recours individuel par la Turquie, c’est-à-dire à un moment qui entre dans le champ de la compétence temporelle de la Cour.
95. La Cour relève d’ailleurs que, comme l’a, à juste titre, relevé le Gouvernement sur le terrain de la compatibilité ratione materiae (voir paragraphe 77 ci-dessus), la décision du tribunal est de nature non pas simplement constatatoire mais bien au contraire constitutive.
96. Elle observe en outre que les revendications visent les droits auxquels Necmiye Dimici estimait pouvoir prétendre en conséquence du décès de son père et que cette situation doit être distinguée de celle où un requérant chercherait à bénéficier d’un droit qui s’est éteint plusieurs générations avant lui (et dont la reconnaissance aurait de graves conséquences sur la sécurité juridique).
97. Il s’ensuit que l’exception présentée par le Gouvernement doit être écartée.
3. Sur la compatibilité ratione materiae
98. En ce qui concerne l’exception tirée d’une incompatibilité ratione materiae du grief, la Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 ne garantit pas le droit d’acquérir des biens (Slivenko et autres c. Lettonie (déc.) [GC], no 48321/99, § 121, CEDH 2002-II (extraits)). Cependant, la notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (voir, entre autres, Pressos Companía Naviera S.A. et autres c. Belgique, 20 novembre 1995, § 31, série A no 332, et Kopecký, précité, § 35). L’espérance légitime doit reposer sur une « base suffisante en droit interne » (Kopecký, précité, § 52 et Saghinadze et autres c. Géorgie, no 18768/05, § 103, 27 mai 2010). De même, la notion de « biens » peut s’étendre à une prestation donnée dont les intéressés ont été privés en vertu d’une condition d’octroi discriminatoire (Savickis et autres c. Lettonie [GC], no 49270/11, §§ 121 et 122, 9 juin 2022 ; Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 50, 7 février 2013 (extraits)). Dans chaque affaire, il importe d’examiner si les circonstances, considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole no 1 (Bozcaada Kimisis Teodoku Rum Ortodoks Kilisesi Vakfi c. Turquie, nos 37639/03, 37655/03, 26736/04 et 42670/04, § 41, 3 mars 2009).
99. Lorsqu’un requérant formule, sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1, un grief aux termes duquel il a été privé, en tout ou en partie et pour un motif discriminatoire visé à l’article 14, d’une valeur patrimoniale, le critère pertinent consiste à rechercher si, n’eût été ce motif discriminatoire, l’intéressé aurait eu un droit, sanctionnable par les tribunaux internes, sur cette valeur patrimoniale (voir Savickis et autres, précité, § 122, Fabris, précité, § 52, et Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 127, 19 décembre 2018).
100. En l’espèce, la Cour relève que c’est uniquement en considération du sexe féminin de la de cujus des requérants que celle-ci s’est vu refuser le droit de bénéficier des revenus de la fondation.
101. Il en résulte que les intérêts patrimoniaux en cause entrent dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 et du droit au respect des biens qu’il garantit, ce qui suffit à rendre l’article 14 de la Convention applicable.
102. Par conséquent, la Cour rejette également cette exception soulevée par le Gouvernement.
4. Sur les autres motifs d’irrecevabilité
103. La Cour observe que les requérants n’agissent pas en qualité de descendants du fondateur et que leur grief ne repose pas sur ce qu’ils auraient été privés des droits auxquels cette qualité leur permettait de prétendre, mais qu’ils agissent en qualité d’héritiers de Necmiye Dimici et se plaignent de ce que cette dernière eût été privée des droits en question en raison de son sexe.
104. Il s’ensuit que les exceptions tirées par le Gouvernement tant d’une incompatibilité ratione personae que de la règle de l’épuisement des voies de recours internes doivent être rejetées.
105. La Cour considère en outre que la requête soulève de sérieuses questions de fait et de droit qui ne peuvent être résolues au stade de l’examen de la recevabilité et qui nécessitent un examen au fond. Il s’ensuit que la requête ne saurait être déclarée manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.
5. Conclusion
106. En conclusion, la Cour rejette l’ensemble des exceptions du Gouvernement. Constant que la requête ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare recevable.
C. Sur le fond
1. Thèse des parties
107. Les requérants se plaignent de ce que leur de cujus ait été privée des droits patrimoniaux qui découlaient de sa qualité de descendante du fondateur et de son degré de parenté en ligne directe, et ce exclusivement en raison de son sexe.
108. Le Gouvernement conteste la thèse des requérants.
109. Il précise que la fondation Örfioğlu jouit de la personnalité juridique, qu’elle est une fondation de type mülhak, c’est-à-dire qui n’est pas administrée par la DGF, et que le litige en question relève des dispositions du droit privé.
110. À cet égard, le Gouvernement estime que les seules obligations qui pesaient sur les autorités étaient de nature procédurale.
111. Il observe que le litige a été porté devant les tribunaux, lesquels, y compris la Cour de cassation, ont dûment examiné l’affaire et estimé que la de cujus des requérants ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de l’excédent de revenus de la fondation.
112. Selon lui, les autorités ont offert aux deux parties des moyens appropriés de faire valoir les droits qu’ils tiraient de l’article 1 du Protocole no 1 mais aussi, en ce qui concerne plus particulièrement la fondation, de l’article 11 de la Convention. À cet égard, le Gouvernement souligne que le droit de créer une fondation constitue l’un des aspects les plus importants du droit à la liberté d’association énoncé par cette dernière disposition (Fondation MİHR c. Turquie, no 10814/07, § 39, 7 mai 2019).
113. Il ajoute que les relations entre la fondation et les descendants du fondateur ne sont pas des relations de type successorale et que, même en cas de dissolution, les biens de la fondation ne reviennent pas auxdits descendants, ni d’ailleurs à l’État. Il répète que la distribution de l’excédent de revenu est régie par l’acte constitutif de la fondation.
114. Pour le Gouvernement, le rôle des autorités était de veiller au respect de l’acte en question étant donné que la fondation poursuit un but d’intérêt général.
115. Il considère que la présente espèce se distingue de l’affaire Molla Sali (précitée) dans la mesure où elle ne porte pas sur le droit successoral, qu’elle n’implique pas l’existence de deux corpus législatifs appliqués en fonction de la religion de l’intéressé et qu’elle ne concerne pas l’application à un individu d’une norme dérogatoire au droit commun contre sa volonté.
116. Il rappelle que toute différence de traitement ne constitue pas une discrimination et que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement.
117. Il précise que, dans l’ordre d’utilisation des revenus, le versement d’une pension alimentaire et d’une aide vestimentaire aux descendantes de sexe féminin vient avant la distribution de l’excédent de revenus aux descendants de sexe masculin, de sorte qu’il serait parfaitement possible que ces derniers ne perçoivent rien (en l’absence d’excédent) ou touchent des sommes moins importantes que celles versées aux descendantes.
118. Il indique également que certains descendants de sexe masculin sont eux aussi privés des revenus de la fondation (les fils des descendantes du fondateur).
119. Le Gouvernement en conclut qu’il serait erroné d’affirmer que l’acte constitutif serait plus favorable aux descendants de sexe masculin qu’à celles de sexe féminin.
120. Enfin, le Gouvernement affirme que le droit de propriété confère à son titulaire un certain nombre de prérogatives et que le fondateur avait le droit d’établir la manière dont les biens qu’il transférait à sa fondation devaient être employés et les conditions dans lesquelles l’excédent de revenus serait distribué et il soutient qu’une telle situation ne saurait être considérée comme discriminatoire. Le respect de la volonté librement exprimée d’un individu exerçant son droit de propriété serait une exigence de la démocratie.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
121. Pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables (voir, parmi beaucoup d’autres, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 125, CEDH 2012, X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 98, CEDH 2013, et Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [GC], nos 60367/08 et 961/11, § 64, 24 janvier 2017).
122. Toute différence de traitement n’emporte toutefois pas automatiquement violation de l’article 14. Seules les différences de traitement fondées sur une caractéristique identifiable, ou « situation », sont susceptibles de revêtir un caractère discriminatoire aux fins de l’article 14 (Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 113, 5 septembre 2017, et les affaires qui y sont citées).
123. La Cour rappelle aussi que dans la jouissance des droits et libertés reconnus par la Convention, l’article 14 interdit de traiter de manière différente, sauf justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Au regard de cette disposition, une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (Fabris, précité, § 56).
124. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. L’étendue de cette marge varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 88, CEDH 2011).
125. La Cour rappelle en outre que la progression vers l’égalité des sexes est aujourd’hui un but important des États membres du Conseil de l’Europe (voir paragraphes 58 et 61 ci-dessus) et que seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une telle différence de traitement. En particulier, des références aux traditions, présupposés d’ordre général ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent pas à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe. Par exemple, les États ne peuvent imposer des traditions qui trouvent leur origine dans l’idée que l’homme joue un rôle primordial et la femme un rôle secondaire dans la famille (Konstantin Markin, précité, § 127).
126. En ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l’article 14 de la Convention, la Cour a déjà jugé que, lorsqu’un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 85, CEDH 2013 (extraits), D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 177, et Molla Sali, précité, § 137).
127. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 14 peut aussi imposer aux États membres des obligations positives visant à assurer le respect du principe de non-discrimination dans les relations entre personnes privées. Elle a en effet considéré qu’elle ne pouvait rester inerte lorsque l’interprétation faite par une juridiction nationale d’un acte juridique – qu’il s’agisse d’une clause testamentaire, d’un contrat privé, d’un document public, d’une disposition légale ou encore d’une pratique administrative – apparaît comme étant déraisonnable, arbitraire ou en flagrante contradiction avec l’interdiction de discrimination établie à l’article 14, et plus largement avec les principes sous-jacents à la Convention (voir Pla et Puncernau c. Andorre, no 69498/01, § 59, CEDH 2004‑VIII, où une juridiction interne appelée à interpréter le testament d’une personne avait considéré que celle-ci avait voulu exclure les enfants adoptifs du bénéfice de sa succession).
128. Par ailleurs, les États sont tenus de prendre des mesures suffisantes pour protéger les individus contre le traitement discriminatoire dont ils allèguent avoir fait l’objet, notamment la mise en place d’un système judiciaire qui garantisse une protection réelle et effective contre la discrimination (voir Danilenkov et autres c. Russie, no 67336/01, §§ 124, 125 et 136, CEDH 2009 (extraits), affaire qui concernait une discrimination fondée sur l’appartenance à un syndicat).
b) Application au cas d’espèce
i. Sur l’existence d’une différence de traitement fondée sur le sexe
129. La Cour observe que la de cujus des requérants s’est vu refuser le droit de bénéficier de l’excédent de revenu de la fondation Örfioğlu alors que, parce qu’elle était une descendante en ligne directe, elle y aurait eu droit si elle avait été de sexe masculin.
130. Elle a également été privée de la possibilité de « transmettre » à ses enfants la qualité de bénéficiaire de l’excédent de revenu (lorsque l’ordre générationnel le leur aurait permis), contrairement aux descendants de sexe masculin se trouvant dans une situation non pas simplement analogue mais strictement identique à la sienne.
131. Quant à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle la situation dont se plaignent les requérants n’était pas préjudiciable à leur de cujus dans la mesure où les sommes versées aux descendants de sexe masculin sont celles qui restent après le versement de l’aide vestimentaire et de la pension alimentaire aux descendantes, la Cour estime, compte tenu notamment de l’indication selon laquelle la fondation disposerait de plusieurs millions de livres turques de revenus (voir paragraphe 7 ci-dessus), qu’elle est spéculative et qu’elle ne correspond aucunement à la situation ici en cause. L’éventualité que les sommes versées aux descendants au titre de l’excédent de revenu puissent éventuellement être inférieures à celles versées aux descendantes ne change rien à l’existence d’une discrimination.
132. Au demeurant, cette thèse n’a aucune incidence sur le second point de la différence de traitement (voir paragraphe 130 ci-dessus). En effet, en vertu de l’acte constitutif de la fondation, si les femmes ne peuvent accéder à la qualité d’ayant droit à l’excédent de revenus, leurs enfants ne peuvent eux non plus bénéficier de cette qualité, quand bien même l’ordre générationnel le permettrait.
133. Quant à l’argument que le Gouvernement tire de ce second point (voir paragraphe 118 ci-dessus), la Cour estime qu’il est spécieux. En effet, si certains hommes se trouvent privés de la qualité de bénéficiaire des revenus, c’est en raison non pas d’une absence de discrimination mais précisément de la discrimination subie par leurs mères.
134. Par conséquent, la Cour estime qu’il ne fait aucun doute que la de cujus des requérants avait fait l’objet d’une différence de traitement fondée sur le sexe.
ii. Sur l’observation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1
1) Sur la nature des obligations en jeu
135. La Cour observe que le Gouvernement soutient que le grief devrait être examiné sur le terrain des obligations positives, qu’il insiste sur la circonstance que la fondation Örfioğlu est administrée non pas par les autorités publiques mais par les descendants du fondateur et qu’il estime que le différend en cause est d’ordre purement privé.
136. La Cour relève toutefois que la mesure constitutive de la discrimination en cause n’est pas une décision adoptée par la fondation mais par un jugement du TGI. Celui-ci n’a pas été rendu dans le cadre d’un contentieux visant à faire annuler un quelconque refus de la fondation de reconnaitre à la de cujus la qualité d’ayant droit à l’excédent puisque les fondations n’ont pas compétence pour ce faire. En effet, en vertu du droit interne (voir paragraphes 48 à 50 ci-dessus), le pouvoir de reconnaître cette qualité appartient aux seules autorités judiciaires. En d’autres termes, l’atteinte au droit de la de cujus des requérants que constitue le refus de l’admettre au bénéfice de la qualité d’ayant droit découle d’un acte de l’autorité judiciaire.
137. Toutefois, si les tribunaux ont décidé de ne pas reconnaître à l’intéressée la qualité d’ayant droit à l’excédent de revenu, ils l’ont fait en se fondant sur les dispositions de l’acte constitutif de la fondation. La Cour observe d’ailleurs que le grief est précisément tiré de la circonstance que les tribunaux n’ont pas écarté les dispositions discriminatoires de cet acte, c’est-à-dire d’une omission ou d’une passivité des tribunaux. Dès lors, elle estime que la question soulevée doit être examinée sur le terrain des obligations positives (voir, à contrario, Molla Sali, précité, où les tribunaux avaient écarté, pour un motif discriminatoire, les dispositions testamentaires de l’époux de la requérante favorables à cette dernière et où la Cour avait examiné le grief sous l’angle des obligations négatives).
138. À cet égard, la Cour souligne que la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État ne se prête pas à une définition précise, mais que les principes applicables n’en sont pas moins comparables. Que l’on analyse l’affaire sous l’angle de l’obligation positive de l’État ou sous celui de l’ingérence des pouvoirs publics, qui doit être justifiée, les critères à appliquer ne sont pas différents en substance. Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (voir, mutatis mutandis, Saraç et autres c. Turquie, no 23189/09, § 71, 30 mars 2021).
2) Sur le respect des obligations
139. La Cour observe que le refus des tribunaux de reconnaître à la de cujus des requérants la qualité d’ayant droit à l’excédent de revenu en raison de son sexe découle des dispositions de l’acte constitutif. L’examen des décisions judiciaires fait apparaitre que la discrimination subie par l’intéressée ne reposait sur aucune justification autre que la volonté du fondateur, laquelle procède de considérations sociales et d’une vision de la femme qui prévalaient à l’époque de la création de la fondation, c’est-à-dire au début du 16e siècle.
140. La Cour relève que l’ensemble des arguments avancés par le Gouvernement pour justifier l’approche des tribunaux convergent essentiellement vers le même point, lequel consiste à affirmer que dans le cadre de ce qu’il considère comme un litige privé, c’est la volonté du fondateur qui devrait primer, et ce au nom de la liberté contractuelle et des prérogatives attachées au droit de propriété et au droit d’association.
141. Il est évident que le fait de suivre cette logique reviendrait à vider de leur substance et même à nier l’existence d’obligations positives imposant aux États le devoir de prévenir, de faire cesser et de sanctionner la discrimination. En effet, la circonstance que le litige relevait d’une relation entre personnes privées n’est pas en soi de nature à exonérer l’État de ses obligations d’adopter certaines mesures nécessaires en vue de prévenir et de sanctionner la discrimination entre des personnes privées, et notamment de mettre en œuvre une protection judiciaire effective contre la discrimination.
142. La Cour rappelle que ni le principe de l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle qui en découle, ni la liberté d’association et le droit de disposer librement de ses biens ne sont absolus. Bien au contraire, ils sont encadrés et délimités par le droit et ne peuvent déroger à la loi, notamment aux règles d’ordre public, et encore moins à la Constitution. Ainsi le veut la hiérarchie des normes.
143. La Cour constate que les tribunaux se sont contentés d’établir puis d’appliquer la volonté du fondateur, tel qu’exprimée dans l’acte constitutif, sans chercher à la confronter aux règles d’ordre public. Ainsi, ils ne semblent nullement s’être souciés de vérifier la conformité de la volonté du fondateur à la Convention, à la Constitution ou aux lois, alors même qu’elle soulevait manifestement une question au regard du principe de non-discrimination et du principe de l’égalité entre hommes et femmes.
144. Ni les tribunaux, ni le Gouvernement n’ont avancé le moindre argument susceptible de justifier que la volonté discriminatoire d’un individu faisant usage des prérogatives découlant du droit de propriété puisse bénéficier d’un niveau de protection supérieur et prévaloir sur le principe de non-discrimination, lequel non seulement est d’ordre constitutionnel mais, de surcroît, fait partie des principes qui sous-tendent l’instrument de l’ordre public européen qu’est la Convention.
145. En ce qui concerne l’argument selon lequel la volonté du fondateur était conforme au droit en vigueur à l’époque où elle a été exprimée, la Cour estime que celui-ci ne saurait être considéré comme décisif en l’espèce. En effet, la légalité d’une pratique au moment de son adoption ne saurait en soi garantir une quelconque primauté ou immunité face aux normes actuelles relatives à l’ordre public et face à la Convention. D’ailleurs, la loi relative à l’entrée en vigueur du code civil semble elle aussi aller en ce sens (voir paragraphe 53 ci-dessus). Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, cette pratique procède de conceptions sociales et morales et d’une vision archaïque du rôle de la femme qui n’ont plus cours dans la société turque et plus largement dans les sociétés européennes.
146. Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel les modalités de répartition de l’excédent de revenus de la fondation découlant de la volonté du fondateur devraient être protégées dans la mesure où la fondation contribue à des activités d’intérêt général, la Cour n’aperçoit aucun lien entre lesdites modalités et la réalisation d’activités relevant de l’intérêt général.
147. En effet, si la fondation utilise ses revenus en priorité pour l’entretien de son patrimoine immobilier, et notamment des biens offerts à un usage commun du public, et pour la distribution de nourriture aux nécessiteux pendant une période donnée, et si ces activités relèvent effectivement de l’intérêt général, la répartition de l’excèdent de revenu n’a aucune incidence sur la capacité de la fondation à réaliser ces missions puisque que ladite répartition ne concerne que les sommes qui restent une fois ces missions accomplies.
148. Il découle de l’ensemble de ce qui précède que les autorités ne se sont pas dûment acquittées de leur obligation positive de protéger la de cujus des requérants contre une discrimination fondée sur le sexe.
149. Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.
150. La Cour estime utile de préciser la portée du présent arrêt dans le temps.
151. Si elle interprète la Convention à la lumière des conditions d’aujourd’hui, la Cour n’ignore pas que des différences de traitement entre descendants d’une fondation dans le domaine patrimonial ont durant de longues années passé pour licites en Turquie.
152. Elle considère que le principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention, dispense l’État défendeur de remettre en cause des actes ou situations juridiques antérieurs au présent arrêt (voir Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 58, série A no 31, et, mutatis mutandis, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 314, 1er décembre 2020).
IV. Sur la violation alléguée de l’article 6 de la Convention
153. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants dénoncent une contradiction entre deux traductions des clauses constitutives de la fondation et reprochent aux tribunaux d’avoir statué en prenant en compte la traduction qui leur était la moins favorable, et ce sans avoir fourni selon eux d’explication justifiant ce choix.
154. Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue au sujet du grief tiré de l’article 14 de la Convention combinée avec l’article 1 du Protocole no 1, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de statuer sur la recevabilité ni sur le bien-fondé de ce grief.
V. SUR L’APPLICATION DE l’aRTICLE 41 DE LA CONVENTION
155. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
156. La requérante Emine Dimici réclame 450 000 TRY pour chaque année comptable à partir de 2014 jusqu’à la date du présent arrêt. Elle fait valoir que les ayants droits de sexe masculin ont perçu chacun 475 000 TRY par an.
157. Faisant référence à l’arrêt Kaynar et autres c. Turquie (nos 21104/06 et 2 autres, §§ 64 à 78, 7 mai 2019), le Gouvernement invite la Cour à renvoyer la question de la satisfaction équitable à la Commission d’indemnisation. À titre subsidiaire, il sollicite le rejet de la prétention de la requérante Emine Dimici, qui selon lui est excessive et repose sur un calcul spéculatif.
158. Eu égard aux particularités de l’espèce, la Cour estime que le moyen le plus approprié pour redresser la violation constatée serait une réouverture de la procédure. À cet égard, elle relève que l’article 375 § 1 du code de procédure civile prévoit de manière explicite qu’un arrêt de la Cour concluant à une violation de la Convention ou de ses Protocoles constitue une cause spécifique de réouverture d’une procédure.
159. Les requérants n’ont pas présenté de demande au titre du dommage moral et des frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de sommes à ces titres.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare recevable le grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité ni le bien-fondé du grief relevant de l’article 6 de la Convention ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 juillet 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Jon Fridrik Kjølbro
Greffier Président
____________
Appendix
No | Prénom NOM | Année de naissance/d’enregistrement | Nationalité | Lieu de résidence |
1. | Emine DİMİCİ | 1956 | turque | Istanbul |
2. | Ahmet DİMİCİ | 1932 | turc | Tekirdağ |
3. | Necla DİMİCİ | 1955 | turque | Tekirdağ |
4. | Şaban Yıldırım DİMİCİ | 1959 | turc | Manisa |
[1]. Unité de mesure ottomane équivalant à environ 7,697 kilogrammes.
Dernière mise à jour le juillet 5, 2022 par loisdumonde
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